Concours de toutesnoscouleurs - Éclats d'amour

16 ans

Margot ouvrit les yeux et repoussa doucement Hannah. Elle l'observa un instant. Celle qu'elle aimait dormait profondément à ses côtés, une feuille morte dans les cheveux en raison de leur escapade nocturne. Le soleil levant, à peine tiède, tombait en cascade sur ses lèvres rouges. L'adolescente amoureuse sourit et se leva doucement pour fermer la fenêtre, qui, restée ouverte, avait fait baisser la température de la chambre d'une quinzaine de degrés en cette matinée de fin d'automne.
La pièce sentait encore le tabac.

*

Elles s'étaient rencontrées l'année précédente, entre deux cours. Leurs regards s'étaient croisés dans un couloir du lycée. Sourire sur leurs lèvres. Puis elles avaient tourné les talons, l'une était retournée avec ses ami.e.s, l'autre était sortie fumer dans l'air encore brûlant de cette fin de septembre.

Quelques jours plus tard Hannah l'avait rejoint dehors.
« Je peux ? » avait-elle demandé en désignant la cigarette du menton.
Margot avait accepté.
À partir de ce moment là, et pendant un mois, chaque jour, elles étaient sorties fumer ensemble, sans un mot ou presque. Puis Hannah lui avait demandé son numéro. Elles s'étaient revues à l'extérieur du lycée le surlendemain, pour boire un chocolat chaud dans un café lesbien. Elles s'étaient embrassées tendrement. Elles avaient commencé à se tenir la main en public, du moins quand elles étaient en sécurité, dans les bars queers, les assos LGBT, seules dans la forêt. Jamais au lycée. Trop d'homophobes. Quand elles se croisaient, elles se lançaient un regard complice, amoureux, qui reflétait le saphisme infini qui leur brûlait le ventre. L'hiver était passé sans un bruit, juste la douceur de leur histoire qui réchauffait les cœurs.
Avec le début du printemps leur première dispute. Elles s'étaient ignorées pendant une journée.

Premier juin, mois des fiertés. Leurs mains entrelacées dans les couloirs, les regards sur elles.
Le harcèlement de Hannah avait commencé ce jour-là, et ne s'était arrêté que fin septembre.
Margot se rappelait parfaitement de ce vendredi où elle avait retrouvé celle qu'elle aimait en pleurs. Elle étaient allées ensemble chez le principal. Il avait réagi vite, sa fille aussi était lesbienne, c'était une honte, elles auraient dû venir plus tôt. Les harceleurs s'étaient fait exclure définitivement la semaine suivante.

Elle était belle leur histoire. Comme un soleil couchant. Comme une nuit étoilée. Comme un réveil dans les bras l'une de l'autre. Comme une lettre d'amour.

18 ans

Margot relisait encore et encore la lettre qu'Hannah lui avait donné l'année dernière. Sa mémoire était pleine de flashbacks. Des souvenirs comme des coups de poings. Ses mains tremblaient.

« My love,
Je t'écris cette lettre en te regardant dormir, et je crève d'amour pour toi. Je voudrais que cet instant ne s'arrête jamais. Mais le bonheur a une date d'expiration, et la mienne ne va plus tarder.
Tu voudras probablement des explications, et je vais te les donner, je le jure. Mais avant ça je dois te rappeler que rien de tout ça n'est de ta faute. Tu es mon soleil, mon baiser lesbien, ma romance, mon espoir. Tu es comme une chanson de Girl in Red, et on brûlera toutes les deux en enfer, mon ange, si tu le veux.
Et si un jour je meurs, si comme prévu je meurs, et qu'on m'ouvre le cœur, on pourra lire en lettres d'or que je t'aime encore.

Mais je reconnais que je te dois une justification, et la voilà. Je suis fatiguée de combattre.
Leurs mots, leurs gestes, leurs regards, ont brisé ma fierté. Et je sais que ça ne devrait pas, iels ne m'ont jamais frappée, jamais rien dit en face, et que j'en fais trop, ce n'était pas si grave, et j'aurais dû en parler plus tôt, tellement plus tôt. Mais c'est trop tard maintenant, mon cœur est en cage et j'étouffe de ne pas pouvoir t'embrasser devant tout le monde sans être terrifiée, j'étouffe de ne pas t'avoir accompagnée à la pride l'année dernière, mais j'ai peur, trop peur.
Je ne veux pas être hétéro, pour rien au monde, mais c'est trop dur.
Je suis fatiguée de voir l'hétérosexualité partout, et je sais que c'est ridicule, mais je suis épuisée de ne pas être représentée.

Je ne veux pas disparaître, je ne veux pas te laisser, je veux juste que tout s'arrête.

Je suis désolée.

Je t'aime.

Hannah. »

Une larme coulait sur sa joue. Elle avait eu tellement mal. Mais c'était fini maintenant. Elles étaient ensembles, vivantes, heureuses. Ça n'empêchait pas la peur de revenir les hanter parfois.

20 ans

Elle avait envie de hurler de joie. Elle ne se souciait pas de la pluie qui trempait ses vêtements. Elle embrassa Hannah sur les lèvres et murmura :
« Oui. »
Leurs sourires semblaient illuminer l'obscurité de ce début de soirée. Elles se noyaient dans le bonheur. Elles allaient se marier. Elles ne pouvaient pas y croire. Elles avaient eu si mal, si peur, mais leur vengeance arrivait. Elles allaient s'aimer pour toujours, elles allaient continuer à s'embrasser sous la pluie, à fumer à la fenêtre de leur appartement, à se dévorer du regard, à se tenir la main comme si leur vie en dépendait, à écouter de la musique queer dans leurs écouteurs cassés qu'elles partageaient, à brûler de saphisme. Elles avaient l'éternité devant elles et rien ne pourrait les arrêter. Paillettes dans leurs yeux. Elles étaient jeunes, fortes, lesbiennes et pleines d'espoir. Elles étaient magnifiques, et on ne voyait qu'elles dans la rue déserte. Elles étaient le centre du monde. Sans elles tout s'écroulerait. Elle avaient survécu jusqu'ici, il était temps de commencer à vivre.

L'orage s'arrêtait. Un peu plus loin, un adolescent embrassait celui qu'il aimait pour la première fois. Un arc-en-ciel se formait au dessus de la ville.
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One shot de 951 mots, inspiré par la chanson We fell in love in October, par Girl in Red.
Concours organisé par toutesnoscouleurs.

Lost, juin 2022

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