Il y avait, dans l'incroyable monde des elfes, une grande maison qui se nommait Candleshade. Dans cette tour se trouvait une pièce où un mur entier était recouvert d'une immense bibliothèque. Si l'on ne s'y penchait pas de trop près, on pouvait penser que tout cela n'était que textes barbants et ennuyeux. Mais lorsque que l'on s'en approchait, on pouvait lire quelques annotations qui nous permettaient d'affirmer que Keefe Sencen avait vécu ici. Sur la page de couverture d'un livre signé de Cassius Sencen, on pouvait par exemple lire d'une écriture légèrement brouillonne:

"Vous êtes prêts à mourir d'ennui?
Un, deux, trois, et c'est parti!"

On pouvait aussi déchiffrer, sur un ouvrage intitulé "Le cœur du problème", une petite phrase:

"Si vous lisez ça, c'est que vous n'avez vraiment, mais alors VRAIMENT rien d'autre à faire."

Dans cette pièce se trouvait deux enfants, un petit garçon aux cheveux blonds ébouriffés et aux yeux bruns parsemés d'or, ainsi qu'une jeune fille de trois ans son aînée, qui scrutait la bibliothèque de ses yeux bleu glacier. Dans ses mains se trouvait un tabouret, qu'elle espérait assez grand pour pouvoir atteindre la dernière étagère. Elle avait hérité du caractère naturellement curieux et désobéissant de son père, tandis que le garçon aurait préféré éviter de se fourrer dans les ennuis.
Le frère et la sœur passaient leurs vacances chez leur grand-père, ce qui ne les amusait pas du tout.  Celui-ci leur avait formellement interdit l'accès à la chambre de son fils, et plus particulièrement au dernier étage de la grande bibliothèque. Et en tant qu'enfants de Keefe Sencen, il était de leur devoir de lui désobéir.
Le petit garçon prit la parole:

-Aeryn, si Papy Cassius nous trouve ici, je dirai que c'est de ta faute!

-Écoute Mathéis, si t'es là que pour m'embêter, tu peux partir! répondit la jeune fille en levant les yeux au ciel.

Le blond se mit à bouder, mais resta tout de même près de sa sœur car, même si il ne voulait pas l'avouer, il avait peur de se perdre et de retomber une fois de plus sur la statue en luménite de "Papy Cassius", qu'il trouvait effrayante. Aeryn regarda longuement la bibliothèque, avant d'attraper un livre relié de cuir. Elle lu le titre à voix haute:

-"La ballade de Ro et Bo", de Keefe Sencen, en collaboration avec Sophie Foster. Si ça a été écrit par papa, ça promet d'être intéressant.

Mathéis leva les yeux vers sa sœur et lui demanda de lire. Elle s'assit en tailleur sur le sol froid, et commença sa lecture. Une petite annotation en haut de la première page disait:
"Merci Foster pour tous ces mots humains, c'était vraiment génial!"
Aeryn s'éclaircit la gorge:

"La ballade de Ro et Bo

  Il y avait dans une contrée fort éloignée,
Deux créatures bien plus laides que des porcs.
Ils avaient juré de combattre jusqu'à leur mort,
Dans le but ultime d'être couronnés.

  Mais le père, souhaitant garder ses meilleurs guerriers,
Eut l'idée stupide de vouloir les marier.
Et les deux, refoulants leurs pensées,
Se mirent à imaginer, si ils s'étaient aimés.

   L'un se nommait Bo,
Et il possédait un ego,
Plus grand que les citrouilles,
Bercées au son du chant des grenouilles.

   Ro avait beau sembler sotte,
À teindre ses cheveux couleur carotte,
Elle n'en était pas moins,
Une ogresse pleine d'entrain.

  Bo songea que celle-ci n'était point si laide,
Et son caractère bien peu raide.
Ses ongles peints et recourbés,
Étaient en fait un signe de beauté.

Ro, quant à elle, se disait que Bo,
Avec ses tatouages frontaux,
Était un spécimen incroyable,                                                                                                                                       
Et également formidable.

  
  Et sous une nuit étoilée,
Ils se mirent à éprouver,
Une passion dévorante,
Dans la lueur d'une lune ardente."

Aeryn dû plisser les yeux pour déchiffrer la partie suivante, qui avait été barrée d'un geste rageur pour être remplacée par un:
"GRASSECOIFFE, TU VAS SOUFFRIR!!!"

   "Ils arrêtèrent de cacher,
Leurs sentiments jusqu'ici inavoués.
Et ils firent le serment de s'aimer,
Jusqu'à la fin de l'éternité."

La jeune fille avait à peine terminé sa lecture que son frère s'écria:

"Aeryn, j'ai entendu du bruit en bas! Papy Cassius est rentré!"
L'elfe referma le livre d'un coup sec, le reposa rapidement sur l'étagère, en attrapa un autre à toute vitesse, mais avant de partir, la petite blonde eut le temps de déchiffrer, au dos de la ballade, une petite phrase:

"MES AMIBES T'ATTENDENT, GRASSECOIFFE!"

Puis elle se détourna, et les deux enfants déguerpirent.

Le soir même, Mathéis demanda à sa sœur:

"Qu'est-ce que tu as pris dans la chambre de papa?

-Ce que maman lui a toujours empêché de nous révéler, répliqua mystérieusement Aeryn.

Elle dévoila alors le titre de l'ouvrage, que son jeune frère mit une minute à déchiffrer à la faible lueur de leur fiole de clair de lune. Puis son visage se fendit d'un sourire auquel il manquait quelques dents.

"Les incroyables et ingénieux plans de bêtises du talentueux et magnifique Keefe Sencen, alias Lord Bellecoiffe".