8.Fuite


L'idée était bonne, le plan était parfait et j'avais totalement confiance en moi. Enfin, c'est ce que je m'efforçai de me répéter, ça allait sans doute devenir vrai, au bout d'un moment.

Max et moi, nous nous rendions au lycée à pied, comme tous les jours. J'avais décidé de mettre ce temps à profit pour peaufiner mon plan, qui péchait sur certains détails.

Je sentis Tim se trémousser dans mon sac. Je lui envoyai encore un coup de coude bien senti. Il en était à son 17ème et, visiblement, il ne s'en lassait pas. Max allait finir par se douter de quelque chose.

— Qu'est ce qui t'arrives? T'es bizarre depuis hier.

Max n'était ni très observateur, ni très perspicace. Heureusement pour moi. Cependant, si même lui avait remarqué, ça voulait sans doute dire que mon petit manège serait découvert aux yeux du public. Et ça, ce n'était pas bon du tout. Il ne fallait vraiment pas attirer l'attention pour mener mon plan à exécution.

1°)Repérer Camille.
2°)La suivre discrètement et de loin sans avoir l'air d'un stalker.
3°)Me débrouiller pour qu'elle tombe par hasard sur Temuji.

Premier gros (et finalement le seul) obstacle à ce plan : la discrétion. Entre Tim qui gigotait comme un grain de maïs dans une poêle et Max qui me dévisageait d'un air inquisiteur, ce n'était pas gagné. Je devais m'assurer que tout allait bien se passer. L'idéal pour ça, c'était les toilettes.
Je refermai précipitamment la porte des WC, subitement très stressé.

— Tim, mais arrête de gesticuler. On y arrivera jamais si tu restes pas tranquille plus de deux minutes. J'croyais que t'étais d'accord!
— C'est vraiment ici que tu veux m'abandonner? Ça pue!
— Nan, ça c'est les WC côté garçon. Au bout d'un moment, tu ne fais plus attention à l'odeur.

C'était presque vrai. La magie des toilettes publiques version masculine, c'était le désodorisant «fraîcheur des pins». Le personnel de nettoyage vaporisait désespérément ce truc à la javel florale qui ne faisait que davantage ressortir les fragrances indésirables qu'il était censé masquer. Un peu le principe de la poussière sous le tapis, mais version odorat. Cela dit, l'odeur nauséabonde typique de l'urée mélangée au produit chimique n'était pas ma principale préoccupation.

— J'ai besoin que tu te calmes et que tu arrêtes de te faire –de me faire– remarquer.
— Il y a un problème. C'est ce que j'essaie de te dire depuis qu'on est ici. A cet étage.
— Hein?
— Je... Je sens la Corruption, Raph.
— Tu veux dire que la Corruption sent l'urine?
— Mais non! C'est pas une odeur physique. Plus une sensation désagréable, comme un frisson et un engourdissement à la fois.

Je réfléchissais à toute vitesse en sortant le médaillon de ma poche.

— Heureusement que j'ai pensé à enlever ce machin ce matin. J'aurais vraiment eu l'air con en me transformant devant tout le monde.
— Arrête de critiquer l'uniforme. C'est une tradition.
— Sans rire, elles se battent en justaucorps, mini-jupes et talons?
— J'vois pas le problème. J'aime bien, moi.
— Laisse toi pousser les jambes et les bras et essaie, on en rediscutera. Bref, revenons à nos moutons. S'il y a de la Corruption, c'est encore mieux, elle sera dans le feu de l'action et elle ne pourra pas refuser.
— C'est très vicieux et sournois comme plan.
Dixit le doudou qui m'a fait la même.
— On était vraiment en danger, toi et moi. Enfin surtout moi. Là, tu choisis de jeter une pauvre fille qui n'a rien demandé sur les rails. Et c'est moi, le sournois?

Quelqu'un que j'identifiais comme Max tambourina à la porte.

— Raphaël, tu parles tout seul?
— J'suis au téléphone!
— T'en as pas! Rejoins moi aux casiers.
— Je, euh, finis ce que je suis en train de faire et je... J'arrive.

Il venait de me donner une idée de génie. La master class. Et j'allais faire d'une pierre deux coups, en plus. Mon plan initial puait la merde, sans mauvais jeu de mots : je venais de penser à un plan B bien plus malin et sans aucun risque d'interception.

Ca m'aurait fait grave chier que Tim tombât entre de mauvaises mains. Comme celles d'Emma ou de Zoé, par exemple. Je rejoignis très vite Max.

— Bon, écoute Max, faut que je te dise... J'aimerais sortir avec Camille.
— Ok, t'es vraiment malade. T'as pété les plombs, mec. T'es rien pour elle, frérot.
— Ben merci du soutien, et surtout de m'encourager pour un truc pareil. Ça fait plaisir de savoir que je peux compter sur ton avis éclairé et sur ton soutien inconditionnel.
— C'est juste la meuf la plus jolie de la classe et toi, tu es quelque part entre la ringardise et le grotesque. Avec un net penchant pour le grotesque.

Mais il me faisait quoi, là? Une crise de jalousie?

— Bon, tout ce que je te demande, c'est de faire diversion. Je compte lui offrir un truc en scred.
— Et on peut savoir quoi au juste?

J'ouvris mon sac pour lui faire voir Tim. Il faisait très bien la peluche quand il arrêtait de bouger.

— C'est très moche. Si tu veux lui offrir ça, je confirme qu'il vaut mieux qu'elle ne te voit pas. En plus il est crade, il fait peur avec ses yeux. T'as vraiment dormi avec cette horreur? Je comprends mieux...
— Bah, t'y connais rien, c'est un truc super romantique, je lui offre un de mes vieux doudous. Allez, aucun risque pour toi, et je t'offre une occasion de lui parler, en plus.

J'entraperçus une lueur s'allumer dans ses yeux. Le voyant rouge des hormones, le fameux.

— Lui parler de quoi, au juste?
— Utilise tes points forts.
— Les maths? Tu veux que j'aille voir une nana comme elle pour lui parler cours?
— Euh, oui, impeccable. C'est une diversion et faudra meubler. Après, si tu as une autre idée...
— A charge de revanche, alors. Si ton plan foire –ce qui va arriver– tu devras m'aider. Deal?

C'était totalement sceller un pacte très malsain avec le Diable. Mais un Diable asthmatique et myope.

— Euh, je suppose, oui. Rendez-vous à l'angle du couloir devant son casier. Pendant l'heure de midi.

Il était là, à l'heure. Moi aussi. Incroyable. Je n'avais guère pu manger, sans savoir pourquoi. J'avais les mains moites, le palpitant survolté et l'estomac en train de faire du saut à l'élastique. Je me sentais un peu nerveux. Ca irait mieux une fois que j'aurais laissé tout ça derrière moi. J'avais néanmoins beaucoup de mal à faire taire la petite voix dans un coin qui me répétait sans cesse :

— Arrête de me secouer!

Bon, ça, c'était surtout Tim qui râlait. Il était dur à ignorer. Mais pas autant que ma conscience, pour être parfaitement honnête. Je vis enfin Max commencer à bouger.

— Hey, Cam!

Elle détestait qu'on l'appelle comme ça. J'étais à peu près certain qu'il le savait. Il n'allait quand même pas me saborder, non? Je la vis froncer des sourcils. Moi aussi, je lui faisais froncer des sourcils. Tellement qu'elle allait en avoir des rides prématurées, à ce rythme là.

La laisser ouvrir son casier d'abord. Attendre qu'il capte son attention.

Elle n'avait pas encore ouvert son casier! Je lui avais pourtant dit d'attendre que le casier fut ouvert pour que je puisse déposer Tim.

Est-ce-que j'avais assez insisté sur ce détail crucial? Max devenait nerveux et passa sa main dans ses cheveux. Son truc typique à lui pour se donner de la contenance.

— Pourquoi il y a écrit "attendre casier ouvert" sur ta main, Max?

Cette fois, il transpirait et je reconnaissais les symptômes de la crise d'asthme imminente. Le pire, c'est que c'était contagieux, même à cette distance.

Tout le plan était occupé à prendre la flotte parce que môssieu perdait ses nerfs. Pas grave. J'allais jouer mon va-tout. Je me dirigeai droit sur elle, alors qu'elle me tournait le dos. J'agrippai Tim par le col, abandonnant mon sac par terre. Le temps sembla ralentir. Mon sac se mit à s'agiter.

— Elle est là! Elle est là!

Je compris un peu tardivement ce que voulait dire Tim qui criait comme un goret. La même brume noire tombait sur le couloir. Pour encercler Max et Camille. Il fallait réagir très vite. C'est alors que je fus percuté de plein fouet par ma propre stupidité.

Le médaillon!

Il était dans ma poche. Il aurait été un milliard de fois plus simple de le lui refiler. Comment avais-je pu être aussi bête?

Il n'était pas encore trop tard. J'empoignai le bijou au fond de ma poche pour le lancer dans sa direction. Tim s'était dégagé du sac et s'excitait comme un caniche dopé au sucre.

— Mais t'es MALADE!

Après son cri, Tim me mordit le bras. La douleur aiguë interrompit mon mouvement. Le médaillon tomba donc bien trop loin de Camille et glissa sur le sol presque à ses pieds. Elle se tourna enfin dans ma direction.

— Un grand merci à toi. Ça va grandement nous faciliter les choses.

Alors que les couleurs s'estompaient, que le son s'atténuait et que l'univers semblait vouloir se replier dans un mouchoir de poche, les yeux de Camille se révulsèrent. Son sourire s'élargit encore. Dévoilant des dents. Du genre pointues et aiguisées.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top