22. Maliah - Entre les griffes de la peur
Un coup violent derrière la tête réveilla Maliah. L'esprit embrumé et les membres engourdis, elle ouvrit les yeux sans bouger. Le monde tangua autour d'elle tandis qu'un éclair de douleur lui vrillait le crâne. Une vague de nausée lui retourna l'estomac. Le cerveau au bord de l'explosion, elle referma les paupières.
« Chut, reste tranquille, chuchota une voix doucereuse à son oreille. Regarde dans quel état tu te mets, calme-toi nous sommes bientôt arrivés. »
Prise de convulsions, la jeune fille sentit le sol se dérober sous elle. Couchée sur une surface aussi dure et froide que de la pierre, elle essaya de trouver une prise tangible à laquelle se raccrocher, mais plus elle luttait, plus elle perdait pied.
Qui était-elle ? Où se trouvait-elle ?
Le souffle court, elle voulut appeler à l'aide, mais son cri resta coincé dans sa gorge desséchée.
« Bon, puisque tu insistes, tu vas repartir faire un petit somme. J'ai encore besoin de régler deux, trois détails avant de m'occuper de toi. »
La douleur recula, puis s'effaça. Une vague d'oubli submergea l'esprit de Maliah.
Tout redevint noir.
Elle accueillit cette délivrance à bras ouverts.
* * * * * * * * * *
Cette fois, ce fut une douleur aiguë dans le creux du coude qui tira Maliah de sa léthargie. Incapable d'esquisser le moindre geste, elle se contenta d'analyser ce qui se passait autour d'elle, les yeux résolument clos. Un balancement dans son corps lui indiqua qu'elle était en mouvements et comme aucune lumière ne filtrait à travers ses paupières, elle supposa qu'elle devait se trouver dans un intérieur mal éclairé. Il ne pouvait pas faire nuit, elle ne sentait ses ailes dans son dos.
Peu à peu, l'adolescente percevait à nouveau ses membres. Des fourmillements désagréables les parcouraient et ses pieds nus s'écorchaient contre la paroi de ce qu'elle imaginait être un long couloir sombre et bien qu'elle eût envie de se dégager des bras qui la portaient, elle se força à rester immobile.
Plusieurs minutes passèrent durant lesquelles elle rassembla ses maigres forces. Elle essayait encore de se rappeler ce qui s'était passé pour qu'elle se retrouvât dans cette situation quand le mouvement de balancier s'arrêta. Elle tomba lourdement sur le sol et malgré la promesse qu'elle s'était faite de ne pas prononcer un mot, elle cria de douleur autant que de surprise.
Alors qu'elle ouvrait enfin les yeux pour affronter la réalité, son rythme cardiaque s'emballa et son souffle accéléra.
« Je te souhaite la bienvenue dans ton nouveau chez toi ! J'espère que tu as profité de ta sieste, car même si on est au calme ici, ce n'est pas très confortable... Et surtout... tu sens ton cœur qui bat la chamade dans ta poitrine ? Oui ? Et bien non, ce n'est pas le syndrome de Stockholm, juste la jolie dose de pitolisant et autres stimulants longue durée que je viens de t'injecter dans le bras. De quoi te maintenir éveillée les douze prochaines heures qui, j'en suis sûre, seront riches en expériences. Allez, à tout à l'heure !
— Attendez ! »
Mais l'ombre dans l'encadrement de la porte s'était déjà éloignée, prenant bien soin de refermer derrière elle. La pièce dans laquelle se trouvait Maliah fut plongée dans le noir le plus complet et à la seconde où elle se trouva seule, une vague de panique la submergea. C'était elle et elle seule qui s'était rendue à cet Ovard, cette Chloé ou quelque fût sa véritable identité. D'elle-même, sans rien savoir de ce qui l'attendait, elle s'était jetée dans la gueule du loup contre la promesse qu'Eytan serait épargné.
Mais épargné de quoi ? Et à quel prix ?
Le cœur battant à tout rompre, la tête comprimée dans un étau de douleur comme si quelqu'un était en train de lui marquer le front avec un fer chauffé à blanc, la jeune fille se releva. Si elle interprétait correctement ce que sa geôlière venait de dire, il était inutile de fermer les yeux et d'essayer de se calmer. Au contraire, elle sentait une vague d'énergie gonfler dans son corps et son esprit tel un raz-de-marée et si elle ne faisait rien, elle serait submergée.
Décidée à montrer de la bonne volonté malgré sa peur, Maliah inspira, puis expira à plusieurs reprises. Elle avait besoin d'un plan et pour ça, il fallait qu'elle ordonnât ses pensées.
Autour d'elle, c'était le noir absolu. Non seulement elle ne voyait rien, mais aucun son, aucune odeur ne parvenaient à elle. C'était comme se trouver dans un autre lieu, hors du temps et de l'espace, privée de ses sens. Comme si elle n'avait jamais existé, aucun rai de lumière ne filtrait de l'encadrement de la porte et dans un élan d'optimisme qu'elle était loin de posséder, l'adolescente avança les mains en avant jusqu'à toucher un mur. Bien plus proche qu'elle ne l'aurait voulu. Bien trop lisse.
Les parois, tout comme le sol, ne présentaient aucun défaut. Ni encoche ni aspérité ne pouvait servir de repère et la forme circulaire de la pièce empêchait de s'orienter. Après ce qu'elle estima être trois tours complets des lieux et pas le moindre début d'idée, Maliah se rendit à l'évidence : s'échapper sans intervention extérieure était inenvisageable. Elle avait l'abominable sensation d'être piégée dans une boîte si hermétique que rien ne pouvait y entrer et bien que cela ne lui fut pas d'un grand réconfort, au moins à l'intérieur, elle était protégée.
Tout du moins, était-ce qu'elle croyait...
Très vite, la prisonnière perdit la notion du temps. Les minutes s'étiraient, infinies, alors qu'elle marchait sans ralentir en un cercle parfait, les doigts contre le mur. Dans cet enfer sombre et insaisissable tout semblait s'être arrêté tandis qu'elle débordait d'énergie comme si elle était restée clouée au lit pendant trois jours. Elle avait beau savoir que ce n'était qu'une illusion et que sans la drogue qui circulait dans ses veines elle se serait effondrée depuis longtemps, elle ne pouvait s'empêcher de continuer, repoussant dans un coin de sa conscience les sombres pensées qui la guettaient.
Bientôt, les fantômes du passé ressurgiraient et alors, tout ne serait que noirceurs et ténèbres. Elle ne devait pas le laisser gagner. Quoi que cherchait à obtenir son tortionnaire, elle ne devait pas succomber et lui montrer qu'elle avait peur. Elle n'abandonnerait pas.
Quelques minutes ou bien quelques heures plus tard, la drogue continuait à faire son effet et c'était avec beaucoup de difficultés que Maliah retenait encore les brides de son imagination en ébullition. Avec peine, elle accéléra le pas, s'obligeant à se concentrer pour ne pas tomber. Se concentrer, oui mais sur quoi ? Il n'y avait aucun détail où fixer les yeux, aucun son sur lequel se focaliser, aucun... La jeune fille retint un cri de rage, sentant sa conviction faiblir. À quoi bon lutter ? Elle était lasse, lasse d'essayer de fuir et puis, si elle se laissait aller quelques minutes, qu'est-ce que cela changerait ?
Elle s'arrêta. Juste le temps de raffermir sa volonté et de recommencer à avancer. Juste deux petites minutes...
Grave erreur ! Dès que l'adolescente relâcha son attention, des images défilèrent à toute allure dans son esprit fatigué. Des images d'horreur, de souffrance et de mort. Un gémissement franchit ses lèvres glacées alors qu'elle tombait à genoux. Elle devait se relever, marcher encore. Dans le cas contraire, elle finirait noyée.
Dans un ultime élan de courage, la jeune fille se remit debout et recommença à avancer. Ses mains étaient moites et sa respiration saccadée. Plus les secondes s'égrenaient, plus elle frôlait les limites de ce cercle vicieux qu'elle n'arrivait plus à repousser. La terreur la tenait et alors qu'une angoisse sourde lui serrait le ventre jusqu'au plus profond des entrailles, Maliah sut qu'elle ne ferait pas trois pas de plus.
L'Illusionniste portait bien son nom. Quoi de plus délectable que ce doux serpent sinueux, symbole de peur, glissant lentement jusqu'au plus profond de votre être et s'emparant de vos convictions les plus intimes pour les manipuler à sa guise et en faire des spectres venus vous hanter ? Les images du terrible Ovard, puis de la douce et sournoise Chloé apparurent devant les yeux de l'adolescente, très vite remplacées par une autre qui, dans d'autres circonstances, aurait pu être drôle.
Le chat du Cheshire, toujours précédé de son trop large sourire dans Alice aux pays des merveilles, venait de faire son irruption dans le noir absolu de la pièce. Quand Maliah était petite, il avait été son premier cauchemar, puis son premier sujet de dessin. Pour toute autre personne, cette peur improbable aurait paru ridicule, mais pour elle, c'étaient toutes ces nuits passées à trembler dans son lit alors qu'elle n'avait que cinq ans qui revenaient à sa mémoire.
« Va-t'en ! » aurait-elle voulu crier, mais la gorge desséchée et en proie à des tremblements virulents, elle se laissa tomber lourdement sur les genoux alors que fermant les yeux, elle espérait faire disparaître ce sourire glacial qui la poursuivit néanmoins sur ses paupières closes.
Sans le savoir, la jeune fille avait débridé la partie de son cortex cérébral à l'origine des hallucinations et, alors qu'exactement comme dans ses rêves le chat disparaissait avec un dernier regard glaçant d'effroi, d'autres images prirent le relais.
Douze heures très exactement après son entrée dans cette prison, la porte s'ouvrit sur une Maliah en piteux état. Les cheveux collés par le sel sur ses joues, le corps parcouru de spasmes incontrôlables, elle se traîna sur le sol le plus loin possible de l'ombre qui s'avançait vers elle.
« N'aie pas peur, je suis venue te délivrer de tes souffrances, lui chuchota une voix féminine réconfortante emplie d'une douce empathie.
— Partez, ne me touchez pas », la repoussa la prisonnière en se prenant la tête entre les mains.
Une visage poupin encadré de courts cheveux blonds apparut dans son champ de vision. Un ange... L'ange de la mort ?
Elle se releva avec un cri de détresse.
« Allez-vous-en ! Je n'ai pas besoin de votre aide, c'est vous qui m'avez fait ça ! »
Acculée contre le mur, épuisée de lutter en vain, elle ne fut pas assez rapide pour éviter les deux mains qui se tendaient vers son visage et se plaquaient sur ses tempes.
« Je ne suis pas ton ennemie, lui susurra Chloé en plantant son regard clair dans le sien. Je suis venue te délivrer de tes maux, il suffirait juste que tu te laisses faire.
— Je vous en prie, laissez-moi... »
Mais ses mots n'étaient plus que murmures à présent. Une larme solitaire dévala sa joue alors qu'une vague d'oubli submergeait sa conscience. Le noir envahit son esprit et elle se laissa emporter.
* * * * * * * * * *
Une piqûre dans le bras, une ombre à nouveau dans l'encadrement de la porte.
« Bonsoir, petite hybride, bien dormi ? Voyons voir ce qui te passe par la tête sous cette forme-là, je suis sûre que ce sera une nouvelle expérience inédite. Je reviens te voir tout à l'heure, je compte sur toi pour me faire un meilleur accueil qu'hier ! »
Un meilleur accueil qu'hier ? Mais de quoi parlait-elle ? Où était-elle et qui était ce... Ovard ? Elle se souvint de sa présence au bord du lac d'Illun, ça lui revenait à présent. Et après ?
Le trou noir. Elle ne se rappelait de rien.
Le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, le souffle court, Maliah se leva. Sous sa forme hybride, elle sentait la chaleur réconfortante de son cristal contre sa peau. Il faisait si sombre dans la pièce dans laquelle elle se trouvait que malgré ses sens affutés d'oiseau, elle ne voyait rien. Prudemment, elle étendit ses ailes pour établir son équilibre et ce qu'elle craignait se réalisa : son envergure dépassait la largeur des lieux et le frottement de ses plumes contre la pierre froide des murs la fit frémir.
Un oiseau en cage. Impossible de battre des ailes, impossible de décoller ! Un frisson d'horreur lui parcourut la colonne vertébrale tandis qu'elle s'agenouillait pour palper le sol. Elle était désarmée, la tête lui tournait et sans qu'elle comprît pourquoi, elle se sentait nauséeuse. Son pouls battait la chamade dans ses tempes. Elle ferma les yeux et cracha un flot de bile entre ses jambes.
La dernière fois qu'elle s'était sentie aussi mal datait de plus d'un mois, quand thérianthrope-oiseau encore simplement Méryl, elle avait failli mourir entre les griffes de Clarie. Et en parlant de Clarie... que faisait-elle là à la regarder ? N'était-elle pas morte ?
Assise face à elle, sa queue fouettant l'air avec impatience et les yeux luisants de curiosité, sa meilleure amie l'observait avec amusement.
« Clarie, c'est toi ? Comment es-tu entrée ? Et on est où ici ? »
Des dizaines de questions brûlaient les lèvres de Maliah, mais à cause de l'émotion, elles restèrent coincées au travers de sa gorge. Alors que des sanglots gonflaient dans sa poitrine, elle rampa vers la féline pour la serrer contre elle. Ses bras se refermèrent sur du vide.
« Derrière toi », souffla une voix suave.
La fille ailée se retourna juste à temps pour voir son amie se jeter sur elle, toutes griffes dehors. Elle hurla en se protégeant le visage, voulut reculer. Son crâne percuta le mur de sa cellule avec une telle violence qu'elle se sentit partir. Clarie disparut tandis que Léanne accourait vers elle, ses longs cheveux blonds flottant dans son dos.
« Maliah, tout va bien ? Je suis venue te délivrer, suis-moi.
— Mais... tes cheveux, tu ne les avais pas coupés ?
— Heu... pas du tout ! Je crois que tu t'es cognée la tête un peu fort. Tu peux te lever ? Appuie-toi sur moi si tu veux.
— Oui, je... »
Sortie de nulle part, une dague au manche étincelant s'enfonça jusqu'à la garde dans l'estomac de Maliah.
« Ça c'est pour m'avoir laissée tomber, lui souffla Léanne en la regardant s'effondrer. Je croyais que nous étions amies, mais tu n'as même pas essayé de me sauver. »
Le souffle coupé par cette blessure fictive, roulée en boule sur le sol, la fille-oiseau se mit à crier. De rage, de peur, d'horreur. Qu'avait-elle fait ? Où était-elle ?
La lumière agressive d'un néon dans le couloir à travers la porte ouverte de sa prison la ramena à l'instant présent. Une figure – amie ? ennemie ? – s'approcha d'elle, les mains tendues vers son visage. Maliah détourna la tête, passa sous les bras de la nouvelle venue et s'élança vers la liberté. Après quelques mètres dans un tunnel lugubre, ses jambes se dérobèrent sous son poids. Dans son dos, elle entendit le pas tranquille de l'inconnue aux cheveux blonds se rapprocher.
« Ce serait plus facile si tu arrêtais de lutter, tu sais ? Laisse-moi t'aider. »
Rassemblant ses dernières forces, Maliah se releva et se remit à courir. Elle n'avait besoin de personne, elle sortirait seule de ce cauchemar, il suffisait de... Un cul-de-sac la coupa dans son élan. Le temps qu'elle se retournât, deux mains aux ongles parfaitement manucurés se posaient sur les côtés de son crâne.
Un éclair de souffrance vrilla son esprit embrumé. Elle glissa le long du mur tandis qu'un nuage cotonneux s'emparait de ses pensées. Ses souvenirs s'évaporèrent en même temps que sa résistance. Elle ferma les yeux.
* * * * * * * * * *
Une lumière agressive, une douleur dans le bras, une énergie débordante dans les veines.
Aveugle, privée de ses sens, Maliah griffait le mur de ses serres aiguisées. La douleur était telle qu'elle imaginait sans peine le sang s'écouler le long de ses doigts abîmés. Elle ne savait pas où elle trouvait, se rappelait à peine qui elle était, mais la souffrance l'aidait à ne pas sombrer. Qu'elle gardât les yeux fermés ou qu'elle les ouvrît n'y changeait rien, les démons de son passé la hantaient.
« Tu paieras pour la souffrance que nous avons reçue de ta main.
— Comment peux-tu encore seulement vivre alors que tu nous as tous tués ?
— Saleté d'hybride, jamais tu ne verras la fin de ce supplice.
— Vengeance ! »
Les visages variaient, les tons et les discours également, mais le fond restait toujours le même. Si elle était retenue prisonnière pour expier ses pêchés, le reste de sa vie n'y suffirait pas, elle le craignait. Après tout, elle était incapable de se rappeler le nombre de mages qu'elle avait mutilés afin de leur arracher leurs précieux cristaux. C'était la guerre, il lui avait fallu tuer pour ne pas être tuée et pourtant, était-ce vraiment une excuse ?
« Tu sais Maliah, c'est à cause de toi si Ovard m'a fait ça. Si tu ne t'étais pas mêlée de mes affaires et si tu n'étais pas entrée de force dans ma vie, rien de tout cela ne serait arrivé. »
Non... Pas lui...
Sous l'émotion, la fille ailée enfonça davantage ses serres dans le mur, en arrachant une au passage. Elle hurla de douleur alors que de grosses larmes dévalaient ses joues.
« Regarde ce que tu m'as fait... »
Un trou béant dans le torse, Eytan avançait vers elle. À la place de son cœur, Maliah aperçut un cristal aux doux reflets bleutés. Gonflé de magie, il palpitait à une cadence effrénée et comme hypnotisée, la jeune fille respirait en rythme. Cet éclat si pur la calma, lui faisant oublier un instant où elle se trouvait.
« C'est beau, n'est-ce pas ? souffla une voix familière à son oreille. Dommage que je t'aie trahie et que Chloé ait exaucé mon vœu à la place du tien. Tu imagines le plaisir que j'ai éprouvé lorsque j'ai arraché le cœur de ce mage stupide ? Il n'aurait jamais dû te laisser te sacrifier à sa place, il aurait dû te sauver !
— Glenn, non ce n'est pas lui. C'est moi qui...
— Viens avec moi, Maliah. Je te protègerai ! Maintenant qu'il est mort, tu n'as plus de raison de rester là.
— Non, tu mens, il n'est pas mort ! Tu m'avais promis de l'aider... Tu m'avais... »
Les yeux fixés sur un plafond qu'elle ne pouvait qu'imaginer, le corps agité de tremblements et les lèvres craquelées par la soif, Maliah ne bougea pas quand la porte de sa cellule s'ouvrit. Elle ne désirait qu'une chose : tout effacer. Alors lorsque les limbes de l'oubli l'envahirent, elle ne résista pas.
* * * * * * * * * *
Une injection dans le bras. Elle tournait en rond, courait presque pour se fatiguer.
Le noir total. Elle tordait ses oreilles, se frottait les yeux au risque de s'arracher la peau.
Ema, papa, maman. Leur air désapprobateur et la déception dans leurs yeux.
Thomas et Amandine. Ils lui tournaient le dos, riaient.
Quand ce supplice s'arrêterait-t-il ?
* * * * * * * * * *
Une injection dans le bras. Elle s'en cognerait la tête contre le mur.
Le noir total. S'arracherait les yeux pour ne plus voir ces images.
Ema, papa, maman. L'aimeraient-ils encore ?
Thomas et Amandine. Main dans la main ils s'éloignaient vers l'horizon.
Quand Chloé viendrait-t-elle lui ouvrir ?
* * * * * * * * * *
Une injection dans le bras. Le feu de l'enfer dans ses veines.
Le noir total. L'obscurité pour seule compagne.
Ema, papa, maman. Leurs visages avaient disparu depuis longtemps.
Thomas et Amandine. Ils l'avaient oubliée.
Quand Chloé viendrait-t-elle l'apaiser ?
* * * * * * * * * *
« Ma chère Maliah, aujourd'hui est un grand jour ! Suis-moi, je vais te montrer quelque chose. »
Incapable de faire plus de quelques pas, affaiblie par des jours et des nuits de torture psychique et d'isolement, l'adolescente se laissa traîner par le bras sans résister le long d'un couloir sombre. Elle avait sa forme humaine, elle supposait donc que c'était la journée, mais vu l'obscurité des lieux, rien n'était moins sûr.
« Couche-toi sur cette table », lui ordonna Chloé de cette voix persuasive et suave qu'elle employait quand elle ne voulait pas être contredite.
La jeune fille s'exécuta et ne broncha pas quand elle sentit des liens enserrer ses poignets et ses chevilles. À peine tourna-t-elle la tête pour observer les lanières de cuir à la couleur inhabituelle qui lui mordaient la peau.
Des voix lui parvenaient d'une pièce adjacente. Sa tortionnaire était partie discuter avec une autre personne et bien qu'elle ne comprit pas tout ce qui se disait, des bribes d'informations parvinrent aux oreilles de Maliah. Comme si elle sortait enfin la tête de l'eau, elle réalisa qu'elle n'aurait pas dû se trouver là. Elle tira sur ses bras pour se libérer.
« Colleen et Amandine sont prêtes... le petit Savary ne devrait pas tarder à...
— ...qu'un enfant... pas attendre avant de...
— ... connaître les limites...
— Glenn peut te trouver d'autres sujets si... »
Des larmes de rages coulèrent le long des joues de Maliah. Ces prénoms lui étaient familiers, des personnes qu'elle connaissait étaient en danger. Elle devait absolument se libérer, les prévenir !
« Mais qu'est-ce que... ? »
Un éclat de rire dans son dos glaça la jeune fille jusqu'aux os. Elle arrêta de se débattre alors qu'une vague de pure peur embrasait son corps.
« Viens voir ! Je crois que ta petite copine a entendu notre conversation. »
Un visage aux traits angéliques encadré de courts cheveux blonds apparut dans le champ de vision de Maliah. L'adolescente se figea. Alors qu'elle aurait voulu hurler, elle se sentit soudainement plus calme à la vue de cette figure amie.
« On dirait que tu as un peu repris tes esprits. Tant mieux, ce sera plus drôle ainsi. J'ai un nouveau jeu à te montrer, mais avant ça, mon ami Mickaël ici présent souhaiterait faire ta connaissance. Il n'a pas son pareil pour sonder le cœur des demoiselles en détresse, allez dis-lui bonjour. »
Un homme aux cheveux poivre et sel et au regard perçant s'approcha de la jeune fille. Des images issues d'une autre vie se ravivèrent à sa mémoire : ces yeux gris qui la suivaient partout, cette ombre dans la bibliothèque, au centre commercial, à la boulangerie.
« Je crois qu'elle se rappelle de moi, gloussa le dénommé Mickaël. Dommage que tu doives effacer tous ses souvenirs après la séance... »
L'air amusé, il sourit en avançant ses mains vers son visage. Maliah arqua son corps une dernière fois pour tenter de se libérer, en vain. En une seconde, elle se sentit siphonnée de toute émotion, puis une vague de fureur dévastatrice la submergea. Elle hurla.
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