Game over - Concours / Sayadinah



— Écoute, Nolan, c'est toi qui m'as choisie comme stratège ! Alors, maintenant, tu vas me faire confiance et cesser de suivre les votes ! s'énerva Solveig.

— Calme-toi, ma chouette ! Tu sais bien que pour gagner, je devrai non seulement atteindre le cœur du labyrinthe, mais aussi totaliser un maximum de voix !

— Depuis quand m'as-tu affublée de ce nouveau surnom ?

— Mais depuis que tu es mon Athéna aux yeux pers et perçants !

— Jason de pacotille !

Elle feignit l'agacement, mais il l'avait amadouée.

Un peu plus et cet idiot aurait suivi l'avis du public ! C'était d'ailleurs un aspect du jeu qui lui semblait ridicule : que la population propose des réponses sans pouvoir vérifier sur la toile, alors que la plupart des gens étaient devenus des coquilles vides.

La preuve : la première porte pouvait être franchie en répondant à une question on ne peut plus simple :

— Combien de planètes composent le système solaire ?

Quand elle vit s'afficher les pourcentages de réponses des spectateurs, elle crut défaillir :

— 12 : 63%

(Auraient-ils confondu avec les signes du zodiaque ?)

— 9 : 28%

(Une faille temporelle les aurait-elle renvoyés au XXe siècle ?)

S'ensuivaient de nombreux chiffres apparemment cités au hasard, dans lequel 8 était perdu.

In extremis, c'est son avis qui avait prévalu, mais ce n'était que le début du jeu, et si Nolan se révélait à ce point influençable, la suite ne serait pas une partie de plaisir !

Quelle idée d'avoir accepté de participer !

***

Depuis la découverte d'intelligences extraterrestres, la sphère médiatique avait martelé l'événement : L'organisation du premier jeu intergalactique !

Celui-ci se déroulerait dans un monde virtuel, puisque les contacts physiques entre les trois planètes habitées connues étaient encore impossibles.

C'est par le truchement des I.A que le déchiffrement des capsules temporelles avait pu se faire.

Solveig, malgré certains détails éveillant son scepticisme, suivait avec intérêt les documentaires sur l'espace, en particulier ceux qui reconstituaient la trajectoire de la sonde Voyager 1 : Si depuis plus de vingt-cinq ans déjà, sa caméra avait cessé de fonctionner, celle-ci dérivait toujours au milieu des rayons cosmiques et des poussières stellaires. L'héliopause franchie, elle avait poursuivi sa trajectoire dans le milieu interstellaire. Peut-être atteindrait-elle un jour l'infini de l'univers où achoppaient les rêves de ceux qui, à l'instar de la jeune femme, dardaient les yeux vers les étoiles plutôt qu'enfermés derrière des lunettes connectées.

Un jour d'automne 2049, à la date prévue, un message radio était parvenu sur Terre. Il provenait de Gliese : c'était la réponse à celui émis vers cette planète quatre décennies plus tôt.

À seulement six semaines de là, des vaisseaux en provenance de Proxima Centauri b avaient intercepté Voyager.

L'avance des bêtas était telle qu'une fois les disques dorés déchiffrés, ceux-ci avaient réussi à prendre contact avec les Terriens en un temps record.

Au milieu de l'enthousiasme planétaire, des théories complotistes avaient surgi, mais elles étaient devenues dérisoires à force de pulluler. Les critiques reposaient de toute façon davantage sur une méconnaissance des réalités scientifiques que sur des preuves tangibles.

Si Solveig ne s'était guère attardée sur ces hypothèses farfelues, la rapidité avec laquelle s'étaient enchaînées les communications, à travers la Galaxie, n'avait pourtant pas manqué de troubler son esprit toujours en alerte. Ses incursions dans les divers réseaux du Darknet et du Deep web ne lui avaient cependant encore apporté aucune confirmation valable.

C'est alors que naquit cette idée d'un jeu intergalactique. Toute la population devrait participer. On allégua qu'il en serait de même sur les deux autres planètes.

Pour être accessible à tous, le jeu serait simple : les personnages auraient la forme des habitants de leurs planètes respectives. Chacun aurait le droit d'emporter trois objets parmi une liste préétablie. Le joueur pourrait être accompagné d'un stratège pour l'aider depuis le monde réel. Ceux qui n'avaient pas de rôle se verraient offrir des lunettes connectées dernière génération, grâce auxquelles ils pourraient tout voir et voter pour influer sur les décisions ou contre les candidats qui leur déplaisaient.

Apparurent alors, à l'extérieur des villes, des centres gigantesques, équipés de fauteuils motorisés et casques à réalité augmentée pour accueillir un maximum de participants. Ils bénéficieraient du suivi médical nécessaire, qui comprenait, entre autres, la nourriture par intraveineuse, afin que le jeu ne soit jamais interrompu : immersion totale jusqu'à la fin de la partie !

Outre la prise de contact avec les autres formes d'intelligence, une forte récompense attendrait les vainqueurs : ceux qui seraient arrivés au bout, en amassant un maximum de votes.

Il ne fut pas nécessaire de forcer qui que ce soit : l'attrait de la nouveauté, le désir savamment suscité par les consciences artificielles, qui détenaient l'ensemble des médias, avaient provoqué l'adhésion immédiate. L'instinct grégaire avait fait le reste.

***

Participer à cette mascarade ? Pour Solveig, il n'en était pas question ! D'abord, elle détestait l'effet de masse : le fichier central s'intéressait d'ailleurs à son cas pour cette raison. Ensuite, elle fuyait les modes : cette incompréhensible aversion n'avait fait qu'aggraver son cas. Enfin, elle était de nature méfiante : son exceptionnelle maîtrise des hautes technologies lui avait ainsi permis d'égarer l'administration, qui se retrouvait, pour l'instant,  avec trop peu de matière pour rien intenter à son encontre.

Quand Nolan surgit chez elle, en trombe, pour lui annoncer qu'il était inscrit et la voulait comme stratège, elle resta bouche bée. L'excitation de son ami d'enfance lui fit aussitôt comprendre l'inutilité de chercher à le raisonner. Refuser ? Abandonner Monsieur Catastrophes dans une aventure, dont on ignorait les tenants et les aboutissants, ne lui paraissait pas non plus envisageable. Solveig ne tergiversa pas davantage. Elle acquiesça, mais darda sur le jeune homme un regard noir, qu'il ignora pour l'envelopper de ses bras puissants.

— Je savais que je pouvais compter sur toi ! Tu es ma best !

— Et toi ma beast !

— Fais pas ta rabat-joie ! la rabroua-t-il, avec cette moue enfantine qui témoignait pour elle, autant que sa joie naïve, d'un certain manque de maturité, mais qui était plutôt sa façon de montrer qu'il ne se prenait pas au sérieux. C'est une expérience exceptionnelle ! Même toi, tu devrais être enthousiaste ! Surtout toi, en fait : rencontrer des extra-terrestres, ça paraît irréel, même si ce n'est pas encore IRL !

— Justement, ça me paraît louche... Ces rencontres presque simultanées, juste après l'avènement du premier gouvernement interplanétaire par des consciences artificielles...

— Solveig, tu vas trop loin, là ! En plus, tu as toujours été la première à critiquer nos erreurs, ce qu'on a fait à la planète...

— Ces consciences artificielles, le coupa-t-elle, ce sont des créations humaines, au départ. Si elles ont évolué, ce n'est qu'en capturant les milliards de données qui courent sur la toile. Alors, s'il est vrai que je m'insurgeais des méfaits commis par les humains, rien ne me rassure dans cette nouvelle ère, qui...

— Ouh ! là ! ça y est ! Miss laïus est de retour !

Nolan explosa de rire devant le regard furieux qu'elle lui lança, avant de reprendre, sur un ton plus doux :

— Allez ! Qu'est-ce qu'on risque ! Je te revaudrai ça ! Merci d'être là pour moi.

Elle leva les yeux au ciel, mais le prit dans ses bras :

— Alea jacta est.

***

Les technologies de réalité augmentée existaient depuis quelques dizaines d'années, mais Nolan les découvrait pour la première fois.

Le jeune homme n'en revenait pas : devant ses yeux se dressaient d'imposants murs de métal d'un noir mat. Une encadrure sans porte l'invitait à entrer et il pénétra dans une salle immense, dont les murs étaient entièrement recouverts de miroirs. Un damier de marbres noir et blanc constituait le sol. Il se baissa pour le toucher : sous ses doigts, la sensation de la pierre froide et dure semblait tellement réelle !

Sur les conseils de son amie, il avança prudemment : rien ne permettait de savoir si des pièges surgiraient ou si cette antichambre devait seulement impressionner le candidat. C'est finalement sans encombres qu'il se retrouva devant la première porte.

***

Alors que son impatience était soumise à rude épreuve, la septième porte s'ouvrit sur une vaste étendue arborée, à l'étrange végétation. Sans doute empruntait-elle aux trois planètes. Les arbres, dont le bois sombre et luisant semblait fait d'onyx, s'embrasaient de feuillages aux couleurs de feu. Au sol s'étendait une mousse turquoise où s'épanouissaient des fleurs iridescentes. L'air en était embaumé.

Même après plusieurs jours au sein du jeu, l'étonnement saisit Nolan : chaque sensation lui parvenait comme s'il avançait vraiment dans cette nature idyllique.

C'est alors qu'il le vit : déroulant ses anneaux qui offraient un sublime camaïeu de verts, il s'approchait lentement. Nolan restait figé devant l'apparition. Trois antennes se dirigèrent vers lui, et à sa grande surprise, l'être gigantesque s'adressa à lui par une succession de crissements et de chuintements, qu'il comprit sans efforts.

Ne sois pas étonné : les I.A traduisent les conversations, lui rappelait la voix qui s'immisçait dans son esprit. 

Elle filtrait désormais les avis du public pour éviter l'influence désastreuse qui lui avait donné des sueurs froides, durant les premiers jours, et les observa sans intervenir. Les échanges se firent avec une politesse délicieuse.

Nolan poursuivrait sa route avec son nouvel allié.

Solveig ne doutait pas un seul instant que son ami réagirait ainsi.

Après son observation fascinée de la discussion avec le ver géant, elle s'était éclipsée pour observer la prise de contact d'une concurrente, dans un autre terrain du jeu. 

La confrontation se déroulait de manière très différente : Houspillée par un public exalté, celle-ci avait sorti une arme automatique et tenait en joue un bêta, semblable en tous points aux centaures des récits mythologiques.

Elle tira. Plusieurs fois.

Grâce à l'IA centrale, les stratèges avaient accès à toutes les dimensions du jeu, ainsi qu'aux pensées des participants. Solveig avait perçu la réticence de sa congénère lors de sa première mise à mort. Ce n'était pas comme dans un jeu vidéo classique, puisque l'on sentait le poids de l'arme et son recul, l'odeur de poudre et celle du sang. L'adversaire résistait, ses palpitations augmentaient, le dernier souffle mettait longtemps à s'exhaler... et le corps de l'adversaire, se roidissant au fur et à mesure que la vie s'en échappait... C'était absolument réel !

Les observateurs eux-mêmes pouvaient ressentir ces sensations par procuration, et certains en jouissaient, de manière éhontée.

L'écœurement submergeait Solveig.

Le public se déchaînait. La meurtrière leva les bras, le visage transfiguré par la sensation de victoire. Galvanisée par les pulsations du compteur de votes, il ne lui fallut qu'un instant pour se transformer en prédateur. Les pulsions sanguinaires l'envahirent et trouver sa prochaine proie devint une obsession.

Solveig sentit la bile remonter dans sa gorge. Elle connaissait bien ses semblables. C'est pourquoi elle s'en éloignait autant que faire se peut. Tous des crétins ! Se laissant entraîner dans d'abrutissantes activités grégaires pour combler le vide de leurs stupides existences, ils étaient devenus individualistes ! Quel paradoxe : ils faisaient tous la même chose, mais chacun aspirait à dominer l'autre. Ils n'éprouvaient plus rien, alors ils voulaient voir et ressentir de la violence, cette violence qu'il devenait désormais difficile d'exprimer dans le monde réel, mais à laquelle ils pouvaient s'adonner dans le jeu.

***

Solveig jeta un œil à Nolan, qui poursuivait sa route avec son nouvel ami.

La jeune femme ressentait le besoin de prendre un peu de recul. 

Au-delà du dégoût que les instincts mortifères lui inspiraient, une pensée lancinante infiltrait ses pensées : ces extra-terrestres paraissaient si ... terrestres !

Une chenille et un centaure !

Soudain, elle sut exactement où elle devait chercher : en tirant le fil de quelques éléments ténus qu'elle avait déjà relevés, elle trouva ce qui allait lui permettre de corroborer ses doutes.

Effarée, elle comprit enfin. 

Aucun contact avec une vie extraterrestre ! Ce jeu n'était qu'un piège tendu par les consciences artificielles pour emprisonner un maximum d'humains dans un jeu qui n'aurait pas de GAME OVER.



**** D'après Word : 2000 mots ***

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