56. Evasion

https://youtu.be/8LMB6K4rTGU

Ténèbres. 

Combien de temps s'était écoulé? Quelques secondes? Des siècles? Le temps n'existe pas dans l'infini, il est simplement aboli par sa propre vacuité. 

«N'est pas mort ce qui à jamais dort,
Et sous d'étranges éons 
peut mourir même la mort.»

Si ma mémoire ne me faisait pas défaut sur les classiques.

Silence. 

Difficile de savoir où j'en étais à ce stade des choses. Une seule certitude demeurait cependant : j'avais sombré dans une sorte de coma. Il parait qu'on rêve dans cet état. Tout devrait bien se passer s'il ne s'agissait que de rêves.

Du moins le pensai-je, dans un premier temps.

Solitude.

Je flottais dans l'air. Aucune sensation. Sans consistance, sans masse. Plus de haut, plus de bas, la définition même de l'apesanteur. Mon prof de physique aurait été si fier de moi.

Ou pas, au vu de ma situation.

Si je me souvenais bien aussi, l'apesanteur n'était rien d'autre qu'une chute libre avec une trajectoire. Quelle était ma trajectoire, déjà?

Aucune. C'était bien ce qui m'avait semblé au départ. Comme disait Eric Idle : «parti de rien, tu n'es arrivé nulle part.»

Qu'avait dit l'autre idiot avant de m'enfermer ici? Ses mots m'échappaient.

— Tu n'es pas seul·e. 

— Voilà, c'était ça!

— Il avait raison, Miss.
Tu n'es pas seul·e.
Disons pas encore.

— Merci de votre visite, mais on a fermé boutique. Y a plus personne.

— Ne sois pas si amer·e.
Nous t'avions pourtant prévenu·e.

— Que la Princesse avait pété les plombs? Et ça aura changé quoi au final, selon vous?

— Regarde autour de toi
et tu comprendras
que le temps presse.

L'écho de la multitude des voix s'éteignit. Des éclairs muets et aveuglants zébraient les ténèbres de cette immense espace plat, à perte de vue. L'endroit semblait infini au sens littéral du terme. Une sorte de néant matriciel ou rien n'existait encore et ou tout avait déjà disparu.

Un détail attira toutefois mon attention. Une fois que les éclairs avaient traversé l'éther, celui-ci restait déchiré. Je me frottai les yeux, avant de me souvenir que ça ne servait à rien ici. Non, ce n'était pas l'éclat éblouissant qui s'imprimait sur ma rétine. Les éclairs qui parcouraient sporadiquement le ciel –faute d'un meilleur terme– le détruisait, petit à petit, telles des fissures sur une surface vitrée.

— Je crois que je commence à comprendre. Il commence même à faire... froid?

Première vraie sensation que j'éprouvais et sans doute pas la plus agréable. Un froid pénétrant s'insinuait en moi et je commençais seulement à en avoir conscience.

— Nous devons te parler maintenant, Miss.

— C'est pas déjà ce que vous faites?

— Nous ne savons pas
si tu vas nous comprendre.
Nous n'utilisons pas les mots,
même si nous avons appris
à le faire avec les Minarii.
Ce peuple n'est pas très réceptif
à notre langage natal. 

Une forme se matérialisa devant moi. Une personne que je reconnus aussitôt bien que je ne l'avais croisée qu'une seule fois.

— Athénaïs? Mais je croyais qu–

L'apparition secoua lentement la tête. Ses yeux étaient inexpressifs, son visage impassible, sa posture figée, apathique.

— Non. Nous avons pris son apparence pour te faciliter la tâche, mais ce n'est pas elle. Cette personne n'existe plus, comme tu le sais très bien.

Me faciliter la tâche? Vraiment?

— Qu'est-ce-que vous voulez de moi? Si c'est pour me dire «on te l'avait bien dit» c'était vraiment pas la peine.
— Tu es en colère. 
— Non, vous croyiez?

Merci, cap'tain Obvious!

En plus du reste, sa voix était complètement monocorde, réfrigérante et atone. Si la voix SNCF se mettait à lire la rubrique nécrologique, ça y ressemblerait très probablement.  

— Sans blague! Au lieu d'enfoncer des portes ouvertes, si vous m'expliquiez ce qu'il se passe ici? On est où?
— Il n'y a aucune portes ouvertes ici.
— Laissez tomber.
— Tu as très peur, aussi.
— On joue à énoncer les évidences, maintenant?
— Tu t'es battue jusqu'à maintenant et tu renonces maintenant.
— Vous me saoulez, là.  Si vous vouliez pas de moi, fallait le dire tout de suite!
— Nous sommes désolées, Miss. Nous communiquons très mal. Nous voulions te témoigner toute notre gratitude et notre admiration pour ce que tu as accompli sans jamais rien demander en retour. »

Attends, quoi?

— Les mots sont compliqués et trompeurs pour nous. Nous ne savons pas pourquoi nos propos sont très souvent mal interprétés, mais c'est souvent le cas. Pardonne-nous si nous t'avons blessé·e, telle n'était pas notre intention.
— D'accord. Ben, merci, du coup. Vous me prenez un peu au dépourvu.»

Il fallait bien admettre que la communication, de mon expérience, c'était pas le point fort des Minarii.

— Nous avons peut-être une solution à te proposer, Miss. Si tu le veux bien.
— Je vous écoute. J'ai un peu de temps à tuer.»

C'était plutôt l'inverse qui était en train de se produire, mais valait mieux pas y penser.

— La Princesse est en train de plonger ton corps dans un sommeil éternel. Nous ne sommes pas dupes. Nous savons très bien qu'elle veut nous obliger à te quitter.
— Vous saviez?
— Peu de choses nous échappent. Elle nous contraint à t'abandonner alors que nous ne le souhaitons pas. Aucune d'entre nous ne le veut. La malheureuse est aveuglée par le chagrin et la rancune.
— On parle bien de la même personne?
— La Princesse, oui. Son jugement est obscurci, chargé d'angoisse et lesté par le doute. Elle croule sous son fardeau. Nous ne le savons que trop bien. Nous avons lu dans son cœur troublé et meurtri et nous savons qui elle est.
— Et mon cœur à moi, on en parle?
— Tu n'as jamais voulu de nous, Miss.
— Vous vouliez me forcer à être celle que je ne suis pas.
— Nous n'avons pas pour habitude de nous imposer quand on ne veut pas de nous. Le consentement est primordial, pour nous.
— Vous savez ce qu'elle m'a fait?

L'apparition restait complètement inexpressive, le regard vide. 

— Nous savons, oui. Nous en sommes responsables et nous en sommes profondément mortifiées. Il reste toutefois une petite chance de nous en sortir. C'est ça dont nous voulions te parler.
— Expliquez-vous alors.

Les éclairs arrachaient des pans de cieux entiers, désormais. Un lumière blanche inondait l'endroit d'une radiance de plus en plus difficile à supporter. Ce n'était pas sans m'évoquer les explosions atomiques et le flash consécutif.

L'apparition m'exposa son idée. Un programme pas très engageant, pour dire les choses clairement.

— Vous pensez que ça peut marcher?
— On peut raisonnablement l'espérer, oui. De toute façon...
— ... C'est notre seule chance, j'ai bien compris. Ça va me faire tout bizarre au début.
— Rien n'arrive par hasard, Miss. Nous avons appris à te connaitre et à t'aimer.
— Euh... Merci...
— Maintenant que tu sais, il reste un dernier problème à régler.
— Comment s'échapper d'ici?
— C'est ton esprit, Miss et il n'y a que toi qui connait le moyen.

Il commençait à faire sacrément froid et il devenait difficile de garder les yeux ouverts.

J'avais compris que rien de tout cela n'était réel au sens physique du terme. Toutefois, je percevais des sensations. La lumière, l'éblouissement... La peur...

— Je sais! Ecoutez-moi.
— Dis nous et nous t'aiderons de notre mieux avant de te quitter.

L'endroit disparaissait, retournait au néant et la silhouette de la précédente Miss commençait à s'effriter en fine poussière brillante. C'était pas le moment de flancher. 

En cet instant, je me souvins de la bataille contre la Corruption.

— Laissez tomber le langage parlé. Vous aviez raison, vous n'êtes vraiment pas douées avec.
— Tu le crois?
— Non, je le sais! Vite, donnez moi la main!
— C'est inutile.
— Vous êtes mes amies?
— Bien sûr.
— Alors faites moi confiance.
— Nous ne voulons pas partir, Miss.

 Je m'étais rappelé de toutes ces voix et surtout je m'étais souvenu de ce que j'avais ressenti.

Nos mains se rencontrèrent sans se toucher mais comme je le pensais, ce fut suffisant.

Alors, je ressentis leur espoir, leur peur, leur volonté de se battre, leur désir de vivre, leur tristesse aussi. Ce n'était pas cette tristesse affligée qui rend maussade, colérique et désespéré. Non. C'était le même genre de tristesse ressentie en se souvenant de ce qui fut, d'un jour heureux enfui depuis longtemps. C'était douloureux d'y repenser, mais ça faisait aussi du bien de juste se souvenir. Les bons moments passés, ça effaçait presque le fait qu'ils étaient finis à jamais. C'était très difficile à exprimer, dur à vivre mais simple à comprendre. 

Une nostalgie qui ne s'aigrirait pas au fil du temps mais apporterait la quiétude et le réconfort nécessaire pour simplement continuer à aller de l'avant , à affronter la peur de l'inconnu.

L'apparition se dissipa en étincelles multicolores qui furent aspirées dans un maelstrom de néant.

— Résistez! J'ai besoin de temps!

Tout vola en éclat alors que les cieux se scindèrent en deux par le milieu. J'ouvris les yeux. 

J'étais dans la salle circulaire, la crypte de l'Académie. 

Une autre personne était là. 

— Ça va? Toujours vivant?

Et ce n'était clairement pas la Princesse.

— Je crois. Ou alors je suis un vampire.

Ce qui était un outrage : j'avais toujours préféré les loups-garous. J'avais mal aux yeux, je me sentais engourdi et j'étais dans la plus grande confusion mentale. 

— Je vais te filer un coup de main pour sortir de là.

J'entendis le déclic du mécanisme des ceintures métalliques. J'étais de nouveau libre. De longs cheveux noirs me tombèrent dessus en cascade ainsi qu'une vague fragrance d'huile de jojoba alors qu'elle se penchait pour m'aider. M'appuyant sur mes mains, je sentis un objet cylindrique au bout de mes doigts.

— Stella, c'est toi?
— Presque.

Finalement, ma vision s'éclaircit de nouveau et je pus distinguer les mèches blanches. Ainsi que son visage congestionné par l'effort. Elle me tira de ses maigres forces, ce qui nous fit tomber tous les deux au sol. Je me relevai sans trop de peine, mis à part un léger vertige.

Autre constat étrange, j'étais redevenu moi-même. Un intense déception m'envahit.

— La Princesse! Ou est-elle? Elle m'a volé les Mânes!
— J'ai mis... Un temps fou... Pour arriver jusqu'ici... Elle est... Partie depuis... Longtemps...

Essoufflée, épuisée et grimaçante, Namue semblait souffrir le martyr et être dans l'incapacité de se relever. Je décidai donc de me faire violence et de lui laisser un peu de temps pour souffler.

— Ma sœur va bien?
— Arrête, t'es chiant.
— Qu'est-ce-que tu fiches ici?

Elle ferma les yeux et expira doucement.

— J'étais venue pour piller ton cadavre.
 — Comment as-tu su que j'étais là dedans?

Elle n'avait aucun moyen de deviner où je me trouvais.

— J'ai senti ma cartouche. Je ne sais pas comment mais elle a atterri dans ton caisson. Je me suis dit que tu ne serais pas loin.
— J'y crois pas! En fait, t'étais pas là pour me sauver du tout!

Je récupérai le petit cylindre argenté dans le caisson. Namue souriait douloureusement.

— J'avoue. Tu m'as eue. Je me suis traînée jusque là pour rien, on dirait. Tant pis.
— D'après Tim tu étais prise au piège.
— Pour une fois, il t'a dit la vérité. J'étais retenue par un vieux système de défense. Mais il m'a relâchée, sans raison apparente.
— Étrange.
— Ouais, c'est bizarre.
— Tout bien réfléchi, pas tant que ça. Les Mânes m'en ont parlé, de ce piège. Tu étais la seule personne à être en mesure de m'aider. Je crois que c'est pour ça qu'elles t'ont libérée. 
— Ce genre de plan, ça leur ressemble assez.

Elle était bizarre. Même si elle semblait avoir très mal, elle avait l'air différent. Elle était résignée mais elle semblait aussi soulagée, d'une certaine façon. J'allais avoir besoin d'aide. De toute l'aide possible. Je n'avais plus mes pouvoirs. J'étais redevenu mon triste moi-même : un garçon comme les autres.

Je pris alors une décision lourde de conséquence et non dépourvue de risque : je tendis la cartouche à Namue.

— Je te dois des excuses. Tu avais raison. La Princesse est méga-dangereuse et je vais avoir besoin de toi. Tu as gagné, Namue.

Ses mains tremblantes s'approchèrent de la mienne. D'une main, elle me saisit lentement le poignet et de l'autre, elle referma mes doigts sur l'artefact à la pierre rouge luisante.

— Non, Miss. Je n'veux plus être un monstre. Mon histoire est terminée. La tienne, en revanche, ne l'est pas encore.
— Te fais pas prier. T'as attendu ce moment toute ta vie!
— Je suis sérieuse. Ça me fait encore plus mal de le dire, mais tu es bien meilleur que je ne le serai jamais. Tu feras ce qu'il faut, pas comme moi. Reste toujours fidèle à toi-même et tout ira bien.

E t moi qui pensait avoir épuisé mon stock de surprises après ma discussion avec les Mânes. Elle se pencha en avant, l'air déterminé, avant de poursuivre.

— Une dernière chose : rends moi service et donne lui ce qu'elle mérite.
— Non. Hors de question.
— Si c'est pas toi qui le fait, alors qui, idiot?
— Toi. 

Elle éclata d'un rire sans joie. 

— Tu m'as bien regardée? J'ai plus la force, mec. Je suis en train de m'effacer. Bientôt Stella sera de retour. Tu veux vraiment la mettre en danger après tout le cirque que tu m'as fait?
— Prends ta cartouche, et redeviens celle que tu étais. J'ai besoin de ton aide. Et crois moi, tu es la dernière personne à qui j'ai envie de le demander alors s'il te plait, aide-moi. 

Le visage de Stella se fit grave et son regard lourd. 

— Même si je le voulais, Raphaël, je ne le pourrais pas.
— Tu as tout fait pour te venger, je donne la possibilité d'en finir et tu te défiles? Et moi qui croyait que t'avais pas peur.
— J'ai pas peur. Mais la cartouche que tu tiens là, c'est pas la mienne.
— C'est pas possible. Tu as dit toi-même avoir été attirée par tes Mânes.
— Et je le maintiens. Sauf que ma cartouche est toujours dans le caisson.

Une rapide inspection de la boîte me permit effectivement de mettre la main sur la cartouche de Namue. C'était bien celle que j'avais sentie tout à l'heure. Mais il n'y avait pas que le sienne. Il y avait également la verte et la bleue, glissées dans un recoin.

— Mais qu'est-ce-que ça veut dire?

Namue se releva péniblement, un sourire sardonique accroché aux lèvres.

— Ça veut dire que tout n'est p'tet pas perdu.

⁂Yedel l'auteur ⁂

Un chapitre très narratif mais nécessaire pour la suite.
Il va falloir stopper Sanaé et la ramener à la raison,
ce qui ne sera pas une mince affaire.
Espérons que le plan de N tienne la route,
car Miss n'est plus là.

Etes vous prêt pour la confrontation finale?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top