25. Élinor - Un pari risqué
« Moi qui me croyais tranquille planqué ici, c'est bien trop fréquenté pour une réserve », se plaignit le surveillant en levant le regard vers Élinor.
Malgré le piètre éclairage de la pièce, la jeune fille remarqua son sourire en coin. Son interlocuteur était adossé contre une étagère poussiéreuse croulant sous de vieux manuels scolaires et lorsqu'il se redressa pour lui tendre la main, un nuage blanchâtre se souleva et la fit tousser.
« Je m'appelle Glenn, se présenta l'homme aux cheveux roux quand sa quinte se fut calmée, mais si tu es là c'est que tu le sais déjà. Toi tu es Élinor, la fille de la bibliothécaire avec qui je travaille le vendredi. Que me vaut l'honneur de cette visite en ce lieu si romantique ? »
Il chercha à la sonder de ses yeux sombres pour l'intimider, mais l'adolescente maintint le contact visuel sans flancher. Elle s'était préparée à cette rencontre depuis plusieurs jours et si elle avait eu quelques longues minutes d'hésitation avant de franchir le seuil de la réserve, il était maintenant hors de question de reculer.
Cachée derrière une étagère au fond de la bibliothèque, elle avait assisté aux premières loges à l'altercation entre Eytan et le surveillant. Ils n'avaient même pas pris la peine de vérifier que la porte était fermée avant de se battre et heureusement pour eux, il n'y avait eu personne pour les entendre en cette matinée de rentrée. Personne à part Élinor qui s'était bien gardée d'intervenir, espérant encore au fond d'elle que les deux hommes trouveraient un terrain d'entente pour s'allier. Mais c'était sans compter sur leur fierté respective et à part se menacer et se mentir, ils n'étaient arrivés à rien. Pour la lycéenne, cette rivalité avait assez duré et il était grand temps qu'elle intervînt.
Elle avait attendu qu'Eytan eût rejoint sa table habituelle pour pénétrer dans la réserve. Elle s'attendait à tomber sur un Glenn hors de lui et prêt à déverser sa rage sur elle, mais au lieu de ça, le surveillant avait paru accablé, presque effrayé. Il semblait en tout cas bien plus humain que ce que son ami d'enfance sous-entendait et c'était ce qui l'avait convaincue de lui faire confiance.
« Pour résumer les choses et parce que nous n'avons pas beaucoup de temps avant que quelqu'un ne nous trouve ici, je vais faire court, commença la jeune fille. J'ai tout entendu de la conversation que vous venez d'avoir avec Eytan et au-delà de ça, je suis au courant pour Maliah, le monde nocturne et ce Ovard qui vous menace. »
Sans remarquer le sourcil étonné que son interlocuteur souleva à l'évocation de ce prénom, Élinor enchaîna ses explications.
« Pour ma part, je n'ai que ma mémoire du monde diurne, mais vous comme Eytan avez la capacité de vous souvenir de tout. Je ne sais pas comment c'est possible, mais aujourd'hui, nous en avons besoin et si vous consentiez à vous parler franchement au lieu de vous taper dessus...
— Qu'est-ce que tu attends de moi ? »
Il s'impatientait. Les bras croisés sur son torse, il battait la mesure avec son pied droit en regardant la porte derrière elle. Si elle n'arrivait pas à capter rapidement son attention, la jeune fille n'obtiendrait jamais ce qu'elle voudrait. Après une inspiration profonde pour se donner du courage, elle tenta le tout pour le tout.
« J'ai besoin de votre aide pour sauver Maliah et vu ce qui vient de se passer, Eytan ferait mieux de ne pas être au courant.
— Besoin de moi pour... sauver Maliah ? Elle est bien bonne celle-là ! »
Un fou rire qu'Élinor aurait caractérisé de nerveux, secoua son interlocuteur.
« Comment sais-tu qu'elle n'est pas déjà morte ? l'interrogea Glenn en la défiant du regard. Aux dernières nouvelles, elle s'est sacrifiée pour sauver la vie de ton misérable ami.
— Je ne suis sûre de rien et vous, comment savez-vous qu'elle n'est pas encore vivante ? »
La question eut le mérite de calmer le surveillant qui reprit un air sérieux.
« Si vous avez la moindre preuve qu'il n'y a aucune chance de la sauver, montrez-la-moi et je m'en vais sur le champ, mais si jamais la moindre chance subsiste... ne voudriez-vous pas la saisir pour vous racheter ? »
Ce que la jeune fille ne disait pas, c'était qu'Eytan avait utilisé son sixième sens la nuit de la disparition de Maliah et s'il n'avait pas réussi à remonter sa trace, il avait capté suffisament de son aura pour en conclure qu'elle était encore de ce monde. Et si son corps nocturne vivait, alors son âme et donc son corps diurne aussi. Mais ça, Glenn n'avait pas besoin de le savoir.
« Très bien, répondit ce dernier à contrecœur, je veux bien t'écouter, mais à moins d'une urgence absolue, je ne veux en aucun cas avoir affaire à Eytan. Maliah l'aimait peut-être, mais pas moi et je ne lui dois rien. Sans compter que sans lui, elle serait encore là. »
Élinor soupira bruyamment, elle avait beau avoir remporté une bataille, la guerre était loin d'être terminée. Elle fouilla quelques secondes dans son sac et en sortit une feuille de papier pliée en quatre qu'elle tendit au surveillant.
« Ça, c'est notre meilleure piste. Je ne pense pas qu'il soit prudent de parler de tout ça ici alors je propose que nous en restions là. Si ça vous va, nous pouvons nous retrouver à midi à l'angle des résidences et du bâtiment des sciences. Je ne mange pas à la cantine, ça nous laissera presque une heure pour discuter et je connais un endroit à l'abri des oreilles indiscrètes. C'est bon pour vous ? »
L'indifférence avait fait place à la curiosité sur les traits Glenn. Quand il prit la feuille qu'elle lui tendait, il ne put s'empêcher de la déplier pour la parcourir du regard et quand il la fixa de nouveau de ses yeux noirs, une lueur d'impatience les illuminait.
« Je ne m'engage à rien, mais je veux bien étudier ta... proposition, concéda-t-il en rangeant le papier dans la poche arrière de son pantalon. Si cela peut nous donner une chance de sauver Maliah, considère que je suis de votre côté sur ce coup-là. »
Il la contourna, jeta un coup d'œil à l'extérieur pour vérifier que personne ne les voyait, puis ouvrit la porte en grand.
« À tout à l'heure.
— Merci », souffla la jeune fille en s'éloignant, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.
Elle qui d'habitude évitait la plupart des contacts humains, se sentait fière d'avoir réussi sa mission sans faillir. Quand il s'était mis à rire, elle avait bien cru que le surveillant ne l'écouterait jamais et il s'en était fallu de peu pour qu'elle se fût exposée pour rien. Si Glenn était aussi peu digne de confiance que le disait Eytan, cette conversation était peut-être le début d'une série d'ennuis, mais à ce moment précis, Élinor ne s'en souciait pas. Elle flottait sur un petit nuage de satisfaction égocentrique.
Après un rapide passage aux toilettes pour se passer de l'eau sur le visage et essuyer ses mains moites de peur, la lycéenne se dirigea vers sa salle de littérature. Elle s'assit au premier rang comme à son habitude et sortit le roman de Zola qu'ils étaient en train d'étudier. Alors qu'elle aurait dû se plonger corps et âme dans la lecture d'une description longue de plusieurs dizaines de pages dont l'auteur avait le secret, elle ne put s'empêcher de lever le regard vers l'horloge suspendue au-dessus du tableau : il restait une heure et demi avant son rendez-vous de midi. Viendrait-il ?
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