59.Adieu
https://youtu.be/lr5aohW4b_U
Elle avait réussi. En plus, elle n'avait même pas trahi ma confiance, ni tromper mes espoirs ni déçu mes attentes. Ce qui lui aurait été difficile, vu les circonstances, mais le mérite lui en revenait tout de même. Ce miracle était une surprise totale de la part de Namue.
«—Dis donc, vous avez failli me faire attendre!
—On était là, on guettait. Et tu t'en sortais très bien.»
La Princesse était muette de stupeur face à cette entrée pour le moins inattendue. Elle finit toutefois par m'accorder un regard mi-furieux mi-impressionné.
«—C'était donc ça. J'ai beau le voir, je n'arrive pas à croire que tu aies réussi à les faire venir.
—Et ce n'est pas tout. Il en manque une.»
Comme invoquée par ma remarque, une silhouette massive traversa un vitrail et se réceptionna tant bien que mal.
«—Saletés de talons... Z'auriez pu me prévenir!
—T'inquiètes, on s'habitue au bout d'un moment.
—Mais j'ai aucune envie de m'habituer, moi!»
La Princesse regarda curieusement la dernière arrivée.
«—Je suis un peu retard sur l'horaire. Non, me regardez-pas! Je suis affreux·se!
—C'est vrai, Gab, tu n'es pas très... Aïeuuuuuuuh!»
Camille venait de m'écraser vigoureusement le pied avec un grand sourire en finissant la phrase à ma place.
«—... Ponctuel·le? C'est bien ça que tu allais dire, Raph, pas vrai?»
Essuyant une larme en me contentant de répondre d'un hochement de tête au sourire particulièrement menaçant de Cam, je me tournai vers la Princesse.
«—Je te dois quelques explications, Sanae. Tout d'abord, ta Proclamation a échoué puisque grâce au pouvoir de Mélichor, nous avons déclenché une stase tout autour de l'Académie. Nous sommes donc coupés du reste du royaume Minarii.»
Stella, Camille et Charlotte s'avancèrent toutes les trois dans l'uniforme si typiques des guerrières de l'Egide.
«—J'ai été trahie par mon dernier allié, à ce que je comprends.
—Non, justement. Laisse moi terminer. J'avais pris un engagement vis-à-vis d'Athénaïs et je voulais le respecter. Je savais que tu m'écouterais pas après le coup que tu m'as fait. On voulait même s'enfuir avec Stella.
—Et je le veux toujours, Raph. Juste pour rappel.
—T'inquiète, j'ai pas oublié. Ensuite, on a trouvé les cartouches que Tim m'avait laissées. Au début, je n'ai pas compris ce qu'il voulait que je fasse avec...»
Le nounours se plaça à mes côtés avant de prendre à son tour la parole.
«—Mais tu as finis par comprendre grâce à mes indices subtiles, par vrai?
—Euh, avec juste les cartouches, c'était pas évident à comprendre.
—Ca n'explique pas ce que font ces humains ici!
—Alors ça, tout le crédit en revient à Namue. C'est elle qui a tout compris.»
Tim se tourna vers Stella, l'air interrogateur. Celle-ci lui retourna une œillade assassine.
«—Me r'garde pas comme ça, toi. Pas après tout ce que tu as fait subir à mon p'tit frère!
—Mais c'est Stella!
—Bah oui, tu croyais quoi? Que j'ai pris le temps de me reteindre les cheveux?
—Mais alors, où est passé Namue?»
Cette fois, ce fut à mon tour de reprendre la parole.
«—Je ne t'avais pas menti, Sanae. Namue nous a quitté pour toujours.
—Je doute que tu parviennes à réaliser à quel point ça m'est parfaitement égal. En revanche, je veux savoir ce que toi et tes amies humaines vous comptez faire.»
C'était le moment de vérité. Je redoutais la suite. Les Mânes avaient été très claires. L'équilibre et la stabilité était trop important pour risquer de tout bouleverser en prenant les mauvaises décisions. Les conséquences seraient imprévisibles, dangereuses voire mortelles.
«—Quand j'ai quitté la crypte avec Namue, nous sommes très vite tombés sur le portail dimensionnel qu'avait laissé ouvert Tim. A notre intention, j'ai supposé. J'avais enfin la possibilité de repartir chez moi avec ma sœur et libres.»
Sanae me jeta un regard suspicieux et ne put s'empêcher de me poser la question qui la taraudait.
«—Temuji m'a doublement trahie alors. Pourquoi ne pas avoir fui, dans ce cas? C'est complètement absurde!
—Disons que je me suis encore coincé par une promesse.»
1h16min. 33 sec. plus tôt.
«—Namue, ça va?
—Très bien, merci. J'avais juste une subite et irrépressible envie de voir ce mur de très près.»
Ca faisait la deuxième fois qu'elle trébuchait et elle était tombée contre le mur, s'écorchant le front et la main. Son état devenait de plus en plus préoccupant. Nous avions été surpris au détour d'un chemin par la lueur iridescente et chatoyante typique d'un portail inter dimensionnel.
«—Arrête de me raconter des conneries! T'es en train de blesser ma sœur!
—MERDE! Là! Je suis en train de crever à petit feu et j'essaie encore de t'aider!
—C'est toi qui veut pas récupérer ton corps. Ce serait carrément plus facile avec une meuf comme toi. Enfin, je veux dir–
—Ca va, j'ai compris. Tu vas avoir besoin de mes Mânes, mais sans Corruption, Raph. C'est ça qui importe. Si je reprends mon corps d'origine, tout ça n'aura servi à rien, tu comprends?
—T'es pas en train de te chercher des excuses?
—J'en sais rien. J'en sais rien du tout. Mais t'as vraiment envie de courir le risque?»
La réponse était clairement "non". Disney ne m'avait pas appris à gérer les Princesses en pleine rupture psychotique. Et les créatures versatiles non plus, d'ailleurs. De mon humble avis, une chanson et un câlin ne suffirait sans doute pas à apaiser les choses.
Mais un peu de franchise ne pouvait pas faire de mal. Enfin pas trop. Les éclats de lumières stroboscopiques du portail attiraient sans cesse mon regard et captaient mon attention.
«—Je voudrais renvoyer ma grande sœur à la maison. Je sais pas ce qui m'attend et je peux pas me défiler. J'ai besoin de ton aide. Je ne suis rien sans les Mânes. J'avais pas vraiment réalisé ni compris à quelle point Elles m'avaient transformé.»
Dans tous les sens du terme. Elle me jeta un regard incrédule.
«—T'es meilleur que moi, Mânes ou pas. J'ai accepté l'idée.
—Malgré tout tes défauts, tu as une force que je n'ai jamais eue, Namue.
—Mes défauts, ils t'emmerdent. Où tu veux en venir?»
Ca, pour ce qui était de m'emmerder, ses défauts, on peut dire qu'ils le faisaient à la perfection.
«—Athénaïs croyait en toi. Au début, je la pensais trop naïve et toi trop bonne comédienne pour tromper ton monde. Dommage que tu aies si peur de la scène.
—T'es vraiment un bouffon, tu sais ça?
—Ce que j'essaie péniblement de te dire, c'est que je suis prêt à croire en toi. Pour de vrai. T'as fait des erreurs –pleins, même et des grosses– mais on en a tous fait.
—Raphaël...
—Oui?
—Ca marchera pas, ton baratin. Tu oublies à qui tu parles.
—J'veux au moins sauver ma sœur! T'es capable de le comprendre ça, bordel de merde!»
Nos regards convergèrent en même temps vers le portail, qui semblait attendre patiemment le résultat de notre conversation. Elle reprit faiblement la parole.
«—Elle aussi, elle veut te sauver.
—Hein?
—Je sais ce qu'elle pense. J'dirais pas qu'on est devenues grandes copines, mais on a su s'entendre. Faut croire qu'on a des choses en commun, elle et moi.»
Elle me regarda pour la première fois avec de grands yeux brillants.
«—Je vais vous aider tous les deux. C'est la dernière chose que je peux faire alors t'as pas intérêt à merder.
—Attends, tu vas faire quoi?
—Donne moi ma cartouche.»
Sans hésitation, une demi seconde plus tard, je lâchais le réceptacle dans la paume de main tendue.
«—Tu as changé d'avis, alors?
—Non. Tu vas encore plus me détester, d'ailleurs. Mais pas grave. J'ai l'habitude.»
Elle ferma les yeux, sembla se concentrer avant de s'écrier, en direction du portail.
«—Rosebuddy Call!»
Horrifié. J'étais horrifié par ce que je venais de voir.
«—Mais putain, qu'est-ce-qui tourne pas rond chez toi?»
Elle s'affala à terre, la cartouche toujours serrée dans sa main comme un dernier espoir. Me précipitant sur elle, je la retournai doucement en la prenant dans mes bras.
«—Mais pourquoi?
—Ecoute moi bien... Rappelle toi de notre plan. Tu dois gagner du temps, comme on a dit. Mon sort a appelé les camarades que tu as purgés. Elles vont arriver.
—Mes camarades?
—Oui. Je suis désolée, je ne pourrais pas être avec toi. J'ai tout donné. Stella prendra mes Mânes, une fois purgées. Elle est déjà au courant.»
Lentement, les pièces s'assemblèrent dans ma tête. Et j'aimais pas ça du tout.
«—T'es en train de me dire que tu as appelé en renfort Gabriel, Camille et Charlotte?
—C'est ça. Tu peux pas tout faire tout seul. Fais pas la même connerie que moi.
—Mais comment tu peux savoir qu'elles vont venir? J'ai effacé leur mémoire avec la Lapse Dance!
—Non. La première fois que tu as lancé le Rosebuddy Call, tu leur as prêtées une petite portion de tes Mânes.
—... Ce qui les a immunisées aux effets de la Lapse Dance. T'aurais pu me prévenir!»
Elle ferma les yeux, un sourire posé sur la bouche.
«—Fallait pas me piquer mon sort.
—T'es vraiment qu'une sale emmerdeuse!»
Je m'essuyai rageusement les yeux. J'étais en train de la perdre et je ne pouvais plus rien y faire.
«—Arrête. On pleure pas sur une emmerdeuse, gamin.
—J'pleure, si j'veux d'abord!»
C'était pas comme si je pouvais m'en empêcher. Et il n'était pas question de m'en priver.
«—Raph, j'ai une dernière faveur à te demander.
—Ca dépend de ce que tu vas me demander.
—J'veux que Sanae sache pour mon frère. Qu'elle connaisse au moins son nom.
—D'accord. Tu peux compter sur moi. Je ferai en sorte qu'elle ne l'oublie pas. Tu as ma parole.»
Elle sourit douloureusement avant de fermer les yeux, silencieuse un instant, avant de continuer d'une voix basse, presque inaudible.
«—Tu t'inquiètes tellement pour ta frangine.
—Et ça te saoule, j'imagine?»
Une larme aussi solitaire que la guerrière roula sur sa joue.
«—Oui. Mais je l'envie tellement.»
Elle sombra dans l'inconscience. Sa main s'ouvrit machinalement. La cartouche roula à terre, sa pierre jaune plus brillante que jamais.
59min 42sec plus tard.
«—Pour répondre à ta question, Sanae, je n'ai pas fui parce que j'ai fait le serment à Athénaïs –qui a sacrifié sa vie pour toi, je te le rappelle– de te protéger. Les Mânes aussi m'ont demandé de t'aider. Et pour finir, Namue m'a persuadé à sa manière de te confronter.»
Tim me jeta un regard perplexe.
«—Elle a vraiment fait ça?
—T'as pas idée, mec. Bref, Princesse, j'ai rassemblé mes camarades et je leurs ai distribués les Mânes de Mélichor, d'Azilith et de D'Ælin. Stella a tenu a prendre les Mânes purifiées de Namue. Et tout ça dans un seul but.»
La Princesse recula d'un pas, sur la défensive.
«—Vous voulez me renverser vous aussi? Vous voulez le pouvoir comme ce salaud de Calixte? J'ai tout perdu moi aussi! Ma couronne c'est tout ce que je suis et c'est tout ce qu'il me reste.
—Précisément, Sanae. Mais on n'est pas venu ici pour ça.»
Char s'avança d'un pas vers la Princesse.
«—En tant que membres intérimaires et très provisoire, on est venu te demander de ne pas monter sur le trône.»
Cam s'avança à son tour, prenant la main de Char dans la sienne.
«—En tout cas pas tout de suite. D'après ce qu'on sait, tu ne vas pas bien du tout, Princesse.
—Qui es tu pour venir me dire ça, toi?»
Gab s'avança, aussi impressionnant·e en femme qu'en homme, d'ailleurs.
«—J'ai pas tout compris, hein, mais vu qu'elles ont l'air de savoir de quoi elles parlent, je pense que tu ferais bien d'écouter. D'expérience, on demande d'abord et on menace ensuite.
—Merci Gab pour cette intervention d'une sagesse exemplaire.»
Stella s'avança la dernière, l'air contrarié.
«—S'il y a bien deux personnes ici qui peuvent comprendre par quoi tu passes, c'est Raph et moi. Tout ce qui s'est passé est une horrible tragédie et crois le ou non, je suis triste pour toi. Mais tu es malade. Tu as besoin d'aide. Tes parents n'auraient pas voulu ça, j'en mettrai ma main au feu.
—J'en prends bonne note, Stella.»
Ma sœur haussa un sourcil de surprise. Elle ne s'attendait visiblement pas à être connue de la Princesse. Ne restait plus que Temuji.
«—Princesse, j'ai fait tout ça pour vous. J'ai commis la première erreur qui a lancé l'engrenage. Tout est parti de là. Il y a quelqu'un de coupable ici : c'est moi et personne d'autre. J'en prendrai seul l'entière responsabilité. Mais je vous en conjure, écoutez les humains et soignez vous. Vous êtes en souffrance, même les Mânes l'ont senti. On peut tout reconstruire. Ca ne tient qu'à vous.»
La Princesse nous regarda tour à tour, sans un mot.
«—Je ne vous crois pas. A genoux!»
Les filles se contentèrent de la regarder, dans l'incompréhension la plus totale.
«—J'ai dit à genoux! Vous devez m'obéir!
—Et bien, je dois te faire un aveu, Sanae. Les Mânes m'ont expliqué une chose importante, à propos de l'équilibre. Si tu ne le respectes pas, le pacte est rompu. Autrement dit, elles ne sont plus tenues de t'obéir. Alors s'il te plait, ne nous force pas à employer la manière forte. On ne pourra pas t'aider contre ta volonté.»
Un sourire aussi rassurant qu'un piège à loup naquit sur ses lèvres incarnadines. Attitude qui ne présageait rien de bon.
«—On dirait que tous le monde est contre moi. Soit. Et bien puisqu'il en est ainsi, il ne me reste plus qu'une chose à faire.
—Accepter l'aide qu'on te propose?
—Absolument pas. Je n'ai pas besoin de votre aide. Je refuse de me soumettre. Si je dois renoncer à tout, je le ferais sans hésiter. Car comme vous dites sur Terre : "Qui sème le vent...»
La Princesse effectua quelque rapides gestes, ce qui eut pour effet d'activer une porte cachée. Celle ci s'ouvrit, découvrant un passage rempli de ténèbres. De lourds grondements se firent entendre alors que des points lumineux apparurent.
«—... Récolte la tempête". Je vous présente mes Corgis. Eux me seront restés fidèles.»
Je vis un rictus s'afficher sur le visage de Gab.
«—Sérieux? Les corgis de la reine?»
Trois démons se ruèrent dans la pièce. De la taille de poneys, ces trois canidés s'avancèrent, les muscles roulant sous une fine fourrure rousse. Ils possédaient des crocs aussi impressionnants qu'aiguisés et le cliquetis des griffes sur le sol indiquait que l'arsenal était complet.
«—Ma tempête arrive et je vous promets un cyclone. Amusez vous bien, mes chéris.
—C'est gentil mais où tu te barres comme ça, Mad'moiselle Météo?
—C'est aux chiens que je parlais.»
Elle disparut dans le passage obscur. Stella, Cam et Char firent barrage autour de moi.
«—On va te protéger. Gab! Qu'est-ce-que tu fous?
—Elle s'est tirée! Elle prépare un truc et ça pue!»
Gab avait été touché·e par la grâce. Et par une attaque sournoise du corgi le plus proche. Il fallait agir vite et c'était à moi de prendre cette décision.
«—Les filles, écoutez. Je sers à rien dans ce combat. Tim et moi, on va rattraper la Princesse avant qu'elle ne fasse une très grosse bêtise. Vous pouvez vous charger des chiens de la reine?»
J'eus bien conscience que dit de la sorte, la proposition n'était pas très vendeuse. Cam et Char se regardèrent. Stella haussa les épaules.
«—Ok, on va s'en occuper. On te rejoint dès qu'on a finit le toilettage. Fais gaffe à toi, frangin.
—Toi aussi, frangine.»
Et je me suis engagé dans le passage obscure à la poursuite de la fugitive avec Tim sur les talons.
⁂Yedel⁂
Cette fois, c'était vraiment la dernière apparition de Namue.
J'aimerais beaucoup savoir ce que vous avez pensé d'elle.
R et l'Egide ont presque réussi à pousser Sanae dans ses derniers retranchements.
Est-ce une si bonne chose?
Il reste un chapitre final divisé en deux parties.
Donc, question subsidiaire :
R va-t-il réussir à intercepter la Princesse?
Que va-t-elle faire dans cette situation?
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