Cendre

 Le prince s'ennuyait. Il lui semblait qu'il s'ennuyait toujours. Aux festins fades, aux causeries mornes, aux cérémonies platoniques. Tout ce qui émanait de la cour se trouvait vide et superficiel à ses yeux. Il rêvait de science et de littérature, on l'entretenait de chasse et de guerre. Deux sujets qu'il exécrait, bien évidemment. Il se sentait las de ces nobles hypocrites. Plus la personne le saluait bas sur son passage, plus elle le critiquerait une fois le dos tourné. Perdu dans un coin de la salle, il regardait s'écouler les secondes et les minutes. Son frère aîné lui avait dédié tout un bal, où étaient conviés les grands et les petits de l'aristocratie, espérant qu'il fasse de nouvelles connaissances. Ne pouvant être éternellement souffrant, il avait dû se résoudre à y aller. Mais il savait la quête de son frère sans issue. Alors, à son habitude, il s'ennuyait. A son habitude, il observait. Quelqu'un attira soudainement son regard. Une jeune femme. Comment ne l'avait-il pas remarqué ? À part de la foule, elle contemplait avec effarement la grande salle richement décorée. Elle n'était pas la plus belle, ni la plus parée, au contraire même. Elle était vêtue d'une robe simple, et que très peu maquillée. Son visage, serti de tâches de rousseur et légèrement hâlé, n'était pas barbouillé de poudre blanche. Ses cheveux blonds étaient tressés. Mais ce qui le marqua le plus, ce fut son aura. Un aura de pureté, de finesse et de connaissances. Il s'avança vers elle, obnubilé. Il resta un instant à la regarder.

 - B... Bonjour, finit-il par bégayer.

 Elle se tourna vers lui, surprise. Leurs regards se croisèrent et elle le fixa à son tour de ses yeux d'un bleu translucide.

 - Bonjour...

 Ils s'assirent, à l'écart de la foule.

 - Comment vous appelez-vous ?

 - Cendre, rougit-elle. Et... Vous ?

 - Charles, s'étonna-t-il. Vous ne le saviez pas ?

 - Désolé, s'excusa-t-elle en baissant le regard.

 Cela le fit sourire.

 - Ne vous excusez pas. J'étais juste... Étonné. Vous n'êtes donc pas une habituée de la cour...

 Elle hocha délicatement la tête.

 - Vous ne connaissez donc pas son ennui...

 Elle lui jeta un regard déconcerté.

 - Il est possible de s'ennuyer ?

 Il éclata d'un rire clair. Il se sentait étrangement bien en sa compagnie. Oppressé, aussi.

 Toute la soirée, ils discutèrent de science et de littérature. Chacun s'étonnait de la culture et de l'intelligence de l'autre. Alors que la nuit était déjà tombé, ils sortirent s'aérer sur la terrasse. Ils étaient seuls. De la musique leur parvenait.

 - Vous dansez ? la questionna-t-il.

 - Je ne sais...

 D'un mouvement vif, il lui prit la main, et passa son bras autour de sa taille. Elle leva la tête et plongea ses yeux dans les siens.

 - Laissez-moi donc vous guidez.

 Se calant sur la mesure, elle l'accompagnait d'un côtés, de l'autre, revenait en arrière, avançait. Sa robe bruissait à chaque geste, à chaque pas. Elle se laissait emporter par la musique, comme elle n'avait jamais put le faire.

 Soudain, elle entendit sonner le carillon. Elle se recula vivement, apeurée.

 - Puis-je me retirer ? demanda-t-elle, presque larmoyante.

 - Quand nous reverrons nous ?

 Elle resta silencieuse, lui envoyant un regard implorant.

 - Puis-je me retirer ? répéta-t-elle.

 Il ne voulait en aucun cas accepter. Mais il ne pouvait refuser. Il fit un geste d'abandon.

 - Je vous laisse donc partir...

 Sans un coup d'œil en arrière, elle se mit à courir. Il la regarda s'enfuir, dévorée peu à peu par l'ombre. Elle n'était plus qu'un souvenir lorsque l'horloge se tut. Ne restait d'elle qu'une pantoufle de vair perdue lors de sa course. Il s'accroupit et s'en saisit. Il poussa un soupir de lassitude.

 - Comment voudriez-vous que je vous oublie, maintenant ?

***

 Cendre observait le feu danser, sur sa paillasse. Sans robe, sans maquillage, sans cheveux blonds. Elle était redevenue un garçon chétif à la tignasse grise. Coincée comme toujours dans ce corps. Elle s'en était évadée pour quelques heures, le retour à la réalité la brisait un peu plus encore. Elle était redevenue il. Pourrait-il un jour être heureux ? Il se le demandait. Il lui arrivait souvent d'en douter.

***

 Lady Trémaine parcourut d'un pas colérique la vaste demeure. Où était encore passé ce bon à rien de Cendre ? Sûrement en train d'essayer d'éviter les corvées, en tout fainéant qu'il était.

 - Madame... articula une employée.

 - Quoi ?! rugit-elle.

 La pauvre tressaillit, et, en baissant le regard, expliqua :

 - Il y a... Des cavaliers qui approchent.

 Lady Trémaine se calma instantanément et se redressa dans toute sa fierté. Elle n'avait pas prévu de visite aujourd'hui...

 - Qui est-ce ?

 - Il semblerait... Son altesse royale le prince Charles.

 Son cœur rata un battement sans qu'elle n'en laisse rien paraître. Le... Prince ?! Elle ne l'avait jamais vu que de loin. Elle n'était que de petite noblesse, et ses amis à la cour se comptaient sur les doigts d'une main. Alors... Le prince ?! Peut-être cela avait-il un rapport avec le bal de la veille ? Peut-être le prince avait-il remarqué une de ses filles ? Non, ces deux idiotes seraient capables de tout gâcher. Alors qu'une femme avec plus d'expérience... Peu importe la raison pour laquelle il était venu ici, il lui fallait sauter sur l'occasion. Elle se prépara en vitesse et alla elle-même l'accueillir à la porte, suivie de sa pauvre servante. Elle s'inclina bien bas à son arrivée.

 - Bonjour, déclara-t-elle, je suis honorée d'avoir une telle visite dans ma demeure !

 Le prince tournait la tête de droite à gauche, et semblait chercher quelqu'un. Si cette personne n'était pas ici, il repartirait tout aussi vite. Il lui fallait gagner du temps.

 Charles descendit de son cheval, mais avant qu'il n'ait pu articuler un mot, elle recommença à parler, l'emportant à l'intérieur.

 - Vous goûteriez bien de nos madeleines, non ? Notre cuisinière les fait, elles sont délicieuses. Aussi, elle s'appelle Madeleine, ce qui doit lui donner un certain avantage, n'est-ce pas ?

 Ils arrivèrent au salon, et il s'assit dans un fauteuil face à la porte, cachant son exaspération derrière un masque de politesse.

 - Si je suis ici, commença-t-il, c'est pour...

 - Javotte, ne veux-tu pas jouer un peu de piano ? l'interrompit-elle. Oh je vous écoute, mais ne pensez-vous qu'un peu de musique serait agréable ?

 Charles en avait assez. Cette femme était extrêmement grossière, et il avait encore beaucoup à faire. Il n'en supporterait point d'avantage.

 Soudain, la porte s'ouvrit. Sur Cendre. Tous deux se fixèrent, les yeux grands ouverts.

 - Où étais-tu donc passé, chenapan ? le menaça sa marâtre. Crois-tu...

 - Cendre.

 Le prince s'était levé et faisait maintenant face au garçon. Lady Trémaine les regardait tour à tour, les yeux ronds d'incompréhension. Cendre sentit ses joues s'enflammer et baissa vivement la tête.

 - Pardon, s'excusa-t-il, pardon, pardon...

Il se sentait horriblement mal. Il avait envie de pleurer. Non. Il pleurait. De grosses larmes chaudes s'écoulaient sur ses joues. Des hoquets le traversaient de temps à autres. Il se trouvait lamentable. Sûrement l'était-il.

 - Je retire ce que j'ai dit, déclara Charles après un long silence.

 Sa voix était grave et sourde. Cendre sentait son cœur de briser. Il essuya ses joues trempées de sa manche, s'apprétant à reculer. Mais, contre toute attente, le prince se laissa tomber à genoux.

- Oui, je retire ce que j'ai dit. Je ne te laisserai plus jamais partir !

Le garçon le fixa, abasourdi. Charles lui sourit :

- Je cherchais une rose parmi les roses. Quel sot ! Elle s'était cachée dans les pissenlits.

Ils échangèrent un regard empli de tendresse. Autour d'eux, les spectateurs les contemplaient ébahis. Puis le prince sortit de sa sacoche une pantoufle. Une pantoufle de vair.

- J'ai fait tout ce chemin pour te la rendre. Enfin, c'était mon prétexte, avoua-t-il.

Il saisit un de ses pieds nus et essaya de le glisser dans la chaussure. Cendre eut un petit rire :

- C'est le mauvais pied...

Après un moment de surprise, Charles rit à son tour, et, comme leur bonheur croissant, ils finirent par rire à pleine gorge. Il ne s'ennuyait plus. Et Il était heureux.

Je ne croix pas vraiment qu'ils se marièrent, et suis à peu près sûr qu'ils n'eurent pas beaucoup d'enfants. Ce que je sais, en revanche, c'est qu'en tendant bien l'oreille, au détour d'un champs de pissenlits, on peut encore entendre résonner leurs rires, ou l'échos d'une conversation autour de science ou de littérature.

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