37. Maël - Seconde expédition

(Me revoilà !)

Comme convenu la veille dans la soirée, Eytan, Glenn, Élinor, Léanne et Maël se retrouvèrent à neuf heures tapantes devant le magasin de sport du centre-ville. L'établissement avait à peine ouvert ses portes que le surveillant et les lycéens s'y engouffraient déjà, autant pour se protéger du froid que pour éviter d'être vus. C'était lundi, les cours avaient déjà commencé depuis une heure et si l'un d'entre eux croisait ses parents, il était assuré de passer un très mauvais quart d'heure.

« Ema et ton frère ne sont pas là ? demanda Élinor à voix basse en se plaçant aux côtés de Maël.

— Non, on ne voulait pas qu'elle prenne de risques et il fallait bien que l'un de nous deux la surveille sinon elle aurait été capable de nous suivre.

— Et elle était d'accord avec ça ?

— Pas du tout ! Mais on ne lui a pas vraiment laissé le choix. »

Une étincelle à la fois moqueuse et coupable dans le regard, l'adolescent repensa à la réaction d'Ema quand ils lui avaient annoncé qu'elle ne participerait pas à l'expédition. Dans un premier temps, elle avait cru à une blague de mauvais goût avant de réaliser que les jumeaux étaient on ne pouvait plus sérieux. Elle avait alors essayé d'argumenter, puis de s'opposer, avant de fondre en larmes en réalisant qu'ils ne cèderaient pas. Liam avait menacé de prévenir ses parents si elle tentait de sécher les cours et coincée, la collégienne avait capitulé à regret. Maël savait qu'ils l'avaient blessée en prenant cette décision sans la consulter et qu'ils auraient fort à faire pour se racheter, lui tout particulièrement. Une fois Maliah sauvée des griffes de son kidnappeur, il ferait de cette nouvelle mission sa priorité.

Pour être sûrs qu'Ema tiendrait parole et ne tenterait pas de les filer en douce, les jumeaux avaient décidé que l'un d'entre eux resterait au lycée et ferait des allers-retours jusqu'au collège à chaque pause afin de lui donner des nouvelles autant que pour la surveiller. Ils avaient tiré au sort et c'est Liam qui avait été désigné au grand soulagement de Maël. Il n'aurait jamais été capable de faire illusion en cours un œil sur Ema, l'autre sur son portable à s'inquiéter constamment du sort de son jumeau. C'était sans doute égoïste, mais au moins comme ça, les deux personnes auxquelles il tenait le plus étaient hors de danger et il pouvait se concentrer pleinement sur la mission de sauvetage.

« Vous voulez louer quoi ? » demanda Eytan.

Maël termina le message qu'il était en train d'écrire à son frère avant de répondre :

« Moi c'est bon, j'ai tout ce qu'il faut. »

Il désigna le gros sac sur son dos dans lequel se trouvait sa paire de rollers. Il n'en avait pas fait depuis des années et il lui avait fallu fouiller dans le grenier pour les retrouver, mais il supposait que c'était comme le vélo et que ça ne s'oubliait pas vraiment.

« Une trottinette pour moi.

— Moi aussi.

— Rien merci, j'ai mes rollers.

— Trois trottinettes pour louer pour la journée monsieur s'il vous plait », commanda le meneur de leur bande.

Le vendeur disparut dans l'arrière-boutique avant de revenir sur ses pas :

« Vous ne m'avez pas dit, vous les voulez électriques ?

— Non, merci ça ira.

— Je vais voir ce qu'il me reste alors, je ne vous garantis rien. »

Il revint pourtant moins de deux minutes plus tard avec ce qu'Eytan lui avait demandé :

« Et voilà les jeunes. Faites attention, ce sont de vieux modèles. Il y a une petite pédale, ici, qui entraîne la roue arrière si vous voulez moins poser le pied au sol, mais c'est plutôt fatigant à la longue et pas bien plus rapide. Enfin, c'est vous qui voyez ! »

Il leur sourit à pleines dents, dévoilant une rangée de bagues étincelantes.

« Vous avez de la chance. Moi aussi j'aimerais bien pouvoir sécher une journée ou deux pour profiter du beau temps ! Ça me rappelle ma jeunesse, quand on faisait le mur pour aller boire un verre au bar. Quelle que soit l'heure à laquelle on y allait, il y avait toujours ce gars au comptoir, un brave type, mais alors qu'est-ce qu'il causait !

— Allez, on s'en va, bonne journée monsieur ! »

Et sans laisser à leur interlocuteur le temps de réagir, Glenn poussa les quatre lycéens à l'extérieur du magasin.

« J'ai cru qu'il n'allait jamais s'arrêter de parler, rit l'un d'entre eux.

— Quel bavard !

— Ça c'est clair ! Eytan, tu es sûr de ton coup, il n'y a vraiment pas moyen d'y aller en voiture au lieu d'utiliser ces machins-là ?

— Non, désolé. J'ai suivi la trace de Maliah hier soir, elle finit à l'intérieur d'un passage souterrain dans la zone industrielle. J'ai essayé de m'éloigner pour voir si je ne retrouvais pas une piste un peu plus loin, mais ça n'a pas marché. Je crois qu'il n'y a pas mille solutions : il faut qu'on suive le même chemin qu'elle, ce sera le plus rapide.

— Si tu le dis... »

La motivation n'y était pas dans la voix du surveillant et Maël le soupçonna de s'ennuyer et de rêver d'un peu d'action quand n'importe qui d'autre aurait embrassé leur situation. D'après ce que les doubles de Léanne, Eytan et Glenn avaient rapporté concernant leur mission nocturne, cette dernière s'était avérée d'une facilité déconcertante. Ils avaient marché plusieurs heures en direction du sud avant de trouver l'entrée du repaire dans lequel le corps nocturne de Maliah était retenu captif et une fois à l'intérieur, ils n'avaient rien eu d'autre à faire que de le récupérer et ressortir sans croiser personne.

Bien que trop beau pour être vrai, cela valait mille fois mieux que d'être faits prisonniers ou même tués. Peut-être était-ce simplement qu'Ovard n'avait pas pris la peine de sécuriser les lieux, car il les pensait impossible à découvrir, car après tout, s'ils n'avaient pas eu la magie de traçage d'Eytan, ils n'auraient jamais su où aller.

Les grandes artères de la zone industrielle étaient désertes. Capuches sur la tête pour se protéger du froid et masquer leur visage, les cinq jeunes avançaient d'un pas rapide sans parler. Contrairement à ce qu'avait dit le vendeur, le temps n'était pas des plus cléments et le ciel se parait de nuages sombres à mesures que le soleil continuait sa course vers le zénith.

« Faites qu'on trouve cette entrée avant de finir trempés », maugréa Glenn sans plus essayer de cacher sa mauvaise humeur.

Personne ne lui répondit. Ils longèrent l'usine pharmaceutique et doigts croisés dans ses poches, Maël pria pour ne rencontrer personne. Il avait travaillé là en tant qu'ouvrier l'été passé et son père était l'un des trois chefs de laboratoire. Si quelqu'un reconnaissait son fils, il ne manquerait pas d'être averti et le jeune homme imaginait déjà la dérouillée qu'il se prendrait pour avoir séché les cours.

Eytan s'arrêta près d'un bâtiment désaffecté. Dans son dos, une porte en bois brut se fondait dans le décor et pouvait facilement passer inaperçu pour qui n'y eût pas regardé de plus près.

« C'est ici qu'on entre, souffla l'adolescent, j'ai déjà essayé hier, ce n'est pas fermé. »

Ben voyons. Ce constat ressemblait drôlement au schéma nocturne. Ovard était-il vraiment si confiant ou cela cachait-il autre chose ? Il n'y avait malheureusement qu'un moyen de le savoir et pour cela, ils devaient se jeter dans la gueule du loup.

Les uns derrière les autres, Glenn et les lycéens pénétrèrent dans un couloir sombre. Dernier de file, Maël referma la porte puis, comme convenu, il sortit une lampe de poche de son sac à dos et l'alluma. Chacun en fit autant et la pénombre de lieux recula pour laisser place à un boyau qui s'enfonçait dans les entrailles de la terre. Heureusement pour eux, le sol, bien qu'en terre, paraissait en bon état ce qui leur permettrait de progresser rapidement sur leurs rollers et trottinettes.

« Allons-y, chuchota Élinor en ajustant un casque sur ses lourdes boucles brunes. On te suit Eytan.

— Vous êtes sûrs que votre machin fonctionne ? questionna le plus âgé d'entre eux en désignant l'artefact que l'adolescent tenait dans la main.

— Certain, la trace est claire, il n'y a pas d'erreur possible.

— Alors pourquoi es-tu le seul à la voir ? »

Une fois n'était pas coutume, ce fut Maël qui perdit son sang-froid le premier.

« Bon Glenn, on a tous bien compris que tu préfèrerais être n'importe où ailleurs plutôt qu'ici, mais pour une raison qui me dépasse, tu as quand même décidé de te joindre à nous. Alors sois tu fais l'effort de te montrer plus aimable, soit tu fermes ta grande bouche et tu avances en silence. T'entendre te plaindre commence vraiment à me taper sur le système et si ça continue, c'est ma main qui va taper sur autre chose, c'est clair ? »

Ils avaient beau faire la même taille, il n'y avait aucun doute à avoir quant au résultat s'ils en venaient à se battre. Maël était bien plus musclé et imposant que le surveillant et il n'aurait aucune difficulté à l'envoyer au tapis en quelques coups. Ses yeux brillaient d'une lueur dangereuse et face à la menace, le rouquin capitula. S'il cherchait un peu d'action comme le soupçonnait son rival du moment, il n'était pas pour autant suicidaire. Si c'était peut-être différent dans le monde nocturne, la loi du plus fort régnait toujours dans celui-ci.

Le groupe se mit en route en silence.

Pendant près d'une demi-heure, le boyau s'enfonça sous terre en pente douce et quand enfin il redevint plat, plusieurs d'entre eux soupirèrent de soulagement. Ils percevaient à peine le bruit du tonnerre grondant à l'extérieur.

« Je ne sais pas à quelle profondeur on est, mais il faut voir le bon côté des choses, au moins ici on est à l'abri. »

Élinor, puis Léanne avaient tenté à plusieurs reprises de détendre l'atmosphère, sans réel succès. En tête de file, Eytan était aussi taciturne que d'accoutumée, concentré sur la trace qu'ils suivaient bien qu'il n'y eût pour le moment qu'un seul chemin et à l'arrière, Glenn ne décolérait pas. Maël sourit aux deux filles en haussant les épaules, l'air désolé.

Après ce qui leur parut des jours loin de la lumière du soleil, mais qui ne dura en réalité qu'une poignée d'heures, le groupe déboucha enfin dans une salle circulaire faisant office d'intersection. En face et sur leur droite, deux tunnels identiques à celui qu'ils venaient de quitter s'enfonçaient dans le noir. Sur leur gauche, une porte en bois entrouverte leur tendait les bras.

« Il aurait mis un panneau « Bienvenue dans mon humble demeure » que je n'en serais même plus étonné », ironisa Maël d'une voix tendue.

Il profita de leur arrêt temporaire pour attraper son téléphone et tenir son frère au courant de leur progression. Ce dernier lui répondit dans la seconde, apaisant légèrement la tension qui l'habitait.

Liam
Ici RAS, Ema le prend mieux que prévu. Faites attention à vous.

« Il faut bien que quelqu'un d'autre se dévoue, elle ne va pas rester seule !

— Hors de question que ce soit moi, je n'ai pas fait tout ce chemin pour rester devant la porte.

— Je suis désolée Eytan, mais je ne vous laisse pas tous les deux seuls dans la même pièce, on sait comment ça a fini la dernière fois...

— Bon très bien. Dans ce cas, il ne reste plus que...

— Moi, compléta Maël en relevant la tête et en rangeant son portable dans sa poche. Pas de souci, je reste avec Léanne et si quelqu'un arrive, on vous appelle. Faites-nous signe si vous avez besoin d'un coup de main. »

Bien qu'il préférât l'action à l'attente, l'adolescent était soulagé de ne plus avoir à supporter la rivalité pesante d'Eytan et de Glenn. Il ne connaissait pas l'histoire entre ces deux-là, mais les voir se lancer des piques et des regards assassins à longueur de temps alors qu'ils auraient dû se serrer les coudes lui mettait les nerfs à vif. Son jumeau et lui avaient beau passer leur temps à se chamailler, ils savaient faire la part des choses quand la situation l'exigeait.

La porte en bois se referma sur le trio. Maël poussa un soupir de soulagement.

« Je ne sais pas comment Maliah fait pour les supporter ces deux-là », sourit Léanne.

Elle empoigna sa trottinette et la fit rouler jusque dans la pénombre du tunnel par lequel ils étaient arrivés. Comprenant où elle voulait en venir, le jeune homme lui donna un coup de main et attrapa les rollers abandonnés contre le mur par Élinor : si quelqu'un venait par ici, il y aurait ainsi deux chances sur trois qu'ils ne se fissent pas repérer.

Une fois l'intersection dégagée, les deux adolescents s'adossèrent contre le mur face à la porte du repaire. Au-dessus de leurs têtes, le tonnerre gronda, tout proche. Le tunnel avait dû remonter sans qu'ils s'en rendissent compte, car ils paraissaient tout à coup très proche de la surface. Maël jeta un coup d'œil en biais à la jeune fille qui se tenait sur sa gauche.

Elle avait l'air pensive, presque effrayée. Menue, elle ressemblait à un petit oiseau fragile avec ses courts cheveux blonds en bataille et son profil aux traits enfantins. Les bras croisés sur sa poitrine, elle se frottait vigoureusement les bras comme si elle avait froid et lorsque l'orage retentit à nouveau, elle sursauta.

« Tiens, prends mon manteau si tu as froid, proposa le jeune homme en le retirant. Je n'en ai pas besoin. »

Il avait effectivement souvent trop chaud et ne portait qu'un léger pull et un tee-shirt sous sa parka. Léanne l'enfila en le remerciant d'un signe de tête, puis sans qu'il l'eût invitée, elle vint se coller contre lui en frissonnant. Au bout de quelques secondes, il sentit ses mains glisser sous son pull, le long de ses hanches.

« Hey, tu fais quoi là ? cria-t-il malgré lui en lui saisissant les poignets.

— Je me réchauffe, tu ne veux pas ? »

Il la repoussa gentiment, mais fermement. Peut-être pas si fragile que ça finalement... Un petit animal farouche plutôt, ne put-il s'empêcher de penser en remarquant la lueur espiègle dans l'ambre des yeux de la jeune fille. Gêné, il détourna la tête pour reporter son attention sur la porte. En soirée, un verre à la main, il était le premier à jouer de son charme pour s'amuser et draguer filles et garçons, mais dans ce tunnel sombre alors qu'un kidnappeur psychopathe rôdait dans le coin, il était loin de se sentir d'humeur légère.

« Qu'est-ce que ?

— Chut », susurra Léanne à son oreille.

Profitant de ce qu'il ne la regardait pas, l'adolescente s'était à nouveau pressée contre lui, mais cette fois, elle le plaquait contre le mur de terre avec une force surhumaine. Les deux mains sur ses épaules, un sourire amusé sur les lèvres, elle avait les joues rouges et le regard fiévreux.

« Lâche-moi, grogna Maël, c'est quoi ton problème ?

— Je veux juste m'amuser un peu... Tu ne sens pas cette tension qui règne ? »

Il aurait peut-être dû aller avec les autres finalement... Ses muscles d'athlète bandés, le jeune homme repoussa Léanne avec une violence telle qu'elle bascula sur le sol. En position de force, il se pencha sur elle et déclara d'un ton cassant :

« Je ne sais pas ce qui te prend, mais la seule raison pour laquelle je suis ici, c'est pour sauver Maliah, pas flirter. Elle m'avait bien dit que tu étais devenue bizarre, mais je ne m'attendais pas à... ça.

— Je voulais simplement passer le temps... »

Il ignora son air faussement blessé.

« À partir de maintenant, c'est chacun devant son tunnel et plus un mot jusqu'à nouvel ordre, c'est clair ? »

Sans attendre de réponse, Maël s'éloigna de l'adolescente et se planta dans la pénombre du tunnel à l'opposé de celui par lequel ils étaient arrivés. Il la regarda se relever et fut soulagé de la voir obtempérer.

Malgré lui, il laissa ses pensées dériver vers Ema. Elle était la première fille à laquelle il s'intéressait et ironie du sort, il avait fallu que ce fût la sœur de sa meilleure amie. Ils devaient absolument réussir à la sauver. Dans le cas contraire, Ema ne lui pardonnerait jamais de l'avoir laissée de côté.

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