Média : Martinet

UN JEUNE FÉLIN au poil sombre et aux yeux glacés sortit des taillis qui se tenaient près du Chêne Déchu. Il observa le ciel qui se peignait des lueurs de l'aurore, dans la fin de la saison des neiges, avant de se pencher sur un flaque d'eau proche.

 N'importe quel autre chat aurait dû être effrayé par la lueur arc-en-ciel qui se dégageait de celle-ci, teintée de mille nuance, du rouge au indigo, en passant par le pourpre et l'ocre. Mais notre matou savait que cela ne lui était en aucun cas nocif, après tout, ses parents et les parents de ses parents lapaient ce liquide, et ce depuis des générations.

 Il sentit son oreille droite encore intacte se réchauffer, et il battit de la queue, là où étaient accrochées des plumes de divers oiseaux. Une s'envola à cause du vent, mais le noiraud la rattrapa avant qu'elle ne parte trop loin, et la remit en place, cette fois-ci dans sa sacoche. Il sortit de cette dernière une proie attrapée la veille, un moineau grassouillet, qu'il dépluma sur le sol forestier de l'ancien territoire du Clan du Tonnerre, qui était installé là il y a des centaines de lunes.

Oh, vous vous demandez sûrement pourquoi je parle de celui-ci au passé, n'est ce pas ? Ne dit-on pas que les Tonnerreux et leurs voisins claniques étaient indestructibles, et que rien ne pourrait briser leur existence ? Eh bien, les évènements qui se sont déroulés il y a quelques dizaines de saisons plus tôt prouve le contraire.

Alors qu'une substance inconnue se répandait dans le lac sacré des cinq Tribus, les Bipèdes qui habitaient autour de lui ont fui, laissant des nids vides, et mêmes des monstres endormis depuis, même si les plus superstitieux disent qu'ils se réveilleront un jour. La joie fut grande pour les Clans, qui finirent au bout de quelques temps par s'interroger sur le départ de ces casses-pattes. Cela fut vite découvert, car chaque Clan découvrit une eau nuancée de couleurs vives sur leur territoire respectif. Il fut interdit d'en boire, mais certains guerriers hardis, ou des apprentis trop curieux, s'abreuvèrent. 

Par la suite, ils furent pris de maux de tête et de ventre, qui durèrent quelques jours avant que ne se manifestent d'étranges phénomènes. Les concernés réussissaient à entendre à des dizaines de kilomètres de distances, pouvaient rester sous l'eau des heures sans se noyer, ou encore parvinrent à faire voler des proies ou des pierres de leur plein gré. 

Même si certains restaient dubitatifs face à cela, les chefs se mirent d'accord et firent boire à leurs membres cette nouvelle eau si spéciale, avides des pouvoirs incroyables qui étaient apparus. De nouveaux dons firent leur apparition, comme une vitesse et une force hors du commun, téléportation, contrôle des végétaux ou bien de l'eau, métamorphose. 

Des temps de paix suivirent, où chacun découvrait comment maîtriser son pouvoir, et aidait son Clan avec ce dernier. Mais rapidement, des tensions se créèrent : certains craignaient que la magie ne soit dangereuse pour la santé, d'autres que cette eau miraculeuse disparaisse, ou alors qu'elle ne perde son effet. Des guerres éclatèrent pour la moindre source ou étang, et ce don finit par pourrir les Clans en leur sein, avant de les briser complétement. 

Ce fut lors de la dernière Assemblée de la Pleine Lune que les chefs annoncèrent la dissolution des Tribus ; après tout, avoir de l'eau magique était plus important que le Code du Guerrier, ou les valeurs de paix qui étaient transmises par les si vieilles légendes, tel qu'Étoile de Feu. 

Dès lors, tout n'était que question de survie. Une dizaine de petits groupe se formèrent, et l'eau continua de venir et d'aller, n'étant pas éphémère comme certains le pensaient, mais bien infinie désormais. Beaucoup s'étaient posés  la question du pourquoi elle existait, mais jamais réponse de fut trouvée. Les chats de Clans se mélangèrent à ceux errants, et ils leur firent boire le breuvage du lac ; des générations de chatons volants ou grimpants aux arbres suivirent, et perdurent encore aujourd'hui.

Et bien sûr, nos minets avaient récupéré quelques petits accessoires bipèdes, histoire de ne pas s'ennuyer qui sait.

Enfin enfin, revenons à notre bicolore.

 Après s'être désaltéré à cette fameuse flaque d'eau, il reprit son chemin et longea les berges du lac, battant doucement de la queue au rythme de la bise matinale, cherchant du regard ce qu'il tente de trouver depuis des jours, des semaines de marche et de cache autour du territoire des anciens Clans. Et finalement, il perçut enfin : une entrée de galerie, cachée par des arbres nus, près de la rivière séparant la lande et les sous-bois. Des fleurs de lys sont cachées entre les racines des feuillus dénudés, à peine visible dans les restes de la neige qui meurt. Mais notre matou sait que ces plantes aux pétales d'argent ne sont pas là pour rien : elles signalent l'entrée des tunnels d'un des plus gros groupes vivants autour du lac. Exactement ce que cherche notre voyageur.

Il se faufila jusqu'à l'accès et sortit de sa sacoche des fleurs de lys aussi, avant de gratter contre la pierre et la terre enroulées ensemble près du tunnel. Une paire d'yeux mauves jeta un regard depuis une crevasse souterraines à quelques queues de souris du mâle bicolore et, après l'avoir attentivement observé, sortit de sa cachette et fit léviter une pierre pointue contre la gorge de ce dernier.

« Qui es-tu ? 

– Un ami, murmura le voyageur.

– On m'a déjà fait le coup il y a deux lunes. Les espions des groupes ennemis sont de moins en moins discrets, à mesure que le soleil revient.

– Je ne suis pas un opposant. Ces fleurs le prouve. »

Il poussa ces derniers comme un présent au félin gris tacheté qui les fixa quelques instants, avant de ramener sa pierre à ses pattes.

« Bien. Tu n'es pas un chat adverse. Dit moi juste ton nom. »

Le matou au pelage noir et bleuté sourit un instant, avant de redresser sa tête, et fit valser ses plumes de corneille en même temps qu'un courant d'air froid.

« Je me nomme Martinet. »

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