30. L'Illusionniste - A jamais

Elle n'était plus ni mage ni hybride.

Non, Maliah n'était plus rien. Une simple humaine au mieux.

Elle avait réussi.

En moins de trois semaines, elle avait fait de cette fille son chef-d'œuvre, son plus grand succès.

Au moment où le dernier rayon de soleil avait disparu derrière l'horizon, l'Illusionniste s'était empressée de faire basculer son âme dans l'autre monde. Cela faisait des dizaines d'années qu'elle le faisait chaque soir et elle maîtrisait ce phénomène à la perfection. Elle n'avait besoin ni de se concentrer ni de s'endormir et au cours d'une nuit elle était capable de passer à sa guise d'un monde à l'autre aussi facilement que de respirer.

Habituellement peu émotive, celle qui se présentait encore une fois sous les traits d'une jeune femme blonde et sous l'identité de Chloé ressentait une certaine impatience. Elle marchait d'un pas vif en direction de la cellule de sa pensionnaire star et dans quelques instants elle pourrait enfin vérifier que celle-ci se portait bien.

Les pierres irrégulières sous ses pieds résonnaient dans le sombre couloir des cellules. Sans pouvoir s'en empêcher, l'Illusionniste sondait les esprits des quelques sujets encore en vie qui résidaient derrière les portes closes et insonorisées devant lesquelles elle passait.

Là, une femme-hybride que Glenn lui avait livrée un mois plus tôt et qui ne lui avait pas encore été utile. Plongée dans un coma artificiel, elle rêvait d'une carrière de journaliste internationale qu'elle ne vivrait probablement jamais.

Plus loin, un mage enfermé depuis presque trois mois, délirait sur les multiples moyens dont il pourrait se servir pour mettre fin à ses jours. Malheureusement pour lui, sa geôlière lui avait enserré les poignets dans des chaînes anti-magie et il ne pouvait que rester immobile à attendre qu'elle vînt le chercher. Face à ces pensées macabres, l'Illusionniste se promit de mettre rapidement fin à ses souffrances. Il lui avait bien servi et si Maliah était toujours en vie ainsi que son cristal, alors il ne servait à rien de prolonger ses tourments. Et justement...

Toc, toc, toc.

Avec une déférence feinte, la femme frappa à la porte de sa prisonnière avant d'entrer. Un instant, elle avait oublié que l'ouverture était insonorisée et cette omission la fit sourire. Sur un petit lit en bois surmonté de paille, Maliah gisait les yeux grands ouverts. Les pieds et mains exceptionnellement liés pour qu'elle ne pût pas se faire de mal, elle ne pouvait que bouger le cou. C'était une nuit sans lune et il fallut à l'Illusionniste toute sa concentration pour apercevoir son visage. Marqué par la fatigue et trois semaines de sessions douloureuses bien que nécessaires, il ne trahissait aucune émotion. Sans toucher celle qui n'était à présent plus qu'une humaine dans un monde de magie, la propriétaire des lieux s'avéra incapable de lire ses pensées. C'était comme si elle était... vide.

Inquiète, l'Illusionniste se précipita au chevet de Maliah et posa ses deux paumes à plat sur les côtés de son crâne. Était-il possible que... ? Non, ça ne pouvait pas être si...

Eytan, Ema, papa, maman.

Eytan, Ema, papa, maman.

Eytan, Ema, papa, maman.

Comme une litanie douloureuse et entêtante, seuls ces quatre mots tournaient dans l'esprit de la jeune fille. Sa mémoire à court et moyen était aussi vierge que celle d'un nouveau-né et en creusant un peu plus profondément, sa tortionnaire se rendit compte que celle à long terme était elle aussi endommagée. À force de jouer avec, elle l'avait sans aucun doute irrémédiablement altérée et il était difficile à dire si dans ces conditions, Maliah serait un jour capable de redevenir elle-même.

« Dommage, souffla l'Illusionniste, tu étais devenue une compagne intéressante. Pour te remercier de ton sacrifice, je vais te délivrer de ta souffrance. Tu ne mourras pas tout de suite, mais je te promets que tu ne sentiras rien. »

Avec une infinie douceur, elle caressa ses cheveux gras et abîmés, puis embrassa son front.

« Tu lui ressembles tellement... Elle aussi avait cet air paisible aux portes de la mort... »

Elle suivit la courbe délicate et anguleuse de son visage avec ses doigts, s'assit pour prendre la tête de la jeune fille sur ses cuisses.

« Que ton esprit s'envole vers le pays des rêves », murmura-t-elle d'une voix ferme alors qu'un éclat de lumière explosait dans la cellule et l'obligeait à fermer les yeux.

Dans ses bras, Maliah s'agita. Sans doute essayait-elle de se libérer de son emprise, mais la pression que la femme blonde exerçait sur son crâne l'en empêcha.

« Chut, calme-toi, c'est bientôt fini. Pendant que tu t'endors, je vais te raconter une histoire. Peut-être pourras-tu me pardonner. Je sais que tu ne te rappelles pas ce que je t'ai expliqué hier au sujet de la composition des cristaux, mais je suis sûre qu'il reste quelque part au fond de ta mémoire des souvenirs de tes amies Clarie et Léanne. Tu te rappelles d'elles ? »

Par transposition, les visages des deux filles apparurent dans l'esprit de l'Illusionniste. D'abord flous, ils devinrent aussi nets que si elles s'étaient trouvées devant elles.

« Oui, c'est bien elles et c'est en partie de ma faute si elles sont mortes. Elles sont toutes les deux venues avant toi dans cet endroit et si contrairement à toi elles en sont ressorties, elles n'y ont malheureusement pas survécu pour autant. Tu veux savoir pourquoi ? Et bien Clarie, je crois que j'ai détraqué sa mémoire et sa perception de la réalité à force d'expérimentations. Ce n'était pas volontaire, et comme pour tout projet scientifique, on n'obtient pas de résultat sans faire d'erreur, mais quand même, elle a eu une bien triste fin. Quant à tous ceux qu'elle a tués... je m'en sens également responsable. »

La respiration de Maliah s'était accélérée. Malgré son envie d'en finir, elle luttait encore. Son instinct de survie était si puissant que sa tortionnaire douta un instant que le sort qu'elle venait de lancer fît effet.

« Pour Léanne, c'est un peu différent. J'ai prélevé un infime morceau de son cristal et je l'ai greffé sur celui d'une autre personne. Je voulais voir ce qui se passerait pour ces deux âmes aussi bien dans le monde diurne que nocturne et je n'ai pas été déçue ! La passion, l'amour, la haine. À vrai dire, tout ceci n'était même pas mon idée, même si je dois avouer que l'expérience m'a plu. Dommage que l'humaine n'ait pas été assez forte pour survivre à tout ça... »

Tout en berçant le corps de sa prisonnière désormais uniquement animé par une respiration lente et profonde, l'Illusionniste laissa son esprit errer. Elle avait commis tant d'erreurs, causé la mort de tant de personnes dans l'espoir de réparer ce que Mickaël, sa sœur et elle avaient fait. Le sacrifice de quelques-uns pour la survie du plus grand nombre, c'était ce qu'ils se répétaient toujours, mais après autant de temps, devaient-ils encore continuer ?

Avec une infinie douceur, elle déposa la tête de Maliah sur son matelas de paille, puis se releva.

« Que ton esprit s'envole vers le pays des rêves », chuchota-t-elle une nouvelle fois en refermant la porte derrière elle.

Bientôt, Eytan et ses amis viendraient la chercher et s'ils ne pourraient la sauver, ils auraient au moins l'occasion de lui dire adieu. C'était plus que ce qu'elle aurait jamais.

Avec un sourire mélancolique, l'Illusionniste s'éloigna d'un pas serein en direction de la salle d'expérimentations. Dans un coin, une machine bipait au rythme régulier des battements d'un cœur et en son sein brillait un cristal. Vivant. C'était le plus bel objet qu'il lui avait été donné de voir et bientôt, d'autres viendraient lui tenir compagnie, beaucoup d'autres.

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