Deuxième Texte '' Durant la nuit du 23 au 24 août ''
Texte de @Eva_Orange
Dans la nuit du 23 au 24 août...
Cette nuit-là, en l'an 1572, Paris étouffait sous le couvercle de feu d'un mois d'août infernal. Vue des coteaux alentours, la ville royale semblait embrumée dans un nuage d'humidité, de moisissures et de puanteurs. La promiscuité qui y régnait alors n'arrangeait rien. En un 23 août, jamais toutes les auberges, toutes les chambres, voire presque toutes les cuisines et celliers n'avaient été aussi remplis de dormeurs, dont les corps nus ou débraillés sur les matelas exhalaient toujours plus de moiteur chaude. Ces protestants étaient venus pour le mariage de leur Prince, Henri de Navarre, et de la sœur du Roi, Marguerite de Valois.
Et c'était la tension régnant alors dans la ville, qui rendait l'atmosphère pire qu'écrasante. Chaque ombre ou chaque bruit se faisant entendre devenait une menace terriblement angoissante. La noce avait été vite oubliée. Depuis que, la veille, on avait attenté à la vie du conseiller du Roi Gaspard de Coligny,protestant de confession, les huguenots s'éternisaient à Paris pour que justice soit rendue de la part du Roi Charles IX. On murmurait autour des comptoirs de taverne que la Reine-Mère, cette mégère,avait commandité l'attentat, et que le Duc de Guise, assoiffé de sang, avait perpétré le crime. Et chacun des protestants voulait voir leurs têtes décollées sur l'ordre du Roi.
C'est ainsi que, au cours de la journée, dans un salon intime, dans des fauteuils à la tapisserie filée d'or, et autour d'une petite table style Henri II en chêne incrusté d'ébène, quelques esprits diaboliques complotaient. Les deux têtes couronnées et redoutées présidaient, une mère et son fils, Catherine de Médicis et Charles IX. L'assemblée dénombrait cinq autres protagonistes, et se nommait le "conseil étroit".
Après de longues heures de discussion, la menace et la solution semblaient claires. Les protestants pouvaient à tout moment se soulever, menés par leurs chefs militaires. L'influente famille de Guise avait fait mine d'abandonner la famille royale, au risque qu'elle soit prise au piège. Il fallait éliminer secrètement ceux par qui la rébellion pouvait être menée. On décida cependant, peut être par pure gentillesse, de laisser la vie sauve aux jeunes mariés.
Au début de la nuit, l'alarme silencieuse fut donnée. Déjà les chefs de bataillon rassemblaient leurs hommes. Les portes de la ville furent fermées, les bourgeois catholiques furent armés pour se préparer à un éventuel soulèvement.
Dans une masure au coin de la rue sombre des martyrs, Anne s'éveilla en sursaut dans sa chambre du premier étage. Anne de Cloucy, cousine par mariage d'un proche d'Henri de Navarre, avait l'oreille fine de la campagnarde, autant que la grâce et la beauté d'une femme de la Cour. Mais les origines de sa famille, mi-bourgeoises, mi-"noblesse désargentée de la Bretagne profonde", ne lui avaient permis d'y paraître que pour le mariage. Et cela lui semblait très convenable. Rien ne l'obligeait aux toilettes dispendieuses, aux fards, aux poudres de plomb, aux onguents, aux concrètes ou luxueux parfums. Anne était libre comme une femme pouvait l'être, libre de porter un corset large vieux de deux décennies, libre de tenir les comptes de son mari incapable, dont le ventre oscillait lentement à côté d'elle.
Qu'est-ce qui l'avait réveillée ? Elle tendit l'oreille, et perçu dehors un bruit de fers qui s'entrechoquent. Le murmure de lames tirées de leurs fourreaux. Puis, éclatant, le son d'un tocsin, les cloches de toutes les églises de la ville sonnant les unes après les autres. Anne alluma son petit cierge dont les restes étaient pétrifiés au fond de la coupelle. A côté d'elle, son mari ronflait paisiblement.Il aurait fallu plus que le boucan d'une guerre pour le réveiller.Anne se leva. Ses lèvres étaient devenues bleues, sa peau diaphane et hérissée. Dans la pénombre, la lueur de la bougie l'irradiait toute entière dans sa nuisette blanche, et on aurait cru voir un spectre flottant sans bruit.
La porte ferronée de l'entrée fut ouverte brusquement. Des chocs sourds, puis des cris étouffés lui parvinrent d'en dessous, par le parquet. Elle approcha sa main tremblante de la poignée de porte, et quand elle la prit, elle lui sembla glaciale. Dans l'entre baillure de la porte, elle vit par-dessus la rambarde de l'étage des mouvements précipités dans l'entrée. L'éclat d'une lame dans le cou d'une femme la saisit d'effroi. Elle voyait des dizaines de protestants tirés de leurs lits, traînés de force sur le pavé brûlant de la rue. Pas à pas, elle en arriva à crisper sa main sur la rambarde de bois ciré, et à se pencher pour mieux se convaincre de la scène.Et la cire liquide de sa coupelle se déversa sur la nuque d'un des assaillants enragés. Horrifiée, elle se plaqua contre le mur derrière la rambarde. Un râle emplit l'espace, une agitation furieuse se fit entendre. Anne s'efforçait de trouver dans son dos une porte par laquelle s'engouffrer, et se laissa tomber dans la pièce ouverte à tâtons. Les Parisiens armés jusqu'au dents montèrent bruyamment l'escalier. Dans le panier de linge qui avait recueillie sa chute, Anne les entendit distinctement, aussi bien que les cris qui retentissaient partout en ville.
Après la volée de marches conduisant au couloir en mezzanine de l'auberge,le chef du groupe se dirigea vers la première ouverture venue. Une chambre, un lit se dessinant dans le clair de lune qui filtrait sous les rideaux. Il fit signe aux autres de sortir l'impotent dormeur de sa couche. Il savait que dans ce lit aurait dû se trouver une protestante, celle qui lui avait brûlé le dos. Et il prévoyait de lui planter son poignard dans les entrailles, et de les remuer jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il ouvrit violemment une autre porte :la chambre des domestiques, qui priaient déjà, sentant la fin arriver. Il n'eut pas d'ordre à donner pour que le massacre soit accompli. Il ouvrit une autre porte. Une forte odeur de savon, de lavande et d'humidité lui frappa le visage. Il sortit sa dague, et commença à la planter dans tous les paquets blancs qu'il apercevait. La pièce était énorme. Il voulut faire vite, planta son couteau au hasard, se trompait et déchiqueta un seul et même panier de linge.
Ses camarades l'appelant, il sorti, fou de rage. Ils peinaient avec le gros bourgeois de la première chambre, qui dormait encore, et qu'ils avaient coincé par mégarde entre la rambarde et le mur du couloir. Excédé, le brigadier lui trancha la tête et la jeta sur le carrelage en damier du rez-de-chaussée. Derrière sa porte entrouverte, la concierge désespérait en voyant tout ce sang suinter de l'étage. Anne avait tout entendu. Le panier à côté d'elle n'avait plus rien de comparable à un panier de linge.
Après une heure, voire deux d'attente, elle se décida à fuir. Elle savait ce qui l'attendait derrière la porte du séchoir, puis au-dehors.Elle ne put pourtant s'empêcher de fondre en larme. Dans la rue, on voyait à peine le ciel noir d'encre entre les toitures. On entendait des hurlements au loin, une rumeur de guerre, une odeur de sang et de fumée comme dans les grandes batailles. Les fenêtres ouvertes de certaines masures battaient le crépis, parfois dans une chambre, une bougie avait été oubliée et sa lueur éclairait le pavé et les murs éclaboussés de sang. Des traces de cadavres traînés s'offraient au regard. Des corps démembrés avaient été abandonnés. Un homme agonisait, pendu par sa chemise de nuit à une enseigne. Dans les rues qu'Anne traversait, c'était partout le même spectacle. Parfois, un tas de corps en attente d'une charrette pour les emmener ailleurs pourrissait là. Sur le dessus de la pile, on pouvait voir des enfants désarticulés ou des femmes enceintes au ventre percé.
Anne arriva aux environs d'une grande place au bord de l'eau quand le jour se levait. Elle se recroquevilla derrière une bâtisse et observa.La Seine était devenue le Styx de Paris, et charriait de multiples formes humaines dans son eau vermeille. De partout, la populace catholique arrivait, armes de fortune à la main, en traînant des corps. Quand une personnalité protestante était repérée dans un des tas de cadavre, ils la pendait à une potence ou à un balcon.
Ils avaient l'air victorieux, croyaient avoir réprimé une rébellion de protestants. Ils pensaient avoir été réveillés par le fracas d'une bataille. Ils avaient seulement entendu les soldats assassinant les chefs huguenots. Et le massacre continuait, même le Roi n'allait pas réussir à l'arrêter.
Anne tombait de fatigue. Devant toutes ces horreurs, elle n'avait plus aucune volonté, souhaitait juste s'allonger dans la petite ruelle où elle était, et cesser de penser. Derrière elle, un boucher tenant un hachoir s'approcha sans bruit, l'œil presque lubrique. Il abattit sa lame. Elle n'eut pas le temps de crier.
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Je tiens d'abord à te féliciter pour ton histoire, elle est superbe ! Tu as respecté les critères et c'est le principal ! Rentrons à présent dans les détails.
Pour le côté historique, je trouve que tu as très bien retranscrit l'époque de ton récit. Tu as fait des références précises et c'est très intéressant. J'ai pu apprendre quelques trucs comme les '' Huguenot '' dont je ne connaissais pas l'existence. Je suis allée vérifier sur Wikipédia et effectivement, ils sont vraiment exister. J'espère que tout le monde aura reconnu le massacre de la Saint-Barthélémy tout de même ! Rassure-toi moi oui ! Tu as du faire pas mal de recherche car toutes les références que tu cites sont exactes : l'assassinat de Gaspard de Coligny, le mariage d'Henri IV avec la reine Margot... J'aime beaucoup le fait que tu explique brièvement la situation et l' assassinat de Gaspard commandité par Catherine de Medicis. Tu poses ainsi les bases de ton récit et nous rappelle les grandes lignes de cette période, nécessaire pour la compréhension de la suite des événements.
J'aime beaucoup ta référence à la mythologie quand tu parles de la Seine et que cette dernière s'est transformé en Styx. Pour ceux qui ne connaisse pas le Styx, il s'agit de la rivière qui se trouve dans les Enfers dans la mythologie grecque et qui amène les morts jusqu'aux Enfer. Soit pour les hommes mauvais dans le Tartare ou pour les héros, les Champs-Elysée. Ton personnage est fictif mais tu as beaucoup travaillé dessus pour le rendre réel et cela se voit !
Tu as très bien décrit l'horreur de cet événement avec tout ce sang, ces cris et ces cadavres par centaines voire des milliers. Ton image colle parfaitement à ton texte. D'ailleurs cette image n'est pas tirée d'un film sur la Reine Margot ?
Pour l'originalité, je trouve que ton texte répond bien à ce critère. C'est un très bon choix et que je pense, peu aurait fait. La fin est disant....violente ! Et peut-être un peu trop rapide.
Au niveau de l'orthographe j'ai juste un petit problème avec le mot '' féronnée '' qui me semble n'existe pas. Tu aurais peut-être dû dire '' la porte en fer '' ou quelque chose comme ça...
Passons aux résultats :
Originalité : 4/5
Contenu : 4/5
Orthographe : 4,5/5
Divers : 5/5
Cela nous fait un total de 17,5 sur 20 ! Bravo à toi et continues sur cette voie !!! Les notes des autres membres du jury seront en commentaire :)
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