7; j'attendrai la fin de l'été.
JE ME réveillais à l'autre bout du lit, si proche du vide. Mathilde dormait encore et j'hésitais à me lever, à prendre le risque de la réveiller. Le silence m'était plus confortable, alors je fixais le plafond en me demandant combien de temps tout ça allait durer. D'abord le réveil de Mathilde, puis tout, de manière plus générale.
L'été filait à une vitesse déconcertante. Je commençais à voir arriver la fac de droit avec une petite boule au ventre. Mon père se creusait à vue d'oeil et je craignais la prochaine visite de ma mère, je craignais les conséquences du divorce sur Madeline.
Je jetais un oeil à Mathilde. Ses mèches éparses sur l'oreiller, ses paupières fermées et son air détendu, apaisé, la croix à son cou qui se perdait dans le pli des draps. Ses mains se serraient contre elles, en quête de quelque chose à tenir contre elle. Elle cherchait mon corps dans le lit si grand mais si petit.
Finalement je lui cédais mon bras et elle lova son visage contre ma peau. L'amertume me saisit alors la gorge.
C'était donc ça, l'amour ? Fuir le lit jusqu'à frôler la chute ? Prier en silence pour qu'elle ne se réveille pas, pour ne pas avoir à parler, pour ne pas avoir à se regarder dans le blanc des yeux avec un sourire mièvre.
J'aimais la compagnie de Mathilde autant que je la craignais. Et si j'aimais lui parler, enveloppée dans le noir de la nuit, j'avais peur des premiers rayons de soleil avec elle.
J'hésitais à en parler avec Georgia. Je savais que nous n'avions pas le même langage amoureux : elle très démonstrative avec une envie de crier son amour au monde entier. Et puis moi qui n'osait même pas le dire, même pas le penser.
Mais, au fond de moi, je savais ce qu'elle allait me dire. Que je ne l'aimais pas encore. Que ça viendrait. Ca ne faisait pas si longtemps que nous étions ensembles, Mathilde et moi.
Seulement, quand je la regardais, je me demandais si ça viendrait un jour.
Et chaque jour qui passait, j'avais un peu plus la triste confirmation que je ne tomberais amoureuse de Mathilde.
* * *
Mathilde mit une bonne heure à se réveiller. Elle grogna et, les yeux entrouverts, me salua de sa voix endormie.
"Salut, toi."
Son nez retourna se loger dans le creux de mon bras. Je lui répondis, du plus souriant que je pouvais. Du plus "je t'aime aussi" que mon esprit m'autorisait. Et je m'efforçais à tomber sous le charme de son sourire, de ses grands yeux qui s'émerveillaient et de ses petites moues.
"Bien dormi ? demanda-t-elle, ses doigts escaladant ma peau imitant un petit animal en promenade.
- Super. Et toi ?
- Pareil."
Silence.
Il m'était embarrassant. Ce n'était pas le silence réconfortant dans lequel on se plongeait comme du coton.
Dans cet instant précis, soudain, je voulus rompre. Comme ça. "C'est fini entre nous" ou quelque chose comme ça. Et puis je pensais que j'allais le regretter. Parce que je devrais me lever et la laisser pleurer dans son lit, alors que j'étais encore en débardeur culotte et qu'il n'était même pas midi.
Je tentais de me raisonner. Ca ne servait à rien de quitter quelqu'un pour un silence inconfortable. Surtout quelqu'un comme Mathilde. Je ne rencontrerais sûrement pas quelqu'un comme elle de sitôt. Pas quelqu'un d'aussi doux, attentionné.
"Je te quitte"
Cette pensée me prit d'assaut quand la brune posa la tête sur mon torse. Elle pouvait sentir les battements affolés de mon coeur en plein dilemme.
Non. Mathilde était une chouette fille et j'avais envie de rencontrer Hippolyte.
"Après Hippolyte, tu la quittes."
C'était le seul marché que j'avais accompli avec mon esprit pour me rendre tranquille. Une boule se noua dans mon ventre. Une boule qui ne me quitta pas quand je la vis beurrer ses tartines et mordre dedans à belles dents pendant que la mienne avait goût de poussière. Une boule qui ne me quitta pas lorsque je l'embrassais pour lui dire au revoir.
Une boule qui ne me quitta toujours pas quand je m'allongeais sur mon lit, que je lançais une série pour me divertir.
Puis, Madeline pointa le bout de son nez et vint se lover contre moi.
Je remarquais avec amertume que son étreinte m'était plus chaleureuse que celle de Mathilde.
"Papa et maman sont au téléphone. Ils se disputent encore."
Je savais que les disputes atteignaient beaucoup Madeline. Elle semblait se raccrocher à l'idée qu'un jour, nos parents allaient se remettre ensembles. Elle m'attendrissait autant qu'elle me faisait de peine : la douleur se lisait dans ses grands yeux clairs. Elle croyait en l'amour, le beau, le vrai, le pur, et nos parents brisaient chaque jour sa vision utopique à grands coups de marteau.
Je leur en voulais, d'un côté. Et puis je regardais ma situation.
Je ne savais plus où j'en étais. L'amour je ne savais pas si je n'y croyais plus ou s'il n'avait jamais existé. Je ne savais pas s'il était fable ou si je n'en étais tout simplement pas digne. Je ne savais rien et la seule chose qui était sûre, c'était que ma petite soeur adorait Mathilde. Je ne pouvais pas m'en séparer. Pas après ça. Après ça, Madeline n'y croirait plus, à l'amour.
Je voulais qu'elle l'attende encore, qu'elle se berce d'espoir ; je ne voulais pas la voir en petite chose aigrie par le temps, petite fleur ratatinée de manque d'eau et d'amour.
"Tu te disputes, toi, avec Mathilde ?
- Non, pas vraiment."
On se disputait en silence. Elle avait le regard accusateur quand je passais une heure à parler à Georgia sans lui adresser la parole. S'enchaînait un long échange : moi l'interrogation, elle le regard blessé et le coeur qui saignait, et puis moi, l'incompréhension. Son "laisse tomber" murmuré et les yeux roulés qui imploraient le ciel, sûrement pour une meilleure copine que moi ; sûrement qu'elle regrettait Hélène.
Je fronçais les sourcils, sur la défensive, quand elle abordait en public des sujets que je n'aimais pas. Après quelques verres, elle aimait me taquiner sur le fait que je n'étais pas tactile. Ce à quoi Georgia répondait "tu loupes, elle fait des super câlins!" et Mathilde qui m'en voulait.
Les questions emplissaient ma tête.
"Oui, je me disais. Mathilde elle est gentille."
C'était ça. Mathilde était gentille.
C'était moi, la petite conne de l'histoire.
Après une semaine à éviter les rencontres avec Mathilde sous prétexte que je devais aider mon père - en réalité finir la deuxième saison de Dark - son meilleur ami arriva enfin en ville et je me manifestais alors pour le rencontrer.
Je fis alors la rencontre d'Hippolyte au bar, vers dix-sept heures. Mathilde et lui avaient commandé une bière qu'ils avaient déjà bien entamée avant mon arrivée. Je les imitais avec un monaco.
Je détaillais le garçon. Il avait un faux air d'ange avec ses boucles blondes, ses grands yeux pleins de malice et sa petite fossette quand il souriait. Un gendre parfait, somme toute.
Je me sentais tâche, dans ce méli-mélo d'identité : ces cheveux au carré qui commençaient à rebiquer, ce tee-shirt un peu moche que ma mère m'avait offert, ce short que Georgia m'avait sommé d'acheter parce qu'il "te fait un cul d'enfer" et que "franchement je suis jalouse t'es super bien gaulée" et ces docs que j'avais acheté dans un élan de rébellion.
Mathilde était fidèle à elle-même, dans ses petites robes d'été qui flottaient au vent, ses jolies sandales à plateformes et son fard à paupières de la même couleur que les petites fleurs du tissu. Et Hippolyte lui était bien assorti, tout droit sorti d'une page Instagram pour cool kids indie.
"T'es encore plus jolie en vrai."
Il semblait à l'aise. Trop à l'aise. Et moi je voulais disparaître. Mathilde répondit d'un rire. Je lui en voulais. Je lui en voulais parce que quand Georgia me complimentait ses yeux se chargeaient d'orages. Elle aurait pu lui faire tout les reproches du monde mais elle se contentait de rire.
"Toi non plus, t'es pas trop mal, marmonnais-je."
Son téléphone posé sur la table s'illumina d'une notification. Je glissais automatiquement le regard sur la photo. Je reconnus la bouille malicieuse de Calliopée et le sourire charmeur d'Hélène, qui n'était pas passé inaperçu aux yeux de Mathilde non plus.
Le sourire de ma copine se troubla.
"Alors, comment elles vont les filles ?"
Hippolyte eut une moue nerveuse.
"On en parlera après, non ? Là j'veux rencontrer Sidonie avant d'être trop bourré pour être sympa."
Mathilde opina d'un couinement de souris et je laissais échapper un sourire gêné.
"Eh, Sidonie, tu sais que quand on était au collège, nos parents voulaient nous marier ?"
Je répondis d'un rire embarrassé. Evidemment. Evidemment qu'ils auraient fait un beau couple. Ils avaient le regard pétillant d'intelligence et le même goût vestimentaire.
Je repensais à la mère de Mathilde. Je ne comprenais pas pourquoi elle m'aimait bien. Je ne comprenais pas ce qu'elle pouvait trouver à cette coquille vide de Sidonie qui ne s'habillait que comme les autres lui disaient de faire. Pourquoi elle trouvait intérêt à une fille si mal assortie à Mathilde.
"On a même fait ce pacte débile que tout le monde fait. Si à trente ans on est pas mariés, on se marie tout les deux.
- Mais compte pas trop dessus, riposta Mathilde."
Elle me regarda ensuite et je ne sus où me mettre. Elle n'était même pas majeure qu'elle prévoyait déjà de se marier avec moi ? La culpabilité me tordit l'estomac. J'étais là, à trouver le bon moment pour la quitter pendant qu'elle se voyait déjà en robe blanche entourée de colombes ?
"Bon, alors, Sidonie, tu vas faire quoi après le bac ?"
Hippolyte tentait tout et n'importe quoi pour me mettre à l'aise. Je descendais mon Monaco comme du petit lait. Je savais qu'il le savait déjà, que Mathilde l'avait déjà informé du pitch "Sidonie Clémence Stéphanie, taureau ascendant balance, petite soeur et parents qui divorcent".
Alors je tentais de lui répondre en me jurant de passer à un alcool plus fort pour le second verre avant d'y noyer mon embarras.
Mathilde finit par aller aux toilettes. Je mourrais d'envie de la rejoindre mais Hippolyte ne sembla pas de cet avis : il me dévisagea comme si le secret rongeait ses lèvres.
"Eh, meuf, vous êtes trop mignonnes toutes les deux. J'osais pas vous le dire parce que j'allais me faire éclater par Mathilde mais vous allez trop bien ensembles."
Je lui répondis d'un sourire maigre. Comment allais-je bien me sortir de ce pétrin, maintenant ? J'étais validée par le meilleur ami. Par les parents aussi, quand on y pensait.
"Tu sais, je suis vraiment content qu'elle soit amoureuse de nouveau. Sa rupture avec Hélène ça l'a vachement blessée. Elle pleurait tout le temps et elle ne croyait plus vraiment en l'amour. Ca a duré longtemps, tout ça. Jusqu'à ce qu'elle te rencontre, en fait."
La culpabilité me rongea de nouveau. Est-ce que j'allais réellement mettre fin à ma relation parce que je ne croyais plus en l'amour, maladie qui semblait se guérir, quand j'avais redonné à Mathilde l'envie d'aimer ?
Qu'est-ce que j'allais faire, au juste ? Emietter son coeur, lui dire "tiens, bien fait, t'as aimé, t'y as cru, t'aurais pas du ?".
Mathilde revint et je m'efforçais d'être heureuse de la voir sourire. De ce bonheur amoureux. Ce bonheur de se dire "regardez, elle est belle quand elle sourit, regardez c'est celle qui m'aime, c'est celle que j'aime, et des sourires comme ceux-là j'en vois tellement d'autres". Mais j'étais juste heureuse de la savoir apprécier la vie. J'étais heureuse pour elle parce que je tenais à elle.
Et puis un autre verre. Mathilde avait l'air de passer une bonne soirée. Tellement qu'elle proposa une tournée générale. L'air faussement grave de ces personnes qui ont bu un peu trop, elle posa ses mains sur les nôtres et leva le menton :
"Vous savez que vous faites partie de mes personnes préférées et que je suis trop contente que vous vous entendiez bien?"
Hippolyte fut très spontané dans sa réaction et la serra dans les bras. Je serrais ma main dans la sienne après quelques secondes de panique.
"Et toi, espèce de lâche, dis moi ce que deviennent les filles !
- Ok ok. Bon, déjà, tu te souviens d'Antonin ? Le pote d'enfance de Calliopée ? Ils sortent ensembles, maintenant. Ils sont trop mignons. Bon, un peu niais, mais Antonin est con donc ça rattrape. Ils font des batailles de farine dans toute la maison. Tu te doutes que Capucine déteste."
Je ne connaissais pas la moitié des prénoms et me sentais totalement larguée. Mais à la panique précédente d'Hippolyte, je me doutais que le nom Hélène allait être parsemé de mauvaises nouvelles. Il essayait sûrement de la perdre.
"Mais bon, Calliopée a juste à lui proposer une soirée films, alors ça va, généralement. D'ailleurs Capu adore ses études. Tu devrais lui en parler.
- J'ai pas parlé à Capucine depuis un an et tu le sais très bien.
- Ouais mais elle veut être prof, ça peut être chouette et elle pourrait avoir plein de trucs à te dire et...
- Et Hélène, trancha Mathilde. Hélène. Elle devient quoi ?"
La fameuse question.
"Hélène a rencontré une meuf."
Le sourire de Mathilde se brisa. J'aurais pu me sentir blessée, mais je comprenais. C'était toujours délicat quand on apprenait que les gens qu'on avait aimé avançaient, même si on ne voulait pas forcément avancer avec eux.
"Tu te souviens, quand on a parlé de nos premiers crushs. Elle avait montré la photo d'une meuf de notre collège. C'est elle. Elle a pécho sa première crush.
- Chouette."
Pas chouette du tout, visiblement.
"Long terme ou juste histoire d'été ?
- J'sais pas trop. Mais, eh, Mati, t'as une meuf encore plus cool que la sienne !"
Je me sentais presque de trop.
"Ouais, je sais. Désolée. C'est juste que c'est chiant. Qu'elle me quitte parce que plus de sentiments et que le long terme ça lui fait peur. Et qu'elle se retrouve en relation long terme. J'ai l'impression d'être prise pour une conne.
- Et y'a un an, tu me disais que tu voulais plus jamais être en couple. Et regarde où t'en es ! T'as évolué, elle aussi."
Silence.
"Tu sais, faudrait que tu viennes à Saint-Palais. Ca ferait trop plaisir à Calliopée, même à Capu. Et j'suis sûr tu t'entendrais bien avec Gene.
- Gene ?
- Ouais, Geneviève. On a fait des soirées avec elle."
Mathilde se mit soudainement à rire.
"Putain, elle a chopé une des meufs les plus belles de Saint-Palais. Et j'ai chopé une des meufs les plus belles d'Angers. Ca c'est une évolution !"
Puis son visage se ferma un peu.
"Mais je pense pas que je reviendrais. Ca serait vraiment trop gênant de lui parler."
Tout à coup, ça me frappa. Si je quittais Mathilde, je lui disais adieu. Je ne la verrais plus, parce qu'elle ne voudrait pas. C'était le cas après chacune des séparations que mes amis avaient essuyé. On se voyait pour rendre une petite boîte qui contenait tee-shirt, brosse à dents, chaussettes égarées et culottes en boule, et puis bonne continuation je suis là si t'as besoin mais s'il te plaît ne me recontacte jamais.
Mais Mathilde, je ne voulais pas lui dire au revoir. Je voulais la revoir et regarder des films avec elle et la conseiller et l'écouter parler. Je n'étais pas prête pour les adieux.
J'attendrai la fin de l'été pour la quitter.
nb : je ne savais pas vraiment où j'allais avec ce bouquin mais finalement je trouve peu à peu ma direction et j'aime bien la tournure que prend l'histoire. Désolée si ça paraît plus long à démarrer ou quoi, et, oui, j'ai pas pu m'empêcher de mettre mes autres oc dedans hahaha bon.....!
mais j'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre et j'espère avoir traité au mieux de la rupture hihi, bsx bsx
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