@mastocyte part 2/3

Une fois cet exercice corrigé, le professeur me félicite et alors que je pensais pouvoir retourner m’asseoir non sans quelques embuches sur mon passage, quelqu’un frappe à notre porte et entre. Le proviseur, une nouvelle fois. C’est moi ou on se croise beaucoup en ce moment ? Tout le monde se lève puis se rassoit quand il l’a demandé. Je commence à repartir pour m’asseoir mais il m’arrête rapidement.

-          Monsieur Gärtner, restez ici, ça tombe parfaitement bien.

-          D’accord… dis-je en restant sur l’estrade face au tableau, devant tous les regards.

-          Bon, comme vous le savez tous dans cette classe, votre camarade à quelques problèmes d’intégration depuis trois mois.

-          C’est normal ! s’exclame un mec de ma classe.

-          Et pourquoi ça ? demande le proviseur qui reste calme.

-          Il a tué Alois !

Rien que d’entendre ton prénom de leur bouche me fait frissonner. Ce n’est pas moi le coupable dans l’histoire, ce sont eux tous. Eux qui se disent vouloir te venger alors que ce sont eux qui t’ont tué. Tu étais assis à côté de moi. Dans tous les cours. Même en mathématiques, matière que tu détestais plus que tout. Les professeurs voulaient tout le temps nous séparer. Ils disaient même que tu avais une mauvaise influence sur moi. Les idiots… ils ne comprenaient rien. Ils ne comprenaient pas que tu m’étais essentiel. Aujourd’hui, ils se sont tous peut-être enfin rendu compte de qui tu étais pour moi. On était des amis.

Je n’écoute pas ce qui se passe autour de moi, préférant penser aux bons moments que nous avons vécus ensemble…

-          Hey regardez tous, le Tueur chiale comme une gonzesse ! s’exclame quelqu’un, me faisant sortir de ma rêverie.

-          T’es pire qu’une nana en fait ! Je comprends pourquoi tu as tué Alois ! Tu avais envie de te défouler sur quelqu’un !

-          Un peu de silence ! ordonne le proviseur.

Personne ne se tait et ils continuent tous de rire. Juste parce que quelques gouttes sont venues prendre part à ma nostalgie. Comment, vous, vous vivriez sachant que votre meilleur ami, celui en qui vous aviez confiance, celui que vous commenciez à apprécier bien plus qu’un simple ami, disparaissait ? Mourait ? Je n’en ai jamais parlé à personne. Ces sentiments, je les découvre au fil des jours qui passent. Et ils me font encore plus souffrir que ta simple perte. Je n’ai pas eu le temps… je n’ai pas eu le temps det’avouer ce que je ressentais réellement. Moi non plus, ne t’en fais pas. Je n’ai pas pu. Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Pourquoi m’as-tu caché tout ça ? Pour les mêmes raisons que toi, je ne voulais pas paraître faible. Ne fais pas les mêmes erreurs que moi, je t’en prie. Entends raison… Mais je…

-          J’espère que vous avez compris ? demande le proviseur.

-          Oui monsieur, acquiescent tous les élèves.

-          Bien, que je ne revienne pas dans votre classe pour cette histoire. Sur ce, reprenez votre cours, au revoir.

Je retourne m’asseoir, sans aucunes embuches cette fois-ci. Bizarre. Le cours recommence mais je suis beaucoup plus concentré par ce qui se passe dehors. Il y a Andrea dans la cour. Qu’est-ce qu’il fait là ? Il ne doit pas avoir cours… c’est l’unique raison pour qu’il soit là. Il a l’air de déjà s’être fait des amis… je ne les connais pas. Ils doivent être externes. Ils ne doivent donc pas connaître mon histoire… Notre histoire.

*

Je viens de sortir de cours. Enfin la dernière heure est arrivée. Je vais pouvoir retrouver tranquillement ma petite chambre. Je me souviens, le soir, on était heureux de se retrouver enfin au calme. Rien que de penser à cela, je souris comme un idiot. Alors que je marchais tranquillement, quelqu’un me pousse violemment contre un mur et me maintient fortement. Je le sens mal… très, très mal…

-          Tiens, tiens, le Tueur, comment tu vas ?

-          Ça va, et toi ?

-          Pas très bien.

-          Pourquoi ?

-          T’es con ou tu le fais exprès ? T’as tué Alois et tu nous demandes pourquoi on ne va pas ?!

-          Je ne l’ai pas tué ! crié-je.

-          Et le sang qui a été retrouvé dans votre chambre c’était quoi ?!

-          Vous ne savez rien donc fermez votre gueule ! Vous ne connaissez même pas Alois !

-          Oh, si… on le connaissait très bien… dit-il contre mon oreille, doucement. Il t’a tout raconté, non ? Ou il n’a pas eu le temps ? Ce serait dommage… continue-t-il.

-          Ferme-la ! m’exclamé-je en essayant de le repousser pour qu’il se taise enfin.

-          Je veux que tu entendes absolument tout… tout ce qu’on lui a fait…

-          Non ! Ça suffit ! Je ne veux rien entendre !

-          Lui non plus n’entendait rien… c’était tellement pratique pour nous…

Mon nez me pique et je retiens comme je peux mes larmes. Il n’a pas le droit de parler comme ça de toiTu n’étais pas faible ! Tu étais seulement Alois ! Je fronce mes sourcils et le repousse violemment. Ils ne me connaissent pas. Il tombe en arrière et j’en profite pour filer dans ma chambre. J’ai le droit de te rejoindre ? Non ! S’il te plait, tout serait tellement plus simple.

J’arrive dans ma chambre, ferme la porte et ouvre la fenêtre en grand. Cette fenêtre qui donne sur l’arrière du domaine, sur tous les arbres de cette forêt avoisinante. Je me rappelle de ce soir-là. Il faisait déjà nuit depuis longtemps, la Lune nous regardait d’ailleurs. Tout a dégénéré d’un seul coup. On a fumé et le reste, tu t’en souviens. Moi, j’aurais voulu oublier. Ça fait quoi de voler ? J’ai envie d’essayer moi aussi. Ça devait être tellement bien que tu es parti.

Absorbé par la liberté qui s’offre à moi, je monte sur le rebord de la fenêtre, debout. C’est bien d’avoir mis des grandes fenêtres. Je dirais que le sol est à une dizaine de mètres de moi. Descends de là ! Pourquoi ? Pourquoi je descendrai ? Je t’ai dit la même chose mais tu l’as fait quand même ! T’as vu comment ils parlent de toi ! Je ne veux pas les laisser s’en tirer ! Et tu crois qu’en faisant ça, ils vont changer ? Non mais… Tu me manques tellement que je pourrais faire n’importe quoi… Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit ? Je n’avais pas ta confiance, c’est ça ? Tob, je…

-          Tobias ! Ne bouge pas ! crie Andrea en m’attrapant par la taille.

-          Lâche-moi ! m’exclamé-je en me débattant pour qu’il me laisse.

-          Non ! J’ai pas envie que tu meures !

-          C’est ce que tout le monde veut ici, même mes parents ! Et moi aussi, j’en peux plus d’être comme ça… je veux être libre…

-          Tobias… descends… on va parler.

-          Non ! Je ne veux pas te parler… je veux le revoir…

Finalement, il me tire en arrière, sans me lâcher. Il me pose sur mon lit et ferme la fenêtre. Tu ne sais rien de ce qu’il s’est passé ici. Tu n’as pas le droit de fermer cette fenêtre sans mon avis. Je serre mes poings et ne le quitte pas des yeux. Ne fais pas ça… Tais-toi, c’est pour toi que je fais tout ça. Andrea se retrouve devant moi et je n’attends pas avant de me venger. Je le fais basculer sur son lit et me retrouve assis sur ses jambes, pour l’empêcher de bouger. J’attrape ses bras et les maintiens contre le matelas. Ma vue se brouille involontairement. Il semble étonné mais ne résiste pas pour autant.

-          Tobias, je… essaie-t-il.

-          Non ! T-tu ne sais rien de ce que j’ai vécu quand il est parti ! Encore maintenant je souffre comme au premier jour ! Je ne peux pas passer au-dessus de ça ! C’était la seule personne sur cette terre qui comptait pour moi ! Il est mort sous mes yeux ! Devant moi ! En me disant ‘je suis désolé’ !

-          Je peux bien comprendre que tu sois triste mais tu n’es pas le seul à avoir souffert ! réplique-t-il. Moi aussi, quelqu’un que j’aimais plus que tout a disparu ! C’était il y a cinq mois, ma mère est décédée et mon père s’en est jamais remis. C’est pour ça que je suis arrivé ici, il n’arrivait plus à être unpère. J’ai réussi à passer au-dessus, avec du temps et beaucoup d’aide, c’est pour ça que je veux t’aider à mon tour. Tu ne peux pas rester bloquer par la disparition de ton meilleur ami, dit-il doucement en ne me quittant pas de yeux.

-          Ce… ce n’était pas seulement mon meilleur ami…

Qu’est-ce que…

 

-          Enfin, pour moi, il était bien plus que de simples amis… J’aurais voulu lui dire avant… Je t’aime Al, putain oui, je t’aime tellement…

J’ai entendu Tob… j’espère que moi aussi tu m’entendras, je t’aime aussi. Mais je t’en prie, vis pour toi, laisse-toi aller. Je n’ai pas envie que tu sois malheureux toute ta vie par ma faute.

 

-          Oui… je t’ai entendu aussi… j’ai compris maintenant… je te le promets…

-          Tobias, à qui tu parles ? me demande Andrea.

-          A Alois, on se parle souvent. Il est toujours là, dis-je en posant ma main sur mon cœur.

*

Je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé après. Andrea ne me lâchait plus. J’ai peut-être dû lui faire peur en lui disant que tu me parlais encore. Ce n’est pas normal, je le sais. Je ne suis pas fou. J’apprends seulement à faire mon deuil. Andrea ne m’a jamais demandé explicitement ce qui s’était passé ce soir-là.

Dans ma vie de tous les jours, rien n’a changé. Je suis toujours le Tueur. Ils me font toujours chier mais j’essaie de moins y penser. Et puis, Andrea ne me laisse jamais seul plus de cinq minutes. Tu es parti mais je vais réussir à vivre sans toi. Je te l’ai promis. Je serais toujours là.

*

C’est la fin de la semaine. Enfin le week-end. Ça fait déjà un mois qu’Andrea est arrivé dans ma chambre. On a réussi à s’apprivoiser. Je lui montre que tout va bien mais cela ne m’empêche pas de fumer, par exemple.Tu avais sûrement raison en disant que je suis accro à cette merde. Tant que personne ne le découvre, j’irais bien.

-          Hey Tobias, annonce Andrea alors que nous sommes tous les deux allongés sur notre lit.

-          Quoi ?

-          Tu veux faire quoi plus tard ?

-          Tu m’en poses de ces questions toi… aucune idée. Mes parents veulent que je reprenne leur entreprise. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils ont fait un seul gosse. Ils s’attendent à ce que j’aie des enfants aussi, au moins l’entreprise, qu’ils ont eu tant de mal à faire fonctionner, perdurera. Mais honnêtement, j’en ai rien à faire de leur boulot. Et toi ?

-          Je sais pas trop non plus… j’aimerai seulement aider les autres.

-          Faut que tu fasses psy dans ce cas, rigolé-je. T’es déjà bien parti.

-          Tu te moques de moi ?

-          Non, dis-je en le regardant, tournant la tête vers lui.

-          Menteur ! s’exclame-t-il en m’envoyant son coussin dans la tête.

-          Hey ! Tu veux te battre ?

-          Tu vas perdre de toute façon, me nargue-t-il en tirant la langue.

Je ne lui laisse pas le temps de réagir et lui relance le coussin. Pourquoi on a que deux oreillers dans cette chambre ? Je me précipite sur lui pour qui ne puisse pas récupérer son coussin. Il a été plus rapide que moi mais je ne me laisse pas faire. Assis sur ses hanches, chacun notre tour on inflige un coup de coussin à l’autre. Il rit autant que moi et je dois bien avouer que cela faisait très longtemps que je ne m’étais pas amusé comme ça. Son sourire et sa bonne humeur sont tellement communicatifs.

Essoufflé, on s’arrête tous les deux. Je le regarde dans les yeux. Ils brillent. Ils sont étincelants. Mon rythme cardiaque s’intensifie encore plus. Il est magnifique. Autant que toi. Mon visage se rapproche du sien doucement. Je n’ai pas envie de rompre ce moment… et je ne veux pas non plus que cette sensation agréable qui se propage dans mon corps disparaisse… Sa main droite passe sur ma cuisse. Un frisson me traverse. Il remonte le long de mon avant-bras. Ma peau tremble mais la chaleur ne descend pas. Sa main arrive à ma mâchoire et rapidement, elle passe sur ma joue. Nos yeux ne se sont toujours pas quittés. Il me rapproche de lui. Me voilà à moitié allonger lui, les jambes de part et d’autres de son corps. Nos lèvres ne sont plus qu’à quelques centimètres. Son souffle se répercute sur mon visage. Je n’ose pas aller plus loin. C’est la première fois que je me retrouve aussi proche d’un garçon.

Finalement, il rompt cet espace et dépose ses douces lèvres contre les miennes. J’accepte volontiers d’approfondir ce baiser. Je passe mes mains dans ses cheveux alors que sa main reste le long de ma joue. Qu’est-ce qu’on est en train de faire ? On devrait arrêter mais c’est tellement bon… Mon corps semble se réveiller de plus en plus. Le sien également. Nos bassins se rencontrent. Je nous sépare. Ses joues sont aussi rouges que les miennes.

-          Je… tente-t-il.

-          T’aime, je t’aime… terminé-je pour lui.

-          Oui… je t’aime… ajoute-t-il en m’embrassant légèrement.

-          Pourquoi ?

-          T’es mignon. J’ai craqué rapidement mais il fallait que tu t’ouvres à moi…

-          Je… je n’aurais pas dû faire ça…

-          Pourquoi ? Tu penses à Alois ?

-          Oui… j’ai l’impression de le tromper…

-          Tob, tu dois apprendre à vivre, conseille-t-il en me caressant la joue. Je ne t’oblige à rien mais n’oublie pas que tu as quelqu’un qui t’aime…

Je ne dis rien mais dépose ma tête contre son torse. Je n’ai pas envie de le quitter. Il me réchauffe. Ses bras m’enserrent et il me fait tomber sur sa droite. Nous voilà face à face.  Je sens que je vais dormir dans son lit et ce n’est pas pour me déplaire. Il va me falloir un peu de temps pour tout accepter. Tob, ne laisse pas cette chance tomber. Tu as trouvé quelqu’un qui t’aime et tu l’aimes en retour. Oui, tu as raison. Il m’embrasse légèrement et me dit après avoir éteint la lampe de chevet :

-          Bonne nuit… je t’aime…

-          Moi aussi… bonne nuit…

*

-          Tob, réveille-toi…

-          Non…

-          S’il-te-plait, j’ai besoin de comprendre… continue Andrea en secouant mon épaule.

-          Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demandé-je en ouvrant les yeux.

Il ne répond rien mais dépose mes joints et ta lettre sur le lit. Il a les yeux baissés et tristes. Je me relève et m’assois contre le mur. Je… je pensais que c’était bien caché. Personne n’a jamais vu ça, sauf toi bien évidemment vu que c’est toi qui a caché tout ça là. On regarde les objets posés entre nous deux, comme s’ils représentaient une rupture. Ça fait une semaine que je dors dans son lit même si parfois, on alterne. Une semaine que je file le parfait amour avec Andrea. Je suis fier de toi. Mais aujourd’hui, enfin ce matin à six heures et demi, tout bascule.

-          Qu’est-ce que c’est ? demande Andrea en me regardant sévèrement.

-          Des clopes et… une lettre… répondis-je simplement.

-          Tu fumes ?

-          Je… tu sais…

-          Réponds, ordonne-t-il.

-          Oui… mais je te jure que je fais attention !

-          Quand ? demande-t-il.

-          De quoi ?

-          Depuis quand tu fumes ?!

-          Sept mois, mais pourquoi tu t’énerves ? Beaucoup de gens de notre âge fument…

-          Ce n’est pas une raison ! crie-t-il.

-          Moins fort… tu vas alerter tout le monde.

-          Non ! Tu ne comprends pas à quel point c’est grave. Tob, fumer ça te détruit la vie. Ça a détruit ma mère et je n’ai certainement pas envie que tu sois détruit à cause de cette merde aussi. Arrête de fumer.

-          Je… je peux pas…

-          Pourquoi ?

-          C’est Alois… on a commencé à fumer ensemble quand il est arrivé ici. C’est lui qui amenait tout ça et je me suis rapidement rendu compte que c’était trop tard.

Il prend sa tête entre ses mains. Depuis que l’on est ensemble, je continue à fumer en cachette. Ça me permet de ne pas t’oublier. J’espère qu’Andrea pourra comprendre cela. On ne bouge plus. Surtout que moi, j’ai peur de faire le moindre mouvement. Il m’empêche de m’en aller. Et puis, il a le droit de comprendre et de connaître la vérité…

-          Et ça, c’est quoi ? demande-t-il en montrant la lettre sur laquelle il y a écrit ‘Tob’.

-          C’est une lettre…

-          Je vois bien, je ne suis pas con. Mais qu’est-ce qu’elle renferme ? J’allais juste me doucher quand en marchant sur une latte du parquet, elle s’est soulevée. J’ai regardé en dessous et j’ai trouvé tes clopes et cette lettre. J’ai le droit de savoir.

-          Bien sûr que tu as le droit de savoir… Cette lettre, elle n’a jamais bougé. Après qu’il soit mort, j’ai failli perdre pied. Personne n’a voulu m’aider même si je suis resté trois jours à l’hôpital, pour des soins psychologiques. Les policiers sont venus m’interroger avant de comprendre que ce n’était pas de ma faute. En revenant, j’avais un besoin de liberté et les joints qu’on avait préparé ensemble sonnaient comme la porte de ma délivrance. En voulant en prendre, je suis tombé sur cette lettre…

Je la prends dans mes mains et me mets à pleurer doucement. Elle me rappelle beaucoup trop de mauvais souvenirs. J’aurais dû la brûler juste après l’avoir lu mais, lâche comme je suis, c’était impossible. Cette lettre est comme la preuve que ce n’est pas moi le coupable mais les autres qui se proclament défendeur de la cause ‘Alois’. Les mains tremblantes, je l’ouvre et sors tout ce qu’elle contient. Beaucoup de nos photos et ces trois pages de récit. Andrea, à genoux sur le sol devant le lit, regarde avec attention.

Je dépose toutes les photos pour qu’il puisse voir qui tu étais réellement.Tu existes réellement. Et tu existeras toujours. Tu te rappelles quand on sortait le soir ? Quand on fumait à la fenêtre ? Quand on refaisait le monde ? Quand on se battait pour rire ? T’étais toujours le plus fort de nous deux. On ne se voyait qu’au pensionnat mais qu’est-ce qu’on s’amusait quand on y était. La chambre 29 a toujours été spéciale. Andrea regarde toutes les photos mais ne dit rien. C’est un supplice pour moi. J’ai tellement besoin de savoir ce qu’il pense de toi, de nous. Je tiens fébrilement ces pages sur lesquelles tu as rédigé toute l’horreur que tu as vécu ici. Rien que d’y penser, j’ai envie d’aller tuer tous ces salauds qui m’ont éloigné de toi.

-          Vous étiez vraiment proches… lâche-t-il enfin. Je serais presque jaloux.

-          Il ne s’est jamais rien passé entre nous deux. J’ai découvert beaucoup trop tard ce qu’il vivait réellement…

-          Qu’est-ce qu’il vivait vraiment ? demande-t-il en relevant la tête pour me regarder dans les yeux.

-          L’enfer, répondis-je simplement.

*

 

Tob…

Je ne sais pas comment commencer cette lettre… je m’excuse déjà et je crois que ce ne sera pas la seule fois. Tu es bien plus qu’un simple ami et j’espère que tu en as conscience. Je t’aime plus que tout. Même plus que ma propre famille qui compte pourtant énormément pour moi. Si je n’écris pas cette lettre, tu ne comprendras jamais ce qui s’est réellement passé ce soir-là… et même depuis longtemps avant…

*

-          Ça a commencé quand il est arrivé ici, il y a sept mois. Au tout début de l’année. Alois s’est retrouvé dans ma chambre, c’était la première fois que j’avais un colocataire et j’étais vraiment excité à l’idée d’avoir un ami. Quand je vivais chez mes parents, je ne sortais pas de chez moi et personne ne me parlait sous prétexte « tu es un gosse de riche. ». Avec Alois, tout était différent. On s’est rapidement apprécié. On était quasiment pareil tous les deux. Les week-ends, aucun de nous deux ne rentraient et on passait toutes nos journées ensemble. Les autres ne nous voyaient jamais séparer. Comme un couple, tu dirais. En lisant cette lettre, j’ai compris qu’il m’avait vraiment aimé le jour où on s’est rencontré. Pendant quatre mois, il a caché ses sentiments. Je m’en veux tellement à l’heure d’aujourd’hui… Ce n’est pas de ta faute, tu n’y es pour rien mais j’ai du mal à passer au-dessus de ça. Je l’ai aimé mais c’est toi que j’aime aujourd’hui.

Alors que je pensais qu’on vivait parfaitement, tout n’était pas aussi rose, loin de là. Quand j’ai lu cette lettre, j’ai appris beaucoup de chose sur celui que je pensais connaître par cœur. Il était sourd, mon meilleur ami avec qui je passais toutes mes journées était en fait sourd. En y repensant, je n’arrive pas à savoir comment il faisait pour me parler normalement. Il lisait sur les lèvres.

-          Il était normal quand il était avec toi ? demande Andrea, captivé par mon récit.

-          Oui, comme tout le monde. Ça c’était la première révélation. Je… l’autre… j’ai beaucoup plus de mal à avouer… je m’imagine toujours ce qu’il pouvait vivre et j’ai envie d’aller les buter.

-          Qui ?

-          Ceux qui l’ont poussé au suicide, ceux qui répètent sans cesse que c’est moi qui suis responsable de la mort de mon meilleur ami !

-          Il… il s’est tué ? demande Andrea qui semble apeuré.

-          Oui… depuis le jour où il est arrivé ici, il a été pris pour cible parce qu’il était différent. Alois était très féminin et surtout, il était sourd. C’était facile pour eux de s’en prendre à lui. Tu ne peux pas savoir à quel point je me déteste… je l’ai laissé mourir devant mes yeux… j’étais totalement paralysé par la peur… Je m’en veux de t’avoir laissé te tailler les veines… tu étais en sang et tu pleurais. Je ne t’avais jamais vu comme ça…

-          Je… je vais y aller… excuse-moi… dit-il en quittant précipitamment la chambre.

C’est moi le coupable dans l’histoire… Non !

-          Si ! Arrête de répéter sans cesse le contraire ! Si je n’avais pas eu peur, tu serais encore là avec moi ! m’exclamé-je en prenant ma tête entre mes mains.

Tob, arrête de te faire du mal. Je ne voulais rien te dire pour ne pas t’inquiéter. Je pensais être assez fort pour affronter ça tout seul. Mon amour, ne t’en veux pas. Quand Andrea reviendra, explique-lui tout ce qui est arrivé ce soir-là… je t’en prie, libère-toi de ça.

 

-          Non ! Comment veux-tu que je raconte le suicide de mon meilleur ami !? C’est trop dur ! Je vais arriver devant lui en lui disant « hey, quand Alois s’est suicidé, il s’est taillé les avant-bras avant de se défenestrer. C’est pour ça qu’il y avait du sang partout sur son lit. J’ai essayé de l’en empêcher mais en pleurs, il me répétait qu’il savait ce qu’il faisait. Il m’a donné son couteau, m’a pris dans ses bras, m’a embrassé deux secondes et s’est jeté par la fenêtre en me disant ‘je suis désolé… je t’aime… adieu’. Après, tout le monde m’a accusé parce que j’avais ce putain de couteau dans les mains et j’étais en sang aussi. Je ne parlais plus. Ils ont préféré rien dire aux autres parce qu’ils allaient ‘se retrouver aussi perturbé que le petit Tobias’. ». Il faudrait qu’ils lisent cette lettre qui tu m’as laissé pour qu’ils comprennent enfin… T’étais mon amoureux… terminé-je en pleurant comme jamais avant.

Il m’a fait ressortir beaucoup trop de mauvais souvenirs. Me voilà à la case départ. Andrea a eu peur et est parti en courant. Je suis sûr qu’il y a une autre raison. Il n’est pas comme ça.

-          Si ! crié-je. Il est comme tous les autres en fait ! Je n’aurais pas dû lui faire confiance ! Il m’a abandonné !

-          Tob… entendis-je à ma droite.

Andrea. Le proviseur. Les pompiers. Ne fais rien de stupide Tob.

*

Ils m’ont amené.

J’ai essayé de résister.

Andrea s’est interposé.

Il m’a accompagné.

Me voilà emprisonné.

Loin d’Andrea.

Loin de toi.

Je serais toujours à tes côtés.

Je suis fou.

Non. Tu dois m’oublier.

Je te parle toujours.

Tu es simplement perdu. Ils vont t’aider.

 

Cinq ans.

Je suis libre aujourd’hui.

Je n’oublie pas mon premier amour.

Je vais retrouver mon nouvel amant.

Pour lui montrer tout mon amour.

J’espère qu’il dira oui.

Aux années nous attendant.

*

-          J’arrive ! s’exclame quelqu’un de l’autre côté de cette porte.

Je n’attends pas longtemps avant de voir cette porte s’ouvrir. Je le redécouvre enfin. Ça fait une éternité que je ne l’ai pas vu. On s’envoyait des lettres le plus souvent possible. Je l’ai détesté ce jour où je l’ai vu avec le proviseur et les pompiers mais j’ai rapidement compris qu’il avait fait ça pour moi. Pour me sauver. Pour que je sois enfin normal. Il m’a tellement aidé.

A peine m’a-t-il vu qu’il me saute dessus en enroulant ses jambes autour de ma taille. Je le tiens fermement et il ne tarde pas à m’embrasser. Un baiser de retrouvailles qu’on attendait depuis longtemps. Interdiction de se voir pendant cinq ans. C’était une torture. Mais il m’a attendu. J’avais confiance et lui aussi.

-          Je t’aime Tob… plus que tout… on est enfin ensemble…

-          Oui… on a attendu longtemps mais nous voilà tous les deux. Je t’aime. Merci pour tout, tu nous as sauvé.

Merci Andrea d’avoir sauvé celui que j’aime.

FIN.

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