58.Faiblesse
https://youtu.be/0kDzEcCF5cI
— Ma dernière erreur? Je te trouve bien sure de toi, Sanae.
J'avais la situation et le collier en main, alors qu'elle me dévisageait avec une hostilité assez impressionnante. De près, c'était encore plus flagrant : elle ressemblait vraiment à une fleur sur le point de se flétrir. C'était difficile de ne pas avoir pitié de cette fille amaigrie, les yeux cernés en train d'essayer de faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Difficile, mais pas impossible. J'avais du mal à oublier qu'elle m'avait humilié et séquestré sous prétexte de m'ôter mes pouvoirs. La meuf, c'était pas non plus un gentil petit lapin sans défense.
Le large sourire dentifrice qu'elle arborait me confortait dans cette analyse. Cette Princesse avait plus d'un tour dans son sac à mains.
— Mais je t'en prie, Raph, tu veux reprendre les Mânes, fais toi plaisir! Tu sais très bien ce qui t'attends si tu les récupères. Tu tiens tant que ça à devenir ma boniche?
— Je crois qu'il y a une solution plus simple à ce problème : tu devrais embaucher.
Tim s'interposa entre nous deux, protestant vigoureusement.
— Arrête les enfantillages, Raph, d'accord? Je suis content que tu ailles bien, mais tu dois rentrer chez toi maintenant!»
La Princesse fronça les sourcils.
— D'ailleurs comment tu expliques ça? Comment se fait-il qu'il soit devant moi, libre de venir me narguer, Temuji? N'as-tu donc rien à me dire?
— Eh bien je ne sais pas, vu qu'il est humain, on peut supposer qu–
— Teuteuteu, mon œil! Tu t'es foutu de moi.
— Tu sais, Princesse, si ça peut te rassurer, il m'a fait pire. Et sur un tableau des scores, je dirais que je mène encore largement la partie.
Poussant un cri de rage, elle balança une décharge d'énergie sur le nounours qui le projeta quelque mètres plus loin, comme une miette de pain d'un coup de doigt rageur.
— Tu es viré, Temuji. Maintenant, à nous deux, Raph.
Bien qu'affaiblie par son hibernation forcée, elle n'était pas sans ressources. Le souci, c'est que personne n'avait pris la peine de me prévenir.
— Qu'est-ce-que tu comptes faire, Princesse?
— Je ne vois pas pourquoi je te le dirai. En revanche, toi, tu vas me dire où se trouve cette fille qui était avec toi. Je te le demanderai gentiment une seule fois.
Très bonne question, en vérité.
— Ça dépend de quelle fille tu parles.
— Mauvaise réponse.
Elle m'agrippa le cou de sa main droite avec une poigne impressionnante en plaçant sa main gauche contre mon thorax. Elle se mit à serrer de plus en plus fort, ses ongles me rentraient dans la chair.
— Nggble...raaa...kkk...
— C'est pas une réponse. Ou est elle?»
Difficile de parler en apnée. Mais pas autant que de vivre. Mes deux mains sur la sienne, j'essayais de le lui faire comprendre. Je risquais de perdre connaissance à tout moment. Et pourtant, j'avais bien suivi les consignes : ne pas l'énerver. Je commençais à comprendre pourquoi. Cette fille était un subtil croisement entre la bombe à retardement et la mine anti personnel.
— Je vais te laisser reprendre ton souffle, alors choisis bien comment tu l'utilises.
— Namue...N'existe...Plus... »
Ma voix sonnait bizarrement pathétique et donc appropriée pour la circonstance. Les griffures dans le cou me faisait un mal de chien et elle ne m'avait pas lâché. Sa paume toujours contre mon thorax, j'avais l'impression qu'elle allait me faire exploser comme un pétard dans une boîte aux lettres.
— Tu mens, humain.
Pourtant, son hésitation sur la conduite à suivre indiquait clairement un doute. Elle me libéra de son étreinte suffocante. Je profitai de l'occasion pour me reculer de trois pas. Une précaution bien dérisoire.
— Je peux t'assurer que Namue a disparu pour toujours. Elle a quitté ce plan d'existence. Il n'y a plus que moi et ma sœur ici. Je me suis battu pour toi Sanae, j'ai fait des choses que je ne croyais pas possibles et pas un seul instant je n'ai hésité à aller jusqu'aux limites. Même toi, tu ne peux pas dire le contraire. T'as pas le droit de me faire ça.
Il fallait tenter. Je sentais que c'était une pure perte de temps, que la cause était perdue d'avance, mais je ne pouvais pas ne pas simplement essayer de la raisonner. Pas après tout ce que m'avait raconté les Mânes.
Mon regard plongea dans le sien. Je cherchai l'âme enfouie dans ces deux abysses aux profondeurs amères. En pure perte.
— Pourquoi, Raphaël? Dis-moi simplement pourquoi. Je ne parviens pas à te comprendre.
— Euh, va falloir être un peu plus précise parce que là, tout de suite, c'est un peu vague comme question.
— Tu te crois plus intelligent que moi, je suppose? Je vois clair dans ton jeu, je te le dis depuis le début.
— Ma demande était simple et sans arrière pensée. Je veux partir d'ici avec Stella. C'est tout. Je ne veux plus me battre et tout risquer pour rien. A part un paquet d'emmerdes. La seule chose que j'ai comprise avec toi, c'est que tout ça n'avait servi à rien. Tu as récupéré ta couronne, tu m'as repris les Mânes. J'ai rempli ma part du contrat, Sanae, alors je t'invite à remplir la tienne!
— Intéressant.
— De quoi?
— Le fait que tu penses être en position d'exiger des choses. Ta sœur n'est pas avec toi et tu n'arrêtes pas de pleurer pour partir. De toute évidence, tu me prends pour un jambon. Alors tu vas rester avec moi et on va l'attendre.
— Hey, c'est pas réglo, ça : t'es en train de changer le deal!
— Absolument. Au risque de me répéter, on ne négocie pas en position de faiblesse. Tu n'as aucun pouvoir, rien en poche et tu viens devant moi pour exiger. Ce n'est pas comme ça que le monde fonctionne, mon jeune ami.
— Ca, c'est toi qui le dit.
Je brandis sous son nez le phylactère contenant les Mânes de Miss en prenant bien soin de le tenir par la chaînette.
— Tu veux le pouvoir, c'est OK, j'avais compris. Mais tu ne pourras pas faire quoi que ce soit sans Miss à tes côtés. Toi et moi on le sait parfaitement. Je te rends le collier si tu acceptes enfin de nous laisser partir.
— Je suis consternée par ta colossale ignorance des choses de la vie et ta monumentale naïveté. Sans rire, ça mériterait presque une statue. Tu peux garder le collier si tu veux, ça ne me dérange pas. Tu ne pourras pas t'en servir contre moi. Je te le prendrai quand bon me semblera sans que tu ne puisses rien y faire. Tu n'as rien qui puisse m'intéresser ou m'atteindre.
En gros, je suis à poil, quoi.
On arrivait au moment crucial. C'était pas le moment de faire de la merde. Elle me regardait, un mince sourire brillant aux lèvres dans l'attente de la suite.
— Tu as sans doute remarqué que tes sujets n'étaient pas là, je parie?
— Je ne vois pas le rapport. Ce ne sont pas ces gens qui vont te sauver du sort que je te réserve.
— Ah. Donc, tu avais déjà prévu un truc.
— Rien de bien original, j'en ai bien peur. Je suis au regret de t'apprendre que toi et ta sœur vous ne repartirez jamais d'ici.
Elle s'approcha de moi, inexorablement, d'un pas ferme et déterminé. J'allais avoir besoin d'une sacrée douche pour me débarrasser de cette tenace et désagréable odeur de merde dans laquelle j'étais en train de m'enfoncer.
— Je m'en doutais. En même temps, c'était pas une grosse surprise venant de toi, Sanae.
— Tu n'as jamais eu l'intention de partir comme ça non plus, Raph. Mais attends un peu, toi... Comment se fait-il que tu saches pour mes sujets?
Je la défiais du regard tout en lui rétorquant.
— Personne ne viendra, Sanae.
— QUOI?»
Son cri me vrilla les tympans. Elle se jeta sur moi en me chopant par le col. Voir une Princesse furieuse en très gros plan n'était pas un spectacle très rassurant. En particulier celle-là.
— Ta proclamation n'est jamais sortie d'ici. Je t'ai aussi dit que je ne voulais plus me battre. J'en ai marre. Mais si tu m'y obliges, je suis prêt à rempiler en tant que membre intérimaire de l'Egide.
— CONNERIES! Si tu reprends les Mânes de Miss, je te jure que je te ferais ramper!
— Pas mon style de juger les gens, mais c'est pas facile dans ton cas, hein... Tu oublies une chose importante, ma grande. Si je fusionne avec les Mânes, tu ne pourras plus me contrôler.
— De mieux en mieux. Fusionne avec si tu penses pouvoir le supporter, je demande à voir. Mais là, c'est toi qui ne comprends pas dans quoi tu t'embarques.
— Tu crois que ça me fait peur?
— Oh non, tu es bien trop bête pour ça. Si tu fusionnes avec elles, tu ne pourras plus vivre parmi les humains. Tu seras relié à la Source qui se trouve ici-même, sous nos pieds et tu devras tout quitter. Tu es perdant sur toute la ligne, quelque soit l'issue, imbécile!
En effet, présentée ainsi, la situation n'était pas très reluisante. D'un côté, j'avais réussi à me séparer des Mânes. J'étais donc redevenu moi même, un lycéen parmi d'autres, avec une vie sans intérêt et un avenir plutôt incertain.
De l'autre, j'avais la possibilité de devenir quelqu'un de différent, une meilleure version de moi-même dans laquelle je me sentais enfin bien dans ma peau et surtout à ma place. Version qui m'obligerait toutefois à repenser tout mon mode de vie et à bousculer mon ordre établi. C'était peut-être pas impossible à réaliser, mais c'était remettre en question tout ce que je savais, remettre en cause toutes mes habitudes et mes choix de vie.
Ce qui n'était pas simple.
La Princesse me fixait, le regard incendiaire, un sourire dément peint sur le visage. Elle trépignait d'impatience de savoir ce que j'allais décider.
— Dans ce cas, Princesse, il ne me reste plus qu'à vous dire adieu. Préparez-vous, parce que je n'aurais aucune pitié.
— Tu es trop mignon.
Le cœur battant à tout rompre, la main légèrement tremblante, je la posai sur le réceptacle.
Rien ne se produisit.
C'était sûr...
La Princesse éclata d'un long rire strident encore pire que le dernier. Ce qui eut pour effet de réveiller Tim.
— Ma parole, tu me régales, Raph!
— Euh, il se passe quoi, là?
— Il se passe qu'il est trop tard. J'ai déjà les Mânes en moi.
— Mais comment?
Tim s'approcha, encore sonné mais lucide.
— Elle a déjà cassé le collier pour les forcer à entrer.
— Le collier est intact! Tu vois bien!
— Il se répare tout seul. Désolé, j'avais aussi menti là dessus.
— Tu ferais mieux de me dire sur quoi tu ne m'as jamais menti, ça ira plus vite. J'ai risqué ma vie pour une Princesse complètement timbrée qui va sans doute me trucider sans sourciller. Merci pour tout, Tim.
— Elle n'était pas comme ça! Tu vois bien qu'elle est pas dans son état normal!
Sans pouvoir me retenir plus longtemps, j'adressai au sorcier penaud un sourire et un clin d'œil.
— Euh?
Ce qui n'avait pas non plus échappé à la Princesse.
— Qu'espères-tu accomplir? Tu n'as ni pouvoir ni personne pour t'aider.
— A ta place, je n'en serais pas si sûre.
— Même si ta sœur et la traîtresse se pointaient maintenant, ensemble, ça ne changerait plus rien. Même si je te laissais repartir dans ta dimension, ça ne changerait rien.
— Ce qui veut dire?
— Je vais envahir ta dimension. Bientôt, ton monde sera mien. Les humains ne connaissent pas la magie, je le sais. Je t'ai observé moi aussi grâce à ce lien qui nous unissait. J'ai vu l'avenir et je sais ce que je vais faire. Je veux voir votre soleil briller et le sentir sur ma peau.
Et bah voilà!
J'avais enfin réussi à lui faire cracher le morceau sur ses intentions. C'était couru d'avance, elles n'étaient ni très amicales ni très nobles. Restait à savoir si ça suffirait à–
— Pas si vite, Princesse Sanae.
Une voix de femme avait retentit, sortie de nul part. Une silhouette apparut.
— Nous en avons assez entendu.
Une seconde forme se découpa dans la pénombre.
— Vous avez besoin d'aide, Princesse. Nous sommes venues vous l'apporter.
La troisième sortit de l'ombre d'un pas décidé. La Princesse écarquilla ses beaux yeux et repérant les trois nouvelles arrivantes.
— C'est impossible! Temuji! Qu'est-ce que ça signifie? Où sont mes cartouches?!
— Vous m'avez congédié. Je n'ai plus aucun compte à vous rendre.
— Qui sont ces filles?»
C'était plus fort que moi, je sentis mes lèvres s'étirer en un sourire de soulagement.
— Voici l'Égide recomposée, Princesse! On a eu de la chance, elles étaient toutes élèves de l'école de musique.
— Et on est en train de rater nos auditions rien que pour toi, Princesse.
Camille ne semblait pourtant pas en colère. La présence de Char à ses côtés devait beaucoup aider. Les filles regardaient Sanaé avec insistance et dans le plus grand silence. Je toussai un peu pour dissiper la tension.
— Je crois qu'elles ont des choses à te dire. Elles, tu vas les entendre, j'espère.
⁂Yedel⁂
Chapitre très calme, peut être un peu trop?
Il semblerait que R soit désormais obligé de se passer de pouvoirs.
La Princesse a tout prévu, on dirait.
Vraiment tout? Le retour de l'irréductible Egide
risque de changer un peu la donne.
Vos commentaires, avis et idées sont toujours les bienvenues!
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