Une vie normale
Voilà mon texte pour le concours @WattpadFantasyFR « La morsure infernale ». J'espère qu'il vous plaira !
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Avoir une vie normale. Voilà ce qu'il souhaitait.
Azraël souffla ses bougies et contempla d'un œil morne les filets de fumée grisâtres s'élever de leur mèche calcinée. 25 ans. 25 années qu'il arpentait cette terre cabossée.
Il poussa un long soupir. Combien de temps cela allait-il encore durer ?
Azraël passa une main dans ses cheveux ternes et abîmés. Il était à bout, épuisé. Étonné de ne pas s'être encore effondré. Son regard, las, parcourut le taudis dans lequel il vivait. Un matelas rongé par les mythes, un trou dans le plancher qui servait de latrine et un vieux cupcake rassis décoré de deux bougies à la cire ternie... Voilà tout ce qu'il possédait.
Comment sa vie avait-elle pu virer ainsi ?
Il y a deux ans encore, il avait tout pour lui. Argent, gloire, beauté... Des choses futiles devenues essentielles à sa vie. Sa grande villa au bord de mer lui manquait. Les milliers de fans à ses pieds lui manquaient. Son physique d'antan lui manquait.
Tout, il avait tout perdu. L'unique chose qu'il lui restait, était ce goût amer que les souvenirs avaient laissé sur ses papilles.
A présent, ce que lui renvoyait son reflet ne faisait qu'attiser sa pitié. Un clochard en haillons que les gens évitaient, au teint pâle et cireux qui laissait présager que la mort le guettait. Ses cheveux blonds, autrefois soyeux, avaient laissé place à ce jaune terne et sans saveur. Ses yeux verts, un jour pétillants, avaient perdu cette lueur passionnée que ses fans aimaient tant. Même ses joues rebondies, qui lui avaient toujours donné un côté juvénile, s'étaient creusées pour être à présent rongées par une barbe mitée qu'il n'avait pas l'occasion de raser.
Mais, ce qu'il haïssait le plus, c'étaient sans doute ces grandes ailes dorées, qui s'élevaient dans son dos comme une aura sombre, imposante, lui rappelant sans cesse ce qu'il était.
Que tout était sa faute. Qu'il s'était condamné à cause de son orgueil démesuré.
Lorsque la crise avait commencé, il l'avait ignorée. Des animaux qui attaquaient des humains pour investir leur esprit, quelle idiotie. Lui, le chanteur des célèbres Fallen Angels, qu'avait-il à craindre d'une poignée de bêtes stupides ? Rien, s'était-il dit. Quelle erreur il avait commise.
Azraël se souvenait parfaitement de cette journée. Elle revenait le hanter, chaque nuit et chaque journée.
Il sortait d'un immeuble de briques délavées, légèrement débraillé – et peut-être bien un petit peu dépouillé. Le rouge de ses joues trahissait la nuit mouvementée que ce bel inconnu, trouvé au fin fond d'un bar bondé, lui avait accordé. Il avait passé du bon temps, il ne pouvait le nier. C'était peut-être pour cela qu'il ne l'entendit pas arriver. Perdu dans ses pensées, il ne remarqua l'ombre qui le suivait qu'une fois que celle-ci eut caché les premiers rayons du soleil d'été.
Il n'eut pas même le temps de se retourner.
La douleur ; ce fut la première chose qu'il sentit. Puis, il l'entendit : ce cri de rapace qui lui glaça le sang. Ce même sang qui roulait sur sa joue, se mélangeant à des larmes qu'il n'avait pas senti couler. Ahuri, il observait les plumes virevolter, tournoyer dans une danse brune et argentée, pour venir s'accrocher à ses mèches bouclées. Mais c'était à peine s'il les voyait : tout ce qui l'occupait, c'était cette masse sombre, inerte, sur le sol goudronné.
Un aigle. C'était un aigle qui l'avait attaqué.
La main pressée sur sa joue, où un bout de chair presqu'aussi long que son pouce manquait, il se figea. Le cœur battant, se demandant ce qu'il s'était passé, il ne mit pourtant pas longtemps à comprendre : le rapace l'avait mordu.
Son ventre se tordit, et une pique glacée vint transpercer sa poitrine. Transit par la douleur, il se plia en deux. Il grogna, étouffant son cri, tandis qu'un sifflement strident lui occulta l'ouïe. La panique lui enserra la poitrine, telles deux serres griffues, sans merci. Il tenta de calmer sa respiration, devenue brusque et hachée. Mais aussitôt ses lèvres entrouvertes, prête à avaler une nouvelle goulée d'air frais, un hurlement lui échappa : une deuxième salve de douleur mettait à bas sa volonté. Ses jambes cédèrent ; il s'écroula au sol. Il ne sentit pas la brûlure du goudron sur ses bras nus, l'incendie consumant son corps était bien trop puissant pour qu'il y prête attention.
Lorsque les rayons du soleil s'éteignirent, dévorés par les brumes de l'inconscience, il crut mourir. Ma dernière heure est arrivée, fut son ultime pensée.
Pourtant, la Mort ne l'emporta pas. Quelques instants plus tard, il ouvrit les yeux sur le ciel bleu, tiraillé entre ahurissement et soulagement. Vivant. Il était vivant. Tâtant son torse pour s'en assurer, il bondit sur ses pieds dès qu'il constata sa tangibilité. Sans demander son reste, il quitta la ruelle.
L'absence du cadavre de l'aigle lui avait échappé.
Les jours qui suivirent passèrent dans une brume obscure dont il n'arrivait pas à se dépêtrer. Tout ce qu'il put noter, fut la fièvre qui l'embrasait. Et cette douleur dans son dos, dans ses pieds... Lorsqu'il sortit enfin de cet état comateux, une semaine était passée. La faim et la soif le tiraillaient.
Se préparer un festin ; ce fut la première chose qu'il fit aussitôt lever. Il cuisina sans compter, vidant placards et réserves dans sa folie passagère. La seule idée de se rassasier, de satisfaire son ventre affamé, le faisait saliver.
Pourtant, qu'importe la quantité de nourriture qu'il ingérait, son estomac continuait de gronder.
Il crut d'abord qu'il n'en avait pas fait assez. Alors il mangea, encore et encore, dans l'espoir de tarir sa faim. Mais lorsqu'il vomit ses tripes, à cause de la montagne de mets absorbés, sans que le vide dans son estomac ne se soit comblé depuis qu'il était éveillé, il dut se rendre à l'évidence : le problème n'était pas la quantité, ni la nature de la nourriture avalée.
Le problème, c'était lui.
Les jours passaient, et son estomac grondait plus fort à chaque heure écoulée. La nuit, des crampes le prenaient, l'obligeant à rester éveillé. La journée, il était trop épuisé pour ne serait-ce que se lever. Allongé dans son lit, il parcourait les articles du web, cherchant dans leurs lignes une explication à ce qu'il lui arrivait. Pourtant, la seule chose qu'il trouvait était cet unique mot : Possédé. Ce terme qui désignait les êtres humains partageant leur conscience avec ces animaux révoltés.
Mais ce n'était pas son cas, cela ne pouvait être son cas. Certes, c'était un aigle qui l'avait attaqué – qui l'avait mordu – et sa parure était mitée de plumes argentées, signe distinctif des bêtes aidées par les divinités. Mais tout cela n'était qu'une coïncidence.
Une simple coïncidence.
Il y avait cru. Il avait nié jusqu'au bout l'évidence, ignorant les preuves qu'il ne voulait pas voir. Du moins, jusqu'à cette nuit-là.
Sa faim s'était tue. Ce fut la première chose qu'il remarqua en se réveillant ce matin-là. Puis, il fut dérangé par un goût métallique sur ses papilles. S'essuyant la bouche, il se figea en constatant le rouge sur sa main. Du sang. D'un bond il se redressa. Le bruit d'un froissement le figea. Le souffle bloqué par le nœud dans sa gorge, il se dévissa la tête et regarda par-dessus son épaule.
Il crut mourir d'effroi en contemplant les immenses d'ailes pendant de ses omoplates.
Il sauta de son lit, un bruit de raclement attirant son regard sur ses pieds. Les vertiges le prirent lorsque ses yeux tombèrent sur une paire de serres acérées. Un cauchemar. Cela devait être un cauchemar. Les larmes perlant au coin des yeux, il pressa les paupières, enfonçant ses doigts dans la chair de ses bras. Mais cela ne le réveilla pas, il resta bloqué dans ce corps monstrueux qu'il n'avait jamais demandé.
La nausée le prit soudain ; il courut à la salle de bain. Mais il ne put atteindre les toilettes : il vomit aussitôt la porte ouverte. Sous ses yeux, des dizaines de cadavre d'animaux, passant du lièvre au chat, traînaient sur le carrelage blanc. Croisant son reflet dans le miroir, observant son visage pâle couvert de sang et l'ombre des ailes sombres se dessinant dans son dos, il dû admettre ce qu''il réfutait depuis tout ce temps.
C'était lui qui avait fait ça. Il était Possédé.
Depuis cette nuit-là, Azraël portait le poids de ses ailes et ses serres. Sa vision s'était accrue elle aussi, cadeau empoisonné de son nouveau colocataire. Ce dernier – La Bête, comme Azraël l'appelait – logeait dans sa tête. La journée, la seule trace de l'aigle se trahissait par des bribes d'images, résidus de ses pensées. La nuit, cependant, le rapace venait le confronter. L'animal se tenait devant lui, le dévisageant de ses petits yeux noirs. Il essayait de prendre le contrôle, Azraël le sentait.
Et une fois par semaine, lorsque son esprit d'homme était trop fatigué pour résister, la bête gagnait.
Chaque matin suivant sa défaite, se jouait le même scénario : son sol, jonché de cadavres d'animaux, et des taches de sang sur son menton. Azraël avait cru pouvoir le supporter.
Jusqu'au jour où un cadavre humain prit place sur son plancher.
Il était parti. Il s'était exclu dans des montagnes perdues. Il ignorait ce qu'il lui arrivait, s'il était normal que sa Bête profite de son corps pour assouvir son instinct animal. Et il ignorait comment s'en soigner. Dans un élan désespéré, il s'imagina que vivre reclus de la société tarirait la folie meurtrière de l'animal révolté.
Ce ne fut pas le cas. Les massacres ne cessèrent pas.
Et bientôt, Azraël ne fut plus connu comme le chanteur des Fallen Angels, adulé et apprécié. Mais comme l'Ange de la Mort, qui au cœur de la nuit, volait des vies.
Triste ironie du sort.
Aujourd'hui encore, il ne pouvait empêcher la bête de chasser. Plus les jours défilaient, plus il était épuisé. A présent, la conscience de l'aigle était omniprésente, dormant à la surface et parasitant ses pensées. Elle guettait la moindre faille pour le faire ployer.
Azraël savait qu'un jour, il ne pourrait plus lutter. Aucun traitement ne pourrait jamais le libérer. Il finirait par sombrer dans les tréfonds de son âme, et laisserait l'aigle le manipuler.
Son souhait ne se réalisera jamais.
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