3; l'image qu'on renvoie.
LE PROBLEME avec le bonheur, c'était qu'il n'était jamais éternel. J'avais passé la semaine à traîner avec la bande, à boire des pintes en terrasse en râlant sur Olive qui soufflait toute la fumée de sa clope dans mon visage, à embrasser Mathilde étendues dans l'herbe en écoutant des chansons douces à base de voix calmes et de guitares.
Je ne voyais pas vraiment mon père, beaucoup plus Georgia ; nous avions fait pas mal de shoppings. Beaucoup pour moi, en théorie. Beaucoup pour elle, en pratique. Parce que, ce qu'il y avait de formidable chez Georgia, c'était qu'elle était en équilibre.
Elle savait ce qui lui allait, elle savait ce qu'elle cherchait, elle savait ce qu'elle voulait mais elle savait se réinventer. Elle essayait, elle expérimentait, elle n'avait pas peur qu'un pli tombe mal, qu'un vêtement la grossisse. Elle savait être différente, elle savait se renouveler tout en gardant cette élégance qui lui était propre.
Et moi, je voulais désespérément faire comme elle. Devenir quelqu'un d'autre tout en conservant cette part de moi.
Mais quelle part de moi voulais-je garder ? Je n'étais plus sûre de qui j'étais vraiment. De qui je voulais être. De ce que ma mère m'avait forcée à être.
Et ce n'était pas une nouvelle coupe de cheveux qui allait m'éclaircir les idées. Je triturais nerveusement mes mèches éclaircies par les heures au soleil, regardant Georgia hésiter entre deux tops imprimés qui lui iraient sûrement bien, l'un comme l'autre.
"Lequel ? demanda-t-elle, comparant les deux.
- Je sais pas, les deux sont cool.
- Je veux pas cool, Sido. C'est les dix-huit ans d'Arnaud demain et j'ai pas envie de ressembler à un sac à patates.
- Je suis sûre que même si tu voulais ressembler à un sac à patates, t'y arriverais pas, soupirais-je."
Mon amie reposa les deux cintres, fronçant les sourcils.
"Qu'est-ce qui va pas ?
- Rien, t'inquiète.
- Sido, tu peux prendre le reste du monde pour des cons si tu veux, mais me mens pas à moi, s'il te plaît.
- C'est juste que je revois ma mère aujourd'hui. Et...j'ai pas vraiment envie de la revoir, tu comprends ?"
Georgia s'assit à côté de moi et posa une main sur mon épaule. Ce contact me rassura : je savais que je n'étais pas seule.
"Je veux pas te vexer, mais ta mère est une connasse. Alors je comprends."
Je ne m'ouvrais pas trop quant à mon ressenti à ma mère. Je savais que Georgia ne comprenait pas. Elle était choyée par ses parents, c'était l'enfant unique, l'enfant roi : l'idée qu'on ne puisse pas aimer un de ses géniteurs devait lui être irréelle.
Alors je me contentais juste de me plaindre mollement de ses agissements.
Mathilde et Georgia m'écoutaient parler, me laissaient vider mon sac et m'encourageaient à devenir une meilleure version de moi-même sans chercher à creuser plus que ça.
De la bande, il n'y avait que Marion qui m'avait véritablement engueulée. Mon amie m'avait agrippé les épaules et commencé à s'égosiller. Je me rappelais partiellement de son discours. Une sorte de "merde à la fin, c'est sa vie où la tienne Sido ? Fais quelque chose ou tu vas finir par disparaître et devenir une version nulle de ta mère."
Ca m'avait glacé le sang et laissé planer un froid dans la bande. Olive avait suspendu son débat avec Mathilde, Georgia me regardait, les yeux écarquillés, cherchant à savoir comment j'allais répondre aux mots bruts de Marion.
Finalement, Arnaud avait brisé le silence avec cette phrase idiote : "quelqu'un veut la dernière bière ?". Les discutions avaient repris. Georgia avait emmené Marion à l'écart pour lui parler. Olive et Mathilde reparlaient de cinéma. Arnaud buvait sa bière.
Et moi j'avais mon gobelet poisseux entre les doigts, avec cet échos. "Tu vas devenir une version nulle de ta mère."
J'y repensais encore. Les yeux baissés sur mon jean fade, sur mes sandales abîmées que je mettais pour le troisième été de suite.
Je coulais un regard à Georgia. Elle savait gérer sa vie. Elle était belle. Elle n'avait peur de personne.
La rousse porta une main vers moi, remettant une mèche blonde derrière mon oreille dans un geste affectueux.
"Eh, Sido, ça va aller avec ta mère."
C'était facile pour elle, de dire ça. Ca allait toujours pour elle. Mais je me sentais réconfortée de la savoir avec moi.
Mon amie retira alors un des nombreux bracelets qui tintaient à son poignet. Un assemblage de maillons dorés qui recréaient une chaîne. Et me le tendit.
"Et puis, si ça va pas, tu sauras que je suis toujours avec toi."
L'attention me toucha plus que je ne sus lui démontrer et je me contentais de passer son bracelet à mon poignet avec un sourire tremblant d'émotion.
"Tu la vois où ? demanda-t-elle, passant le pouce à mon poignet, sur son bracelet.
- Je crois qu'elle va nous emmener à la crêperie. Maddie adore les galettes.
- Bon, au moins, tu vas pouvoir éviter les scandales, commenta-t-elle avec un petit sourire en coin."
Georgia se releva d'un bond et se mit de nouveau en quête de la tenue idéale pour la soirée de demain. Je la regardais avec un sourire amer, un peu envieux. J'aimais la passion qui l'animait.
Soudain, des cintres, elle tira un haut à gros carrés vichys roses et blancs.
"C'est ton style, ça ? demandai-je, un peu perplexe.
- Chut, m'intima-t-elle."
Elle me plaqua le haut contre la poitrine et me scruta attentivement.
"Chaton ? Tu sais ce que tu mets, demain ?
- J'y ai pas trop réfléchi, avouais-je."
Je m'attendais à un soupir exagéré, un "mais putain, Sido, fais un effort, c'est l'anniversaire de mon copain demain, c'est pas n'importe quoi". Mais au lieu de ça, j'avais réveillé une tornade. Elle explora les cintres, alternant le regard entre les bouts de tissu qui y pendaient et mon corps mal fagoté.
Finalement, la rousse me tendit une robe d'été imprimée que je voyais très bien sur Mathilde, à deux doigts de jouer le rôle d'un elfe moderne ou d'une fée sous couverture. Puis une deuxième, noire, simple jusqu'à ce que je regarde le décolleté baillant.
"J'oserais jamais porter un truc comme ça, m'exclamai-je en portant un regard inquiet au creux inquiétant à la poitrine.
- Faux. L'ancienne Sidonie oserait pas porter ça."
Elle me fit pivoter afin de faire face à un miroir, et comme si j'étais une poupée délicate, me passa précautionneusement une mèche raccourcie derrière l'oreille, me parlant à voix basse de manière à ce que je sois la seule à l'entendre.
"Et la nouvelle Sidonie, elle en est capable. Pas vrai ?"
Et, pour la première fois, je me figurais avec ce morceau de tissu sur le dos. Ce n'était pas pas moi. Je ne voulais juste pas me permettre d'être elle. La fille à la robe. La jolie fille. Ca avait toujours été le rôle de Georgia, de Mathilde ou de Madeline.
Il n'y avait pas de place pour deux jolies filles. Alors je les laissais être jolies, mettre leurs corps en valeur, sublimer leur visage. Je n'avais jamais appris à faire ça.
Pour la première fois, je réalisais qu'il y'avait de la place pour moi. Que je pouvais être jolie, si je le voulais.
Georgia vit l'éclat qui du se mettre à scintiller dans mes yeux. Alors elle me regarda, avec un air de défi.
"Alors ? soumit-elle finalement. Tu la prends ?
- Tu fais chier, soupirais-je."
Elle savait que ce n'était pas le cas. Elle savait que c'était justement tout l'inverse. Elle savait qu'elle était essentielle à ma vie.
Je rentrais chez moi et accrochais la robe à un cintre, entre la robe à col d'écolière que ma mère m'avait achetée et une autre d'été. Puis, une demie heure après, la retirais de son cintre, en palpait l'étoffe.
Elle était légère, prête à s'envoler ; elle était fluide, pas si douce. Je tins les bretelles entre mes doigts.
Puis je déboutonnais mon jean. Fit passer mon tee-shirt au dessus de ma tête. Et j'enfilais la robe.
Elle me tombait dessus et les bretelles étaient mal ajustées ; j'étais un peu déçue de ce symbole de mon émancipation. Mais je me sentais en même temps très fière.
A ce moment là, Madeline entra dans ma chambre sans frapper, comme à son habitude. Elle venait sûrement me demander mon avis sur son maquillage.
Mais elle était coupée dans son élan par la surprise.
"Toi, t'as acheté une robe ? fit-elle. C'est pour maman ?
- Non, pour l'anniversaire d'Arnaud, demain.
- Elle est jolie."
Ma soeur s'approcha de moi.
"Pourquoi tu te tiens comme un piquet ?
- Je me tiens pas comme un piquet, me défendis-je."
D'une main de fer, elle me fit bomber la poitrine et me resserra les bretelles.
Le fait que ma soeur de seize ans m'apprenne à me tenir m'offensa un peu. Mais elle avait raison, sur le fond. Je ressemblais à quelque chose. J'esquissais un sourire vers le miroir. J'avais l'impression de me trouver belle, pour une fois.
"Je me disais aussi que c'était bizarre. Une robe. Pour des galettes. T'en mets jamais.
- Je croyais que ça m'allait pas.
- Bin, si. J'ai hâte que Mathilde te voit avec."
Et je n'avais pas pensé à ça. Mais j'avais hâte, à présent, d'être demain.
Mais pour l'instant, il fallait que j'affronte ma mère. Et c'était dur de voir ma soeur enthousiaste à l'idée de la revoir, alors que j'avais un noeud au ventre. Je savais que tout pouvait dégénérer. J'avais peur qu'elle critique mes cheveux, mes nouvelles chaussures. De ses petites remarques en coin. Qu'elle méprise de nouveau Georgia.
Je remis mon jean et mon tee-shirt. Je n'aimais pas ce que le reflet renvoyait. Je n'aimais pas ce que je montrais.
Et pourtant, je préférais cette image d'une fille fade et inintéressante plutôt que d'essuyer une remarque de ma mère.
La rupture serait longue. J'avais entamé la procédure de divorce en pensait avoir fait ma part et qu'à présent tout irait mieux. Mais je n'avais pas vu tout le chemin à parcourir pour être heureuse. Je pensais qu'un pas suffirait mais il m'en restait mille à faire.
Cette pensée m'épuisa et je commençais à penser que je ne serais jamais ni heureuse ni ce que je voulais être. Pour quelque chose qui n'en valait, après coup, peut-être pas la peine.
Je passais, sans surprise, un repas très moyen. Avec ma mère, les choses ne changeaient jamais.
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