7.Bifurcation
Enfin.
Je refermais la porte de ma chambre sur cette journée qui restera comme la journée la plus bizarre de ma vie. Au mieux, dans le top trois. On sait jamais.
Le moment des explications avec Temuji était enfin venu et il fallait que je lui vende ma solution pour me sortir de la merde dans laquelle il m'avait plongé. Le dos à la porte, l'œil exorbité, j'écoutais les bruits de la maison.
La télé en bas, check. La frangine, en train de faire je-sais-pas-quoi dans la salle de bain, check.
— On a pas des masses de temps, Tim alors je vais pas y aller par quatre chemins. Je vais t'aid–
— Excellent! Je savais que je pouvais compter sur toi et ta grandeur d'âme.
— Tu m'as pas laissé finir. J'allais dire que je vais t'aider à trouver ce qu'il te faut.
— Encore mieux, alors. Du gingembre et on sera les meilleurs amis du monde!
Le faisait-il exprès de ne rien comprendre ou bien ça venait de moi? Je sentais l'agacement monter. D'un cran.
— Mais non! A trouver la personne qu'il te faut!
J'entendis le claquement typique d'une porte, que j'identifiais sans trop de peine comme étant celle de la salle de bain. Les murs avaient des oreilles, et c'était encore plus vrai concernant le mur entre la chambre de Stella et la mienne. Des fois, j'entendais des choses que je ne voulais pas entendre, alors j'avais compris que la réciproque était vraie. Il fallait redoubler de vigilance.
Je jetai un regard furieux à Tim en plaquant mon doigt sur la bouche.
— Qu'est ce qu'il a, ton nez?
Ai-je déjà mentionné qu'il avait une voix de crécelle?
— Chuuut, idiot! Y a ma sœur à côté!
— C'est vrai? Elle est comment?
— Caractérielle et casse-couilles surtout quand on la dérange!
Sa question ainsi posée me fit froid dans le dos. Je commençais vraiment à avoir peur : quel genre de créature étais-je en train d'héberger sous mon toit? Le nounours me regarda avec un moment d'hésitation.
— Tu veux que ce soit elle qui prenne ta place?
Une vague de soulagement m'envahit. J'avais très probablement mal compris sa question et ses intentions. A ma décharge, il était assez difficile à cerner. Mais sa suggestion n'était pas aussi idiote qu'elle en avait l'air. Pourquoi n'y avais-je pas pensé avant? En y réfléchissant, je n'étais pas sûr qu'elle était la personne la plus indiquée pour ça. De plus, elle était du genre à fuir les responsabilités, être immature et totalement incapable d'empathie. Elle et moi, on était le jour et la nuit, et elle était incapable de me comprendre.
— Non, pas du tout! Crois-moi, Stella, comme sœur, elle craint alors pour ta mission... Non, je pensais à une fille de ma classe. Elle est cool, sensible et je crois vraiment que c'est une fille bien. Elle sera juste parfaite!
Impossible de savoir ce qui passait par la tête pelucheuse de cette créature.
— Euh, j'ai comme un doute. J'ai peut-être oublié de te parler d'une chose ou deux. Non, en fait, j'ai surtout pas eu le temps.
— Et je ne vois pas en quoi ça me concerne. Bientôt, ça ne sera même plus mon problème.
— Justement, c'est pas aussi simple. Tu m'as parlé d'une fille cool et sensible et ça, c'est pas vraiment Miss.
D'un coup, mon poing partit et catapulta Tim dans les airs comme un vulgaire moustique après un coup de torchon. Il fit une sorte de *bonk* contre le mur.
Stella se mit à tambouriner le mur.
— Eh, qu'est ce que tu fous? Je suis en train de bosser, moi!
— DÉSOLÉ!»
Mais pourquoi ma main était partie toute seule, comme par réflexe?
— Tim? Pardon, je sais pas ce qui m'a pris. Le coup est parti... Tout seul.
Un peu cabossé, l'œil poché, il réapparu péniblement en se massant le visage. Il n'était pas si rembourré qu'il n'y paraissait de prime abord. Il avait la tête dure, le coup m'avait fait mal.
— C'est bien ce que je pensais. Tu as enlevé le médaillon trop vite tout à l'heure.
Oh non.
— Tu veux dire... qu'elle est toujours là, en moi?
— J'en ai bien peur, oui. C'est ce que je voulais te dire. Le médaillon est une sorte de phylactère qui contient ses Mânes. Après avoir fait appel à ses pouvoirs, il faut la laisser réintégrer sa protection.
— Tu veux dire le collier?
— Exactement. Bon, je vais tout t'expliquer.
Il soupira longuement. Après un temps très long, il se décida enfin à parler.
— Nous sommes des Minarii, pas des humains. Avant, j'étais un magicien occultiste très puissant, dans une dimension parallèle. J'ai initié à la magie un apprenti qui s'est retourné contre moi et ma souveraine, la reine Cælila. Même s'il était doué, il n'était pas aussi bon que moi, alors il a eu recours à la magie primale. Une magie dure à contrôler, difficile à maîtriser.
— Euh...
— En gros, une magie naturelle surpuissante, incontrôlable et donc particulièrement dangereuse. Les conséquences ont été terribles. Ivre de pouvoir, mon apprenti a été victime de la Corruption.
— Comment ça, victime de la corruption? Tu veux dire qu'il a accepté un pot-de-vin?
— Non, rien à voir avec l'alcool. La Corruption, c'est une sorte d'excès de magie. Ça détruit tout et fait ressortir ce qu'il y a de pire en nous, en l'aggravant. Mon apprenti s'est présenté devant Sa Majesté Cælila et je me suis interposé. On s'est battus.
— J'imagine que tu as perdu?
— Tu veux raconter à ma place? Bref, oui, j'ai perdu et j'ai fui. La reine n'a pas eu cette chance. Il fallait que je protège désormais la princesse. Ce que je ne pouvais pas faire seul. Alors...
— Tu as recruté.
— Pas exactement. J'avais conféré des pouvoirs –extraits de la Source par mes soins– à l'Egide, la garde rapprochée de la princesse.
— Je ne vois toujours pas le rapport avec Miss.
— La Couronne est un matriarcat. L'Égide est exclusivement féminine. Ce sont de redoutables athlètes, entraînées et préparées à toutes les situations. Ou presque. Avec les pouvoirs magiques, plus rien ne pouvait résister à l'Egide. Bien entendu, Miss est la capitaine des gardes.
J'avais du mal à déterminer si j'étais trop fatigué pour tout comprendre ou s'il y avait des trous dans son histoire. Impossible de me détacher de l'impression qu'il était très loin de m'avoir tout dit.
— Du coup, si j'ai bien compris, la vapeur noire que tu as capturée, c'est... Quoi au juste?
— C'est la Corruption qui a contaminé les Mânes d'une Garde.
Il sortit la cartouche en argent et la posa devant lui. Le joyau vert luisait faiblement.
— Ces cartouches purifient les Mânes. Je crois pouvoir dire sans trop me tromper que nous avons libéré Mélichor.
Elle avait davantage l'air captif dans ce tube que libéré, à mon avis, mais ce magicien-nounours inter dimensionnel semblait très sûr de lui et savoir de quoi il parlait.
— Si tu le dis, Tim. Et du coup, tu vas faire quoi? Pas que ça me concerne. Curieux, juste.
— L'endroit où nous étions piégés. C'est le déclenchement de stase. C'était ça son pouvoir, c'est comme ça que je le sais. Tu vas pouvoir le lui emprunter, d'ailleurs. Grâce à la cartouche.
— Je t'ai dit que non. Demain, je te largue dans les chiottes des filles et là, tu fais ton numéro de séduction et ce sera du tout cuit si tu fais ta tête de nounours. Faudra prendre un bain à l'eau froide, aussi.
Histoire de te calmer un peu.
— Ça me paraît être un plan aussi hasardeux que dangereux qui pourrait très facilement mal tourner.
— Ecoute, tout ton délire de reine, rébellion inter dimensionnelle avec des guerrières contre un mage surpuissant, je le sens moyen. C'est trop gros pour moi, tu piges?
Outre le fait que ça n'avait aucun sens pour moi, ça sentait les problèmes. J'avais besoin de le persuader, alors c'était pas le moment de le contrarier plus que absolument nécessaire.
— Je n'ai porté ce médaillon qu'une seule fois, je pense que je ne risque plus rien. Alors tu gardes ta babiole et tu vas te trouver quelqu'un d'autre. Je te laisse pas complètement dans la sauce, je t'ai trouvé la candidate qu'il te faut pour la mission. Je ne peux rien faire de plus pour toi. Vraiment.
Il soupira une fois de plus. Mais cette fois-ci, il parvint à me faire de la peine.
— Je suppose que tu as raison... Mais tu as toujours un peu de ses Mânes en toi, Raph.
— C'est vrai, ça. Comment faire pour m'en débarrasser?
L'idée de conserver une petite partie de ces Mânes en moi me mettait très mal à l'aise. Ces trucs appartenaient bien à quelqu'un et je ne voulais surtout pas priver cette fille d'une partie même infime de ses pouvoirs. Le nounours me regarda fixement.
— Si tu dors avec, je pense que les Mânes qui restent trouveront leur chemin vers le médaillon.
— Je ne risque pas de me transformer pendant mon sommeil? Ou pire à mon réveil?
Sinon, bonjour la crise le lendemain. Miss avait les cheveux longs tout comme Stella et je me voyais assez mal lui taxer sa brosse à cheveux.
— Aucun risque. Miss réagit à la Corruption quand elle est proche et elle ne peut pas sortir tant que tu n'es pas conscient. En tout cas, c'est jamais arrivé. Enfin, pas que je sache.
Attends, il est sérieux, là? Il est en train de piffer ses réponses!
— Merci, je me sens beaucoup plus serein et en confiance, d'un coup. Tu sembles vraiment, hum, comment dire? pas très renseigné.
— Ne sois pas mesquin. Cette situation est nouvelle pour moi aussi.
— Donc, tu improvises. Super.
La fatigue de la journée me rattrapait. J'enfilais le collier avec l'impression d'être parfaitement ridicule avec ce bijou autour du cou. Il était pourtant assez chaud au contact et me procura une sorte de calme et de sérénité assez bienvenu. Il fallait aussi bien admettre qu'il était assez joli, même si je n'aurais jamais osé le porter en public.
— Dis, tu crois que je peux aller dormir avec Stella?
— Même pas en rêve, Tim.
Il fallait vraiment que je me débarrasse de lui au plus vite. Je ne me remettrai jamais d'une telle vision d'horreur. Pour la chasser, je touchai du bout des doigts le collier une dernière fois, avant de m'endormir, soulagé.
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