60.Apostasie (1ère partie)

https://youtu.be/G2_0Tn1dGmo

«—Dépêche toi, Raph!
—La dernière fois qu'une princesse s'est faite pourchasser dans un tunnel, ça s'est très mal terminé pour tous le monde.
—Ne la perd pas de vue!»

Je savais. Il fallait la rattraper. Sanae se préparait à faire un truc stupide, dangereux et inconsidéré. Dans la pénombre du tunnel qu'elle avait emprunté, je trouvai un escalier de pierre qui descendait dans les profondeurs de l'Académie.

«—Tim, tu sais où ça même?
—A la catastrophe. C'est un accès vers la salle Interdite!
—Y a quoi là-dedans?
—La Source. La magie primale elle-même.
—Attends, c'est pas le truc méga dangereux qui a créé la Corruption ou un truc du genre?»

Tim fut encore une fois dans l'impossibilité de se face palm. Je descendis l'escalier tournant le plus vite possible sans lumière, et je n'étais vraiment pas serein. Le tunnel était creusé à même la pierre brute. Heureusement, les parois en bas étaient recouvertes de champignons phosphorescents.

C'était toujours mieux que rien.

Bientôt, Tim toujours derrière moi, j'arrivai enfin devant une double porte massive, également en pierre. Elle était grande ouverte. Pas le temps de se poser des questions, je me précipitai dans la Salle Interdite et vers le secret le mieux gardé de l'Académie.

Ce fut seulement alors que je la vis. 

La Princesse Déchue se tenait sur une passerelle devant une sorte d'immense structure pyramidale. A l'intérieur, des millions d'étincelles multicolores semblaient y évoluer, vives et animées mais prisonnières. Les reflets projetés sur les murs étaient certes magnifiques mais leurs mouvements perpétuels donnaient le vertige. Contempler l'intérieur de la pyramide était à la fois hypnotique et addictif : c'était un petit miracle de création répété à l'infini.

La Source semblait être un morceau de ciel vivant, une sorte d'Etherium, avec une galaxie dedans.

«—Sanae, recule! C'est dangereux!»

Tim semblait au bout de sa vie. Je ne l'avais jamais senti aussi paniqué et effrayé. Je n'en comprenais pas la raison, la structure semblait paisible et inoffensive, voire rassurante.

La Princesse se contenta de l'ignorer d'un haussement d'épaules.

«—Dangereux ou pas, ça n'a plus aucune importance. Je n'ai plus rien à perdre.
—Dis pas ça. On est là pour toi.
—Je n'en doute pas. Vous me pensez affaiblie parce que je suis isolée.»

Le bras toujours tendu vers la Source, paume ouverte, elle semblait sur le fil de rasoir.

«—T'es pas seule, arrête de penser ça. Maintenant, recule, s'il te plait.»

Elle eut un petit rire sans joie, en secouant la tête.

«—On est seul quand il n'y a plus personne pour nous aimer. Et je ne me suis jamais sentie aussi seule que maintenant.
—Dis pas ça, y a plein de gens qui t'aime.»

Enfin je suppose. 

Elle se retourna pour me regarder, droit dans les yeux. Malgré la distance ses yeux me transperçaient.

«—Raph, m'aimes-tu?»

Le seul coup de foudre possible entre toi et moi, c'est l'electro-cute. Et ce sera à sens unique.

«—M'enfin, on se connait à peine, c'est un peu soudain.
—Tu m'as très bien comprise. Regarde moi et dis moi que je compte pour toi, que mon avis t'importe, que mon chagrin t'émeut, que ma tristesse t'affectes, que ma joie te comble. En bref, dis moi que tu m'aimes.»

J'peux tout de même pas lui mentir aussi ouvertement.

C'était des mots, rien que des mots. Un assemblage de lettre qu'on pouvait prononcer sans même les comprendre ni les penser. Mais impossible de les faire sortir de ma bouche. Ce fut Tim qui se jeta à l'eau.

«—Princesse, je vous aime de tout mon cœur. Ne faites pas quelque chose que vous allez regretter.
—On m'a déjà adressé ces mots, par le passé. Rien qu'une fois. Et les tiens n'étaient pas honnêtes, Temuji.»

Le silence tomba alors que la Source continuait de nous baigner de lumières stellaires. Sanae me guettait du coin de l'œil, la main toujours tendue vers la Source. Tim me fixait aussi, légèrement tremblant.

«—Princesse, je t'aime.»

Ce fut douloureux, difficile et désagréable à sortir, tout en me laissant un arrière gout d'acide et d'amertume dans la bouche ainsi qu'une persistante sensation nauséeuse et une douleur cuisante aux tripes. 

«—C'est bien ce que je pensais. Tes mots sonnent terriblement faux.
—La personne dont tu parlais, Sanae. Je crois savoir de qui il s'agissait. C'était ses mots à lui?
—Ce jour où il me l'a dit, je me suis sentie être à la fois bien plus et bien moins que l'héritière du trône.
—Pourquoi l'avoir ignoré, alors? Savais-tu au moins comment il s'appelait?»

Elle détourna les yeux pour se concentrer de nouveau sur la Source.

«—Tout ce qui va se passer à partir de maintenant sera de votre entière faute. Vous m'y avez obligée.
—NON!»

A vrai dire, je ne savais pas non plus ce qu'elle comptait faire. Impossible pour moi de voir un quelconque risque ou un éventuel danger.

«—Tim, qu'est ce qui se passe?
—Elle a toujours les Mânes de Miss en elle!
—Bah, je sais, mais je vois toujours pas le problème.
—Tu comprends rien. Comment je me suis retrouver transformé comme ça à ton avis?
—T'as essayé de piquer la mauvaise petite culotte?
—C'est pas le moment! C'est la magie primale quand j'ai voulu m'interposer alors que Namue recevait ses pouvoirs! C'est ça qu'il s'est passé. La magie est trop écrasante, trop envahissante, trop puissante quoi! C'est ça qui a corrompu Namue la première fois. Et Calixte. Est ce que tu comprends enfin où est le problème?»

Effectivement, on était bel et bien dans la merde.

La Princesse ne semblait pas nous écouter, complètement absorbée par la Source.

«—C'était donc ça, Temuji. Je comprends tout, maintenant. C'est ainsi qu'ils sont devenus aussi puissants et invincibles.
—Invincibles, faut le dire très vite. Je leur ai botté le cul à tous les deux.»

Elle baissa la main tendue vers la structure.

«—Si les Mânes ne veulent plus me servir, alors je sais ce qu'il me reste à faire.»

Elle écarta les bras et se laissa tomber dans la structure qui l'avala, purement et simplement.

«—TIM! Est ce qu'elle est...
—Bien sûr que non! C'est fini, on doit fuir!
—Mais non, regarde, aucun changement. Elle a disparu.
—Non, elle a pas disparu! Regarde!»

Alors qu'un instant auparavant, de jolies petites constellations miniatures tournoyaient paresseusement, une sorte de trou noir au centre se mit à grossir, à enfler, à tout absorber. Les lumières passèrent d'un blanc laiteux à un rouge écarlate plutôt alarmant.

«—Elle a corrompu toute la Source! On est foutus!
—Mais et les Mânes de Miss alors?
—Elles sont perdues, Raph! Mon monde est fini, on doit fuir vers la Terre. Vite!»

C'était pas trop dans mes habitudes d'écouter les avis de Tim, mais là, pour une fois, il fallait faire une exception. La salle Interdite était baignée d'une lumière rouge particulièrement oppressante. Les minuscules corps célestes étaient aspirés vers le trou noir qui continuait de croître à vue d'œil. 

«—Bon, on récupère les filles et on s'barre, alors!»

Bordel, tout ça pour rien!

De larges rubans de ténèbres étoilées s'étaient répandu dans l'atmosphère saturée de la salle et nous poursuivaient dans le couloir d'accès. Le chemin dans le sens inverse fut du coup beaucoup plus rapide. La motivation était aussi bien plus prégnante.

«—Mesdames! On se tire d'ici en vitesse! On arrête de jouer avec les chiens!»

Elles étaient justement en train d'envoyer à la niche le dernier Corgi. Avec un peu d'élan. Cam se jeta sur moi.

«—Il s'est passé quoi? Ou est la Princesse?
—Euh, elle a juste corrompu la Source en s'appropriant ses pouvoirs. On est dans la sauce. La tartare, je précise.»

Tim crut bon de compléter mon rapport de situation.

«—Elle est perdue! Faut qu'on s'tire avant qu'il soit trop tard, alors au portail!»

Une voix retentit dans les ténèbres. Impossible de se tromper sur son identité.

«—Vous êtes bien décevants, vous les humains.
—Pas autant que toi, Sanae.»

De toute évidence, elle n'était pas aussi morte que ça.

«—Vous enfuir ne changera rien. Je vous pourchasserai. La Terre et son Soleil, comme je me le suis promis, seront mien. Je vais recouvrir votre monde de tonnerre et de flamme.
—Hey, c'est pas cool!
—'Tain, Gab... C'est pas une coloscopie qu'elle propose là, merde!
—ASSEZ. J'ai un compte à régler avec toi, Temuji, et cet humain.»

Stella s'interposa, le poing levé.

«—Faudra d'abord m'abattre!
—Si tu y tiens tant que ça, je vais trouver de quoi t'occuper. De quoi toutes vous occuper.»

De longs rubans noirs enveloppèrent les Corgis. Ils se relevèrent, plus gros, plus massifs et surtout bien plus féroces qu'avant.

«—Et merde, on rentrait juste de promenade.»

Les quatre combattantes encore en état se ruèrent sur les molosses mutants. La nuée sombre prit consistance et rapidement la forme de la Princesse Déchue se matérialisa. De longues stries sombres parcouraient ses membres grisâtres alors que sa robe vaporeuse voletait dans un courant d'air immatériel. Elle ouvrit ses grands yeux blancs zébrés de veinules noires. 

La silhouette gracile, les mouvements gracieux, ses traits n'avaient rien perdu de leur finesse. Un rictus déformait ses lèvres alors qu'elle s'approchait de moi.

«—J'ai dit bas les pattes!»

Abandonnant son Corgi, ma sœur se catapulta sur elle. Sanae l'intercepta sans problème en lui attrapant le bras.

«—Toi et moi, on a aussi un compte à régler, Stella. Je m'occuperai de ton cas en temps voulu.»

D'un geste brusque, elle lui déplaça le bras selon un angle pas naturel. Un craquement sinistre se fit entendre. Le cri de douleur de Stella me vrilla les nerfs et je sentis une goutte glacée couler le long de ma colonne vertébrale. Elle était désormais hors de combat avec un bras en écharpe.

En cet instant, mon sang ne fit qu'un tour. La vision de ma frangine en pleurs, le bras cassé, m'incendia et je ressentis une rage folle monter. Et je me jetai sur elle, comme un parfait idiot suicidaire.

Je ne pouvais rien faire. Je ne pouvais rien lui faire, mais ce fut plus fort que moi. Elle allait tuer tout le monde, à commencer par moi et Tim. Ces grands yeux blancs semblaient dépourvus de toutes traces de sentiments, de toutes espèces d'émotions. 

D'un geste, elle plaça sa main sur mon cou, comme elle l'avait déjà fait. Sauf que cette fois-ci, elle plaça la paume brûlante de sa main gauche sur mon front. Ce n'était pas qu'une sensation de brûlure. Elle allait me faire bouillir la cervelle en papillote.

«—Princesse! Laissez les humains! Je suis le seul coupable!»

Tim? Mais il est con ou bien?

«—Je suis d'accord, sorcier. Tu es coupable. Mais je punirai aussi tes complices. Adieu, donc.»

Déplaçant sa main gauche, elle expédia une rafale de flamme noire vers la peluche. Je dus fermer les yeux sous l'intensité de la chaleur.

«—TIM!»

J'avais crié. Je me suis senti crier. Mais aucun son ne sortit. Tout était sombre et silencieux. J'entendis un murmure dans mes oreilles. Léger, au début. Il fallait vraiment tendre l'oreille pour l'entendre et ne pas le confondre avec les pulsations de mes artères qui me tambourinaient dans les oreilles.

—Nous sommes si désolées, Miss.

—Vous êtes encore vivantes?

—Plus pour longtemps.
La Princesse est en train de nous détruire.
Une par une.

—Mais battez-vous!

—Nous ne le pouvons pas.
Nous sommes en elle.
Elle va nous convertir.
Nous exterminer.

—Soyez pas bêtes! La Princesse me touche. Revenez vers moi!

—Tu es si généreux, humain.
Mais ça ne marchera pas.

Je sentis un profond désespoir m'étreindre, un profond sentiment de vide, de peur et tristesse s'emparer de moi alors que les émotions des Mânes me parvenaient.

—Et pourquoi ça marcherait pas? Je peux vous sauver et on pourra tout arranger ensemble!

—Non. Il faudra que tu nous soignes 
si tu ne veux pas être contaminé à ton tour.

—Vous soignez? J'vais quand même pas vous laisser crever! Pas après tout ce qu'on a vécu ensemble.

—Comprends-tu ce que ça veut dire?

—Peu importe! 

—Merci, Raphaël. Tu es un véritable ami.


J'ouvris les yeux. La Princesse me fixait toujours de son regard vide, sa main m'agrippant fermement. Puis je sentis les Mânes se déverser en moi. Soit elle ne s'en rendait pas compte, soit elle s'en foutait. Le pouvoir était de nouveau là, en moi. 

«—Sanae, j'ai tout essayé pour t'aider. Je te le demande encore une fois, ne te laisse pas bouffer par la Corruption.
—Ça n'a plus d'importance, ce que je suis. Je ne ressens plus rien et c'est très bien ainsi. Plus personne ne peut m'arrêter et surement pas un gamin comme toi.
—Je ne suis plus un gamin. Ca va être dur à avaler, mais tu fais fausse route.»

Une puissante aura de lumière aveuglante m'enveloppa. La Princesse me lâcha, sous l'effet du choc et de la surprise ; les autres filles se tournèrent instantanément vers la source de la perturbation chromatique.

«— A mes yeux, tu resteras toujours qu'un stupide garçon, Raph!
— Un garçon, moi? Manqué, madame! Je suis une gamine réussie. Nah!»

https://youtu.be/nfWlot6h_JM

Un silence de mort accueillit mes paroles. J'avais subi ma dernière transformation, alors autant que ce soit classe. Cette fois, c'était moi qui avait décidé de ma tenue, à la fois confortable et élégante. Plus de retour en arrière pour moi de toute façon. Je n'allais certainement pas me gêner pour lui en mettre plein la gueule.

«— Tu oses?
— Mon corps m'échoit. Mon style, mes choix.
— Tu t'es condamnée toi-même. Tu ne peux plus rien faire.
— Tiens, regarde-moi bien.»

D'un bond, je rejoignis Char et Cam qui semblaient en difficulté. Une sévère mandale et une décharge plus tard, le Corgi était hors de combat, les poils grillés comme après une mauvaise permanente.

«— Vous n'êtes pas blessées?
— Euh, non je crois pas, mais euh t'es bizarre. T'es plus comme avant.

Ne pas penser. Continuer, pour ne pas m'effondrer.

— Je confirme. Plus rien ne sera jamais comme avant. Fuyez. S'il vous plaît. »

Sans leur laisser le temps de répondre, j'expédiais mon meilleur coup de pied au Corgi de Gab suivi d'une frappe sans retenue sur l'agresseur de Stella. Les griffes du corgi laissèrent de longs sillons derrière.

Ma frangine me regarda avec des yeux ronds.

«— Alors c'est vrai? Tu as fusionné?
— Plus le choix. Sanae a poussé les limites à fond.
— Oh, Raph, je suis si désolée...

Je lui souris, la gorge serrée.

— Faut pas. J'ai choisi de suivre. Rentre à la maison avec Gab.
— Tu rêves en couleur!
— Pour l'instant, je vois la vie en rose, mais je te promets que cette fois, je ferais bien les choses. Je te ferais pas honte.

Elle me jeta un regard suppliant de ses grands yeux mordoré, la lèvre peu tremblante, elle essayait de ne pas grimacer de douleur.

— Mais de quoi tu parles? J'ai jamais eu honte de toi!
— Toutes le fois que j'ai voulu être une fille, j'ai foutu la merde. Cette fois-ci sera différente.
— Je refuse de te laisser toute seule contre ce monstre!

— J'étais sûre que tu dirais ça. Gab? Viens récupérer ma frangine, elle va s'évanouir.»

Suivant l'exemple de Théna dans un lointain souvenir, je posais ma main sur l'épaule de Stella. Elle perdit aussitôt conscience. Gab eut un hochement de tête appréciateur.

«—Emmène la loin d'ici, en sécurité. Si j'r'viens pas, dis lui que son chieur de frère l'aimait très fort. Et moi, bien plus encore.»

Sans demander son reste, la solide guerrier·e prit Stella dans ses bras avant de prendre la fuite.

«—Maintenant, c'est entre toi et moi, Sanae. Rien que nous deux.»

L'avertissement de Namue fit irruption au moment où je prononçai cette phase, exactement comme un caillou dans la chaussure.

«Ne fais pas la même connerie que moi!»

Envers elle aussi, je m'étais engagée. Et le moment était venu d'honorer cet engagement.

«—J'ai fait une promesse à Namue avant qu'elle ne disparaisse.
—Ça ne me concerne en rien, mais tu fais beaucoup trop de promesses.
—Je ne suis pas de cet avis. Est-ce que le nom de Keros t'évoque quelque chose?
—Absolument rien.
—Je vais te rafraichir la mémoire, dans ce cas.»

Un sourire malveillant étira les coins de la bouche de la Princesse.



⁂Yedel⁂


Les jeux sont faits. Sanae a embrassé sa part de Ténèbres, 

et R a lui aussi sauté le pas pour devenir la seule héroïne capable de l'arrêter.

Qu'est devenue la Princesse? Que peut faire Miss contre elle?

Réponse la semaine prochaine pour la fin de l'aventure.

🌟🌟🌟

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top