1; "pourquoi je l'aime?"
"malgré tout le mal que je t'ai fait, je te propose une minute, enlacées"
pomme - une minute
AU BOUT d'une semaine sans voir Mathilde, je me disais qu'il fallait peut-être que j'y retourne sauf si je voulais me retrouver célibataire. Avec mes nouvelles Doc aux pieds et quelques fleurs au creux du bras, je sonnais chez elle et attendit qu'elle m'ouvre.
Surprise à l'idée de me voir, son premier réflexe fut de me demander si j'allais bien. Son deuxième fut de me serrer dans les bras et son troisième de complimenter mon carré.
En train de regarder une série, elle me proposa de se joindre à elle. Et, pendant qu'elle me tenait contre elle, passant ses doigts dans ses cheveux, je fis l'inventaire de ce que j'aimais chez elle, ce que j'aimais avec elle.
J'aimais son rire. J'aimais quand elle enlevait ses lunettes avant de m'embrasser parce que mes cheveux se coinçaient toujours dans les branches. J'aimais son empathie. J'aimais la couleur de son rouge à lèvres. J'aimais les messages que je recevais quand elle était en soirée. J'aimais ses boucles d'oreilles dépareillées.
J'aimais le fait qu'à chaque fois que je venais chez elle, il y avait un livre différent sur la table de nuit. J'aimais la moue qu'elle faisait quand elle se concentrait. J'aimais le fait que je n'avais pas forcément à dire quelque chose pour qu'elle me prenne la main. J'aimais le fait qu'elle n'ai rien à dire pour me rassurer mais que sans parler, elle y arrive.
Toutes ces choses que j'avais oublié pendant cette semaine d'isolement. C'était très étrange, on ne se souvenait jamais des détails des gens. Qu'ils soient bons ou mauvais. On se souvient de ce dont on voulait se souvenir. Et puis, éventuellement, ils reviennent, et on se rappelle des choses qui nous ont fait les aimer ou quitter notre vie.
Et dans les bras de Mathilde, je me souvenais pourquoi je l'aimais. C'était simple. C'était simplement parce qu'elle me faisait me sentir en sécurité.
"Ils proposent soirée, chez Marion, si tu veux venir. Après, je comprends si tu veux pas. On peut rester là toutes les deux, j'ai des bières et des pâtes.
- Je sais pas, je verrais...
- Ils comprendront."
Je n'en étais pas aussi sûre mais pour oublier ça, j'enfonçais le nez un peu plus profondément dans les plis de son tee-shirt.
J'aimais son odeur, aussi.
Je n'étais pas sûre qu'ils comprennent parce que Mathilde était la bonne pâte de la bande. Elle passait outre tout. Du moment qu'on s'excusait sincèrement elle était prête à laisser passer beaucoup de choses. Peut-être trop.
J'étais sûre que Georgia allait m'envoyer quinze messages les plus incendiaires les uns que les autres et que Marion me faire des piques pendant des heures la prochaine fois qu'on se verrait.
"Eh, t'en fais pas doudou, ils t'en voudront pas."
C'était assez étrange. Je m'étais persuadée que le divorce de mes parents ne me faisait rien parce que je ne croyais plus en l'amour. Je m'étais convaincue que leur divorce me ferait aussi du bien parce que je n'aurais plus la pression de ma mère sur le dos. Et j'y croyais. Je croyais du fond du coeur que je préférais leur divorce aux disputes continuelles.
Alors pourquoi sentais-je mon coeur se fendre ? Pourquoi se brisait-il au fond de ma poitrine ?
Pourquoi avais-je aussi mal ?
J'avais envie de voir mes amis. J'en avais vraiment envie. Mais je ne m'en sentais pas vraiment la force. J'avais juste envie de rester ici, avec cette série que je ne regardais que d'un oeil, avec les bras de Mathilde et ses doigts qui dessinaient des virgules dans mes cheveux.
J'aimais les dessins qu'elle faisait sur mon crâne.
"Tu sais, c'est normal de mal vivre le divorce de ses parents. Ca fait un changement.
- Dis, chaton, est-ce qu'on peut parler d'autre chose ?
- Oh, oui. Désolée."
Sauf qu'elle ne savait plus de quoi parler et moi non plus.
J'aimais ses silences, parce qu'ils étaient confortables. Ils m'enveloppaient de coton et je me sentais en sécurité dans l'absence de ses mots, dans la petite bulle qu'elle créait.
J'étais en train de somnoler, blottie contre elle et cette pensée me traversa alors l'esprit, fulgurante, me sortant de tout état de léthargie. Je venais de réaliser que je me sentais bien plus chez moi ici que sous le toit de mes parents.
J'avais moins peur de voir la mère de Mathilde que la mienne. Parce que l'une allait me sourire, me considérer, me demander mon avis, me servir un verre de blanc à table, m'inclure dans les débats. L'autre allait me mépriser, me comparer, me voir comme une enfant et m'offrir son terrible "regard par dessus les lunettes".
"Tu veux qu'on regarde un film, après ?
- Pourquoi pas."
Je n'avais pas vraiment envie de me prendre la tête avec des projets d'avenir, aussi proches et infimes soient-ils. Alors que le soleil déclinait dans des nuances d'or, Mathilde se leva. Je la suivis dans la cuisine, acceptais la bière qu'elle venait de sortir du frigo et répétais le son de la musique en tapant les doigts contre la table.
"Au fait... je sais pas si t'as vu les messages mais Georgia commence à organiser l'anniversaire d'Arnaud."
Arnaud était le petit ami de Georgia ; il formait un groupe de musique avec Olive, une autre personne de notre petit groupe d'amis : même si leurs répétitions consistaient surtout à fumer des joints en grattant quelques notes qu'Olive accompagnait d'une voix éraillée. Il était plutôt discret, tassé dans son coin sans jamais chercher les problèmes.
"C'est pas vraiment du genre d'Arnaud, de vouloir faire une grande fête, si ?
- Non, mais tu connais Georgia, commenta Mathilde avec un sourire en coin."
Elle porta la bière à ses lèvres et repris, après une gorgée :
"En vrai, je crois qu'elle est restée soft. Elle veut juste qu'on soit tous là le jour J à minuit pour lui souhaiter.
- Ambitieux, commentai-je.
- Et elle commence à chercher un cadeau pour lui. Elle pensait à une nouvelle guitare.
- Très ambitieux."
Mathilde étrangla un rire et coula un regard sur la baie vitrée. Le ciel était nuancé de bleu, un bleu qui était plein d'espoir comme de regrets. Je ne savais pas comment elle se sentait, mais je pensais que c'était indiscret de lui demander. Alors je me contentais de reproduire la mélodie contre ma bouteille.
"J'aurais jamais cru que ça marcherait. Georgia et Arnaud, précisa-t-elle.
- Pourquoi ?
- Je sais pas. Georgia c'est la réincarnation même du narcissisme et Arnaud il vit sur une autre planète la moitié du temps.
- C'est des artistes, ils se comprennent là dessus."
Mathilde laissa échapper un rire et s'assit face à moi.
"Avec tout le respect que je dois à Arnaud, fumer des joints fait pas de lui un artiste."
Elle entreprit de cuisiner des pâtes et vida la moitié du paquet de fromage dedans. Pour une fois, je mangeais à ma faim, sans avoir un petit noeud à l'estomac, une petite boule qui me faisait avaler trois bouchées maximum. J'avais faim.
Assez faim pour partager un dessert avec elle. Ses parents étaient rentrés et nous saluèrent vaguement pendant que nous mordions à pleines dents dans nos brownies industriels.
"Faudrait que j'en fasse un maison, marmonna Mathilde, la bouche pleine de miettes et le coin des lèvres maculés de chocolat. Je les fais super bien.
- Je te crois.
- On peut en faire un demain, si tu veux."
Je vérifiais mon téléphone. Comme je l'avais prévu, j'avais plusieurs messages de Georgia.
"eh pétasse quand t'auras enfin décidé de plus m'ignorer, tu peux me dire à quelle heure t'es dispo pour un café?" "ou un verre" "ou même un date pharmacie je m'en fous moi" "juste réponds stp"
"Je sais pas, je crois que Georgia voulait me voir... "
Mathilde masqua difficilement sa déception en plissant la lèvre.
"C'est pas grave... une autre fois, alors."
Je me sentais coupable. Elle en avait fait beaucoup pour moi et je ne lui rendais pas la pareille.
"Désolée, m'excusai-je. J'ai vraiment besoin de voir Georgia.
- Oui, je comprends, t'en fais pas. T'as besoin de voir ta meilleure amie. C'est normal."
Je me sentis d'autant plus mal, parce que je savais que Mathilde n'avait jamais eu de véritable amitié. Elle appartenait à des groupes d'amis, traînait avec eux, papillonnait, mais personne ne la connaissait véritablement. Elle ne se confiait à personne.
La seule raison pour laquelle elle traînait avec nous était parce que nous sortions ensembles.
Parfois, je me disais que ça devait la rendre triste, de n'avoir aucun ami véritable, seulement des affinités. Parfois, je l'enviais, parce qu'elle ne devait rien à personne.
Aujourd'hui était de ces moments où elle me faisait de la peine. Avec sa deuxième bière, son chocolat au coin de la bouche, le regard nostalgique qu'elle adressait au ciel, ce regard qui semblait si triste et que je n'arrivais pas à déchiffrer.
Et je me sentais plutôt mal, de ne pas être celle qu'elle attendais de moi. Je n'avais jamais les bons mots pour elle. Alors je me muais dans ce silence, mais contrairement au sien, il n'était ni chaleureux ni protecteur. Mon silence à moi était glacial et pénible, interminable, comme une bourrasque d'hiver. Mon silence à moi était lourd.
Alors je posais ma main sur la sienne. Je sentais la forme de sa bague presser contre ma peau. Je sentais la tension de ses doigts crispés contre les nervures de la table. Puis le relâchement. Comme si ma main lui avait dit "tout ira bien".
"On fera un brownie un autre jour. On a tout l'été, lui promis-je.
- Ouais. Tout l'été, répéta-t-elle avec un sourire faible."
Sa baisse de moral n'avait pas duré longtemps puisque lorsque nous regagnâmes sa chambre, elle était de nouveau souriante, comme si de rien n'était. Je m'endormis à la moitié du film, bercée par le sentiment de sérénité que m'offrait son étreinte.
Le lendemain, elle était levée avant moi ; la chambre était plongée dans le noir mais le soleil filtrait entre les fentes des volets. Le visage de Mathilde était strié de lumière et cela lui correspondait assez bien. Les yeux encore lourds de sommeil, elle avait la main légère sur ma peau, qui passait le long de mon dos.
Je me sentais bien. Je me sentais rassurée, je me sentais à ma place et je ne voulais jamais sortir de là, je voulais qu'elle n'enlève jamais sa main de ma peau, je voulais lui offrir l'éternité. Je l'aimais, de cet amour paisible qui me faisait aimer me lever juste parce que je l'avais à mes côtés.
Je l'aimais, de cet amour calme et si stable, qui ne disait rien mais disait tout. Un doigt contre la joue, un baiser appuyé au front. Une paume contre la paume, un sourire, un front appuyé, les mèches de cheveux qui s'éparpillent sur l'oreiller, les regards entre le sommeil et l'amour ; et ne plus savoir si l'on veut dormir ou juste rester ensembles.
Alors rester là, le corps engourdi, mais le coeur vivant.
J'aimais ces réveils à côté d'elle.
J'aimais Mathilde.
oe oe les temps sont durs en confinement je sais.
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