Texte 6
Aedan
Le vent me fouettait avec une telle force qu'il menaçait de me faire tomber. Je baissai la tête pour regarder mes pieds situés à quelques centimètres à peine du bord de la falaise. Plus bas, la mer s'étendait à l'infini, rougie par le soleil couchant qui disparaissait à l'horizon. C'était magnifique... et parfait pour être le dernier paysage que je verrai.
C'était fini, je ne voulais plus me battre pour quelques instants de bonheur. Je n'en avais plus la force.
Je fis un pas en avant et laissai la gravité s'occuper du reste. La chute fut plus longue que ce à quoi je m'attendais, mais pas assez pour me laisser le temps d'avoir des regrets.
J'entrai dans l'eau glacé et fut rapidement entrainée vers le fond. Je sentis mes poumons s'enflammer et réclamer de l'air. J'aspirai de l'eau. J'eus mal au début, mais la douleur se dissipa vite. Mes yeux se fermèrent.
***
Cette voix... elle m'appelait... A qui appartenait-elle ? Je ne la reconnaissais pas... étais-je morte ? La douleur que je ressentais dans ma poitrine me prouva le contraire. Je recrachai toute l'eau que j'avais avalée.
Je ne voulais pas qu'on me sauve ! Je ne voulais plus vivre ! Comment avait-on fait pour me sortir de l'eau ? J'étais déjà trop profond et il n'y avait personne dans les environs.
D'un coup, je pris une grande bouffée d'air qui me brula la gorge. Je clignai des yeux et me redressai brusquement pour voir qui m'avait ramené sur terre alors que j'avais enfin eût le courage de sauter.
C'était un jeune homme. Ses cheveux noirs trempés collaient à son visage. Il avait un drôle de décoration sur son oreille gauche, un peu comme un coquillage. Mais le plus étrange était sans conteste ses yeux. Ils étaient bleus sur les bords et viraient à l'orange autour de la pupille. Je n'avais jamais vu une telle chose. Peut-être étais-je morte au finale.
Lui aussi me regardait. Il semblait curieux.
- Pourquoi as tu sauté ? me demanda-t-il soudainement en inclinant la tête sur le côté.
Je sursautai et le fixai avec consternation sans réussir à prononcer le moindre mot. Son regard me figeait littéralement sur place.
Voyant que je ne répondais pas, il s'approcha du rocher sur lequel il m'avait déposée et s'accouda au rebord. Pourquoi restait-il dans l'eau ? Il jeta un regard derrière lui, comme s'il attendait quelqu'un... ou quelque chose.
Je sentis mes muscles se relâcher quand il rompit le contact visuel entre nous. Je baissai les yeux pour ne pas revivre l'expérience, mais ce que je vis me pétrifia à nouveau. Je compris enfin comment il avait fait pour me sortir de l'eau aussi rapidement. Il n'avait pas de jambes mais une longue queue de poisson aux écailles rouges et oranges, exactement comme le crépuscule de ce jour.
- Tu es un triton ? m'écriai-je avec stupeur.
Il reporta son attention sur moi et, cette fois-ci, ce fut à lui d'afficher une mine étonnée.
- Je ne savais pas que les humains avaient connaissance de notre monde.
- Non, on ne sait pas que vous existez, rectifiai-je, vous êtes juste... des légendes.
- Ah oui ? s'émerveilla-t-il. Et qu'est-ce qu'on dit sur nous ?
Il semblait tellement innocent. Devais-je lui dire la vérité sur ce que les humains disaient sur eux ? Etait-ce la réalité déjà ? Est-ce que les sirènes étaient vraiment dangereuses ? Après tout, si c'était le cas, j'aurais ce que je voulais. Je mourrais. Je décidai de ne rien lui cacher.
- On dit que vous êtes dangereux. Que vous séduisez les humains avant de les noyer et de les manger.
Il sembla déçu. Et dégouté.
- C'est faux ! s'indigna-t-il. On n'a jamais mangé d'humain ! Et on ne les noie pas ! Sinon pourquoi est-ce que je t'aurais sauvé ?
- Je n'ai jamais demandé à ce que tu me sauves, lui rappelai-je avec dureté.
- Mais tu allais mourir !
- Je sais.
Il m'examina avec stupeur. Le suicide ne devait pas être quelque chose de courant dans son monde.
- Je ne comprends pas, avoua-t-il. Pourquoi est-ce que tu voudrais mourir ? Ça n'a pas de sens. Je pensais que les humains faisaient tout pour survivre. On m'a même dit qu'ils s'entretuaient pour pouvoir vivre.
- On n'est pas tous pareils. Ma vie n'a aucun sens. Je n'ai connu que la souffrance depuis ma naissance alors pourquoi je devrai me battre ?
Il garda le silence pour réfléchir à ce que je venais de lui dire. Au bout de quelques instants, il reprit finalement la parole.
- Peut-être que c'est parce que tu vis en regardant le passé que tu ne vois que de la souffrance. Ou alors tu cherches à atteindre des objectifs beaucoup trop hauts. As-tu déjà essayé de vivre dans le présent ?
Il avait l'air jeune, sa façon de parler ne correspondait pas avec son physique. Peut-être n'avait-il pas l'âge que je lui donnais. Après tout, c'était un triton. Une créature fantastique. Comment savoir depuis combien de temps était-il en vie ?
- Je ne sais pas comment ça se passe chez toi, mais dans mon monde c'est impossible. On ne peut pas vivre sans se soucier de ce qui se passera le lendemain.
- Qu'est-ce que ça te coûte d'essayer ? Tu n'as rien à perdre, si ? Sinon pourquoi est-ce que tu aurais sauté ?
- Non tu as raison. Je n'ai rien ni personne à perdre. Mais ça marche aussi dans l'autre sens. Personne n'a à me perdre.
- Si. Maintenant tu as quelqu'un qui peut te perdre. Moi.
Je soupirai de découragement.
- Pourquoi tiens-tu tant à me sauver ? Tu ne me dois rien.
- Pourquoi pas ?
Je détestais cette réponse qui n'en était pas vraiment une. Elle ne voulait rien dire. C'était comme quand les gens répondait « Parce-que. » quand on demandait « Pourquoi ? ».
- J'ai un défi pour toi, reprit-il. Essaye de survivre encore une année, au moins.
- Dans quel but ?
- Le bonheur met parfois du temps à se manifester, surtout dans le monde des humains mais finit toujours par arriver.
- Et d'où tiens-tu cette affirmation ?
- Des fées ! s'écria-t-il comme si c'était la plus normal du monde.
J'haussai un sourcil. J'avais vu un triton aujourd'hui... alors pourquoi pas des fées pendant qu'on y était ?
- Et si tes fées n'ont toujours pas fait leur boulot au bout d'un an ? Tu admettras que mon cas et désespéré et tu me laisseras me noyer ?
- Je ne te laisserai jamais te noyer, déclara-t-il le plus sérieusement du monde.
- Tu feras quoi alors dans un an ?
- Je te transformerai et tu pourras venir vivre dans mon monde.
Devenir une sirène ? C'était possible ? Je devais admettre que cette alternative me tentait réellement.
- D'accord. J'essaye de vivre pendant une année entière et dans douze mois, jour pour jour, on se retrouve ici.
- Seulement si tu es toujours malheureuse.
Je me surpris à espérer que je le serai encore dans un an. Sinon je ne reverrai pas. Mais si j'étais heureuse, pourquoi voudrais-je le revoir ? A choisir entre lui et le bonheur...
- Adieu belle inconnue, je te souhaite de tout cœur de ne jamais me revoir, lança-t-il avant de replonger dans l'eau sombre.
- Adieu... murmurai-je sans savoir s'il m'entendait.
Il ne m'avait pas dit son nom ce jour-là... mais je savais maintenant t qu'il s'appelait Aedan. C'était ce qui était inscrit sur le coquillage qu'il m'avait offert en cadeau de mariage.
De @romane665
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