Anecdote de Célestin Lejeune

Il venait d'avoir seize ans.

CÉLESTIN LEJEUNE était le fils de Jean et de Suzanne, les propriétaires du petit hôtel Chez nous sur le bord de la route. De plus, il était le benjamin d'une fratrie de cinq - et accessoirement le seul garçon. La seule chance de Célestin était d'avoir sa chambre à lui tout seul, ce qui n'était pas le cas de ses sœurs.

- Morgane, dépêche-toi, j'ai un rendez-vous !

Cette dernière ne se pressait pas. Elle écoutait sa musique au plus haut volume sonore, tout en prenant vingt longues minutes pour se doucher et par dessus le marché, elle se maquillait ! Morgane avait à peine un an de moins que lui, mais elle lui rendait déjà la vie impossible.

- Allez, Morgane, sérieusement ! On m'attend ! s'impatienta son frère, tambourinant contre la porte.

- Deux secondes Tintin, je dois me faire belle. Je sors avec le plus beau garçon du lycée alors tu vas attendre ! Tu me trouves belle ? demanda-t-elle finalement, en sortant de la salle de bain avec une robe à fleurs.

Célestin la détailla rapidement. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait rallongé de dix centimètres - mais son instinct de grand frère était très protecteur, voire sur-protecteur.

- Oui magnifique, allez dégage maintenant.

Elle avait arrangé ses longs cheveux bruns en nattes, et le résultat lui allait bien. Cette chevelure avait déjà fait craquer quelques beaux garçons puisque dans la famille, tout le monde a la même. Ses yeux marron - la forme était identique pour toute la fratrie - avaient été soulignés par un trait d'eyeliner. En règle générale, quand il se présentait, on le comparaît à ses sœurs ou bien on lui faisait une remarque rapide ; un petit mot encourageant ou un compliment.

Céleste s'habilla avec un jean beige et un pull en laine blanc, se coiffa rapidement car ses cheveux demeuraient un phénomène inexplicable que les scientifiques devraient étudier et enfila sa paire de chaussures fétiches.

- Tintin, viens jouer avec moi ! supplia Agathe, en sortant un jeu de société avec des dés.

- Non, pas tout de suite, j'ai rendez-vous, mais ce soir si tu veux Agathe, dit-il calmement.

- Rendez-vous avec Rosemary Delacroix ? lui demanda Capucine.

Il lui lança un regard noir. Agathe était sa plus jeune sœur, elle avait tout juste huit ans. Ses parents ne désiraient pas de nouvel enfant, mais quand ils apprirent l'heureuse nouvelle, ils acceptèrent avec joie ce futur bébé. Ses cheveux étaient courts et blonds, mais autrement, elle avait le même visage que ses frères et sœurs. Quant à Capucine, elle était la deuxième dans l'ordre croissant et avait déjà dix-huit ans. Célestin l'avait toujours bien aimé, elle était gentille, drôle et discrète.

- Roh tais-toi, je sais ce que tu vas dire, mais je te coupe. Non, elle n'est pas comme ça.

- Delacroix ? Comme le super producteur des films Hollywoodiens ? Oh Tintin, tu l'as vu ? Il est comment en vrai ? Tu vas me la présenter, hein, dis-moi que tu me la présentes !

Agathe venait de rentrer dans une phase où rien ne la calmait - et dans ce cas, elle devait le rencontrer pour arrêter d'être ainsi. Mais ça reviendrait à céder à son caprice de gamine donc il en était hors de question aussi.

- À plus les filles.

Ils avaient rendez-vous chez elle à dix heures et demi, et il était onze heures dix. C'était tout à fait normal, c'était Célestin.

- Allô ?

- T'es au courant que tu dois venir chez-moi ? Je demande ça parce qu'il est déjà onze heure passée, et que t'as pas l'air d'être dans le quartier.

- Ouais désolé, c'est mes sœurs. Agathe vient de découvrir qui était ton père alors tu sais, elle est un peu surexcitée, en plus elle est fan, c'est sa petite crise.

- Ouais je vois, allez grouille-toi.

Célestin l'écouta distraitement et courut le long de la route. Cinq minutes plus tard, une demeure de vingt mètres de haut - c'était peut-être exagéré mais c'était Célestin - se dressait devant lui. Il posa un regard admiratif sur la maison de Rosemary. Il sonna à l'interphone et un domestique le conduisit jusqu'à sa chambre. Une chambre qui s'étalait sur deux étages, rien que ça. Il le savait, il la connaissait bien, mais il était toujours émerveillé.

- Salut, dit-elle d'un ton froid.

Célestin avait compris ; elle n'avait pas du tout apprécié qu'il lui parle de son père de manière si détaché. Il passa outre, ce n'était qu'éphémère, comme toujours et il l'embrassa.

- Comment va la voyageuse ? Et la princesse ?

Il lui posait toujours ces deux questions car sa chambre se divisait entre son côté aventurier et son côté "fille de bourge". Elle haïssait cette désignation pourtant vraie.

- La voyageuse trouve la vie ennuyante, elle ne bouge pas assez. Et la princesse va mal, elle ne se sent pas bien. 

Pour seule réponse, Célestin se contenta de mettre ses mains autour sa taille et de poser sa tête sur son épaule.

- Hmm.. tu veux voyager ?

- Oh oui ! Même aller chez Joseph me plairait.

Célestin l'observait ; elle était belle à voir, elle était belle à entendre, elle était belle tout court. Il bailla et l'embrassa rapidement, pour se convaincre que ce moment était bien réel. Il savait bien qu'entre-eux, ça ne durerait jamais et qu'à la première occasion, Rosie s'amusera avec un autre, ailleurs, mais il aimait ces petits rencards. Et puis, il l'aimait vraiment elle.

- Joseph m'a justement proposé de passer chez-lui pour faire un espèce de chamboule-tout je crois.

- Ils m'étonneront toujours ces deux-là... bon allez on se bouge, informa Rosie, en mettant sa robe.

Si une idée était proposée par Joseph, on pouvait être certain que Camille était à ses côtés pour l'acquiescer. Célestin haussa les épaules et attendit Rosie, elle était toujours trop lente. Son domestique lui suggéra de l'accompagner mais elle déclina aussitôt l'offre, elle pouvait bien sortir seule, comme une adolescente normale. Ils croisèrent quelques camarades du lycée qui leur lancèrent des regards peu équivoques et Faustine qui leur rentra dedans.

- Ravi de savoir que tu mets toujours correctement tes lunettes.

- Professionnelle dans le domaine tintin. Dites à Sunny de passer à la pharmacie si vous le voyez d'ailleurs, leur demanda-t-elle, remettant ses écouteurs sur ses oreilles.

Faustine était très discrète et silencieuse, et puis Camille n'en parlait jamais à personne. Parfois, ils oubliaient même que ce dernier avait une sœur. Et pourtant, des maigres informations qu'il racontait, ils semblaient fusionnels.

- Et pourquoi la princesse va mal ?

- Elle déprime, sa vie est trop... organisée, une plaie Madame la Vie.

Rosemary se contentait d'être populaire, mais personne ne la connaissait réellement - même si l'on devinait aisément son caractère difficile grâce à ses bonnes (mauvaises) actions. Elle restait cependant très mystérieuse. Pour le plus grand malheur de ses amis qui tentaient vainement quelques approches peu efficaces. Seuls Honorine, qui passait des soirées entières chez-elle, et peut-être un peu Célestin aussi, pouvaient dire que l'adolescente n'allait pas bien.

Environ dix minutes de marches séparaient les deux quartiers, et en moins de temps qu'il ne faut pour leur dire, ils étaient rendus devant le petit commerce où les attendaient leurs amis. Joseph sortit en premier du petit garage puis leur ouvrit la porte qui menait à la cour privatisée, avant de leur expliquer le but de ce rendez-vous.  Ils avaient voulu faire un chamboule-tout de pommes, comme ça, à midi et quart.

Camille avait une très mauvaise influence sur Joseph, pensa Célestin.

Ils s'amusèrent ainsi une demi-heure avant le moment fatidique.

- J'ai une idée, dévoila Rosemary, un sourire à la commissure de ses lèvres.

- On doit avoir peur ?

- La ferme Camille. Une fois, j'ai fait éclater une petite pomme et-

Célestin soupira.

- Mais par tous les Dieux que je connaisse, comment as-tu encore fait pour faire éclater une pomme ?

- Mais laisse-moi finir et tu comprendras tout ! Donc j'en ai lancé une sur chaque voiture de collection de mon père, et deux de ses voitures ont eu une bosse, expliqua-t-elle, comme une petite fille qui ne comprenait pas l'humour.

Les amis éclatèrent de rire et continuèrent de lancer des pommes sur des conserves. Seulement, l'idée de Rosemary résonnait tout bas dans leur tête.

Je ne trahirais pas ces jeunes enfants mais je crois qu'ils ne se sont jamais autant amusés.

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