Soumissions (3/3)
Et pour les impatients, voici les derniers textes écrits dans le cadre d'À Fleur de Mot !
Le Soleil de juin venait d'éclairer mon visage où se creusaient des cernes marquées par une nuit tourmentée. C'était les aboiements agaçants des chiens et le bruit de marteau des travaux des voisins qui avaient stoppé mon maigre sommeil. Je voulais à tout prix fuir cette journée qui rendait mon cœur aussi lourd qu'un hippopotame, cela devait sûrement ressembler à ma démarche, en sortant difficilement de mon lit douillé qui me manquait déjà. Le peu d'heures de sommeil que j'eu me forçait à faire siffler ma bonne vieille cafetière, versant ensuite mon remède miracle contre les démoniaques insomnies qui occupaient mes nuits. Malheureusement, mon cœur qui se serrait à chaque pensée du futur, présent dans de trop fugaces heures, laissa libre court à ma maladresse qui oublia la notion de quantité et remplit ma tasse d'une dizaines de cuillères de sucres. Le café n'était pas exquit mais je le bus néanmoins appréhendant de perdre plus de temps. Mon ventre noué m'empêchait de manger quoi que ce soit et je me résignais donc à partir me laver. Sous l'eau chaude, mon esprit divaguait mais finissait toujours par se rappeler du sujet principal, lui. Pourquoi n'étais-je pas une personne hypocrite ou qui pouvait aisément mentir en société? À la place mon caractère s'apparentait à celui d'un enfant. Je disais mes sentiments ouvertement sinon ma conscience vendait mon amour-propre à qui le voudrait. Je devais dire à cet élu involontaire que mon cœur courrait un marathon à chaque fois que mes yeux le rencontraient, à chaque fois que ça belle voix m'était destinée même pour des banalités. À cette pensé la boule dans mon ventre se fit plus imposante et je sortis de mes songes, affrontant le froid et le futur en commençant à me préparer. Devant cet affreux miroir qui me renvoyait d'habitude une image plutôt plaisante de moi, affichait à présent des cernes immenses et des imperfections quelconques me déplaisant.
Je voudrai devenir invisible pour faire taire ce sentiment en moi, oublié cette conscience qui guide chacun de mes pas, mettre un masque, une casquettes, des gants et un de mes survêtements pour me cacher dans la foule, de lui et devenir une souris ou un écureuil pour monter dans les arbres pour ne pas laisser le futur m'attraper. J'essayais de nombreux vêtements mais dans cette robe bleu je ressemblais plus à une baleine qu'à une jeune fille. J'optais finalement pour un jean délavé et une chemise aux couleurs pastelles qui faisaient ressortir mes yeux remplient d'inquiétudes. Avec des mains tremblantes j'improvisais un chignon. Devant ce miroir juge, pour alléger ce cœur qui battait à 110 je commençais à me parler. Je fis de nombreuses hypothèses sur ce qui pourrait advenir une fois que je lui aurais dévoilé mes sentiments longtemps refoulés. Mais cette crainte du futur ne fit qu'augmenter car je ne pourrais prévoir sa réaction face à ma déclaration. Tel un perroquet je répétais des mots qui résonnait avec force dans mon cœur alourdit. Mon corps dans sa totalité tremblait, mes mains étaient moitent, j'avais l'impression de suffoquer, l'air me manquait mon corps ne répondait plus, comme s'il allait se bloquer. Ne voulant plus faire un pas vers un futur trop brumeux pour que j'y vois clair je voulais rebrousser chemin. Dans un élan de courage je réussi retirer ce frein dans mon esprit et j'ouvris la porte prête à affronter mon destin incertain.
***
Florent leva le nez entre les doigts griffus des rameaux vers le disque ouaté de la lune. La mesquine se prélassait dans une robe nuageuse sans aucun égard pour l'adolescent trop aventureux au fond de sa forêt. Elle ne daignait semer quelques filets de lumière, çà et là, qu'en hypothèque réticente de ses bienfaits. Le sentier familier se perdrait dans des halliers trompeurs. Une armée de chênes s'alignait comme les stylos en ordre de bataille sur le bureau du professeur de mathématiques. Les ombrages respiraient l'humus fangeux, la sève suintante et l'haleine affamée de quelque fauve aux abois.
Florent vissa sa casquette plus fermement sur ses épis rebelles et appuya sur les pédales avec l'énergie qu'il mettrait à enfoncer une rangée de clous à coups de marteau. Les brindilles craquaient une raillerie mesquine sous son passage. L'air vivifiant de ce début de printemps lui piquait les doigts d'échardes de glace. Il aurait dû emporter des gants. Son VTT roulait dans un grincement profanateur de vieille cafetière, comme s'il traînait derrière lui un régiment de petites cuillères.
Un craquement sinistre dans les fourrés perça la cacophonie. Florent pila net. Il scruta l'entrelacs noueux des troncs comme autant de portes sur des corridors de ténèbres. Rien. Un frisson s'invita le long de son échine. Sa chemise lui collait à la peau. Qu'est-ce que cela pouvait être ? Un écureuil, sans doute, à la recherche d'une noisette à se mettre sous la dent, ou bien quelque volatile : corbeau, chouette voire perroquet. Ces bois abritaient sûrement une véritable volière! Un doute lui hérissa la nuque.
Non, c'était plus gros. Un chien errant, alors ? Peut-être même une baleine ! Il ne devait négliger aucune hypothèse.
Florent ravala sa salive avec un désagréable inconfort en provenance de ses intestins. Sa décision bravache prise sous le sourire goguenard de Kevin se teintait d'une subtile nuance de présomption inconsidérée. Cet âne lui avait vendu qu'il rentrerait plus vite chez lui à travers bois plutôt que par la grande route et qu'à sa place, il n'hésiterait pas un seul instant. Il pouvait bien parler ! À cette heure, l'hypocrite était sûrement affalé bien au chaud dans son sofa, à manger une pizza devant la télé, comme un hippopotame au fond de sa rivière. S'il s'extrayait de sa vase pour satisfaire quelque besoin, ce n'était sûrement pas celui de courir les bois à la nuit tombée. Il n'avait sans doute même pas de survêtements au fond de son placard !
Cette fois, Florent était certain : s'il sortait vivant de ce labyrinthe de branchages fantomatiques et de buées obscures, il ne se laisserait plus entraîner dans des défis stupides. Il en faisait le serment, le serment d'Hippocrate ! C'était un nom qu'il avait déjà entendu et cela ajoutait une touche de sérieux et de solennel à sa promesse.
***
- "Fin"
Le regard dans le vide, je referme le bouquin qui tremble tel une simple feuille entre mes mains moites.
Une larme quitte mon visage blême pour venir s'écraser sur la couverture du roman, déformant le titre de l'œuvre de Robert James Waller.
Ma respiration, saccadée par toutes les pensées et les souvenirs qui m'habitent, résonne en écho dans la pièce d'une blancheur que je ne supporte plus.
Cette couleur est reconnue pour représenter la vie, la naissance ou encore la pureté. Cependant, pour moi, elle ne reflète maintenant plus que la souffrance d'un espoir qui s'est retrouvé enterré par les injustices de ce monde.
- Mademoiselle, prononce rempli de compassion le médecin assigné à mon copain, il est temps.
L'homme est juste derrière moi. Seulement quelques centimètres le sépare de la chaise sur laquelle je suis assise, mais pourtant, sa voix me semble lointaine, très lointaine.
Je relève péniblement la tête et mes yeux embrouillés rencontrent ceux des parents de Dany, debout de l'autre côté du lit où le corps de leur fils est hypothéqué par un amas de câbles reliés à un moniteur qui l'empêche de quitter ce monde. N'ayant pas la force de parler, sa mère se contente de m'adresser un hochement de tête afin que je prononce les paroles décisives :
- Allez-y, débranchez-le.
Le bip constant des machines s'arrête à notre consentement puis les sanglots naissent dans la pièce alors qu'une vie la quitte.
Un seul cœur vient de s'arrêter mais pourtant, je sais que le mien ne battra plus jamais de la même façon. Un seul souffle s'est épuisé mais pourtant, je sais que plus jamais je ne pourrai respirer le bonheur que j'ai vécu avec lui.
Aimer, sincèrement, de tout notre être, est le meilleur sentiment du monde. C'est je dirais même le sentiment d'une vie, car le ressentir est la plus belle des aventures. Seulement, lorsque la mort s'empare de l'âme pour laquelle vous avez réellement compris ce que signifiait ces cinq mots, la douleur est telle que tout ce que vous avez vécu ne semble devenir qu'un rêve lointain et désormais inaccessible.
Sans rien dire, je quitte la chambre et m'empresse de sortir de l'hôpital. Mes jambes me mènent d'elles-mêmes à l'extérieur où le vent frais de novembre m'écorche la peau comme le ferait une multitude de lames au travers de ma mince chemise.
Pourtant, je ne ressens rien, ni cette douleur superficielle, ni mes genoux qui rencontrent brutalement le sol alors que je m'effondre sous mon propre poids.
Le deuil devrait être considérée comme une émotion à part entière. Jamais dans ma vie je n'ai ressenti une douleur pareille. Plusieurs comparent cette blessure intérieure à celle d'une lame qui nous aurait transpercé le cœur sans pitié, mais ça n'a rien à voir. En fait, aucune souffrance sur cette planète ne pourrait égaler celle que l'on ressent lorsque l'on perd quelqu'un que l'on a véritablement aimé.
Après un certain moment, dix minutes ou bien une heure, je ne pourrais dire tant le temps semble s'être arrêté, je me relève pour commencer à errer dans les rues comme le ferait un chien vagabondant sans but réel.
Le son du moniteur qui maintenait Dany en vie résonne encore dans ma tête tel un marteau frappant une enclume.
C'est une autre histoire qui vient de se terminer, la plus belle que j'aurai eu la chance de vivre. Car même si la douleur que je dois payer aujourd'hui est pire que tout ce que j'aurai pu imaginer, les moments à ces côtés que j'ai eu l'opportunité de vivre n'ont tout simplement pas de prix.
***
Le gong résonne plusieurs fois dans le Monastère. Je vérifie le soleil dans le ciel et réalise que l'heure n'a pourtant pas changé.
Alors si les cloches sonnent... il n'y a qu'une raison.
Mon cœur se met à tambouriner en pensant à cette option. Je lâche les objets que j'ai dans les mains, les entends se briser à terre et me dirige en courant vers la sortie de la pièce.
Mon champ de vision est étroit, je bouscule probablement nombre de personne mais je ne m'en rends pas compte. Je ne pense qu'à Lui. Je ne veux que Lui.
Je descends les escaliers, manquant de tomber, et m'élance vers la cour pour arriver jusqu'à la porte principale.
Plus j'avance et plus l'air peine à rentrer dans mes poumons, mon cœur menace de rompre ma poitrine et mon ventre se contracte. Je m'arrête et reprends mon souffle devant le battant fermé, attendant que les gardes l'ouvrent.
Ma vue se brouille au rythme de mon organe vital, mon souffle est saccadé. Que dois-je faire maintenant ? J'attends ce moment depuis si longtemps. Je n'avais jamais réalisé qu'il viendrait aussi vite, quand bien même j'en rêve chaque nuit. L'hypothèse qu'Il puisse être mort m'avait effleuré l'esprit. Mais il ne pouvait pas perdre.
Que dois-je dire ? Comment me comporter ? Comment Le regarder ?
Le bois grince, le Monastère s'ouvre et accueille son Prince.
Je me mets sur la pointe des pieds et ne prends que quelques secondes à intercepter Ses yeux qui me cherchent déjà. Quand je plonge dans l'infinité de ce bleu topaze, mon cœur bondit dans ma poitrine. S'en serait presque douloureux si le bonheur n'envahissait pas mon corps.
Son visage est tiré par la fatigue, ses cheveux sont un peu plus longs, ses vêtements déchirés. Mais il est toujours aussi magnifique.
Les ânes qui transportent le matériel de survie passent à quelques centimètres de moi mais je suis incapable de bouger. Pourtant, les Dieux savent à quel point je les tiens en horreur.
Il continue de se rapprocher, nos yeux toujours plantés dans leur homonyme. Je ne peux pas me détacher de lui, je ne peux pas le perdre du regard, je suis terrifiée qu'Il s'enfuit à nouveau...
Je reviens à la réalité quand Il descend de son cheval et s'approche de moi. Mon ventre se tord dans une agréable affliction, ma poitrine pulse derrière mes vêtements, le rouge me monte aux joues et mes extrémités se mettent à trembler.
— Éléonore..., chuchote-t-il de sa voix grave.
Je baisse les yeux vers la main qu'il me tend, paume vers le ciel.
Lentement, je lève mes doigts et les glisse contre sa peau. J'ai un léger sursaut en sentant sa chaleur, sa dureté, sa présence.
Dimitri est bel et bien revenu, il est là. Il est réellement là.
Comme un verrou qui s'ouvre, une chaîne qui se rompt, un rideau de verre qui se brise, je m'effondre. Je m'agrippe au torse large qu'il me présente et m'accroche à son armure. Mon corps est parcouru de nombreux sanglots, les larmes dévalent mes joues. Je libère toutes ces émotions refoulées depuis si longtemps, depuis sa disparition, depuis son départ.
En réponse, il plonge son visage dans ma chemise et ses bras m'engloutissent contre lui. Je sens mon épaule se mouiller, sa respiration devenir saccadée, ses cheveux me chatouiller.
Nous déversons notre amour dans cette étreinte de longues minutes. Quand nous relevons le visage, je tombe une nouvelle fois amoureuse de son sourire si doux, de ses yeux humides et de ses joues rougies.
***
Comment ça partit ?
Impossible ! Il ne peut pas m'abandonner, je le lui interdis !
Comment ?!
Pourquoi ?!
Plus personne ne dit mot, ils sont là à tous me regarder... Essaient-ils à savoir comment je vais réagir ?
Assise sur ce fauteuil, mes jambes tremblaient. Je gardais ma tête entre mes mains pour cacher la moindre de mes émotions. Je ne peux pas me permettre de m'écrouler devant ces vautours... Je ne peux pas me permettre de me détruire encore une fois !
Reprenant mes esprits et un visage impassible, je relève la tête. Mon regard se pose sur la casquette posée sur la table.
Cette casquette... Il ne la quittait jamais...
Je la fixe sans pouvoir m'arrêter, je ne pensais à rien d'autre qu'à un seul mot...
Vengeance.
- Sortez.
Un ton calme et autoritaire était sorti de ma bouche. Ils me regardaient tous d'un air étonné, ils n'avaient pas compris ce que je venais de leur dire.
- Sortez !
Je venais de crier et sur ces mots je me suis levée d'un bond. Leur étonnement vient de se transformer en peur. Prenant encore sur moi, je pointe mon doigt en direction de la porte. Une fois le dernier ayant franchit la porte, je me laissai submergé.
Je ne pouvais plus m'empêcher d'hurler, des larmes coulaient sur mes joues. Chaque objet que je voyais finissait par terre dans un bruit assourdissant, les armoires s'écroulaient les unes après les autres, les feuilles volaient et se déchiraient, les cadres photos éclataient en mille morceaux... Je voyais trouble, je ne pensais plus à rien... J'étais devenue une tornade qui ravageait tout sur son passage.
La pièce était dévastée mais j'avais encore besoin de me défouler. Je suis donc passée à la vitesse supérieure. Je prend mon pistolet en mains, j'enlève la sécurité et la chambre. Sans réfléchir je tirai en direction de la fenêtre. Je me suis approchée de celle-ci. Je venais d'abattre un écureuil.
Je fixe ma petite victime, son visage me paraît tellement innocent.
- La vie ne nous fait pas de cadeau n'est-ce pas ?
Avec un petit rire nerveux, je m'écroule à genou sur le sol. L'arme glissa de mes mains.
Je me sentais vide, je ne savais pas combien de temps que j'étais enfermée dans cette pièce. Il faisait calme, trop calme mais je n'avais plus la force de bouger. Je n'avais plus envie de faire quoi que ce soit... J'étais anéantie par mes émotions... La haine, la colère mais surtout par la tristesse... Tellement détruite par celles-ci que mes larmes ne coulaient plus et que je ne ressentais plus rien...
Après quelques minutes, je finis par entendre des voix. Ils étaient entrain de parler de moi... A la fin de la fin de la discussion, on frappait à la porte.
- Patronne ? Tout va bien ?
Humph... Quelle bande d'hypocrite.
***
Anna marchait, la foret défilait autour d'elle, brouillard de sapin et de neige. Elle suivait d'un pas monocorde le chemin qui se déroulait devant elle.
Cette forêt qui l'émerveillait si souvent la laissait de marbre aujourd'hui. Ses doigts grattaient la sangle de son sac nerveusement sans qu'elle en ait vraiment conscience.
Elle l'a revoyait. Élise. Boucle brune, sourire crème. Hypocrite et vicieuse. Elle la revoyait et elle tremblait.
Anna attrapa d'un geste une poignée de neige qu'elle jeta rageusement sur un tronc voisin.
- « C'est malin, fait froid. » grogna t'elle. Elle n'avait pas pris ses gants. Tant pis.
En fait, elle n'avait pas pris grand-chose.
Anna était partie en fureur de chez son amie, claquant la porte avant de se mettre à courir. Les cris d'alertes des écureuils l'avaient vite calmés et elle avait pris un pas rapides en suivant ces chemins qu'elle connaissait bien. Depuis elle marchait.
Parfois elle s'arrêtait complètement, le regard fixé sur un détail, l'attention loin au fond d'elle même. Anna se surpris à laisser échapper un rire à l'idée des pensées de ceux qui la verrait. « Ça y est, je deviens folle. Enfin.»
Les mêmes pensées martelaient en boucles dans sa tête.
Elle avait envie de hurler, courir, partir. Elle sentait tout son corps vibrer.
Et puis, un son. À sa droite, quelque part dans la forêt, un bruit, un mouvement de branche. Anna s'arrêta. Elle n'était qu'attention quand la biche passa à quelque mètre. Elle la suivit du regard, aussi immobile que les centenaires autour d'elle.
La créature ralenti en contrebas aux côtés d'une autre qu'Anna n'avait même pas remarqué, noyée dans sa colère.
Une colère qu'une vague de gratitude doucha avec la légèreté de l'espoir.
« Merci la vie», murmura-t-elle dans un souffle.
Lorsqu'une troisième biche s'avança pour se mettre à brouter juste devant elle, Anna s'arrêta de penser, pour commencer à vivre.
Bientôt elles furent quatre, cinq, sept, dix... Anna bougeait à peine, elle se contentait de porter ses yeux sur chacun des cervidés, avide de vision, tentant de graver chaque parcelles de cet instant. Elle ne voulait jamais oublier la magie de ce moment. Ce moment qu'elle vivait pleinement. Anna avait le sentiment de renaître au monde.
Finalement, tranquillement, les biches continuèrent à s'éloigner jusqu'à disparaître derrière un talus.
Anna les regarda partir, un lac calme dans le cœur. Heureuse. Elle avait l'intime conviction qu'elle les reverrait, rêverait. Elle n'essaya pas de les suivre, consciente de la futilité de cette idée. La forêt ne lui appartenait pas.
Elle regarda une dernière fois l'endroit et le grava dans son âme puis elle repris son chemin.
Légère.
***
Le corps au chaud sous la couette, j'observe le plafond sans un mot. Seul le silence règne. Je me contente de lâcher un faible soupire qui passe la barrière de mes lèvres. Mes pieds d'une couleur de porcelaine se posent sur le sol de ma chambre.
Pourquoi j'ai le droit de me tenir sur mes deux pieds tandis qu'elle non ?
Je prends le temps de m'observer dans la glace. Les cernes peinturent le dessous de mes yeux. J'ai l'air d'une morte-vivante.
Pourquoi suis-je autant fatigué ? Je me trouve tellement faible. Elle, elle fait du mieux qu'elle peut pour rester souriante malgré tout ce qui se passe.
Je me vêts d'une simple chemise noire peu ajusté à la taille avant de me rendre péniblement vers ma cuisine. Je me décide alors à partir la bouilloire afin de me faire un pitoyable café instantané.
Elle déteste l'instantané, elle me grognerait après si elle me voyait.
J'attends patiemment que l'eau se mette à bouillir. Je prends une cuillère à café dans ma main droite, puis j'avance vers la fenêtre. Par cette dernière, j'aperçois le ciel gris comme de la fumée qui pollue notre globe. Aucun enfant n'est dehors. Seule une petite famille d'écureuils se court après.
Eux, ils ont une maman qui peut se déplacer. Eux, ils ont une maman qui peut s'occuper d'eux. Eux, ils ont une maman avec qui courir.
Mais pas moi.
Pourquoi je l'ai laissée partir cette soirée-là ?
Pourquoi a-t-elle claqué la porte de la maison et est partie ?
Pourquoi ça devait arriver comme ça ?
J'aurais dû lui parler pour calmer l'atmosphère.
J'aurais dû...
Mais je ne l'ai pas fait.
Je l'ai laissé seule prendre son auto sachant qu'elle avait consommé de l'alcool, et même plus qu'elle devait en prendre.
Ce soir-là, je n'aurais pas dû la traiter d'hypocrite. Elle ne se serait pas enfuie.
Je l'ai emmenée dans une qualité de vie horrible.
Tout est absolument de ma faute.
Je m'en veux tellement.
Ma propre mère est rendue en fauteuil roulant à cause de ma personne.
Je suis affreuse.
Le bruit stridant de la bouilloire me fait sortir de mes pensées, puis, une de mes larmes glisse sur ma joue pour atterrir sur le sol.
***
Pour quelqu'un qui avait l'habitude de tarder après les cours, Maya, étudiante à la faculté des lettres qui rêvait dès son jeune âge de percer dans le domaine de psychologie malgré son habilité à faire fuir les gens, et qui contrairement à toute espérance vivait toujours chez ses parents, était rentrée pour dire assez tôt et s'était pressée de se diriger vers sa chambre qui ne se trouvait pas à l'étage comme le voulait la tradition du cliché. Une fois sur place, la future psychologue s'assit sur la moquette qui recouvrait le sol près de la tâche de jus de citron encore fraîche qu'elle avait renversée ce matin, s'adossa à la planche de bois qui faisait office de porte et éclata ne pouvant plus contenir ses sanglots essayait tant bien que mal de ne pas faire de bruit.
Personne ne devait savoir.
Elle se sentait trahie plus que jamais par tous, pourquoi fallait-il que cela lui arrive à elle. Elle se demandait qui ou quoi en avait après elle, qu'avait-elle fait pour que tout cela tombe sur elle, et pour combler le tout celle-ci portait le nom de son meurtrier.
Elle porta sa main à son cou, sans pouvoir toucher l'endroit qui avait fait office de son malheur. C'est à cet instant qu'elle prit la décision fatale d'aller consulter son mirroir. Chancelante elle fit face à son reflet sur la glace et resta interdite devant la scène horrible qui lui était offerte. En s'allongeant sur son lit dans un ultime effort, son coeur battait à la trombe, ses poumons se compressaient de plus en plus, elle les sentait s'embraser et se consumer, ses sanglots se multipliaient encore plus forts, elle manquait de s'étouffer avec sa propre salive, ses oreilles sifflaient, sa chemise était imbibée de sueur, des frissons la parcouraient tout le long de son échine, sa vision devenait floue et elle commençait à vaciller; elle allait s'évanouir. Il fallait qu'elle se ressaisisse. Se rappelant le cours donné par son professeur de gestion et connaissance de soi sur les crises d'angoisse, elle se mît en position de foetus, elle devait se concentrer sur autre chose pour ne pas succomber dans le malaise, elle avait besoin de parler à quelqu'un, or, qui pourrait la sortir du capharnaüm qu'était sa conscience envahie par la panique, elle était seule dans ce monde si peuplé, une âme errante dans l'asphodèle. Devait-elle en parler à ses parents? Qu'allaient-ils penser d'elle? Pas qu'elle ait peur des préjugés mais la situation était assez délicate. Son chien aurait pû lui venir en aide, si sa mère l'avait autorisé à en avoir un.
Alors Maya resta là, étendue sur son lit, elle l'aimait bien mais espérait quand même mourir dans un lieu plus valorisant. Elle était bien placée pour savoir qu'il ne fallait pas se laisser submerger par ses émotions, ne pas les laisser nous posséder. C'était une chose d'étudier une attaque de panique, c'en était une autre de la vivre. Elle se rappela tous ces gens qu'elle avait aidée à surmonter leurs crises. Ils se battaient, ils se dépassaient, afin de pouvoir survivre, et encore la généralité se trouvaient dans de pires états. Si eux avaient combattu et gagné, pourquoi pas elle? Une petite lumière jaillit au dessus d'elle. Etait-ce son heure fatidique? Ou une lueur d'espoir? L'optimisme qui commençait à trouver place en elle opta pour la deuxième proposition.
"La force qui est en chacun de nous est notre plus grand médecin", avait dit Hippocrate. Et Maya y avait trouvé remède.
Ce n'était pas facile de se faire piquer par une guêpe, mais notre héroïne avait survécu.
***
Les longues heures de sommeil médicamenteux que Fred venait de s'offrir n'y avaient rien fait. Il se sentait groggy d'avoir trop dormit. Mais certainement pas plus apte à encaisser ce qu'il avait découvert la veille. Par la baie vitrée, il suivit du regard un écureuil trottiner paisiblement dans le jardin, comme si le monde était encore le même. Paisible et sûr. Malheureusement, cet animal se leurrait. Tout comme le reste de l'humanité d'ailleurs. Mais qui était-il pour les blâmer ?
Au départ, il avait bien tenté de contredire les hypothèses saugrenues contenues dans le rapport de sa collègue. C'est ce que tout le monde aurait fait à sa place. Sauf qu'en compulsant les dernières images que Myriam avait analysées, même son flegme légendaire avait fini par disparaître. Le problème, c'était qu'en plus de la chercheuse, il y avait ces données que la sonde leur avait envoyées juste avant de cesser d'émettre inexplicablement.
Dans son dos, un bip retentit soudain. Fred se surprit à sursauter. Il passa une main sur sa nuque raide et se leva du siège sur lequel il s'était avachi. Puis il se dirigea vers le fond de la cuisine. L'odeur du café frais embaumait l'air. Il l'avait préparé corsé pour l'aider à se réveiller. Il devait se secouer. Il se saisit de la cafetière et se tourna vers l'îlot central pour se servir, quand le bol verseur lui échappa sans raison. Fred eut tout juste le réflexe de se reculer pour échapper au flot brûlant. Quelques tâches brunes fleurirent malgré tout au bas de son pantalon.
« Putain ! jura-t-il. »
Ses mains tremblaient de façon incontrôlable. Il les observa un moment, comme s'il les découvrait pour la première fois. Là, il prit soudain conscience du rythme de son cœur. Il battait bien trop vite, et de façon totalement anarchique. Et plus son attention était focalisée sur ce point, plus il se sentait oppressé. Finalement, le café n'était peut-être pas une si bonne idée que ça.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda une voix aux intonations suaves.
- Rien. Une simple maladresse, éluda-t-il avec moins d'assurance qu'il le voulait. »
Fred se baissa précipitamment, autant pour ramasser les morceaux de verre brisés que pour échapper au regard de son épouse. Il n'avait aucune envie que sa femme se rende compte de l'émotion qui l'étreignait. Elle voudrait le faire parler, lui poserait des questions auxquelles il ne pouvait pas répondre. Pas à elle. Plus que n'importe qui d'autre, il désirait la protéger de ça.
Comme si elle sentait sa fébrilité, Caroline s'approcha. Elle se plaça à deux mètres à peine de lui, face à la fenêtre. Quand elle l'ouvrit, la brise s'y engouffra et vint jouer dans les pans de sa robe en soie. Le tissu dansa autour de ses cuisses, suggérant ses formes appétissantes aux travers des plis mordorés. Mais tout cela était irrémédiablement perdu pour Fred. Autour de lui, tout semblait comme irréel. Absurde, même.
Des détails concernant ses recherches des derniers mois lui revenaient en mémoire par flash tandis qu'il nettoyait machinalement le sol. Un voile de sueur glacé recouvrit sa nuque. Comment avait-il pu ne rien voir ?
La tête lui tournait de plus en plus. Il ferma les yeux de toutes ses forces, luttant contre la sensation vertigineuse que chaque goutte de son sang était en train d'être drainé hors de son corps.
Il ne pouvait plus faire semblant. Cette horreur était on ne peut plus réelle. C'était la fin. Et personne n'en avait encore conscience.
***
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