Prologue
Que dire de plus ? : quand on n'a rien à raconter, à peine vécu, toujours contemplé, peut-être rien compris. Les phrases s'enchaînent et tout ça paraît bien artificiel : on ne parle jamais avec des majuscules et avec des points : ma partition n'a pas de notes, mais je la veux quand même mélodieuse. Il faut bien, j'imagine, un air un peu joli pour couvrir tout ce vent. C'est pourquoi je m'attelle en un mélange de facilité complaisante et de difficulté ridicule à l'écriture. — Vers où ? vers quels buts ? Il n'y en a pas de toute façon, alors pourquoi en inventer ? C'est ça justement que les gens ne comprennent pas ; je les laisse donc à leur divertissement, et j'imagine que quelques-uns seuls pourront apprécier ces pages — si tant est qu'on les lise — ; et, le jour où un dilettante se vantera de les avoir lues, alors, je pourrai dire que je serai connu. Avancer sans but donc, voilà qui est difficile ; voilà ce que je me propose. Mallarmé et Flaubert voulaient écrire un livre sur rien (et ils n'étaient pas les seuls), et ils avaient raison, c'est le but vers lequel tout artiste de talent doit tendre ; le problème est que le rien, c'est quelque chose : voyons donc si le rien est digne de votre lecture. Lisez, ne lisez pas, je m'en fiche — de toute façon j'ai fait une croix sur la possibilité d'être connu en faisant une œuvre où l'art respire car inspire pour lui-même : le bon goût n'est pas mort, il n'a jamais existé en société, et la bouse a plus de chance de revêtir l'habit de sainteté. Ce qui différencie l'écrivain de la sombre crotte qui produit de cacatesques œuvres, c'est le style : je me fous pas mal de vos vies, avec du style, je vous suivrai partout ; et je me torche avec la bienséance, avec vos conventions... — vos jérémiades même les mieux construites ne me touchent plus, car seul me touche l'effort d'affronter le Vide avec panache. Faire de vos faiblesses des forces, enfin ne pas oublier que tout ça est mêlé : le bas, le haut... Le problème n'est pas de traiter le bas avec hauteur, mais de traiter de ce que l'on considère « haut » avec bassesse. Lisez donc et apprenez à mieux me connaître, rejoignez ma quête, si vous n'avez rien « de mieux à faire », si vous constatez la bassesse de la vie et rêvez au panache, si vous voulez étrangler la bande d'incultes en survet' ou en costard qui vous tient lieu d'environnement, si vous préférez le Panthéon à l'ordure grise et puante des barres d'immeubles. Je suppose que vous avez compris tout ce que j'ai dit (chaque mot compte), mais avez vous réalisé ? Avez-vous réalisé que ce monde de merde nous rend tellement dingues, que, petits moutons que nous sommes, on nous a retiré (car on ne lutte pas collectivement, mais on suit collectivement), peu à peu notre laine, notre brin d'herbe, le ciel avec ou sans étoiles, pour un manteau, du plastique rappelant vaguement l'herbe et un fac-similé du ciel où les étoiles ne sont plus que des points lumineux sur un tableau noir. Pourquoi valoriser à tout prix l'utile (au sens de ce qui répond aux besoins réels ou supposés) quand tout est vain, plutôt qu'une quête nous permettant de nous élever sans sortir de nous même vers quelque chose d'au moins plus grand que notre petitesse intrinsèque ?
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