C'est mon audition de la dernière chance. Le vent single mon visage camouflé dans mon échappe et les quelques mèches de cheveux bruns non emprisonnés de mon bonnet m'empêchent d'avancer correctement sur la neige craquante sous mes pieds. Mon palpitant turbine son effluve de sang à une vitesse folle dans ma poitrine et mes poumons sont en feu. J'ai tous les ingrédients de la panique et de la tension pesant sur mes épaules voûtées, jusqu'à ce que je passe la porte du conservatoire.

L'hôtesse d'accueil me dirige au deuxième étage et la remercie d'un sourire tremblant avant de gagner les quelques marches pour y accéder. Mon souffle est rapide, il faut que je garde le contrôle de mes organes vitaux si je veux y arriver.

La porte me fait face... Je ferme les paupières et rentre à l'intérieur de moi pour reprendre la maîtrise de mon corps. Ma respiration ralentit, mon cœur rythme à nouveau convenablement et je me redresse, le dos droit, les épaules sûres d'elles et la tête haute, je pousse cette porte avec la conviction que ce rôle est fait pour moi.

Je suis une gagnante... Une Warrior... Répète le encore et encore dans ta tête ma belle tu vas y arriver, me rappelle ma conscience. Tu as travaillé dur pour en être la, alors on y va...

Un nombre impressionnant de filles se présente aussi à ce casting. L'échauffement pour certaines sur les rambardes de la salle, pendant que d'autres, tout comme moi, enfilent leur tenue de scène. Pour moi, un body noir, une paire de collant opaque sans pieds et une longue jupe, je décide de rester pieds nus pour mon plus grand bonheur. Les regards inquisiteurs à se jauger, nous évaluant à tour de rôle sont omniprésents. Parfois un petit sourire d'encouragement, mais aussi des iris sombres, vous démolissant pour mieux vous atteindre en vous abaissant pour mieux vous soustraire et vous retirer de la compétition.

La tension est palpable entre les concurrentes. C'est du chacun pour soi et que la meilleure gagne, mais se sera moi. Voilà la pensée de chacune d'entre nous.

Le jury nous appelle l'une après l'autre. Les minutes interminables défilent à une lenteur insoutenable, mais je reste concentrée. Les écouteurs dans mes oreilles, en m'échauffant sur la piste, me remémorant mes pas, mes gestes, enchaînant mes mouvements avec une précision parfaite. Du moins pour le moment, parce que mon tour approche et mon corps me trahit une nouvelle fois avec cette tension qui commence à gagner mes membres.

Je m'allonge sur le sol et fais le vide à nouveau, palliant ma respiration et mon cœur pour ne faire qu'un avec moi-même. Mes paumes sur mon torse, les jambes tendues, puis la pointe de mes pieds se relevant, passant au dessus de mon corps et balançant mon buste en arrière et me ramenant les pieds aux sols et le corps droit comme un L, les bras en l'air retrouvant ma grâce avant que mon tour de passage arrive.

- Mademoiselle Young Kelly, c'est à vous, m'interpelle une femme d'apparence stricte et sévère.

Lunettes sur le bout du nez, un chignon tiré à quatre épingles, un tailleur sombre et ses louboutin certainement hors de prix, mais d'une élégance parfaite. Ses pas sont silencieux et le bruit de ses talons sont légers, comme si elle frôlait le plancher, en apesanteur sur celui-ci et je la suis d'un pas tout aussi muet.

Elle regarde même par dessus son épaule pour s'assurer que je suis bien derrière elle, n'entendant pas ma démarche de féline et un sourire se dessine sur le bord de ses lèvres en regardant de nouveau devant elle, poussant cette fois la porte finale.

Une dernière grande inspiration et expiration et me voilà enfin devant le jury, auquel je me présente, avançant ma candidature sur leur table face à la salle d'audition. Deux hommes et deux femmes forment le quatuor devant moi et je n'en mène pas large.

- Je suis madame Grégore, voici monsieur Colton, monsieur Grant et madame Normand. Bien, mademoiselle Young les présentations sont faites, veuillez patienter quelques instants avant de commencer, m'annonce madame stricte comme jamais.

Ils observent attentivement les feuilles devant eux, puis elle se penche vers son voisin de droite, Colton si je me souviens bien, et semble lui chuchoter quelque chose me concernant parce qu'il relève sa tête vers moi et un sourire charmeur pointe sur le bord de sa bouche.

- Très bien mademoiselle, je pense que nous pouvons commencer, me dit il avec une voix rauque et virile, me déstabilisant de son regard bleu azur, m'électrisant l'échine jusqu'à la plante des pieds.

Je déglutis difficilement et j'insère ma clef USB dans la micro chaîne hifi, sélectionnant la chanson que j'ai choisie.

Je me place au milieu de la piste et me positionne attendant que la mélodie démarre. Les premières notes font écho dans la salle, bougeant mon corps dans les mouvements que j'ai répétés depuis plusieurs semaine avant ce jour, mais oubliant de m'enfermer dans cette bulle dont j'ai besoin. Le sol glissant me trahit et je tombe au sol perdant toute confiance en moi.

C'est complètement fichu et j'attends d'un moment à l'autre à ce qu'ils me remercient bien gentiment en m'annonçant qu'ils me rappelleront, mais il n'en ai rien. La tête baissée fixant mes pieds paralysés par le dégoût et l'envie de fuir à toutes jambes loin de ce désastre, mais une main rassurante se pose sur le creux de mes reins et un souffle doux caresse ma tempe. Une seconde main s'empare d'une des miennes et j'entends à nouveau la mélodie de ma chanson.

Mes pieds se mettent en mouvement et je me laisse guider naturellement par mon cavalier qui n'est autre que monsieur yeux bleus. Nos pas sont synchronisés, comme si nous avions toujours danser ensemble et la confiance regagne peu à peu mon corps en ancrant mon regard au sien, rassurant et séducteur, nous enfermant dans cette bulle qui nous porte jusqu'au sommet de l'insouciance.

Puis il s'écarte, me laissant seule avec moi-même et le retour à ma chorégraphie en solitaire. Plus sûre de moi, mes mouvement sont légers comme une plume et je virevolte au travers de la pièce, caressant le plancher sous ma plante des pieds. Mon corps se veut sensuel et gracieux, croisant son regard de ciel en plein jour se fondre dans mon gris étoilé.

La touche finale sonne l'heure, mais il reprend sa place tout près de mon corps et me fait tournoyer sur la pointe de mes pieds puis se saisit de mes hanches me soulevant dans un mouvement calculé au dessus de sa tête et me laisse glisser contre son corps brûlant, me laissant pantelante et essoufflée, le cœur battant la chamade au contact de son corps viril, finissant la musique sur une note sensuelle et presque sexuelle.

- Vous êtes un pas de velours mademoiselle et ce fût un plaisir de partager ce moment de grâce avec vous, me dit-il encore plus séducteur avec une révérence, posant ses lèvres sur le dos de ma main qu'il soulève avec délicatesse.

Il retourne à sa place auprès des autres membres du jury, puis ils me demandent tous de sortir quelques instant pour qu'ils puissent délibérer. J'acquiesce et prends la direction de la grande porte. Une fois à l'extérieur, je m'adosse contre elle, retrouvant mon souffle et mes pulsations à un rythme correct, mais mon corps lui est encore tout chamboulé de ce contact avec cet homme.

Le temps passent au ralenti, les secondes ressemblent à des minutes et les minutes à des heures. Je n'entends que des voix étouffées au travers de la porte, là où ma vie de danseuse professionnelle va se jouer avec la décision de quatre personnes. Ils ont ma carrière entre les mains et malgré ma chute, j'ai su donner ensuite le meilleur de moi-même jusqu'au bout. Mais une simple erreur peut m'être fatale et je prie silencieusement pour qu'elle ne soit pas éliminatoire.

Mon regard est attiré vers l'extérieur et j'aperçois les flocons de neige tomber du ciel. Un chat errant marche à pas feutrés dans la fine couche, laissant ses petites empreintes derrière lui et je repense à ce que m'a dit monsieur Colton concernant mes pas de velours et je souris en observant ce matou, m'imaginant à sa place.

- C'est ce dont je vous parlais tout à l'heure, me surprend Colton. Vous êtes faite pour la danse mademoiselle et je vous annonce que vous êtes celle que je recherche Kelly.

Je me retourne surprise en gardant mon calme face à l'euphorie qui bouillonne en moi en entendant ces mots. Ses yeux se fixent dans les miens et son sourire charmeur ont raison de moi en me jetant à son cou, puis ses mains se posent sur ma taille en m'écartant légèrement de lui.

- Je comprends votre enthousiasme belle amie, mais il va y avoir un long travail pour être parfaite pour ce rôle mademoiselle. Mais je sais déjà que vous êtes prête pour cela et sachez aussi que nous allons devoir travailler ensemble puisque votre partenaire n'est autre que moi-même, m'avoue-t-il.

Son aveu me percute la boite à rythme sanguine et mon corps aimanté par le sien réveille en moi cette sensualité enfouie depuis bien longtemps.

Nous avons travaillé dur comme il me l'avait annoncé, mais nous nous sommes aussi beaucoup rapprochés. Créant un amour l'un pour l'autre, œuvrant à chaque représentation, une danse exquise et sensuelle à souhait, applaudit par des centaines de spectateurs.

Et bien des années plus tard, lorsque je m'approche de mon bel amant, c'est toujours à pas de velours que je l'encercle dans mes bras pour danser notre amour sur la musique de notre cœur.

SabrinaCatrain