Soumissions (2/3)
Et voici la deuxième salve de participations, que nous publions plus tôt que prévu. Bonne lecture !
Le miroir délavé de la salle de bain, avec quelques fêlures à sa surface, me dévisage. Il parait lisse extérieurement comme le sont le sourire des filles dans les magasines chez la coiffeuse, mais au fond, il est abîmé par endroit : éraflures et marques indélébiles.
Dans ma tête aussi c'est comme ça, abîmé par endroits. C'est ce que raconte Maman en tout cas : parfois le Gardien des émotions perds le contrôle et alors là c'est la catastrophe et tout dégringole, comme au square la semaine dernière.
Maman était assise sur son banc, elle lisait son livre à moitié, elle me souriait. Dans ma tête pendant ce temps j'entendais le Gardien piétiner, faire les cents pas.
Quand j'ai couru pour aller sur la balançoire avant Camille et qu'elle m'a poussé pour me piquer mon tour, il a commencé à avoir les joues toutes rouges le Gardien, alors moi aussi évidement, elles se sont colorées. Mais le Gardien c'est un sacré personnage comme ce Hippocrate dont parlent tous les livres que lit papa. Alors, lorsque je me suis dirigée vers l'écureuil qui, le regard alerte, observait tout autour de lui et que Camille à crié « Bouh » pour le faire fuir, dans les recoins de ma boite crânienne le gardien avait tiré le signal d'alarme et ça fumait comme la cafetière trop chaude de Papy le matin.
Je sentais un magma aqueux et chaud se déverser dans mes veines, bousculer mes méninges comme si l'on avait renversé à tord à travers toute ma tête et que tout marchait à l'envers les pieds au plafond et s'emmêlait les pinceaux.
Mon corps ne répondait plus au gardien, puis lui Maman, si tu savais, ça le faisait rosir de plaisir de me voir dans cet état et alors voilà, tout à coup je n'étais plus moi, moi et ma bouille d'enfant sage. Et crois moi ça aurait du m'inquiéter et pourtant, la tour de contrôle n'était plus maîtrisée, puis je n'ai rien eu le temps de dire que c'est arrivé.
Je n'ai pas fait exprès maman, c'est le gardien qui m'y à poussé : voilà, j'ai attrapé Camille par les cheveux, j'ai tiré si fort que j'ai eu l'impression que des milliers de mains s'étaient jointes aux miennes pour m'aider. Une chaleur puissante irriguait et coagulait dans mon sang, filait sous ma peau et se propageait dans mes bras, par dessous ma chemise à pois, le gardien quel méchant homme, il m'a échappé. Le coup est parti et ça me brûlais à l'intérieur comme un incendie. Mes petites mains de «Dame» comme se plaît à les appeler mamie parfois, ont tremblées très fort. Mon poing à frappé et cogné le visage de Camille et mes yeux sont restés aveugles pourtant face à toute la violence qui s'échappait et coulait hors de moi, comme un immense océan. Je sais que tu ne l'aimes pas cet océan Maman, moi non plus j'aime pas ce qu'il me fait faire. Le docteur à l'hôpital m'a dit qu'il s'appelait colère, c'est un drôle de nom tu ne trouves pas ?
***
Plus aucune envie de parler comme un perroquet,
Courir comme un chien, un écureuil,
Ou encore manger comme un hippopotame, une baleine,
Pourtant ces trois mots m'allait comme un gant,
Vendu,comme une porte,
Hypothéqué, comme une maison,
Et si je vous disais, que cela est ce qui m'attend ?
Non, évidemment, je formulait juste là une hypothèse !
Tellement démuni, si seul, lâchement abandonné,
Par une hypocrite,
Qui a le don et talent,
Mais bref, la science et la compréhension d'Hippocrate.
Quel ruse ! Quel malice !
Pour m'avoir fait suivre aussi bêtement qu'un âne !
Rouler comme un idiot,
Jeter comme un stylo,
Lu comme un livre, ouvert comme une porte,
Porter comme une chemise,
Qui, après une période donnée,
Est déchirée et jetée,
Premièrement aussi précieux qu'une nouvelle caféière aux yeux d'une cuisinière,
Finalement aussi inutile que dans l'usine de fabrication de celle-ci,
Tel un survêtement utiliser quand l'on transpire,
J'ai servi à absorber tout ses délires,
Tout comme une casquette sert à protéger du soleil et à ajouter de la beauté,
J'ai servi à protéger à mes périls,
Et à ajouter du style contre mon désir,
Ô, que mon être,
Si idiot !
En la voyant arriver comme une brise d'été,
Aussi belle qu'une fleur dans sa robe colorée,
J'ai malencontreusement succombé,
Vers une erreur qui causa ma perte.
Une rose a des épines,
Mais elle,
Un marteau.
Pour anéantir et briser,
Mon cœur déjà meurtri.
Pourquoi, monde éphémère ?
Pourquoi, Providence cruelle ?
Votre rôle n'est-il pas de juger les mauvais,
Et de récompenser les bons?
Soit, il en est ainsi.
Beaucoup diront :"C'est la vie !"
Mais ils n'oseront se mettre à votre place,
Pour ressentir votre mal.
Seulement vous ramasser à la petite cuillère,
En espérant que vous croyez à leurs condoléances,
Qui visiblement, sont hypocrites.
Je sombrais,
Je sombre,
Je sombrerai,
Lentement, oui, lentement,
Mais certainement,
Dans une monde où il n'y aura,
Ni peine, ni malheur.
**
Tom resta en retrait, le perroquet perché sur l'épaule, et regarda son capitaine s'avancer vers la pierre tombale.
L'officier avait perdu sa superbe : son pas mal assuré trahissait des jambes tremblantes ; l'altération de son souffle, la voussure de ses épaules, et un geste furtif vers sa joue suggéraient des larmes. Le doute ne lui fut bientôt plus permis : il sanglotait. Ses genoux fléchirent. L'étoffe de son pantalon s'imprégna de rosée et de boue, mais il n'y prit pas garde. Son regard humide se posa sur les mots gravés d'une main malhabile : C.R. 28 nov. 1693 – 27 mars 1717. Tout autour de lui se mit à tourner. Sa bouche s'entrouvrit en un cri muet et inarticulé, tandis que l'amertume lui tordait les entrailles.
Le mousse lut sur les lèvres de l'ancien timonier le nom de sa bien-aimée. Un instant, il voulut s'approcher et lui parler. Mais que dire qui n'eut sonné hypocrite ? Il ignorait tout du drame qui se jouait sous ses yeux.
Le jeune homme appuya son front contre la pierre froide. Jadis, il avait appuyé ce même front contre celui encore chaud d'une femme de vingt-trois ans, gisant dans la poussière d'un entrepôt sordide. Il vit encore ses beaux cheveux noirs contre sa chemise éclaboussée de vase. Il pensa au geste doux qu'elle avait esquissé pour le rassurer, et à sa main qui retombait, inerte, alors que la vie la quittait peu à peu. Son regard s'était attardé sur le visage de sa bien-aimée, d'une splendeur éphémère dans son immobilité dernière. Pas un jour n'avait passé sans qu'il ne le contemple, le caresse, le chérisse. Il avait détaillé les traits fins, figés dans une immobilité parfaite. Sa peau livide la faisait ressembler à un gisant de marbre comme on en voit passé les portes des cathédrales. La tête de la jeune femme reposait contre sa cuisse. Son front était devenu froid, et ses paupières closes. Les années avaient passé, mais il pouvait répéter exactement les mots qu'il avait prononcé : « Je te regarde comme tous ces matins où je m'éveillais avant toi, et que tes beaux yeux étaient fermés ainsi, que j'attendais qu'ils s'ouvrent comme d'autres attendent que le soleil se lève... Mais ils resteront clos, cette fois, pour toujours. Comment pourrais-je le supporter ? ». Le murmure de sa voix était devenu souffle rauque, et sa gorge sèche d'avoir crié sa rage et son désespoir.
S'imaginant intérieurement l'éclat profond de ces iris émeraude éteints à jamais, le capitaine du Raven's Cry se laissa happer par des souvenirs, qui surgissaient en un flot tumultueux. Lui revenaient tous ces bruits qui résonnaient dans son esprit comme des éclats de cristal brisé : un rire étonné, des mots murmurés, des ordres lancés, des paroles échangées, le grincement des cordages, le froissement des draps. Des sensations aussi : la douceur de ses lèvres contre les siennes, la tendresse de ses doigts sur son visage. Et chacun de ces fragments faisaient remonter des scènes entières dans son esprit troublé. Les yeux perdus dans le vide, il resta longtemps agenouillé, jusqu'à ce que sa vision se trouble à nouveau et que ses souvenirs s'évaporent. Il chassa les larmes importunes d'un revers de manche rageur. Elles roulèrent sur ses joues, y creusant deux sillons chauds. Il se retrouva face à la pierre froide et nue de la tombe de celle qu'il avait si ardemment aimée, et desserra lentement les poings. Il voulait hurler, et rien ne venait.
***
Marius Delaigue enfonça la porte des urgences, les pans de sa veste flottant derrière lui, et navigua dans le service, le visage rouge et la mine inquiète. Il l'aperçut alors, au milieu du couloir, la raison du téléphone d'urgence alors qu'il était en train de manger avec sa femme. Dans un trop grand lit mobile gisait un petit corps étouffé par les soignants et leurs gants verdâtres. La jeune interne le saisit par la manche, pour attirer son attention, mais le regard du médecin ne quittait pas le contour dessiné sous ces draps trop blancs. Un enfant d'à peine une année, laissé sans surveillance dans un bain, le père avait appelé et on avait essayé de le réanimer. Il restait en arrêt cardiorespiratoire. Les mots balbutiés par la jeune femme ébranlèrent un peu plus le médecin. A peine une année. L'âge de sa fille. Il ferma les yeux, ses paupières formant une barricade fragile entre lui et la réalité, comme s'il souhaitait se protéger de l'atroce vue ; en vain. L'image du pyjama bariolé, imprimé de baleines miniatures et stylisées transperçaient toute cette carapace que les années avaient forgée au fil des années, des malades et des morts. Une nausée le prit violemment, et il dut s'agenouiller pour oublier les lumières blafardes et lancinantes qui lui transperçaient le crâne. Le brouhaha du couloir, patchwork agressif de voix passagères, ronflements de machines et signaux divers, ce chaos qu'il connaissait si bien et qu'il avait appris à aimer devenait devant le linceul du petit garçon un supplice infernal. Il ne pouvait respirer, l'émotion obstruait son larynx. Il tenta de se reprendre, murmurant pour masquer sa voix déchirée :
– Durée de l'immersion ?
– On estime entre 3 et 4 minutes.
– Et réanimation après combien de temps ?
Un silence trop lourd suivit sa question et augura la tragédie.
– Probablement 15 minutes, et 35 de réanimation inefficaces.
Marius ferma le poing, pour l'enfoncer dans sa bouche. Il ne pleurait pas ; ses 20 ans de service avaient tari les larmes. Il aurait en revanche aimé crier contre cette injustice, contre ce père qui n'avait pas eu conscience, contre ces soignants qui ne faisaient rien sauf remplir hâtivement les formulaires réglementaires et palper le corps de leurs mains froides, et puis contre la médecine elle-même qui, se croyant toute-puissante, oubliait trop souvent son incapacité. Il maudissait Asklepios et son trop inutile art, Hippocrate, qu'il avait considéré comme père et qui venait de l'abandonner une fois de plus ; enfin, il se maudissait lui-même de se savoir ignare face à cette mort. 20 ans de travail aux urgences et pourtant jamais il n'avait senti son corps à ce point déchiré. C'était une fillette noiraude qu'il voyait à la place du blondinet, une fillette qu'il serrerait le soir en rentrant dans ses bras, sans qu'elle ne comprenne la véritable raison de l'étreinte paternelle, et qui voudrait s'échapper pour aller jouer, les pas hasardeux claquant sur le plancher et le rire ésonnant dans l'appartement. Comment pourrait-il la regarder à présent, alors qu'à chaque instant ses jolies pommettes roses risquaient de virer à la si cruelle teinte bleuâtre de la mort ? Comment pourrait-il l'embrasser, cette peau chaude, sans sentir contre ses lèvres la chair froide et rigide du cadavre ? Comment pourrait-il continuer à vivre maintenant qu'il avait réalisé qu'elle n'était pas immortelle et pouvait lui être arrachée à tout moment ?
Pour la première fois de sa vie, il regretta amèrement sa vocation.
***
Il en avait assez. Assez de toute cette histoire. De toute cette folie, qui n'avait fait que l'emmener plus loin dans les ténèbres. Il sentait les perles de sueur rouler le long de son cou. Ses membres tremblaient de fureur, sa vue était floue à force de se contenir.
Quelle infamie !
Jason ne pouvait s'empêcher de prononcer ces paroles en boucle. Il tournait en rond, faisait les cents pas dans cette minuscule chambre qui ne lui servait que de dépotoir.
On l'avait trompé.
Jason se le répétait sans cesse, sans pouvoir arriver à se sortir de ce cercle infernal.
Quelle bande d'hypocrites !
Lui qui n'avait voulu ne chercher que du réconfort, de la reconnaissance envers eux, envers les membres de sa propre famille, alors qu'eux, n'en avaient rien à faire de lui. Depuis le début.
Il n'arrivait plus à penser droit. Il n'arrivait plus à respirer. La chaleur de son corps s'intensifiait à chaque seconde, la fureur montait en lui à chaque minute, si vite qu'il sentait qu'il ne pourrait bientôt plus se contenir.
Non, il y avait forcément une explication. Un solution logique, rationnel à tout ça. Son grand-père ne pouvait pas lui faire ça.
Il était son petit-fils, tout de même ! Il l'admirait depuis tout petit. Il voulait le rendre fier. Se montrer digne de lui. De son héritage.
La porte était toujours entrouverte. Il claqua la porte. La pièce trembla. Il n'en avait que faire.
Jason commençait à avoir mal aux pieds, à force de tourner en rond. À avoir mal au crâne, à force d'y penser. Il n'en avait que faire.
Il sentait seulement la boule dans son ventre, cette petite boule qui ne demandait qu'à grandir, grandir pour enfin exploser au grand jour, comme il l'avait toujours voulu. Mais qu'il avait caché pendant si longtemps. Qu'il avait enfouie, tout au fond de son être, parce qu'il pensait que c'était là bonne chose à faire.
Mais il avait été un bon petit chien trop longtemps.
Il revoyait encore leurs sourires sur leurs visages. Il entendait encore leur rire, dans ses oreilles, qui résonnaient, qui lui donnaient l'impression d'être toujours là, au milieu d'eux, ces brutes en survêtements qui l'avaient bousculé, humilié, pendant trois longues années.
Et il n'avait rien dit. Parce qu'il pensait que ses grands-parents l'aideraient, un jour. Qu'ils reconnaîtraient à quel point il était fort, à quel point il était digne de cette famille.
Sauf que non !
Ils s'étaient foutu de sa gueule depuis le début ! Ils n'en avaient rien eu à foutre de lui depuis sa naissance !
Et son père... son père lui-même le savait, et il n'avait rien dit ! Il avait laissé Jason espérer, lui, son fils, alors que tout n'était que mensonge !
Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues. Ses yeux lui piquaient, une boule se forma dans sa gorge.
Il n'en pouvait plus.
Ses pensées l'envahissaient, l'enfermaient dans un bulle où la vérité le fouettait de pleine face.
Il avait chaud. Il peinait à respirer. Il deviendrait fou s'il ne faisait pas quelque chose, là, tout de suite, de son corps, de sa voix, de ses mains.
Son battement se coeur battait de plus en plus vite. La boule dans son ventre grandissait, encore et encore. Il était piégé. Il devait le faire. Il devait le faire, plus rien que comptait pour l'instant.
Ne te retiens pas.
Lâche-toi.
Venge-toi.
Plus rien ne te retiens.
Plus personne n'est là pour toi.
Aller, lâche tout.
Pleure. Pleure comme une fillette.
Et crie.
Crie.
CRIE ! ENCORE ET ENCORE !
***
Elle venait de mettre au monde un enfant. Son premier enfant. Et ici et maintenant, dans la salle d'accouchement, dans sa chemise d'hôpital, au milieu de toute cette agitation, elle était devenue mère. Le sentiment qui se déferlait dans son cœur elle ne l'avait encore jamais ressenti dans sa vie. Pas même le jour de son mariage quand bien même elle pouvait aimer son mari. L'amour, voilà ce qui entrait actuellement dans son cœur.
Si elle devait décrire ce qu'elle ressent en cet instant même elle ne saurait par où commencer. Déjà cette envie incontrôlable de toucher le bébé dans ses bras, son bébé. Toucher ses oreilles, son petit nez, les lèvres roses, ses doux cheveux, ses minuscules doigts, ses tous petits pieds. Elle venait à peine de le rencontrer mais elle ne voulait déjà plus le lâcher.
Elle avait cette impression d'être plus vivante, plus forte, plus grande, plus... mère. La douceur coulait dans ses veines, côtoyant la peur d'être dépassée par les évènements. Mais cette joie, ce bonheur était plus grand encore que ses craintes. Elle le savait elle pouvait y arriver. Cet enfant aussi petit soit-il à peine né, même avant sa naissance, durant la grossesse, faisait grandir une force et une détermination à toute épreuve.
L'onde qui traversait actuellement son corps lui hérissait les poils, faisait frissonner son corps, lui donnait envie de se lever et de courir un marathon. Pour son fils et le bonheur qu'il lui procurait. Cette journée elle s'en souviendrait dans les moindres détails, ils seraient à jamais relié à ce sentiment qui la traversait, le cliquetis du néon au-dessus de sa tête, le claquement de la porte à l'entrée de la puéricultrice, le bruit du ciseau coupant le cordon ombilical de son fils, la voix de sage-femme lui demandant le nom pour le carnet de santé tout neuf, le crissement de la bille du stylo qui roulait sur le papier au rythme des lettres. Tout ça se gravait dans sa mémoire.
'est ça qu'elle ressentait actuellement, dans ses veines, dans son cœur, dans chaque cellule de son corps aussi infime soit-elle. La force de cette émotion que tant de scientifiques essaient de déchiffrer ou d'expliquer à force d'études et d'hypothèses, c'est l'amour. Mais pas n'importe lequel, cet amour qu'on retrouvait chez tous les animaux sur Terre, depuis le chien à la baleine. L'amour d'une mère pour son enfant.
***
Les émotions font parties de chaque être humain au plus grand malheur de Lisa. Elle se sent comme une baleine échouée, qui ne peut plus respirer, comme un hippopotame dépecé, comme une louve sans ses louveteaux. Quoi qu'elle fasse ça ne la quitte pas, il ne la quitte pas. Il est là, comblant le vide par une solitude encore plus pesante.
Obligée à faire une hypothèque sur sa maison, de vendre tout ce qu'elle possède, de prêter le serment d'Hippocrate alors qu'elle ment, à ses patients à sa sœur. Même à son chien, elle ment, hypocrite qu'elle est. Menteuse lui crie le monde. Son stylo lui hurle d'écrire la vérité, qu'elle ne peut plus vivre. Elle veut juste oublier, mais ça ne s'oublie pas. Elle attend le jour où elle la rejoindra.
Lisa n'est même plus vraiment elle depuis qu'il l'accompagne. Elle le signe sur ses chemises, toutes teintées de noir, et le dos vouté de celle qui les porte. Ses gants cachent ses tremblements, c'est à peine si elle parvient à rester debout quand la porte est close. Lisa n'y peut rien, dans sa nouvelle maison, loin des souvenirs, elle relâche tout. Elle a abandonné son manteau de force. Baleine hors d'eau, perroquet sans parole, elle est comme une plaie. Elle en vient même à comprendre les écureuils tirés par des chasseurs. Ils évoluent dans la douleur jusqu'à ce qu'ils meurent.
Elle veut courir, parler, mais sa faiblesse l'en empêche. Affaiblie, oui elle l'est, âne à trois pattes, personne bancale, incapable de manger, incapable de laisser couler. Lisa a peur, que tout la rattrape, alors qu'elle ne s'est jamais échappée de cette robe devenue rouge. Elle l'enserre. Elle étouffe chaque jour un peu plus, sous le poids d'une terre qu'elle devrait porter. Elle a déjà essayé de rouler au-delà des falaises de tenter de mourir, mais elle renonce toujours. Qui dirait la vérité si elle le faisait ?
Pour ça encore faudrait-il que le courage s'impose. Dans l'hypothèse où cela arriverait, elle ne pourrait pas, elle est pieds et poings liés. Les secrets sont les plus grands tueurs de l'humanité là voilà la vérité. Comment ne pas pleurer alors ?
Casquette, survêtement, basket, elle se cache et court, jusqu'à ce que son souffle se coupe, alors Lisa vit. Quand elle crache ses poumons de ne pas avoir écouter son cœur ce jour-là.
Mais Lisa se souvient. Elle prêt de sa cafetière, cadeau de sa douce sœur, heureuse de démarrer une nouvelle journée. Elle se rappelle cette cuillère passant devant ses yeux pour piquer la mousse de son café brulant, alors que dehors le soleil brillait. Et il brillait encore quand ils l'ont enterrée. Petit cercueil.
Lisa se souvient de cette petite merveille, son avenir. Mais il l'a injustement remplacé, lui, qui la broie de toute part.
Douleur, chagrin, il a tant de nom, mais les voilà les seuls qui comptent solitude et désespoir.
***
Je fais les cents pas dans ma chambre, les murs m'apparaissent comme trop proches, m'oppressant et m'empêchant de respirer convenablement. Pourquoi je n'arrive pas à m'en libérer ? Je courbai le dos sous la pression avenante.
Des pas lourds, agités, parcourent la maison. Le plancher grince, la cruelle mélodie de leur inquiétude résonne. Ca me tue de voir mes proches se torturer autant pour moi, pour une peine perdu comme moi, ils hésitent à ouvrir la porte de ma chambre, ils restent derrière indécis.
Une douleur m'étreint la poitrine, une goutte glacée parcourt mon échine sous ma chemise. Je ne veux pas voir cette lueur dans leurs yeux, je ne veux pas voir mon reflet brisé dans ces prunelles emplies de pitié.
Je me laisse aller contre la porte, les perles salées commencent à couler. Pourquoi je ne pleure que maintenant ?
J'ai tant de fois feint l'impassibilité, tranchant avec ma langue acéré ces liens si fort que ceux du sang. J'avais porté le masque du méchant, tournant le dos aux êtres qui m'avaient accompagné depuis toujours car je n'étais plus aussi pur. Presque inconsciemment, je m'éloignai d'eux, j'y étais obligé, je devais le faire car le ravin qui commençait à se creuser entre nous ne pouvait être camouflé que par ce cynisme criblé de sarcasmes. Ma douleur ne pouvait être camouflée autrement. J'avais choisi d'enchaîner ma peine au fond de mon cœur et la laissai grandir parce que j'avais trop honte de me mettre à nu, je ne voulais pas qu'ils essuient une déception aussi renversante. Putain d'hypocrite.
J'étais heureux avant, je courais, je volais. Maintenant? Je peine à battre de l'aile, je me suis laissé tenté et me voilà ici forcé à rentrer dans le rang des camés. Mes yeux rouges tâtent la pièce, je ressens les battements effrénés de mon cœur, j'entends la déception dans leurs pas. Je suis affligé, l'ébauche d'un sourire orne mes lèvres
Je comprends maintenant, je pleure parce que pour la première fois depuis le début de cet enfer, je ressens quelque chose, parce que je ne plane pas, parce que cette foutu drogue ne m'ankylose plus l'esprit. Je darde mes pupilles sur l'objet de mes malheurs. De ma position, je distingue parfaitement le sachet en plastique caché sous mon lit.
Je pourrais ramper pour m'en saisir, repoussant le face à face avec ma famille, laissait ce brouillard happer mes sentiments une énième fois. Ramper ? Depuis quand suis-je devenue aussi impuissant ? Ramper ? Je me dégoute. Je ne me regarde plus dans le miroir depuis que je prends. Si pitoyable, je n'arrive même pas à me l'avouer.
Je me drogue, je me drogue, je me drogue.
Je n'arrive toujours pas assimiler cette idée, j'ai tellement honte que je ne fais que fuir sans jamais faire le point sur ma situation. Je ne me reconnais plus car je n'ai pas su saisir l'amplitude de la situation à temps, car j'ai sombré dans le déni et maintenant il est trop tard.
Je ne me suis jamais confié car je ne veux entraîner personne dans ma chute. Mes tremblements reprennent, je vois les veines de mes bras se gonfler, réclamant leur du.
Le museau de mon chien caresse mon bras, il geint. J'ai essayé d'arrêter, mais même avec toute la volonté du monde, on ne peut pas sortir de ce cercle vicieux, pas seul.
Mes doigts tremblent alors que je saisis mon stylo pour écrire ma lettre d'adieu et d'excuse.
J'abandonne.
Je rampe.je déchire, j'engloutis. Je suis libre maintenant, ce vide est si relaxant, j'aimerai y demeurer pour toujours. Je laisse le vent mortuaire m'emmener vers ma tombe.
***
Luna entendait encore dans sa tête les mots durs de sa mère. Ses larmes montaient à ses yeux mais elle tremblait en sachant la dangereuse réaction de la femme si elle l'a voyait dans cette état. Dans l'hypothèse que pleurer allait adoucir sa mère, elle pouvait toujours courir. Ça avait même l'effet inverse. Alors pour être sûre qu'elle risque moins, elle a arrêté de verser des larmes. Chaque fois, elles menaçaient de tomber mais elle les retenait de toutes ses forces, la gorge nouée et l'estomac serrée. Elle se renferme sur elle même, espérant qu'elle n'aura plus de problème, et a chaque fois elle était à ramasser a la petite cuillère. Sa poitrine lui faisait mal chaque fois que son cœur battait. Pourtant, habituellement, elle n'y avait pas besoin de mettre des gants pour lui parler, puisqu'elle avait une joie de vivre incroyable. Mais aujourd'hui, il fallait être un âne pour ne pas voir que quelque chose avait changé...
***
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