Anecdote d'Honorine Desrosiers

HONORINE DESROSIERS :

Elle venait d'avoir quinze ans.

HONORINE DESROSIERS était la fille aînée de paysans venus s'exiler en ville. Ils pensaient à leurs enfants, à l'éducation sûrement meilleure dans une zone urbaine, à la qualité de vie que le confort rural ne permettait pas. Pourtant, il n'y avait aucune différence entre les zones, ils ne vivaient pas mieux. Bien au contraire.

- Honey ! Va me chercher de quoi faire un plat pour tes grands-parents, demanda sa mère.

Elle râla - pour la forme évidemment -, alors qu'en réalité, elle adorait faire la cuisine avec sa mère pour ses grands-parents maternels. Gauthier passa tête brune au travers de la porte du soleil et lui servit un de ces sourires absolument trop mignons auxquels elle ne savait pas résister ; il l'accompagnerait lors de sa virée au magasin. Alors elle acquiesça silencieusement. Il était plutôt petit pour son âge et avait hérité de tous les traits de sa mère, ce qui faisait que la fratrie était identique : les mêmes dents du bonheur, les mêmes tâches de rousseur sur les joues, le même long nez aquilin et les mêmes beaux yeux.

- Emmène Gauthier, il faut qu'il prenne l'air. Je veux que tu me le fatigues au maximum ! lui demanda sa mère, se moquant peu charitablement du cadet de le fratrie Desrosiers.

- Compris cinq sur cinq. Viens petit monstre, il y a une épicerie en face du lycée, elle a l'air bien.

Le frère et la sœur enfilèrent de quoi ne pas attraper un vilain rhume et enfourchèrent leur vélo avec la selle cabossée. Ils pédalèrent au plus vite, en profitant pour faire une course sur un kilomètre - remportée par le petit monstre - et attachèrent leurs bicyclettes au poteau jaune fluorescent dans le noir.

- Sois sage, elle appartient aux parents de Jo', je ne voudrais pas qu'il ait un mauvais a priori sur moi.

- Je pourrais avoir des bonbons en échange ? négocia-t-il, presque innocemment.

Honorine entra dans le magasin, et analysa rapidement l'intérieur : les chariots à sa droite et la caisse de l'autre côté bordaient une allée centrale minimaliste. Elle salua gaiement la mère de son ami Joseph, prit la main de son petit frère et fouilla dans son téléphone à la recherche de la liste. Des œufs, de la farine, de la viande et des légumes. Elle se récita mentalement trois fois les ingrédients, puis partit à leur recherche.

- Eh Honey, on prend une tablette de chocolat pour accompagner le café ?

- Non, maman a dit qu'on suivait la liste. Et j'ai pas spécialement envie de me faire disputer en rentrant.

- Pas comme hier, j'ai eu mal aux oreilles pour toi, souligna-t-il, pouffant de rire.

Elle rougit jusqu'aux oreilles en repensant aux cris de sa mère la veille. Elle était rentrée tard et il y avait eu ce fichu sept en SES. Honorine excellait normalement dans la matière - elle adorait son prof en plus -, mais elle n'était pas vraiment dans la plus grande des formes ce jour-là.

- Ferme-la petit monstre. Attrape-moi la farine la moins chère s'il-te-plaît.

Ils se trouvaient dans une épicerie arabe donc le concept de moins cher était superflu.

- Camille va mieux ? demanda-t-il, en cherchant la petite étiquette indiquant le prix.

Camille était un garçon discret et rêveur mais terriblement solitaire et secret. Il appartenait au petit groupe de six qu'ils s'étaient construit en début d'année, duquel Joseph faisait également parti. Elle ne connaissait pas autant Camille que Joseph, mais tout le monde avait remarqué qu'il était plutôt ailleurs ces derniers-temps, distant. Faustine, sa sœur, le surveillait pourtant régulièrement.

- Il a mangé une assiette entière ce midi, mais après, je ne peux pas t'en dire plus. Bon, faudrait peut-être qu'on s'active un peu, maman va encore dire qu'on est long.

Elle arpenta les rayons - vides de la plupart de ses produits car on était lundi soir et que les livraisons étaient le mardi matin. Gauthier faisait du lèche-étales au niveau des glaces, où il resta quatre minutes sur le même paquet de glaces en bâton. Honorine collectait assez d'argent de poche avec le baby-sitting pour lui faire plaisir et l'autorisa à prendre une unique sorte de sucreries. Autant dire qu'elle était le diable incarné car il bavait devant tant de ces choses qu'il mit un temps infini pour choisir. Il trancha finalement pour la glace, en la couvrant de mille bisous.

- J'ai l'impression qu'on nous observe depuis tout à l'heure Honey, murmura Gauthier, son paquet de glace serré contre sa poitrine.

- Tu regardes trop de films chez tes copains, lui répondit-elle, en lui ébouriffant ses beaux cheveux frisés.

Elle se perdit encore quelque temps dans les rayons puis elle fût bien contrainte de constater la même chose que son petit frère, à savoir qu'il y avait un regard qui les suivait méticuleusement. Elle sentit son souffle s'accélérer et serra plus fort la main de Gauthier.

- Aïe. Tu me fais mal, commenta le petit, geignant d'une fatigue nouvelle.

Honorine s'excusa et partit vers la caisse d'un pas pressé. Le regard les suivit longtemps, intensément. Elle lâcha la boîte d'œufs quand elle aperçut leur couleur.

- Honey ! J'en ai partout sur mes baskets ! Tous mes copains vont se moquer de moi demain et en plus, tu viens de gâcher la boite d'œufs. 

Ces yeux. Identifiables, reconnaissables parmi mille. Le bleu océan, la forme en amande. Elle sourit sans s'arrêter.

- Joseph ! J'ai failli faire un arrêt cardiaque ! s'écria-t-elle, en adressant une tape sèche sur le torse de son ami.

Il rit encore plus.

- Gauthier est drôlement perspicace, souligna Joseph. Et toi, tu continues alors que je pourrais très bien être un tueur à gage ?

Gauthier se sentit drôlement fier et lui fit un check dont eux seuls avaient le secret.

- Oh Jo', rassure-moi, tu n'es pas un assassin qui voudrait me tuer pour mes beaux yeux ?

La fratrie ainsi que Joseph repartirent dans un fou-rire impossible à arrêter.


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