42. Colleen - Le prix de ses actes
Après avoir quitté Eytan et les autres en début de soirée, Colleen n'était pas immédiatement rentrée chez elle comme elle le leur avait dit.
Elle avait passé une partie du retour souterrain jusqu'à la zone industrielle à envoyer des messages à Amandine pour prendre des nouvelles de Louis, sans beaucoup de réussite. Sa partenaire n'avait pas voulu se montrer coopérative, sans doute encore vexée de la tournure qu'avaient pris les évènements. Elle lui avait répondu par deux, trois phrases sibyllines avant de couper court à leur conversation et quand une fois seule et à l'air libre Colleen avait tenté de la joindre, elle était tombée sur sa messagerie.
Inquiète, mais surtout énervée d'être une fois de plus mise de côté, elle s'était empressée de quitter ses camarades pour se rendre à l'endroit où elle avait laissé Louis et Amandine la veille au soir. Comme elle s'y attendait, il n'y avait personne et une fois vide, la petite cabane aux abords de la forêt d'Eldra avait repris une apparence angoissante sous la pénombre des grands chênes.
L'étape suivante et logique avait ensuite été de se rendre chez les Savary. Après tout, le petit garçon s'était peut-être tout simplement réveillé et la rouquine l'avait ramené chez lui pour ne pas éveiller les soupçons de sa famille. Elle aurait pu justifier sans trop de peine une disparition de moins de vingt-quatre heures et les parents auraient été trop soulagés de retrouver leur fils pour s'attarder sur les détails.
Malheureusement pour Colleen, c'étaient un homme en tenue de policier qui sortait de la maison et l'ombre d'Alison derrière une fenêtre qui avaient l'accueillie à son arrivée dans l'impasse. Cachée derrière un bosquet, la jeune fille avait observé pendant près d'une heure les allées et venues des agents municipaux et des Savary avant de se rendre à l'évidence : Louis avait disparu et Amandine avec lui.
Peu désireuse de se faire remarquer, elle avait fini par se résoudre à rentrer chez elle, envahie d'une rage cuisante difficilement contenue. Si sa partenaire était partie rejoindre Mickaël sans elle... L'adolescente jura à voix haute. Elle n'avait aucun moyen de joindre leur commanditaire, c'était toujours lui qui la contactait quand il avait besoin d'elle...
Colleen franchit la porte de la maison de Léanne alors que minuit retentissait sur la petite pendule du salon. Elle s'attendait à ne croiser personne et fut donc surprise de tomber sur ses soi-disant parents accoudés à la table de la cuisine, leurs regards sévères tournés dans sa direction.
« Comment se fait-il que tu ne rentres qu'à cette heure-là ? Tu sais quel jour on est ? lui reprocha son père en repoussant sa chaise pour se lever.
— J'avais un truc à faire avec des amis, répondit l'adolescente en haussant les épaules, ça a duré plus longtemps que prévu, on n'a pas vu l'heure passer. »
Elle ne se sentait pas d'humeur à débattre. Elle sourit aussi innocemment qu'elle savait le faire, puis tourna les talons en direction de sa chambre, bien décidée à éviter le conflit qui poignait avant que sa mauvaise humeur ne prît le dessus.
« Pas si vite jeune fille ! »
Colleen se retourna, les poings serrés.
« Je suis fatiguée, j'ai beaucoup travaillé, on peut en parler demain ?
— Avec qui étais-tu et où ?
— Avec Eytan. On était à la bibliothèque, puis on est allés chez lui pour manger et continuer un peu notre projet.
— Si on appelle sa mère, elle nous le confirmera ?
— Sûrement... »
Doucement, mais sûrement, la fatigue de jouer un rôle, l'impuissance face à l'attitude d'Amandine, la frustration de cette longue journée lui montaient à la tête. Ses joues s'empourprèrent et au moment où sa mère prononça la phrase suivante, elle laissa éclater sa colère.
« Tu nous mens. Dis-nous la vérité, où étais-tu ?
— Mais qu'est-ce que ça peut bien vous faire ? Je vous demande à vous, où est-ce que vous passez votre journée quand je me lève et qu'il n'y a personne et quand je rentre et que vous n'êtes toujours pas là ? Des fois je me demande si vous vous rappelez que vous avez une fille et contrairement à vous, je n'en fais pas toute une histoire.
— Léanne, c'est pour le travail que nous...
— Et moi c'est pour le lycée ! Maintenant, si ça ne vous dérange pas je vais aller me coucher. On en reparlera demain matin ah... mais non j'oubliais, vous ne serez déjà plus là pour le petit-déjeuner ! »
Sans attendre de réponse des deux adultes, le visage rouge et les lèvres tremblantes de rage, Colleen courut se réfugier dans sa chambre. Elle ferma la porte à double-tour et rongée par l'amertume, balança tour à tour chacune de ses paires de chaussures contre le mur le plus proche. Elle y mit toute sa force et sa frustration jusqu'à s'en épuiser. Assise par terre, la tête sur les genoux et les bras enroulés sous ses cuisses, elle se laissa aller. Moitié criant, moitié pleurant, elle ferma les yeux. Quand son cœur et sa respiration reprirent un rythme normal, son âme bascula dans l'autre monde.
***
Tel un ange de la mort avec ses ailes noires et ses courts cheveux blonds battant ses tempes dans le vent, Colleen volait en ligne droite en direction de son objectif. S'il y avait un endroit dans lequel elle avait une chance de trouver Amandine et Mickaël, c'était dans la petite pièce aménagée au milieu des ruines dans laquelle il leur avait présenté son plan concernant Louis. Après tout, cela faisait sens de les retrouver là-bas et elle s'en voulait de ne pas y avoir songé plus tôt. Elle aurait gagné du temps au lieu d'arpenter inutilement la ville dans le monde diurne, car si sa partenaire ne lui répondait pas c'était peut-être tout simplement qu'elle avait changé de monde.
Il ne fallut que quelques minutes pour que l'hybride-colombe, lancée à pleine vitesse, atteignît son but. Avec prudence et discrétion, elle atterrit à côté d'un amoncellement de grosses pierres et de morceaux de bois sur ce qui avait dû être un jour une très jolie place publique. D'un pas pressé, elle la traversa et s'engagea dans une petite ruelle adjacente après avoir vérifié qu'elle n'entendait ni ne voyait personne. Elle n'était pas d'humeur à se battre et à perdre un temps précieux.
Toc, toc, toc.
« Il y a quelqu'un ? » souffla Colleen une fois à l'abri des regards dans le petit couloir froid et poussiéreux qui menait à la chambre de Mickaël.
Pas de réponse. Agacée, elle poussa le battant de la porte avec le pied, une dague à la main.
« Amandine ? Mickaël ? »
La pièce était vide. Pourtant, quelques bougies achevaient de se consumer sur leur support, ce qui signifiait que quelqu'un était récemment passé par-là. Peut-être même venait-il juste de partir... Sans pouvoir retenir sa frustration et cet espoir à nouveau refroidi, la fille-colombe poussa un cri de colère. Sous l'émotion, elle se jeta sur le lit et saisit l'un des coussins de plume qu'elle balança contre le mur. Plusieurs bougies basculèrent de leur perchoir, enflammant les brins de paille qui jonchaient le sol de terre sèche. En quelques secondes, un incendie incontrôlable se déclara, s'étendant à l'ensemble de la pièce et avant qu'elle n'eût pu réagir, Colleen fut entourée de dangereuses langues rouges prêtes à lui lécher la peau.
Étonnement calme malgré les circonstances, elle sourit en se remémorant cette autre nuit durant laquelle elle avait frôlé la mort au milieu des flammes de l'enfer...
* * * * * * * * * *
Du rouge partout. Du feu. Du sang.
Au diable ce foutu mage ! Où était-il donc passé ?
De grosses pierres noires couvertes de suie s'effondrèrent à ses pieds. Elle les évita d'un pas sur le côté, puis avança droit devant elle sans rien y voir, la main devant la bouche pour se protéger de la fumée. Une ombre surgit à quelques mètres. Immense et menaçante, elle se mit à hurler des propos incompréhensibles au milieu des craquements du bois dans les flammes.
Où suis-je ? cria soudain une seconde voix. Au secours !
Contrairement aux vociférations sourdes de son ennemi, cette voix-là était parfaitement claire et audible, comme si... Une boule de feu traversa l'épais nuage de fumée et manqua de peu le visage de Colleen. Elle avait beau être armée elle aussi, elle ne pouvait pas se battre si elle était incapable de voir ou de voler. Les yeux emplis de larmes, elle s'élança dans la direction opposée à celle du mage, alors qu'une quinte de toux la faisait se plier en deux.
Où suis-je ? Je vais mourir, aidez-moi...
Cette fois c'était sûr, la voix était dans sa tête. Sans réfléchir, l'hybride lui répondit tout en se remettant à avancer.
Ne t'en fais pas, je suis avec toi. Nous allons nous en sortir.
Une ouverture droit devant, enfin ! Avec l'énergie du désespoir, Colleen usa de ses dernières forces pour se projeter vers l'avant. Elle bascula dans le vide. Elle avait réussi ! Battant furieusement des ailes, elle s'envola en direction de la lune, son visage d'ange couvert de suie.
Elle pouvait à nouveau respirer.
Son cœur tambourinait furieusement dans sa poitrine.
Elle était toujours en vie.
Elle était libre.
* * * * * * * * * *
Notre première rencontre... souffla une voix dans sa tête.
Léanne ! Tu es revenue ?
Je ne suis jamais vraiment partie, seulement... si tu fermes la porte, tu ne m'entends pas.
Alors si tu es là, ça veut dire...
Qu'il faut que tu te bouges si tu ne veux pas finir en volaille grillée ! Tu es en colère, tu es déçue, ce n'est pas une raison pour nous tuer, alors va-t'en de là tout de suite ! Ta meilleure chance est dans l'autre monde, tu sais où habite Mickaël, il faut juste...
Il n'en fallut pas plus pour que Colleen se redressât sur ses pieds. Que faisait-elle, là, au milieu de ces flammes ? Ce n'était pas son genre d'abandonner, encore moins de se faire sermonner par Léanne. Qu'est-ce qui lui avait pris ?
Alors que le toit menaçait de s'effondrer sur sa tête, l'hybride-colombe ferma les yeux pour se concentrer. Elle ignora la chaleur qui lui faisait tourner la tête, la fumée qui emplissait ses poumons et l'empêchait de respirer, la suie qui volait et se déposait sur ses cheveux.
Elle mit de côté sa rage, sa frustration et son ambition.
Son souffle s'apaisa, les battements de son cœur ralentirent.
***
Ses paupières s'ouvrirent sur le plafond de la chambre de Léanne. Couchée à même le sol, elle avait le dos en miettes et les cervicales en feu. Avec une grimace de douleur, elle se redressa et tâtonna dans le noir à la recherche de son portable. Il s'illumina en affichant l'heure, mais surtout, deux appels manqués d'un numéro inconnu et un message vocal datant d'à peine cinq minutes plus tôt. Fébrile, la jeune fille écouta son répondeur et lorsqu'elle la voix envoûtante de Mickaël chanta à son oreille, le soulagement l'envahit : il lui demandait de venir chez lui, Amandine était déjà en chemin.
Sans perdre une seconde de plus, Colleen changea de tenue, jeta un coup d'œil dans le miroir pour arranger ses cheveux, puis avec toute la discrétion dont elle était capable, sortit par la fenêtre. Avec un peu de chance, ses parents ne se rendraient compte de rien et sinon... elle s'occuperait de ce problème plus tard. Pour le moment, le plus urgent était de rejoindre de Mickaël, le reste pouvait bien attendre.
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