39. Élinor - Sombres découvertes
Quand la porte menant aux tunnels se referma derrière eux, Eytan, Glenn et Élinor se retrouvèrent plongés dans le noir. Aucun d'entre eux n'osa cependant rallumer sa lampe torche et éclairés uniquement par la faible lumière provenant de leurs écrans de téléphones, ils avancèrent en silence jusqu'à l'embranchement situé à quelques mètres devant eux.
« Vous pensez que c'est le même repaire que cette nuit, mais transposé dans notre monde ? demanda le surveillant à mi-voix.
— Aucune idée, mais vu le temps qu'on a mis pour arriver jusqu'ici, on ne doit pas être très loin de la pointe sud de l'île donc tout est possible », souffla Eytan en retour.
Ils ne prenaient pas la peine de faire semblant devant Élinor et elle les en remerciait en silence. Si Léanne et Maël ne savaient pas que ses deux compagnons ne faisaient qu'un avec leur double nocturne, l'adolescente, elle, était parfaitement au courant de ma situation et il aurait été stupide de prétendre le contraire maintenant qu'ils étaient seuls.
La pierre avait remplacé la terre sur le sol et les murs ce qui rendait l'atmosphère plus sinistre encore. Au-dessus de leurs têtes, le tonnerre grondait à intervalles réguliers comme pour les avertir d'un danger imminent et entre deux, un silence oppressant régnait en maître. Élinor ne savait pas trop à quoi elle s'attendait, peut-être à des cris ou à des appels au secours, et même si ça n'eut pas été des plus réjouissants, l'absence de bruit l'angoissait davantage. Un étau de peur comprima sa poitrine et par réflexe, elle serra les poings contre son ventre. Peut-être n'y avait-il personne ? Peut-être étaient-ils tous... morts ?
« Ça va, Lili ? s'inquiéta Eytan en se plaçant à ses côtés. Tu veux qu'on fasse une pause ? »
L'adolescente secoua négativement de la tête. Ses mains étaient moites, son cœur battait la chamade et une vague de chaleur montait à son visage. Elle s'obligea à respirer lentement sous le regard anxieux de son ami. Quelques minutes plus tard, le malaise qui poignait s'était éloigné.
« Ça va aller, répondit-elle enfin avec un sourire crispé.
— D'accord, soupira le jeune homme sans vraiment la croire, on continue alors, il faut tourner à droite. »
En tête de l'expédition, Glenn avançait d'un pas rapide qui obligea les deux adolescents à accélérer. En oubliant d'être discret, il faisait claquer les semelles de ses bottes en cuir sur le sol à chacun de ses pas et alors qu'Eytan secouait la tête d'un air agacé, Élinor se focalisa sur ce bruit répétitif pour s'empêcher de penser.
Tac, tac, tac, tac, encore un embranchement.
Tac, tac, tac, tac, combien d'entrées existait-il ?
Tac, tac, tac, tac, était-ce un labyrinthe ?
Tac, tac, tac, tac, une série de portes closes.
Tac, tac, tac...
« Je rêve... dites-moi que je rêve ! »
Resté à l'arrière du groupe, Eytan s'était arrêté devant une porte identique à toutes les autres à l'exception près que sur le montant qui la surmontait était inscrit le mot « Sanctum ». Rejoint par ses deux compagnons, l'adolescent était comme paralysé par quelque chose que lui seul pouvait voir à travers la lucarne qu'il avait entrouverte et qui donnait sur la pièce de l'autre côté de l'ouverture.
« Eh bien alors, c'est quoi le problème ? le bouscula Glenn avec son tact habituel. Tu as vu un fantôme ?
— S'il te plaît, sois sympa avec lui deux minutes, tu ne vois pas qu'il y a quelque chose qui cloche ?
— Kiara... Kiara est là-dedans... »
Comme vidé de ses forces, Eytan se laissa glisser contre le mur en prononçant ces mots. Aussi pâle qu'un linge, il claquait des dents et la jeune fille craignit qu'il ne s'évanouît sous le choc.
« Kiara... sa sœur ? » interrogea le rouquin en s'avançant pour regarder à son tour à travers la lucarne.
Élinor fut plus rapide. Sans lui laisser d'autre choix que d'attendre son tour, elle colla son visage aux barreaux de la petite fenêtre et ce qu'elle vit la laissa interdite. Elle sentit ses jambes se dérober sous son poids et il lui fallut user de toute sa volonté pour ne pas détourner le regard.
La pièce qu'elle apercevait ressemblait à un long couloir sans fin. Éclairée par de vieux néons, elle ne paraissait large que d'un mètre, mais en y regardant de plus près, on remarquait que des centaines d'alcôves se découpaient dans les murs à perte de vue. Tous les cinquante centimètres environ et de chaque côté de l'allée centrale, elles s'entassaient quatre par quatre, mais ce qui était le plus étrange et qui avait sans aucun doute choqué Eytan, c'étaient les inscriptions apposées sur chacune d'elles.
De là où elle était et en plissant les yeux, la jeune fille déchiffra les premières plaques :
Alexandre Philibert – 2015
Kiara Kelnet – 2013
Léah Gerbaut – 2017
Dylan Savary – 2017
Bernard Delacroix – 1992
Et ça continuait comme ça avec des centaines et des centaines de noms et de dates.
« C'est impossible... »
L'adolescente se décala pour laisser la place à Glenn qui ne jeta qu'un bref regard à l'intérieur avant de reculer, aussi pâle qu'Eytan. Inutile de parler, ils se posaient tous la même question : les alcôves contenaient-elles des corps ou n'était-ce qu'un simple mémorial ? Élinor aurait penché pour la première option, mais qui était assez cinglé pour oser profaner des centaines de tombes ? Et dans quel but ?
« Je crois qu'on ferait mieux de ne pas traîner ici, murmura le plus âgé d'entre eux. Plus vite on aura retrouvé Maliah, plus vite on pourra quitter de ce lieu maudit. »
Il avait quitté l'air insouciant qu'il arborait depuis le début de la journée pour se constituer un masque dénué d'émotions.
« Eytan, ça va aller ? »
Ce dernier opina du chef et se remit debout sans un mot.
« Allons-y, on ne doit plus être très loin. »
Les trois compagnons se mirent à courir, comme poursuivis par le diable. Il ne leur fallut qu'à peine cinq minutes pour débusquer la cellule dans laquelle se trouvait Maliah, deux de plus pour s'organiser pour la transporter et moins d'un quart d'heure pour refaire le chemin inverse et rejoindre Maël et Léanne.
Leurs visages défaits et terrifiés durent parler pour eux, car quand ils débarquèrent dans le tunnel, Maliah dans les bras de Glenn, aucun des deux adolescents qui gardaient l'entrée ne posa la moindre question.
« Tu crois qu'on devrait encore frapper ?
— Je pense qu'on nous a entendus, attendons encore un peu.
— Si quelqu'un nous surprend avec le corps inanimé d'une adolescente dans les bras on aura l'air fins...
— Vous arrêtez de vous battre deux minutes ? »
Pour la énième fois de la journée, Élinor s'interposa entre Eytan et Glenn pour les faire taire. S'ils étaient restés silencieux sur une longue partie du retour tandis qu'elle se chargeait de raconter à leurs compagnons restés en arrière ce qu'ils avaient vu, les deux rivaux semblaient avoir retrouvé leur langue une fois ressortis à l'air libre.
Minuit sonna quelque part dans la nuit. Par réflexe, la jeune fille consulta sa montre en frissonnant. Il ne pleuvait plus et le froid était retombé en une chape de brouillard qui les encerclait. Il leur avait fallu attendre qu'il fît suffisamment sombre et que les rues se fussent vidées pour pouvoir traverser Hajourdan sans attirer l'attention, ce qui expliquait leur présence aussi tardive devant la maison des Commel. Léanne était rentrée chez elle pour ne pas inquiéter ses parents, mais les trois autres adolescents avaient trouvé une excuse pour s'absenter pour la soirée.
La porte d'entrée s'ouvrit enfin. Une femme aux traits fatigués et aux courts cheveux bruns les toisa d'un observa d'un air éteint.
« Bonjour madame Commel, la salua Eytan, nous sommes désolés de vous déranger aussi tard.
— Maliah... souffla cette dernière sans prêter attention à ce qu'il disait, le regard fixé sur le corps de sa fille dans les bras de Glenn. Est-ce qu'elle est... ? »
Elle n'osa finir sa phrase, bouleversée.
« Nous ne savons pas vraiment, mais elle respire encore, compléta Maël en prenant la mère de sa meilleure amie dans les bras un bref instant. Je ne sais pas si quelqu'un pourra faire quelque chose pour elle, mais il faudrait qu'elle voie un médecin au plus vite. »
Leur hôte se ressaisit.
« Entrez les enfants, il fait froid dehors. Je vous laisse l'amener dans sa chambre, je vais chercher Jérôme. Essayez de ne pas réveiller Ema. »
Elle parlait vite et triturait ses mains et ses ongles comme le faisait Maliah quand elle était nerveuse.
« Eytan, je pense que je vais y aller, chuchota Élinor alors que ce dernier montait déjà les premières marches d'escalier. On est trop nombreux.
— Elle a raison, approuva Glenn en lui adressant un clin d'œil discret par-dessus la rambarde. Attends-moi là, je dépose Maliah puis je redescends tout de suite et je te raccompagne chez toi. »
Restée seule dans l'entrée, l'adolescente se frictionna les bras pour se réchauffer. Sur sa droite dans ce qui devait être le salon, elle entendait les parents de Maliah discuter à voix basse. Elle n'avait aucune idée de ce qu'ils se disaient, mais malgré les chuchotements, elle avait l'impression qu'ils se disputaient. Elle essaya de s'imaginer à leur place. Comment réagirait-elle si quelqu'un de sa famille disparaissait du jour au lendemain et réapparaissait trois semaines plus tard, inconscient dans les bras d'une bande d'adolescents ? Elle aurait des dizaines de questions et ne saurait même pas par où commencer. Sans doute se méfierait-elle-même de ce que lui raconteraient ces jeunes.
Qui alerterait-elle en premier ? La police ? Les urgences ? Le reste de la famille ? Et si le problème était lié à l'autre monde, que fallait-il faire ?
Des éclats de voix, cette fois moins discrets, retentirent depuis le palier du premier étage. Alors que Glenn redescendait les escaliers, Élinor aperçut Ema en grande conversation avec Maël. Elle agitait les bras en tous sens et semblait furieuse. Qui ne l'aurait pas été à sa place ? Elle avait été mise de côté par les jumeaux Verminger alors qu'elle aurait pu aider à sauver sa sœur, la journée avait dû lui paraître interminable. Pas étonnant qu'elle fût autant en colère !
Pressée de rentrer chez elle pour se blottir sous sa couette et oublier cet épouvantable lundi, Élinor ouvrit la porte au surveillant et s'engouffra dehors à sa suite. L'air frais lui rafraîchit les idées. Elle laissa ses pensées dériver jusqu'au Sanctum et jusqu'à ces plaques gravées devant chaque alcôve. En effectuant quelques recherches, elle ne tarderait pas à découvrir le lien qui existait entre les noms et les dates apposées à côté. À vrai dire, elle avait déjà une petite idée sur la question...
« Bonne nuit, merci de m'avoir raccompagnée, salua-t-elle Glenn en franchissant le petit portillon du lycée qui menait aux résidences du personnel.
— C'est normal et puis je vais dormir là de toute manière, lui répondit-il avec un haussement d'épaules.
— Merci de nous avoir aidés », ajouta la jeune fille sans qu'il ne pût l'entendre.
Elle sourit en le regardant s'éloigner. Il avait beau faire comme si rien ne l'atteignait, il y avait au moins deux choses dont elle était certaine : il tenait à Maliah et ce qu'ils avaient découverts dans le repaire l'avait chamboulé plus qu'il ne voulait se l'avouer.
Après un énième bâillement bruyant, Élinor se dirigea vers chez ses parents. Son esprit avait beau bouillonner de milliers de théories, il lui fallait dormir un peu. Cela faisait des semaines qu'Eytan et elle tiraient sur la corde, ils avaient enfin gagné le droit de se reposer. On disait que la nuit portait conseil, c'était ce qu'elle allait voir.
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