2; trop tôt pour les déclarations d'amour.
let 'em talk 'cause we're dancing in this world alone"
lorde - a world alone
JE FINIS par me tirer du lit et rentrais chez moi, non sans regrets. Les murs étaient froids et gris chez mes parents. Tout était sous cartons. C'était comme si on avait empaqueté les souvenirs.
Ma mère passait quelques jours chez sa soeur, ma soeur dormait chez une copine et mon père était une triste loque à deux doigts de manger ses raviolis à même la boîte de conserve.
Mais j'avais le coeur gros en entrant. Comme si toute la douceur que Mathilde avait déposé sur mon âme était partie, balayée par le poids des cris, des conséquences, des crises de larmes sur l'oreiller.
C'était comme si on avait tout balayé pour laisser place aux mauvais moments.
"Je reste pas, je vais voir Georgia, dis-je lorsque je vis mon père."
Il approuva en silence : que pouvait-il dire ? Au moins, j'allais manger.
Je pris une douche et changeais mes vêtements, prête à rejoindre Georgia au parc. Comme d'habitude, elle avait un bon quart d'heure de retard. Mais elle aimait ça. Elle aimait qu'on la voit arriver de loin, elle aimait jouer avec ses longs cheveux roux, elle aimait sentir les regards se poser sur elle.
Mon amie coinça ses lunettes sur son crâne, calant les branches de manière à retenir les mèches. Et elle m'adressa un sourire resplendissant.
"Impressionnant ! commenta-t-elle. T'es pas morte."
A cette phrase railleuse, elle ajouta un coup de poing vigoureux dans mon épaule comme pour vérifier que sa main n'allait pas passer au travers de mon corps.
"C'était sympa, hier. Vous auriez du venir.
- Je me sentais pas d'être avec tout le monde...
- Ouais, à d'autre. T'as pas besoin de me mentir, Sido, je sais très bien ce que c'est, de vouloir être juste à deux, hein."
Vexée d'un supposé mensonge, Georgia leva la main en l'air comme pour m'intimer de ne pas répondre. De son sac cousu main, elle sortit une bouteille de vin au fruit.
"Pique-nique ? proposa-t-elle."
Elle but quelques gorgées au goulot et me la tendit. J'en pris une gorgée timide en retour.
"C'était bien, au moins, avec Mathilde ?
- Ouais, ça m'a fait du bien.
- Ouais, je parie."
Mon amie me reprit la bouteille.
"Et tes parents, tu le vis comment ?
- J'ai pas vraiment envie d'en parler.
- Tu devrais. Ca fait du bien d'en parler."
Je n'avais pas envie d'en parler. Réellement pas. J'aimais beaucoup Georgia mais je ne me sentais pas capable de lui ouvrir mon coeur. Il y avait cette chose qui me bloquait. Je ne savais pas mettre de mots sur ça.
"Ce qui me ferait du bien, c'est de penser à autre chose.
- Ok, pour ça, j'ai ce qu'il faut."
Et mon amie m'expliqua en détail le plan pour l'anniversaire d'Arnaud. Je l'écoutais sans rechigner ; elle avait cette manière, quand elle parlait, de captiver son audience. Sûrement l'éclat de passion qui scintillait dans son regard, ou les gestes fluides dont elle agrémentait son discours.
Elle nous faisait presque croire que c'était un luxe de l'écouter parler.
"Tu veux bien me servir d'alibi, supplia-t-elle avec des yeux de chaton. Du genre "désolée mais je peux pas te voir ce soir, Sido va pas bien et a besoin de moi" ?
- Je veux bien mais... honnêtement, les anniversaires surprises, on s'y attend toujours à l'avance... pourquoi tu te démènes comme ça ? Il va savoir que tu mens.
- C'est pas parce que tu crois plus en l'amour que j'ai pas le droit de faire des efforts dans ma relation, répondit-elle, vexée.
- Tu peux faire des efforts autrement qu'avec un anniversaire surprise."
Georgia but quelques gorgées de vin avant de répondre d'une voix pincée :
"J'ai pas vraiment de leçon à prendre de la part de quelqu'un qui donne pas de nouvelles à sa copine pendant une semaine."
Je pris assez mal sa remarque et me mit à triturer l'herbe. C'était du Georgia tout craché, lâcher une petite pique virulente et blesser sans faire exprès, à force d'être sur la défensive.
"Elle l'a pas mal pris ?
- Elle m'a dit qu'elle comprenait. Je sais pas si c'est vrai."
Je portais mes mains à mes chevilles, les enserrant entre mes doigts.
"Tu sais quoi ? Si elle t'a dit qu'elle comprenait, elle te comprend. Et si elle a menti pour te préserver ou je sais pas quoi, alors elle a pas intérêt à te foutre ça sur la gueule. On lui a jamais demandé de mentir."
Georgia but une autre lampée de rosé. Je l'imitais. Le goût sucré me resta sur le palais, avec un arrière goût d'adrénaline. Je n'avais pas le droit de faire ce que je faisais d'habitude. Je mentais quelques fois à ma mère pour sortir avec mes amis, en lui disant que j'allais dormir chez Georgia, omettant le fait qu'on ne ferait pas de soirées pyjamas entre filles mais que quelques bouteilles circulaient.
Et là, je le faisais, sans nervosité de me faire attraper. Parce que si jamais on me surprenait, je n'avais plus peur du regard de ma mère. Je voulais enfin apprendre à vivre pour moi, sans subir les conséquences de son jugement.
Mon amie me fixa. Son regard noisette était maquillé d'une poudre prune et elle haussa un de ses sourcils bien épilé.
"Tu sais, j'aurais pas parié sur le fait que t'étais lesbienne, quand on s'est rencontrées.
- Le fait qu'on avait cinq ans joue probablement.
- Oh, tu sais, je pense que c'est le contraire. Quand on a cinq ans, on s'en fout de l'amour, on a juste envie d'avoir des amis. Et justement, toi, tu traînais pas trop avec les autres filles. On aurait dit qu'elles t'intéressaient pas. Tout ce qui t'intéressait, c'était de mettre des putains de strass sur ta boîte de fête des mères.
- Tu m'as jamais appris. A être la reine de la cour de récré."
A l'âge de cinq ans, Georgia avait déjà son petit caractère. Elle aimait être entourée, elle aimait les jours de déguisement pour avoir une robe de princesse, elle aimait déjà qu'on la remarque. Evidemment, les filles comme Georgia attiraient plutôt la sympathie et elle avait un petit groupe d'amis.
Je ne savais pas comment expliquer ça. Sûrement que Georgia avait été pourvue d'un aimant à sa naissance. Un truc qui attirerait tout les gens vers elle.
Quoique : ça s'appelait le charisme.
"Oh, Sido, t'aurais jamais voulu être la reine de la cour de récré."
Et elle avait raison. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de me demander à quoi ma vie ressemblerait si je l'avais été.
"Et puis, soyons honnête, il peut y avoir qu'une seule reine.
- C'est pas vrai, y'a bien un roi et une reine.
- J'avoue..."
Elle but une autre gorgée et me coula un regard plein d'affection.
"On aurait fait les meilleures reines de la cour de récré."
Mon amitié avec Georgia avait été un peu compliquée ; nous étions proches sans plus que ça en maternelle. Comme elle l'avait si bien dit, j'accordais plus d'importance à mes coloriages magiques qu'à être invitée aux goûters d'anniversaires. J'avais eu ma bande d'amis en primaire et nous avions perdu contact, puis en cinquième, j'ai retrouvé Georgia dans ma classe.
Je m'attendais à ce qu'elle me méprise, parce qu'elle était tout ce que je voulais être et que j'étais tout ce qu'elle ne voulait pas être. Et il y avait peut-être un peu de ça, au fond. Mais elle s'était souvenu de moi, de qui j'étais et s'était assise à côté de moi en cours d'anglais. Puis en cours de français, d'histoire, puis à peu près partout.
Depuis, notre amitié avait connu des hauts et des bas, pas mal de disputes houleuses, mais elle avait été la première à me défendre et à me soutenir.
Je l'avais entendu me raconter sa première fois, avec son ex de l'époque, un véritable con, pendant que je galérais avec les garçons - on se demandait maintenant pourquoi. Je l'avais consolée pendant son premier chagrin d'amour. Je l'avais regardée, d'un oeil inquiet, tousser à ses premières cigarettes.
Georgia n'était pas la personne la plus facile à vivre au quotidien ; elle prenait tout très à coeur, réagissait au quart de tour comme si ses sentiments étaient décuplés. Mais je ne voyais plus ma vie sans elle.
J'avais vécu une partie de ma vie avec elle, et je comptais en vivre une autre. Une longue autre partie.
"Je suis contente, qu'on soit amies."
Georgia posa sa main sur la mienne avec un sourire.
"Moi aussi, Sido. Moi aussi.
- Je crois que t'es la meilleure chose qui me soit arrivée.
- T'as pas assez bu pour tenir ce genre de propos, tu sais ?
- Je rigole pas."
Le visage de mon amie s'attendrit alors d'un sourire sincère.
"Désolée...je sais pas réagir aux déclarations d'amour."
Elle posa la tête sur mon épaule.
"Mais je sais pas ce que j'aurais fait sans toi non plus."
Et je savais que malgré tout ce qui pouvait m'arriver, je ne serais pas seule : j'aurais Georgia à mes côtés pour me soutenir. Et cette pensée me fit me sentir bien. Cette pensée me donna le courage d'affronter tout : les conséquences du divorce, l'année compliqué en fac de droit et tout ce que je n'avais pas encore imaginé.
Avoir Georgia dans ma vie était important. Parce que sa présence m'avait toujours fait comprendre que j'existais. Que j'en valais la peine et que si je voulais, je pouvais soulever des montagnes.
Parce que Georgia, du moment où elle s'était assise à côté de moi en cours d'anglais jusqu'au pique-nique, m'avait fait comprendre que je valais la peine d'exister. Parce qu'exister aux yeux de Georgia, c'était exister aux yeux du monde.
j'ai introduit mon bébé (georgia) au monde je peux donc mourir en paix bsx
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