12 - Château des illusions - Épreuve 2
Il y a clairement quelque chose qui cloche dans cette étrange demeure. Voilà maintenant plusieurs minutes que je monte l'imposant escalier de marbre poli et pourtant je ne me rapproche aucunement de l'étage qui prend un malin plaisir à rester à même distance en haut de moi.
Quelqu'un pourrait-il me rappeler pourquoi je suis venu ici déjà ?
En ce moment, j'avoue que j'aimerais pouvoir simplement fermer les yeux et me retrouver assis au comptoir de la taverne devant une bonne bière.
Ou même quelque chose de beaucoup plus fort.
Perdu dans mes pensées, je prends inconsciemment une pause dans mon ascension qui me paraît interminable. À peine me suis-je immobilisé qu'un son me ramène brusquement à la réalité.
Un ronflement !?
Non seulement suis-je surpris par le bruit en question, c'est surtout sa provenance qui me perturbe : mon chapeau. Il semblerait que cette chère sorcière se soit endormie. Jamais je n'aurais cru qu'une personne puisse se servir de ma tête comme d'un lit douillet...
Mais bon, ce constat ne me mène nulle part en cet instant précis.
Un peu exaspéré, je donne une bonne tape sur le haut de mon chapeau en exprimant tout haut mon ressentiment.
— Un peu de silence ! J'essaie d'atteindre l'impossible ici et aimerais avoir un peu de respect de vous ma chère dame endormie.
Me voilà qui parle à un chapeau qui ronfle... Décidément, cette soirée va me mener tout droit à l'asile !
Du moins, si je sors vivant de ce mystérieux château.
Soudainement animé d'une furieuse détermination d'avancer, je m'élance à nouveau dans ma montée vers l'inconnu. Après seulement quelques marches, je perds soudainement l'équilibre lorsque mon pied rencontre un plancher parfaitement plat.
Surpris par le changement inattendu, je remarque avec grand étonnement qu'il n'y plus trace de l'imposant escalier, ni sous mes pieds, ni derrière moi. Je suis à présent debout au milieu d'un étroit et long corridor dont les murs sont percés d'un nombre incalculable de portes en bois.
Chacune possède des caractéristiques qui lui sont propres: type de bois, couleur, texture, chambranles travaillés dans certains cas, poignées à la forme qui varie grandement, etc.
Mais qui voudrait voir autant de dichotomie dans sa demeure ?
N'en étant pas à ma première surprise dans cette étrange aventure, je me contente d'avancer parmi toutes ses portes sans ressentir le besoin d'en franchir aucune jusqu'à ce que j'atteigne une porte dont l'étrangeté dépasse largement toutes ses compatriotes.
Elle est en or.
Et attention, je ne dis pas qu'elle est simplement dorée, mais bien qu'elle est entièrement faite de ce métal lourd et précieux.
Malgré tout, ce n'est même pas le plus surprenant.
Ce qui rend cette porte encore plus unique, c'est qu'elle n'est pas placée sur un mur.
Elle est sur le plancher.
Quelqu'un saurait me dire comment on franchit une porte qui est disposée sous nos pieds ?
Perplexe, je construis la séquence dans ma tête pour me convaincre de son efficacité : 1) tourner la poignée; 2) pousser la porte; 3) faire un pas devant...
Dans une situation normale, je suis conscient de m'engager ainsi à tomber dans le vide et à aller m'écraser un, voire même plusieurs, étage plus bas, mais c'est pourtant la seule façon que je vois pour poursuivre mon exploration de cette demeure.
Après tout, j'ai une sorcière dans mon chapeau. Si elle ne veut pas s'écraser en bas avec moi, elle devra faire ce qu'il faut, non ?
Étape 1, complétée.
Étape 2, complétée.
Étape 3...
J'hésite soudainement à poursuivre sur le plan établi précédemment pour une raison fort simple : la porte ouverte donne sur une noirceur absolue. Impossible de savoir ce qui se trouve derrière, ou plutôt dessous, sa surface dorée.
Une personne saine d'esprit n'accepterait certainement pas de plonger dans un vide sidéral duquel même la lumière ne semble pouvoir s'échapper. Pourtant, moi j'hésite. Certes, je n'ai pas encore fait ce pas potentiellement fatal, mais je songe fortement à procéder dans les secondes à venir.
Je dois le faire.
Pourquoi ?
Parce que.
Je sais, cette réponse est ridicule puisque je n'ai aucune bonne raison de me jeter dans le vide. Pourtant, j'en ai envie. Cette petite voix à la fois douce et cruelle dans ma tête me dit d'oser aller de l'avant.
À moins que ce soit la sorcière qui me parle à travers mon propre esprit ?
Est-ce son chaudron bouillonnant qui me recevra au bout de ma chute qui ne saura tarder à venir ?
Peu m'importe, j'ai fait trop de pas en avant pour penser à retourner en arrière.
Je pose le pied devant et bascule mon poids.
Étape 3, complétée... enfin je crois.
Pourquoi je ne ressens aucune sensation de chute ?
Inconsciemment, j'ai fermé les yeux en pensant plonger dans le vide. Ce n'est que lorsque que je les ouvre à nouveau que je réalise que je suis toujours debout à la verticale à l'entrée d'une pièce dont je ne parviens même pas à percevoir les murs tellement elle est immense. Un coup d'œil derrière me confirme que j'ai bien franchi la fameuse porte dorée puisque celle-ci se trouve à quelques centimètres de mon dos.
Encore une fois, dans l'ouverture qu'elle est supposée couvrir je ne perçoit que la noirceur la plus totale, le néant. Celui-là même dans lequel je viens de plonger. Confus, j'effectue plusieurs tours sur moi-même pour analyser ce nouvel environnement dans lequel je me trouve. Tout ce que je peux dire, c'est que la pièce est absolument immense puisque je ne parviens à percevoir ni ses murs, ni son plafond.
Comment une telle pièce peut-elle exister, et ce même dans un château grandiose ?
Je me rappelle alors que le majordome, Alfred, faisait certainement plus de trois mètres de hauteur. Serais-je entré dans ses quartiers sans le vouloir ? J'avoue que l'idée ne me mets pas particulièrement à l'aise si je repense aux histoires de géants et d'ogres que j'ai pu entendre et lire dans mes jeunes années. Moi qui étais heureux d'avoir évité le chaudron de la sorcière, me voilà pris dans une situation au potentiel tout aussi désastreux.
Décidément, rien ne va plus. J'ai vraiment besoin de parler à quelqu'un qui a un semblant d'humanité pour me rassurer et je ne vois qu'une solution pour y arriver. Sur le bord de la psychose, je saisis mon chapeau et le retourne pour y plonger mon bras à la manière d'un magicien de cirque qui espère en retirer le fameux lapin blanc tant attendu par la foule.
Or, moi j'espère en retirer une sorcière qui m'a pourtant menacé de me transformer en pomme de terre un peu plus tôt. En cet instant, si ma destinée est d'être mangé par un géant affamé, je préfère être un légume inconscient plutôt qu'un humain hurlant.
Je farfouille donc dans le fond de mon couvre-chef d'une main au comble de l'énervement jusqu'à ce qu'un contact froid entre mes doigts et un objet me prenne par surprise. Je retire alors ce qui m'apparaît être un miroir richement orné de joyaux. Cela n'est toutefois qu'une apparence puisque l'objet ne retourne en rien mon reflet. À la place, je vois plutôt l'hôtesse de cette mystérieuse demeure qui est étendue exactement où je l'ai rencontrée, près de l'entrée. Je peux même voir avec précision sa poitrine qui s'élève et s'abaisse à un rythme régulier.
Elle dort !
Un ronflement bruyant parvient alors à mes oreilles et je peux voir le corps de la femme se retourner brusquement avant de poursuivre sa sieste.
Un miroir qui a une sortie audio, j'aurai vraiment tout rencontré dans ce lieu étrange.
Un instant, je voudrais croire que ce miroir est en fait un téléphone portable habillement déguisé, mais j'ai vu trop de phénomènes inexplicables jusqu'ici pour même essayer de m'en convaincre en ce moment.
Un téléphone, aussi "intelligent" soit-il ne peut pas créer des lutins, des dragons ou même des châteaux dans lequel il est possible d'entrer.
Il ne permet pas non plus de faire entrer une sorcière dans un chapeau.
Quoique cela est tout à fait possible dans tous ces jeux loufoques qui servent à désennuyer les usagers lors de leurs déplacements ou lorsqu'ils sont pris dans un cours théorique totalement barbant.
Ce n'est pourtant pas mon cas.
D'ailleurs, je n'ai même pas de téléphone portable puisque je déteste l'idée d'être sous l'emprise de ces appareils qui transforment tous les gens que je connais en zombies incapables de voir ce qui se passe à plus de quelques centimètres de leur nez tellement ils sont absorbés par leur petit écran magique.
Si seulement ils savaient ce qu'est réellement la magie !
Si seulement JE savais ce qu'est la magie.
Peut-être n'est-ce pas si compliqué après tout ?
Si cette pièce est trop grande, je n'ai qu'à grandir un peu pour m'adapter à sa taille. L'idée se veut très simple et je ne vois qu'une seule façon pour déterminer si elle est totalement folle ou non : essayer.
Je ferme donc les yeux, serre les dents et imagine mon corps gonfler telle une baudruche dans une fête d'anniversaire. Je visualise mon corps qui grossit encore, encore et encore jusqu'à atteindre des proportions au moins similaires à celle du géant qui m'a accueilli dans ce lieu.
Nerveux, j'hésite un long moment avant de laisser la lumière pénétrer mes yeux pour me révéler si la transformation s'est bel et bien opérée. Lorsque je parviens enfin à convaincre mes paupières de libérer le passage, c'est une scène totalement différente qui envahit soudainement mon cerveau déjà chamboulé par mes récents déboires avec la réalité.
Cette fois je perçois clairement les limites de ce qui m'apparaît maintenant comme un vaste salon richement meublé. À quelques mètres de moi - à moins que ce soient des kilomètres ? - se trouve un fauteuil qui m'appelle à venir le rejoindre pour permettre à mon corps tendu de se relaxer quelques instants.
Il ne manque plus qu'un bon verre de whisky pour que mon bonheur soit complet.
À peine ai-je mentalement formulé cette demande que je sens un déplacement d'air subtil près de moi. Je remarque alors une table basse juste à côté de moi et sur celle-ci trône un magnifique verre de cristal. À l'intérieur, un liquide ambré fait miroiter la lumière des flammes qui brûlent dans un foyer sur le mur en face de moi.
C'est officiel, je suis complètement fou. Il n'y avait ni table, ni foyer, il n'y a de cela que quelques petites secondes...
Il est clair que la magie existe.
Un être normalement constitué devrait à cet instant précis prendre panique puisque reconnaître l'existence de la magie revient à accepter que ce que nous appelons banalement la "réalité" n'a soudainement plus aucune emprise sur nous.
Pourtant, moi je ne panique pas. Au contraire, je trouve particulièrement intéressant le fait de pouvoir contrôler tous les éléments de mon existence en ce lieu. Je porte donc le verre à mes lèvres et boit une grande gorgée de ce liquide qui pourrait très bien être un poison fulgurant qui me tura dans la prochaine seconde.
Je m'en fiche.
Que devient la Mort dans cet univers qui est de moins en moins réel alors que les secondes filent à toute vitesse ?
Toujours vivant, je prends une seconde, puis une troisième gorgée de ce fluide divin qui embrume de plus en plus mon esprit déjà brouillé par les événements de cette soirée pour le moins inhabituelle.
Déjà enivré par l'alcool, je remarque en déposant le verre que le niveau de son contenu n'a pas changé d'un iota. Je pourrais boire encore et encore jusqu'à perdre conscience, et ce sans dépenser un seul dollar. Pourtant, l'envie de me perdre dans cette sensation que je connais pourtant fort bien disparaît en un éclair.
Pourquoi voudrais-je embrumer mon esprit en ce lieu où je peux voir le moindre de mes désirs exaucé apparemment ?
C'est décidé, je veux faire de cet endroit ma demeure ! Je dois absolument parler à cette sorcière pour lui faire part de mon souhait. Je conviendrai de la libérer de l'emprise de mon chapeau en échange de sa promesse de me laisser vivre ici.
Avec un peu de chance, elle sommeille encore dans son coin près de l'entrée et il me suffira de la contacter au travers du miroir.
Je réalise alors que je n'ai plus le fameux miroir à la main. Il ne m'a pas suivi dans ma soudaine poussée de croissance. D'ailleurs, même la porte dorée n'apparaît nulle part sur toutes les surfaces planes de l'immense pièce.
Me voilà une fois de pris dans le plus grand foutoir de ma vie, dans tous les sens du terme !
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