Chapitre 9 Paroles imprudentes et progrès
Enfin parvenue à sa destination, Milady salue les hommes qu’elle a engagés, veillant tout de même à toujours garder sa capuche soigneusement baissée de telle sorte qu’ils ne voient que ses yeux, d’un vert glacial et surtout la bague qu’elle porte comme symbole de l’autorité qu’elle représente. Sur cette bague figure une fleur que les plus connaisseurs reconnaissent comme un myosotis.
Les hommes se sont installés loin de la porte désormais, ne laissant derrière celle-ci que les deux hommes de garde. Ils n’ont pris garde au fenestron placé là-haut et vers lequel les voix montent. Et d’Artagnan entend parfaitement leurs conversations, profitant de leurs railleries à son égard depuis qu’ils l’ont laissé attachés à ce pilier. Il a eu beau tenter de scier ses cordes sur l’angles du bois, il ne parvient qu’à se couper la peau tant il frotte et frotte encore. N’entendant plus les rires gras des ravisseurs, il tend l’oreille et cesse de se concentrer sur sa dérisoire tentative, pour se focaliser sur ce qu’il peut se passer dehors. D’un coup, il entend une voix qu’il n’avait pas encore repérée jusqu’ici, plus aigüe, mais dans le même temps plus autoritaire. Indéniablement une personne accoutumée à donner des ordres. Cela l’intrigue, il tente de ralentir sa respiration pour ne rien manquer de la conversation qui semble se tenir de l’autre côté du mur.
« Oui, Madame, il est toujours ici. » répond la voix sourde de celui qui semble le chef de la bande.
« Restez sur vos gardes, il ne va sûrement pas rester tranquille à attendre son sort » avertit la femme.
« Il a déjà tenté de s’échapper, la nuit dernière et … » s’excuse l’homme
Et entendre sa voix qui se brise, embarrassée, comme un gamin qui doit avouer une faute, fait sourire d’Artagnan.
« Quoi ? Comment ? » la femme s’étrangle.
« Il a tenté sa chance mais je l’ai stoppé avant qu’il ne vole son cheval et nous l’avons attaché depuis. Solidement soyez-en sûre ! » s’empresse de répondre l’homme.
« Méfiez-vous, Girard, vous n’avez pas le droit à l’échec » grince la voix féminine
Tiens, un nom et il rappelle quelque chose à d’Artagnan, mais ce n’est pas le moment d’y penser, il se contente de le retenir dans un coin de sa tête pour plus tard, et se remet à écouter avec attention, tirant sur son cou pour tendre l’oreille.
« Une personne très éminente a besoin que d’Artagnan reste prisonnier. Alors ne restez pas à vous saouler, je ne vous paye pas pour ça ! » tonne-t-elle.
De l’autre côté des pierres, les hommes hochent la tête. Ils ne comprennent pas tout à fait le sens des paroles de Milady. Ils la connaissent à peine d’ailleurs, hormis le chef, mais visiblement cette personnalité est suffisamment influente pour avoir sous ses ordres une femme d’une telle prestance. Sans doute une femme influente elle aussi sans aucun doute, habituée à imposer sa volonté et qui semble savoir mener rondement les choses.
N'ayant aucune chance de voir cette femme, et les conversations semblant s’être éloignées, du moins suffisamment pour qu’il n’entendent plus que les quelques commentaires sarcastiques des deux hommes qui rient sous le fenestron, d’Artagnan s’interroge.
Une femme, qui parle d’une personne éminente et un homme, le chef apparemment, qui se nomme Girard. Autant d’indices qu’il tourne et retourne dans sa tête, espérant parvenir à comprendre. Il ne maîtrise pas encore suffisamment les usages de la cour ou de Paris, étant novice autant à la garnison que dans la ville, mais il est plutôt attentif et possède une bonne mémoire.
A force de chercher, il finit par se rappeler que Girard est un garde rouge. Il se souvient d’un différend un soir dans l’auberge entre Porthos et lui. Un type assez gras et plutôt lourd que Porthos avait battu aux cartes, à la régulière en plus. Mais l’homme l’avait accusé de tricher et cela avait failli mal tourner.
Le seul personnage éminent qu’il connaissait étant le cardinal, il ne voyait pas le rapport quand il réalisa qu’il devait être le commanditaire. Il connaissait l’aversion du cardinal à l’égard du régiment, mais il n’en faisait pas encore partie. Alors pourquoi lui ? Sans doute était-il plus facile de s’en prendre à lui qu’à son cousin ou ses amis, plus expérimentés et qui n’auraient sans doute jamais été battu comme il l’avait été. Il se morigéna encore, s’en voulant pour son manque de maîtrise. Il se souvenait des conseils donnés par son cousin, qu’il avait suivis de son mieux lors de l’escarmouche mais ensuite il avait négligé de réfléchir, laissant parler son enthousiasme et c’est ce qui lui avait valu cette bosse qui ornait l’arrière de sa tête et qui tambourinait encore sous son crâne. L’enlever permettait de donner une activité forcenée à ses trois compagnons, car il ne doutait pas qu’ils le cherchaient, mai pendant ce temps, le cardinal avait les coudées franches pour agir à sa guise. L’homme était en pleines négociations comme le montraient les dernières rencontres auxquelles le régiment avait été convoqués pour assurer la parade dont raffolait le roi. Mais cela ne semblait pas suffisant.
Athos l’avait prévenu du danger que représentait le cardinal, lui enjoignant de rester loin de ses machinations et surtout de ne pas donner suite à ses invitations à rejoindre les gardes rouges. D’Artagnan était resté vigilant, peut-être était-ce à cause de ses refus systématiques et que le cardinal espérait ainsi l’enrôler de force. Ou alors, il espérait faire tomber Athos, Aramis et Porthos par cet enlèvement. Ce qui serait une excellente façon de porter un coup à Tréville et au régiment.
Il continuait de ressasser tout ceci, mais finalement, épuisé, il finit par succomber au sommeil, n’ayant de toute façon rien d’autre à faire que d’attendre, tenter de récupérer ses forces et être prêt quand son cousin et ses amis le trouveraient.
Athos, Porthos, Aramis et Angèle, qui refuse de les quitter tant que l’affaire n’est pas résolue, poursuivent le plan qu’ils ont conçu. Ils ont noté l’ensemble des moulins dans les environs, en les répartissant selon les quatre points cardinaux. De là, ils décidèrent de commencer les recherches en rayonnant depuis le lieu de l’enlèvement. Ils ont, de façon logique, éliminé de leur liste les moulins trop proches d’une ville, où garder un prisonnier serait trop risqué. Mais il en restait encore une longue liste, trop longue. Ils reprennent la liste et leurs yeux se concentrent pour tenter d’autres éléments qui leur permettent de réduire cette liste. A priori, il ne s’agit pas d’un moulin encore en fonctionnement, du moins de façon trop fréquente, car cela signifierait trop de passage et donc trop de risques encore. La liste se réduit au fur et à mesure qu’ils réfléchissent. Chacun apportant une condition nouvelle et donnant une raison supplémentaire de restreindre le nombre.
Finalement, il ne leur reste bientôt plus que trois moulins plausibles. Ce qui devient parfaitement gérable et raisonnable. Mais une matinée a été nécessaire pour établir ce plan de bataille et le temps se prolonge trop, réduisant immanquablement le temps restant à d’Artagnan.
Ils sautent sur les montures et entreprennent de se rendre sur le premier moulin de leur liste, situé à seulement une demi-heure de là. Approchant la lisière, de sorte à ne pas être aperçus, ils surveillèrent les abords, mais ne décelèrent aucune activité. Le moulin semblait à l’abandon et en mauvais état, le toit étant tombé à la dernière tempête. Ils reprennent leurs chevaux sans tarder et passent au second moulin, s’éloignant encore du lieu de l’incident.
Là encore, ils font chou blanc. Le moulin est en meilleur état, mais aucune trace d’activité autour depuis un moment déjà, les herbes hautes n’ayant été couchées que par leur propre passage.
Il ne reste plus que le moulin de Bréau, totalement à l’opposé de de celui où ils sont actuellement. La journée avance déjà, mais ils ne veulent plus reculer. Persuadés d’être sur la bonne voie, alors tournant bride, ils partent rejoindre le moulin.
Ils s’arrêtent dans la forêt, descendant de leurs montures pour ne pas provoquer de bruit, ils les laissent, prenant soin de raccourcir les rênes sur leurs encolures pour qu’ils puissent patienter en toute sécurité. Ayant l’habitude d’être laissés en liberté, les hommes savent qu’ils peuvent leur faire confiance. Angèle les observe, étonnée. Elle n’est pas habituée à agir ainsi, mais face à leurs encouragements et confiante dans le calme de ces montures disciplinées, elle se laisse tenter et fait à leur manière, espérant simplement que son propre cheval, bien moins docile, ne filera pas à la première occasion.
Discrètement, se tenant prudemment abrités par les arbres, le petit groupe avance. Silencieux. Telles des ombres dans la soirée qui s’installe progressivement, propice à leur intervention.
Athos repère des chevaux et au milieu d’eux le genet de d’Artagnan dont la robe était si caractéristique tirant sur bai et qui dénotait tant de leurs chevaux noirs. Mais n’étant pas encore intégré au corps des mousquetaires, Tréville l’avait autorisé à garder le cheval sur lequel il était arrivé à Paris. L’avantage cette fois était qu’Athos le reconnu rapidement. Un cheval doué et qui montrait une véritable fidélité à son maître. Il sut alors qu’ils étaient arrivés au bon moulin. Il fait un signe à ses amis, les invitant à davantage de prudence encore.
Puisque la nuit s’installe, Athos profite des ombres pour approcher le genet, Rabastas, et présentant sa main dégantée, il laisse l’animal le sentir puis caresse doucement les naseaux, sachant le cheval friand de ces attentions. Puis tournant autour, il note une vilaine blessure sur la croupe. Empêchant tout harnachement car l’animal ne pourrait supporter le frottement d’une selle avant que la cicatrice ne soit effacée. Une pensée rapide le traverse en espérant que l’homme responsable de cette blessure soit déjà mort ou que d’Artagnan ne le découvre qu’après car il adore son cheval et ne pardonnera jamais un tel affront. Athos grogne mais il sait qu’il doit encore rester discret alors il se maîtrise, malgré la rage qui monte en lui.
Lentement le genet bouge, sans effrayer les autres chevaux, les rênes ayant été délacées et il semble vouloir s’avancer vers le moulin, mais Athos le retient. Nul besoin d’être découvert si tôt. Sauf à … et une idée germe dans son esprit.
Faisant patienter la monture, il retourne vers ses amis qu’il rassemble pour leur dévoiler son plan.
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