💙 _CrazyCathy_

On avait toujours dit à Cassius d'être fier.

Fier de lui, de ce qu'il était. Fier d'être un Sencen. D'appartenir à cette illustre famille, comme on le lui disait chaque jour.

On lui disait qu’il était supérieur, comme tous les Sencen. Et Cassius y croyait dur comme fer. Il était supérieur à ses camarades prodiges, supérieur à tous ces elfes qu’il croisait chaque jour, supérieur à ses mentors, et même, il en était persuadé, aux membres du Conseil. Après tout, c’est ce que sa famille lui disait, et il n’y avait pas de raison qu’un autre Sencen lui mente.

Cette supériorité se ressentait dans chaque pièce de l’immense demeure dans laquelle il avait grandi — la principale, car même si leurs nombreuses résidences secondaires étaient, à l’image de leur famille, toutes plus splendides les unes que les autres, elle n’en restait pas moins la plus majestueuse, et Cassius trouvait que Foxfire et les châteaux des Conseillers faisaient pâle figure à côté d’elle.

Les murs, parés de fresques, de bas-reliefs, de tapisseries ou de tableaux somptueux, étaient comme un grand livre. Ils relataient les héroïques aventures de ses aïeux, représentaient de brillants Sencen dont tout le monde eût été fier de voir figurer le nom dans son arbre généalogique.

Il y avait l’aile des portraits ; ses parents y faisaient ajouter une salle chaque fois qu’un nouveau membre entrait dans la famille, et on la décorait de tableaux et sculptures à son effigie, illustrant d’importantes étapes de sa vie ou tout simplement sa gloire, inévitablement colossale puisque c’était un Sencen.

Cassius aimait beaucoup la sienne. Elle n’était pas encore bien remplie, en raison de son jeune âge, mais il adorait y passer des heures à contempler son image. Il rêvait d’avoir un jour dans sa propre demeure — qui serait si haute qu’on n’en verrait pas le sommet — une même pièce, où trônerait au centre une statue en luménite à son effigie, grandeur nature. Tout le monde la lui envierait et il en serait très fier.

En première année à la prestigieuse académie de Foxfire, où il était un excellent élève, il fut forcé d’apprendre, après les examens de la mi-semestre, que contrairement à ce qu’on lui inculquait depuis la naissance, la famille Sencen n’était pas la plus prestigieuse qu’il fut, tout du moins de l’opinion des autres elfes.

Ce jour-là, où chaque prodige célébrait sa réussite en se gavant des sucreries et déballant avec enthousiasme les présents offerts par leurs proches. Cassius avait reçu un magnifique portrait de lui, la tête haute, le regard fier, le buste droit et le torse bombé, tenant une feuille d’examen décorée de la note maximale. Le tableau était incrusté de poussière d’or et le cadre, réalisé dans un alliage de luménite et d’argent, était serti de diverses pierres précieuses. Il mesurait deux mètres de hauteur sur un mètre de large, aussi ses parents — dont le cadeau provenait, bien que la tradition fut de recevoir des présents de ses camarades — le lui avaient donné en mains propres, au lieu de le déposer dans son bonnet brouilleur comme le voulait la coutume.

Il avait paradé avec devant les autres prodiges, affirmant à qui voulait l'entendre que c'était un bien faible hommage à sa grandeur mais, qu'ayant déjà toute une salle remplie de statues, bas-reliefs, tapisseries et tableaux à son effigie, il s'en contenterait. La plupart s'étaient contentés de le regarder d'un air mauvais — qu'il avait interprété comme étant de la jalousie —, mais l'un d'entre eux refusait de laisser Cassius continuer à se vanter ainsi. Il avait levé les yeux au ciel devant le tableau et s'était exclamé :

— C'est bien beau d'étaler la prétendue gloire de ta famille, mais qu'est-ce que vous avez accompli au juste, à part vous être fait construire tous vos palaces, peindre vos tableaux par centaines et vous en enorgueillir ?

Cassius ne sut que répondre. Il était vrai que les représentations de ses aïeux étaient grandioses, mais que représentaient-elles, à part ses ancêtres posant, fiers ?

L'importun reprit :

— Alors, on a perdu sa langue ? Pourtant, quand il s'agit de fanfaronner, les mots ne te manquent pas ! Peut-être ne sais-tu que répondre car tu pensais réellement tout ce que tu disais ? Si c'est le cas, sache que les Sencen n'ont jamais été rien de plus qu'une bande de snobs qui étalaient un prestige qu'ils n'avaient pas ! Vous n'avez pas d'ancêtres importants dans l'Histoire comme les Vacker, vous n'avez pas élevé l'unique alicorne connue à ce jour comme les Heks, vous n'avez rien de particulier !

A la fin de ce discours, Cassius se sentit trahi, comme un enfant qui apprendrait qu'on lui a menti durant des années sur l'existence du père Noël alors qu'il y croyait dur comme fer.

Ce souvenir commença au fil du temps à se détériorer, au fur et à mesure qu'il se persuadait que tout ceci n'avait jamais été qu'un tissu de mensonges, jusqu'à finir complètement occulté de sa mémoire à l'âge adulte. Il ne lui reviendrait que des années plus tard, lorsqu'un scandale souillerait l'honneur des Vacker, car alors, il songerait à la gloire d'une famille et le souvenir ressurgirait. De toute manière, il avait fini par le savoir, que les Sencen n'étaient pas aussi glorieux que ce qu'on voulait lui faire croire, mais il s'en moquait, éperdument.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top