Chapitre 8 Tout le monde piétine
Aramis n'était pas enthousiaste à l'idée de repartir aussi vite, la blessure d'Athos étant encore trop fraîche et sa jolie couture risquant d'être gâchée mais son camarade refuse d'entendre raison. Il y a une autre urgence pour lui, celle de retrouver son cousin. Et cela prime sur sa propre santé. Du moins, tente-t-il de rassurer son médecin, en lui promettant de faire signe en cas de fatigue importante ou de doute sur son état. Mais Aramis le connait trop bien et doute de cette promesse. Athos est bien trop entêté, comme ils le sont tous d'ailleurs. Une fâcheuse habitude qu'ils ont de toujours se négliger au profit des autres, mais étant le premier à agir de la sorte, il ne peut lui en faire le reproche lui-même.
Ile repartent donc, après qu'Athos a laissé un mot aimable à sa cousine et tout rangé afin que le manoir reste dans l'état dans lequel ils l'avaient trouvé. Veillant à bien refermer derrière eux, afin qu'aucun pillage n'ait lieu durant l'absence des propriétaires.
Les sacoches chargées sur les montures et les armes prêtes en cas de nouvel incident sur la route, ils prennent le chemin du retour. Sans trop savoir où chercher désormais. La piste est froide et nul indice ne leur vient à l'esprit bien qu'ils aient tourné et retourné le sujet cent fois dans leurs têtes et ensemble. Le groupe avance donc, le pas est moins rapide qu'à l'aller, pour ménager l'épaule d'Athos qui cache ses grimaces, mais qu'Aramis connaît trop bien pour ne rien déceler et surtout moins joyeux qu'au départ, tant ils sont inquiets pour d'Artagnan.
Angèle s'est faite au silence qui accompagne la route et admire, silencieuse, le paysage qu'elle a découvert avec ce voyage inattendu. Mais elle se demande bien comment, désormais, ses compagnons vont pouvoir trouver quoi que ce soit.
Parvenus bientôt au terme de leur périple, les amis semblent déroutés. Angèle est proche de chez elle, ils lui proposent de la reconduire à son logis, afin de s'assurer au moins qu'elle n'ait pas d'ennui et que tout va bien chez elle. Ils repassent donc non loin de ce lieu où d'Artagnan a disparu ; La piste de l'enlèvement est la plus probable, mais Athos n'a jamais reçu la moindre demande de rançon comme cela se pratique en général, et c'est ce qui le tracasse le plus.
Tout à leurs pensées, aucun d'eux ne s'aperçoit que de l'autre côté du bois, sur une route non loin mais suffisamment éloignée pour ne pas être visible, une jeune femme circule dans une voiture discrète, le visage caché par le large capuchon de sa robe sombre, se rendant dans un lieu dont ils auraient tant aimé avoir l'indication. Milady se rend sur place, s'assurer que tout se déroule comme elle l'a organisé et planifié, n'ayant qu'une confiance relative dans les compétences des ravisseurs auxquels elle a dû faire appel pour cette opération.
Tandis qu'il approche du lieu, le regard machinalement posé sur le sol, mais sans espoir d'y trouver grand-chose, Porthos, parti en éclaireur, remarque sur place un garde rouge, seul, qui semble chercher. Mais que cherche-t-il ? Il l'interroge et ce dernier confirme être sur l'enquête, à la demande du cardinal, ainsi que cela avait été convenu. Mais il est seul et surtout semble mettre bien peu d'enthousiasme à sa mission. Rapidement, comme cela se produit fréquemment, il en vient aux moqueries à l'égard des mousquetaires.
« Faudrait voir à apprendre à lire une carte chez les mousquetaires un jour ! »
La situation est suffisamment tendue pour Porthos qui ne souhaite pas envenimer les choses, mais ce ton l'exaspère et pus encore la dernière pique est de trop
« Déjà, la question se pose, savez-vous seulement lire ? Drôle de façon se s'occuper de sa famille ! »
Cette claque le touche personnellement, puis la remarque concernant la famille le blesse profondément tout en le faisant tiquer sur le choix des mots, et son sang ne fait qu'un tour, trop coutumier des remarques déplaisantes à propos de sa couleur et de ses origines. Une caractéristique que les gardes rouges ne semblent pas accepter. Il saute au bas de sa selle, d'un mouvement rapide et se trouve nez à nez avec le garde qu'il toise en grognant
« Répète ce que tu viens de dire ! »
Le ton est menaçant, mais l'homme n'y prend pas garde, trop confiant en lui. Son regard dédaigneux se fait provocateur et le sang de Porthos ne fait qu'un tour. S'en suit une bagarre rondement menée et rapidement achevée par un garde assommé lorsque ses amis arrivent. L'air agacé d'Athos et le sourire amusé d'Aramis n'arrangent pas la mine déconfite du colosse. Sans compter la tête surprise d'Angèle
« Qu'allons-nous faire de lui maintenant ? » demande-t-elle, peu coutumière de ces frasques.
« Emmenons-le jusque chez vous. Je suis certain qu'il sait quelque chose. Il nous suffira de le faire parler. » suggère Porthos qui voudrait se racheter. Mais dans son esprit, comme dans celui de ses compagnons, depuis quelques jours, traîne cette idée lancinante que le cardinal n'est pas totalement étranger à cette mésaventure de d'Artagnan.
Ils ne peuvent de toutefaçon pas le laisser ainsi, au bord d'une route. Ils le posent donc sur soncheval, en travers de sa selle et l'embarquent jusque chez Angèle. Bien heureux, finalement, que la route soit déserte.
Une fois rendus, ils l'installent sur une chaise et pour accélérer le réveil du dormeur, jettent sur son visage de l'eau bien fraîche. Dans un glapissement, l'homme se réveille.
« Que ... Qu'est-ce que vous voulez ? » demande-t-il, tournant sa tête vers chacun. « Et où suis-je ? »
« Chez moi » répond sèchement Angèle.
« Vous allez nous expliquer ce que vous savez si vous tenez à rester entier » menace Athos qui n'a plus de temps à perdre.
L'homme joue les étonnés mais son jeu ne prend pas. Bien vite, les amis passent aux menaces et Aramis propose une solution qui semble plaire à ses amis, si ce n'est que cette fois ce n'est pas lui qui tiendra le pistolet, mais Athos. Ce dernier le prend dans sa main gauche et pointe l'arme vers le garde rouge, prévenant :
« Comme vous le constatez, je suis blessé de ma bonne main, je vais donc m'exercer avec l'autre, mais je ne garantis pas le résultat ».
Angèle pousse un cri de surprise, qui colle parfaitement au décor voulu par les mousquetaires. N'étant pas informée qu'il s'agit d'un jeu d'adresse auquel les trois hommes sont habitués.
Cela achève de convaincre le garde rouge de parler. Il révèle assez rapidement, trop au goût d'Aramis qui s'amusait, que d'Artagnan est retenu dans un moulin. Mais il ne sait le lieu exact.
Porthos se charge alors de renvoyer le garde au pays des songes, le temps de le ramener sur place, à la faveur du soir et qu'il ne sache pas où se trouve la maison d'Angèle, ne voulant pas lui causer de tort. Il reste un temps à proximité, surveillant que le garde se réveille sans encombre et repart. L'homme ne manquera sûrement pas de faire son rapport au cardinal, mais ce ne sera pas la première fois qu'un garde rouge se trouve aux prises avec les mousquetaires. C'est suffisamment fréquent pour qu'ils ne se sentent pas plus inquiets que cela de la situation. Et puis surtout maintenant, ils tiennent un indice qui semble exploitable.
Le seul souci pour eux étant que la région regorge de moulins. Et qu'ils n'ont aucune idée du lieu précis, ce qui va donc les contraindre à fouiller partout. Or ils savent que les moulins sont en général, construits de telle sorte qu'aucun obstacle n'empêche le vent d'actionner les bras, ce qui veut dire, des zones découvertes qui sont difficiles d'accès sans se faire prendre.
Epuisé par la blessure et la route, par la tension qui s'accumule, Athos est encore plus sombre qu'à son habitude. Ce qui soucie Aramis. Après une longue discussion, Athos accepte de se défaire de sa chemise pour que son ami puisse regarder l'état de la cicatrice. Elle est encore rouge et gonflée mais sans infection, ce qui est plutôt rassurant. Mais c'est surtout une occasion pour Aramis de tenter de faire parler Athos alors qu'ils ne sont que tous les deux.
« La cicatrice ne laissera presqu'aucune trace » dit-il fier de son travail, « mais qu'as-tu en tête exactement ? » demande-t-il
« Trop de moulins nous entourent. Nous n'aurons pas le temps de faire le tour de tous, nous devons donc procéder par élimination » répond l'homme, taciturne.
« Demandons à Tréville qu'il envoie des hommes sur ceux que nous ne pourrons aller visiter dans ce cas » suggère Aramis.
« Je ne veux pas l'impliquer. C'est une histoire de famille, pas de mousquetaire. » grogne Athos.
« De cela je ne suis pas convaincu, mon ami. » objecte Aramis.
Mais Athos met fin à la discussion, se levant et s'éloignant en replaçant sa chemise sur lui. Et il passe la majeure partie de la soirée, muet, le visage fermé et les yeux plongés dans ses pensées. Il ne remarque même pas, les tentatives d'Angèle pour le faire participer à leur conversation, malgré tous ses efforts.
Une seule chose l'obsède pour l'heure : comprendre les motifs de cet enlèvement et espérer que son cousin ne commette pas une bêtise irrémédiable. Les encouragements à son égard, qu'il pense dans sa tête, tournent et retournent sans cesse. Espérant qu'ils soient entendus. S'il croyait en Dieu, comme Aramis, il prierait, mais il y a bien longtemps qu'il a oublié comment il fallait faire.
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