Cinquième Texte '' Le voleur de rêve ''

Texte de @ALDAchrys6

L'être au manteau de nuit s'introduit dans l'hospice. Le mouroir regorge de proies faciles, de proies dont les vies ne le blesseront pas autant que celles des mieux portants. Il déambule dans les rangées sans réussir à trouver ce qu'il recherche exactement avec l'avidité d'un affamé. Sa longue cape frôle les mourants, leur arrachant des derniers râles de douleur. Il entend les suppliques des moribonds qui réclament des soins, leur famille, une dernière bénédiction ou encore de l'eau. Ce ne sont pas de bonnes proies car ils sont trop étourdis par la saveur enivrante de la mort qui plane déjà sur eux. Il lui faut un être qui ne s'est pas autant rapproché du tombeau mais qui ne s'en est pas tant éloigné non plus, il lui faut un niveau medium : quelqu'un d'inconscient oud'abruti de drogues ferait très bien l'affaire.

Enfin, parmi le brouhaha de rêves qu'il perçoit, il lui semble flairer cet arôme si particulier qu'est celui de l'absence. Les yeux à demi-clos, il avance lentement dans la pénombre en humant l'air pour ne pas perdre cette fragrance si spéciale.

Un sourire étire ses lèvres, en révélant par la même occasion ses crocs d'ivoire. Il est ravi d'avoir trouvé le met idéal.Généralement, il doit se contenter des rebuts, de ceux que personne ne veut, ni la mort ni la vie. Une grimace de dégoût passe sur ses traits parés de l'inhumaine beauté de l'éternité au souvenir de toutes ces nuits à déguster des vies insipides pour abreuver l'insatiable jeunesse de l'immortalité.

Ses sens d'immortel aguerri ont changé en plusieurs siècles de vie.Ce qui était autrefois délicieux est devenu écœurant, trop mielleux ou fade. Il regrette cette époque bénie où tout était exquis, où il s'enivrait à chaque instant de la splendeur de l'éternité sans songer ni au passé ni à l'avenir. Comme cette existence, cette insouciance peut lui manquer ! Il regrette d'avoir un jour croiser les yeux de cette proie éveillée, il regrette des avoir ce qu'il a pu lire dans ses yeux, il regrette de ne pas l'avoir tuée tout de suite, il regrette de s'en être fait une confidente, il regrette qu'elle ait eu tant de valeurs morales. Il se reproche à chaque instant de l'avoir rencontrée et de l'avoir épargnée. Aucune amitié métissée de respect n'aurait jamais due se tisser entre eux. Elle n'aurait pas dû l'humaniser.

Un changement aussi radical n'était pas dans sa nature. L'endurer fut une torture. Il a certes pu le surmonter mais à quel prix ? En lui ouvrant les yeux, elle l'a condamné à l'éternelle culpabilité. Elle l'a condamné à ne plus avoir de goût pour rien, à abhorrer sa propre existence, à se demander à quoi bons'extraire de son trou chaque nuit pour aspirer quelque vie dans le but de prolonger la sienne.

L'être écarte un rideau qui glisse sans bruit. Furtif, il s'approche du lit.

Il contemple l'enfant qui gît dessus. Un visage poupin, moite de sueur. Une pâleur de craie, digne de celle des plus vieux êtres de la nuit. Le souffle rauque de celui court à perdre haleine pour échapper à la tendre étreinte glacée de la mort. Mais par-dessus tout, il y a le tambour de cette petite vie qui s'en va,s'effiloche comme un rêve au réveil. Ce tambour assourdissant qui devient rapidement le seul son que l'être entend. Un tambour joué de manière irrégulière, des pulsations erratiques mais tellement alléchantes.

L'être se dégoûte. Il veut trouver une autre proie mais la veine qui pulse au cou de l'enfant l'attire, le captive, l'empêche des'enfuir. Il s'approche encore, alors même qu'il s'ordonne de reculer. Le sang mort de ses propres veines s'affole. Tout son corps réclame cette vie pour s'en nourrir.

-Comme ce n'est qu'un enfant, il doit posséder assez de rêves,de vie et de sang pour ne pas avoir à chasser de toute la semaine...,se murmure-t-il pour se convaincre. Et puis... ce n'est pas vraiment un crime de le tuer puis-qu'après tout qui nous dit qu'il ne sera pas un meurtrier sans scrupule ou qu'il ne sombrera pas dans un sybaritisme néronien plus tard ?

Il est maintenant si proche de l'enfant que le garnement n'a plus aucune chance de survie. Avec la grâce légendaire, régalienne, qui caractérise ceux de son peuple, il pose une main sur le front perlé de sueur et s'introduit aussitôt dans l'esprit du galopin. Toute une vie défile devant ses yeux, il vole tous ses souvenirs, tous ses rêves au petit toujours inconscient. Il se nourrit de la vie psychique de sa proie avant de porter un poignet décharné à ses lèvres. Ses crocs s'aiguisent, frétillent presque d'excitation.

-Tu ne souffriras pas, promet-il à l'enfant endormi.

Le petit remue les lèvres et assèche l'entrain de son tortionnaire en appelant sa mère d'une fragile voix désespérée. L'être repose le poignet sur le lit. La veine lui fait toujours envie. Il doit se dépêcher de mettre fin au jour du garnement s'il veut avoir une chance de l'aspirer mais il semblerait que les Parques en aient décidé autrement car la victime ouvre des yeux aveugles sur l'être de nuit.

-Papa ? C'est toi ?

L'enfant peine à garder les yeux ouverts. L'être de nuit ne respire plus.La candeur juvénile du petit le trouble. Il ne sait que répondre à la joie qui illumine les traits enfantins à l'idée du retour de son géniteur. L'être remue les lèvres sans réussir à articuler un mot. Le garçonnet cherche sa main et s'en empare pour la serrer avec une force étonnante d'un petit au bord de la mort. La vies'enfuit de ce petit corps avec une rapidité déconcertante.L'être doit profiter de l'égarement de sa proie, le vider de son sang en toute vitesse s'il veut s'en tirer avec un repas décent. Chaque seconde qui passe détériore un peu plus le dit repas.

-Je suis content que tu sois revenu, murmure encore le petit.

L'être ne répond rien. Ses pensées sont en ébullition. L'innocence du garçonnet lui rappelle par bien des côtés la simplicité de son ancienne confidente. En tout cas, ils ont le même talent pour le faire hésiter sur la marche à suivre. Va-t-il encore briser sa routine ? Va-t-il tenter de sauver la vie de l'enfant qui se meurt? Il ne le sait pas. Dans son esprit, s'entrechoquent les souvenirs dérobés au petit et les siens propres. Il renonce peu à peu à l'idée de se nourrir convenablement ; cette fois-ci encore, il va devoir se contenter d'un repas immonde...

-Papa..., souffle l'enfant, des étoiles dans les yeux.

Tant de candeur révolte soudainement l'être de la nuit. L'enfant pense qu'il est son père mais où est ledit géniteur alors que son fils se meurt ? Le voleur de rêves cherche dans les souvenirs dérobés et obtient sa réponse. Selon ce qu'il peut en voir,Monsieur se traîne sûrement de tripot en maisons closes alors que son unique enfant agonise et que sa femme trime dur pour subvenir à leurs besoins. La rage enflamme les veines de celui qui vole la vie.Il a été un enfant délaissé par son père lui aussi, un enfant sans rêve d'avenir et sans futur.

Il soulève avec délicatesse le petit qui se serre contre lui, certain de se trouver face à son géniteur. L'être de la nuit ne sait pas lui-même où il l'emmène, ce qu'il compte en faire ; un tas d'informations pratiques de ce genre lui manque. Peut-être veut-il seulement l'évader de cette hôtel de la mort ? La vie qui coule dans les veines de l'enfant ne lui fait plus envie. Au contraire cette pendule qui ralentit face à la mort le désole mais il n'y peut rien. La vie est ainsi faite. Les plus forts, les plus vicieux s'en sortent toujours tandis que les meilleurs se retirent prestement de ce théâtre d'horreurs.

-Papa... tu m'as manqué... je suis content que tu m'aimes bien finalement..., confie l'enfant sans nom dans un dernier souffle.

L'être de la nuit s'immobilise avec le frêle cadavre dans les bras.Planté au milieu de la nuit, il n'en revient pas que cette vie innocente ait été rappelée alors que la sienne remplie de monstruosités se voit dans l'obligation de perdurer, contre son gré. Le corps léger de l'oiseau à qui on avait tranché les ailes, de l'innocence à qui on avait arraché une à une les plumes de ses rêves, pèse soudainement lourd dans les bras de l'immortel. Il a l'impression de porter le fardeau d'Atlas.

Cette vie perdue est similaire à l'existence à laquelle a goûté sa confidente. Il est certain que le petit aurait suivi le même destin qu'elle, une réalité simple et sans fard, une vie dévouée à celle des autres. Même devant la dépouille de sa belle amie, l'être de la nuit n'a pas éprouvé un tel sentiment de perte. L'enfant qu'il ne connaît que depuis quelques minutes, même s'il a volé tous ses souvenirs, lui semble être plus proche de lui que n'importe qui d'autre. Deux garnements gâchés par la vie, oubliés de tous,négligés par leur père...

Une idée fait brusquement surface dans l'esprit de l'être nocturne.Tous les souvenirs de l'enfant sont à lui désormais. Il doit faire bon usage de ces présents volés. Il n'a peut-être pas eu le repas qu'il souhaitait mais il a eu encore mieux, se rend-il compte. Au fond, il n'a pas vraiment besoin du sang de la vie qui coule dans les veines vivantes ; leurs pensées, leurs rêves,leurs souvenirs suffisent amplement à le rassasier.

Il refait le chemin inverse et dépose le corps déjà froid dans le lit qu'il n'aurait jamais dû quitter. Il prend une des mains inertes et la serre avec force comme l'enfant précédemment.

-Je suis désolé de ne pas être ton père, chuchote-t-il à l'amas de chair déserté par son propriétaire. Je m'excuse de n'avoir été qu'un imposteur et que tu n'aies pas eu tes parents pour ton envol, conclut- il au petit corps dont l'esprit l'habitera toujours par le biais des souvenirs volés.

Il sait que l'enfant vivra toujours en lui, dans cette carcasse marmoréenne condamnée à errer encore longtemps. L'accueillir en lui est une perspective qui l'inquiète et le réjouit. Il veut changer et retrouver un peu de cette quiétude infantile. Il veut devenir une meilleure personne. Il veut que son existence rime à quelque chose et ne soit plus cet aride désert. Il veut vivre, lui qui est déjà mort.


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( N'ayant pas eu de réponse à ton message concernant la photo, je me suis permise de mettre celle-ci. J'espère que ça ne te dérange pas...)

Bravo à toi pour ce texte qui je dois avouer m'a émue. J'ai verser ma petite larme....

Je tiens d'abord à te dire que tu un style INCROYABLE et super beau !! Tu utilises un vocabulaire large ce qui donne à ton texte une touche très littéraire. Et pour ça je te tire mon chapeau. Il n'y a aucune fautes, enfin je n'en ai vu aucune.

Le titre est annonciateur d'un nouveau genre de monstre. Ici le vampire comme dans la plupart des légendes, se nourrit des souvenirs et des rêves de ses victimes en même temps que de boire leur sang. On peut comprendre donc que ton personnage souffre d'avoir sur la conscience les souvenirs du petit garçon. Cet '' être '' comme tu le dise le plus souvent ( je reviendrais sur ce point plus tard ), porte une cape et possède des crocs d'ivoire.

J'ai trouvé très touchant que le pauvre petit réclame son père et le fait que la créature ressent une sorte d'affection pour l'enfant. Tu le rends plus humain...

Mais cette part d'humanité lui est retiré. Enfin, le fait que tu le dise comme '' l'être '' ou '' il '' et jamais par un prénom, lui enlève ce petit côté humain. Pour moi avoir un prénom c'est une preuve d'humanité. En le pointant comme un '' être '' cela fait de lui quelqu'un à part, un animal.

Le lieu où le vampire décide de se nourrir est original et cache peut-être un message. Encore une fois, je ne sais pas quoi penser de ton personnage. Il a une part d'humanité car il préfère tuer une personne proche de la mort plutôt qu'un bon vivant mais il reste un vampire. En choisissant un hospice, ton personnage , créature de la nuit est entouré par la mort elle-même.

Pour '' l'être '', l'immortalité est un fléau. Après avoir rencontrer cette fille, plus rien n'est pareil. Comme tu l'as très bien dit '' il veut vivre, lui qui est déjà mort ''. Par ailleurs, j'ai adoré la phrase suivante : '' une grimace de dégoût passe sur ses traits parés de l'inhumaine beauté de l'éternité au souvenir de toutes ces nuits à déguster des vies insipides pour abreuver l'insatiable jeunesse de l'immortalité. '' Je la trouve magnifique.

De plus, bien trouvé pour la référence à la mythologie grecque avec '' Atlas '' qui selon le mythe, porterait le monde sur ses épaules.

Sans plus attendre voici ta note :

Originalité : 5/5

Orthographe : 5/5

Contenu : 5/5

Divers : 5/5

Cela nous fait un total de 20 sur 20. Ton texte m'a comblé !!!! Tu as réussi à transcrire les émotions et sentiments de ton personnage. La note des autres membres du jury seront en commentaire comme d'habitude ;)

Encore bravo à toi j'adore ton style d'écriture !!!

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