32. Colleen - Dérapage contrôlé

Colleen n'avait pas prononcé un mot pendant toute la durée de cette réunion secrète. Debout contre un rayonnage, un pied appuyé sur la reliure des livres exposé sur la première étagère, elle était restée sans bouger durant la demi-heure qu'il avait fallu à Eytan pour leur exposer son plan. Il était on ne pouvait plus simple.

Le soir-même au coucher du soleil, les doubles nocturnes d'Eytan, de Glenn et de Léanne - autrement dit elle-même - se rejoindraient aux abords de la ville, près du lac d'Illun. À partir de là et avec l'énergie que lui apportait la réserve d'eau, le mage serait capable d'utiliser un sort pour localiser la trace du double de Maliah. Ils n'auraient ensuite plus qu'à la remonter pour déterminer où elle se trouvait et où que ce fût, entrer par effraction, mettre hors d'état de nuire les potentiels ennemis, puis repartir avec elle. Sur le papier, c'était on ne pouvait plus élémentaire. Sauf qu'ils n'étaient que trois, qu'Eytan n'était pas sûr que son sort fonctionnât - il avait déjà échoué à l'utiliser peu après la disparition de leur amie - et que cet Ovard semblait tout aussi dangereux et puissant que Mickaël.

Mais tout allait bien se passer.

Si cette partie du plan réussissait, la seconde serait plus facile. Le lendemain, le groupe improvisé de sauveteurs présents dans la salle se réunirait chez Eytan une fois sa mère partie travailler. Ils utiliseraient ensuite l'artefact qu'Élinor et lui avaient fabriqué afin d'invoquer une magie capable de localiser n'importe qui. Il leur suffirait ensuite de remonter une nouvelle fois la piste, d'entrer par effraction, d'éliminer les potentiels ennemis, puis de repartir avec Maliah.

Deux mondes parallèles.

Deux plans similaires.

Si Colleen n'avait pas eu connaissance de l'existence des artefacts par le biais de Mickaël, elle aurait ri au nez d'Eytan lorsqu'il leur avait présenté le leur. Cet assemblage bancal d'un bout de bois et d'un gros caillou avait de quoi faire sourire plus d'un et pourtant, les visages étaient restés solennels durant toute la présentation du jeune homme. Chacun savait à quel point il tenait à Maliah et cela semblait suffire à les convaincre qu'il ne les menait pas en bateau.

« Vous êtes sûrs qu'à trois vos doubles ont une chance de s'en sortir ? »

La question provenait d'un des jumeaux Verminger, celui qui semblait le plus calme des deux.

« N'y a-t-il pas un moyen de trouver d'autres personnes ? Ou de faire en sorte que nous arrivions à communiquer avec nos doubles comme vous le faites ?

- Si je connaissais un moyen, je vous en aurais parlé depuis longtemps... soupira Eytan avec un sourire forcé en direction d'Ema.

- Je n'arrive pas à comprendre comment c'est possible que vous fassiez ça.

- Honnêtement, moi non plus. »

Colleen se mordit la langue pour ne pas intervenir. Bien sûr qu'elle connaissait un moyen et malgré l'interdiction formelle d'Amandine de dévoiler leur secret, elle ne put s'empêcher d'intercepter la petite sœur de Maliah juste avant qu'elle ne sortît de la bibliothèque et de lui chuchoter au creux de l'oreille :

« Tu sais garder un secret ? »

La collégienne hocha la tête en fronçant les sourcils. Elle avait le même regard franc que sa sœur et c'est ce qui incita la jeune fille à lui faire confiance.

« Il existe un autre artefact capable d'exaucer tes souhaits et si ce soir nous échouons à trois, je te l'amènerai demain pour que tu puisses décider si tu veux l'utiliser.

- Pourquoi pas maintenant ?

- Utiliser la magie dans ce monde n'est pas sans risque et la pyramide n'est pas... »

Elle allait dire « chez moi », mais s'était retenue juste à temps. À vrai dire, elle en avait déjà bien trop révélé.

« C'est par amitié pour Maliah que je te dis tout ça, mais si tu en parles à qui que ce soit, tu le regretteras, c'est clair ? »

En une seconde, son visage d'ange était devenu celui, menaçant, d'un chasseur prêt à bondir sur sa proie. L'ambre de ses iris s'était teinté de noir et par réflexe, elle avait pris une posture d'attaque. Ema eut la réaction escomptée. Les yeux écarquillés d'effroi et bordés de larmes, la bouche ouverte sur un cri muet, elle acquiesça vaguement à la question d'un mouvement de tête avant de s'enfuir sans demander son reste en direction de Liam et Maël qui l'attendaient un peu plus loin.

Bravo pour la discrétion, se morigéna Colleen en se donnant une tape sur le front, puis elle se dirigea à son tour d'un pas tranquille vers la sortie du lycée.

Il restait encore quelques heures avant que l'après-midi ne touchât à sa fin et profitant, une fois n'était pas coutume, d'un ciel bleu et d'un temps sec, la jeune fille décida de passer devant chez les Savary. Cela faisait un long détour avant de rentrer chez elle, mais puisqu'Amandine ne semblait pas pressée de mettre leur plan à exécution, car elles avaient le temps comme elle le lui répétait chaque soir lorsqu'elles se croisaient à la sortie des cours, elle avait décidé de prendre les devants. Après tout, ce n'était pas parce que la rouquine était en possession de l'artefact qu'elle devait avoir le dernier mot sur tout ce qu'elles entreprenaient.

Lorsque la maison de la famille de Louis et Alison apparut dans son champ de vision, Colleen n'avait toujours pas la moindre idée de ce qu'elle allait faire. Frapper comme la dernière fois ? Bien que l'idée fût tentante, il y avait toutes les chances que les parents fussent là et elle n'avait pas trouvé d'excuse valable pour expliquer sa présence dans les parages un dimanche après-midi. Elle pouvait toujours dire qu'elle était une amie de leur fille et qu'elle passait la voir, mais cette dernière était en ce moment même sur le continent et ils auraient tôt fait de la renvoyer.

Pour se donner bonne conscience, l'adolescente sortit son téléphone et composa le numéro d'Amandine. Cette dernière décrocha à la première sonnerie.

« Salut, comment ça va ?

- Ça va et toi, qu'est-ce que tu veux ?

- Tu ne devineras jamais où je suis !

- Comment voudrais-tu que je... Colleen ? Qu'est-ce que tu fiches ici ?

- C'est qui elle ? »

Les voix avaient surgi simultanément du haut-parleur de son portable et dans son dos. Réalisant ce que cela signifiait et surtout à qui appartenait la petite voix fluette, la jeune fille se retourna d'un bond en raccrochant. Tentant de se cacher, Amandine et Louis avaient fait demi-tour à l'angle de l'impasse, mais pas assez vite pour échapper à son œil vif. Sans perdre une seconde, Colleen courut dans leur direction. Quelle que fût la raison pour laquelle sa partenaire se trouvait là en compagnie de leur cible, elle lui devait des explications et vite !

« Ça ne sert à rien de vous planquer, je vous ai vus tous les deux !

- Amy, pourquoi elle nous poursuit et pourquoi on se cache ? Elle est méchante ?

- Chut, Louis, tais-toi. »

Pour la discrétion, ils pourraient repasser un autre jour. Un sourire victorieux au coin des lèvres, Colleen contourna un petit muret, puis bras croisés sur sa poitrine, sourcils froncés, elle somma les deux fuyards de se relever. Alors qu'Amandine se plantait face à elle l'air plus énervée que gênée, le petit garçon qui l'accompagnait se cachait derrière elle. Le regard fixé sur des chaussures usées, les joues rouges, il essayait de se rendre invisible, les mains accrochées au manteau de la rouquine.

« Qu'est-ce que tu viens faire là ? interrogea cette dernière d'une voix agressive.

- C'est à moi que tu demandes ça ? Je te retourne la question ! Non seulement tu n'as même pas pris la peine de me prévenir, mais en plus tu es avec le petit. Je croyais qu'on était une équipe et qu'on avait le temps. Que des mensonges !

- Ça va, calme-toi. C'est justement à cause de ton tempérament excessif que je n'ai pas voulu te mêler à ça tout de suite, il fallait d'abord que je...

- Que quoi ? Que tu fasses tout toute seule pour t'attribuer tous les lauriers et reconquérir le cœur de Mickaël. Tu es si jalouse, c'est incroyable... »

La main d'Amandine claqua sur sa joue. Déjà la marque de ses doigts s'imprimait sur sa peau pâle alors que la colère lui montait à la tête. Ç'en était fini de jouer, elle allait voir ce qu'elle allait voir ! Prise d'une rage animale qu'elle ne chercha pas à contenir, Colleen se jeta sur son interlocutrice. Alors qu'elles roulaient à terre sous le regard apeuré de Louis, elle se jucha à califourchon sur elle et en profita pour fouiller ses poches à la recherche de...

« C'est ça que tu veux ? »

Une main au-dessus de sa tête, l'autre en appui sur le sol pour se redresser, Amandine brandissait l'artefact de Mickaël. Inatteignable.

« Ce n'est pas un jeu, il faut d'abord que nous décidions de comment...

- J'en ai marre de te laisser décider. Tu as déjà pensé à arrêter de réfléchir ? »

Et sans lui laisser le temps de répliquer, la jeune fille blonde posa ses lèvres sur celles de la rouquine. Sous la surprise, cette dernière se laissa faire et lorsque Colleen agrippa ses boucles cuivrées d'une main ferme pour la faire basculer sur l'herbe fraîche, elle poussa un petit gémissement et entrouvrit la bouche. Celle qui dominait se pressa davantage contre elle et leurs langues se mêlèrent en une danse aussi furieuse que passionnée.

Leur étreinte fut brève et après quelques secondes seulement, Colleen se releva, le souffle court et les cheveux en bataille. Son teint avait pris une couleur pivoine qui pour une fois n'était pas contrôlée.

« Tu vois, souffla-t-elle en remettant de l'ordre dans sa tenue, je t'avais dit que tu aimerais ça... »

Sous le choc, Amandine ne répondit pas de suite. Elle prit le temps de s'asseoir, inspira et expira à plusieurs reprises avant de simplement déclarer :

« Je crois que Louis est parti. Il faudrait le rattraper avant qu'il n'alerte tout le voisinage... »

Colleen lui sourit d'un air amusé, puis s'élança en direction de l'impasse qui abritait la maison des Savary. En trois secondes, elle avait rejoint le garçon.

« Bonjour Louis, excuse-moi de t'avoir fait peur. Je m'appelle Colleen, on ne dirait pas comme ça, mais je suis une amie d'Amandine.

- Amy tu veux dire ?

- Heu... oui c'est ça. »

Il lui semblait effectivement avoir entendu ce surnom dans la bouche du petit quand elle les avait poursuivis.

« Est-ce que tu sais garder un secret ? Je voudrais te montrer quelque chose. »

C'était la seconde fois en quelques heures que la jeune fille posait cette question, mais cette fois, le ton était doux et encourageant. Pas de menace, elle ne devait surtout pas l'effrayer.

« Tu as déjà vu un objet aussi joli ? »

La petite pyramide noire et or que leur avait confié Mickaël trônait dans sa paume. Sous les rayons du soleil descendant, elle brillait d'une lueur presque mystique qui fit ouvrir de stupéfaction la bouche de Louis. Malgré sa méfiance, il se rapprocha d'elle pour mieux voir.

« C'est pour moi ? souffla-t-il en tendant la main.

- Bien sûr, c'est un cadeau qu'Amy gardait pour toi et je pense qu'il est grand temps que tu l'aies.

- Colleen ne fais pas ça ! »

La silhouette d'Amandine était apparue à l'autre bout de la rue, trop loin pour intervenir à temps.

« Il faut juste que tu fasses tourner la partie dorée entre tes doigts pour l'ouvrir. Vas-y, essaie. »

Sa partenaire les rejoignit au moment où le petit garçon s'exécutait.

« Ce baiser, c'était juste pour...

- Eh oui ! Même si je dois avouer que c'était loin d'être désagréable... »

Cette fois, Colleen intercepta la main de son interlocutrice avant qu'elle n'atteignît sa joue. Elle avait joué de sa naïveté et avait remporté la manche, il était à présent temps qu'elles s'allient, car à leurs pieds gisait le corps inanimé de Louis Savary.

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