55. Noces

https://youtu.be/0RDZvbe6Y3c

Trois ans. C'était tout ce qu'il m'avait fallu pour tout récupérer et gagner bien plus encore. J'étais dorénavant la souveraine incontestée de trois royaumes. Plus rien ne se dressait sur mon passage. Mes parents seraient si fiers de moi, s'ils étaient encore là pour me voir. 

Si j'avais pu choisir, ce serait avec toi que j'aurais aimé être. 

Ce n'était guère le moment de ressasser. Keros était mort à cause de ma faiblesse. Je devais l'oublier et me concentrer sur l'instant présent.

J'avais bien le droit de profiter de cette petite fête prénuptiale en mon honneur et de me relaxer enfin après tout ce travail accompli. Mes alliés étaient avec moi, et j'avais mes ennemis littéralement sous mes yeux. Enfin, il serait plus exact de dire qu'ils étaient tous à ma botte.

«—Tu me manges rien, Stella? Tu es une invitée de marque, après tout.
—J'ai pas faim, Majesté.
—Puis-je te suggérer ces délicieux petits fours? Tu devrais en gouter au moins un. C'est une tuerie.
—Puis-je à mon tour vous suggérer de vous étouffer avec?
—Allons bon, ne sois pas grincheuse. Mon petit cadeau ne te plait-il donc pas?

Elle portait désormais un ras-du-cou de velours Minarii, avec un petit cadenas dessus. Ma petite touche personnelle. Une manière discrète et élégante de lui rappeler qu'elle était ma prisonnière, puisque le tissu enchanté par mes soins l'empêchait d'utiliser ses pouvoirs.

«—J'aime pas la couleur.
—Tout sera bientôt fini. Alors ne gâche pas tout.»

J'avais bien sûr demander l'avis de mes followers pour le choix de ma robe de mariée. Je portais donc une robe courte (mais pas vulgaire) légèrement décolletée sans manche, des jambières et des gants du soir d'un blanc irisé cousus de fils d'or. Temuji s'était chargé de la communication, comme à son habitude. Il semblait un peu déprimé ces derniers temps, sans aucune raison. Il fallait le tenir occupé sans quoi, il retomberait sans nul doute dans ses penchants douteux.

Pour le moment, j'avais décidé de me prêter au jeu des photos, avec ma fiancée. 

«—Majesté, vous êtes splendide! Ce blanc nacré est tout simplement merveilleux : vous semblez habillée de lumière!
—Merci, Princesse. Vous êtes radieuse, vous aussi.
—Les tisserands Minarii sont de véritables artistes. En revanche, avez-vous vu ces invités, là-bas? Ils sont terriblement peu assortis. Et l'autre, au fond, comment s'est-il fagoté? Vous servez beaucoup d'alcool, tout de même, vous n'avez pas peur que tous le monde soit soûl? C'est mon mariage tout de même...
—Notre mariage, ma bien aimée.
—Oh, oui bien sûr... Qui avez-vous choisi pour l'orchestre? J'ai pris la liberté aussi de sélectionner quelques candidats pour l'adoption. Selon le protocole, vous vous en doutez. Mince, je ne sais pas si père vous a transmis la liste de m–»

Serin-li commençait déjà à me fatiguer. Alors que nous n'étions même pas encore officiellement mariées. Son babillage incessant me remplissait les oreilles et m'incitait à boire bien plus que de raison. C'était sans importance. Je me chargerai en privé de lui enseigner l'obéissance ainsi qu'à garder le silence.

«—Qu'est-ce qui vous fait autant sourire, Majesté?
—C'est vous. Je suis heureuse, voilà tout.
—Vous m'en voyez enchantée! J'ai oublié votre cadeau, Majesté! Je vais vous le chercher de ce pas!
—Mais faites donc, Princesse. Ne soyez pas en retard pour le spectacle.»

Enfin un peu d'air. Je reposai mon verre à peine bu. Elle m'avait déjà bien saoulée. Heureusement que des réjouissances étaient prévues sinon j'aurais été obligée de pratiquer moi-même l'exécution. Ce qui eut été dommage sur la mariée. Mais j'avais autre chose de prévu.

«—Temuji! Fais entrer la condamnée.»

Les portes s'ouvrirent en grand. Mes gardes tirèrent la Corrompue dans la salle de réception sous le regard effaré des convives. Emprisonnée dans diverses couches de sangles et de tissus, elle était complètement neutralisée. L'acier Minarii avait toujours laissé à désirer, d'où mon union avec Serin-Li. La forge de sa principauté était de bien meilleure qualité. Des chaînes auraient été plus seyantes à cette vile créature, mais faute de mieux, il fallait bien s'en contenter.

«—NAMUE!
—STELLA?»

La jeune humaine se précipita sur la prisonnière. Des retrouvailles tellement émouvantes. J'étais décidément trop sensible et je m'étais dit qu'il fallait offrir à ces deux-là l'occasion de se dire adieu. Père disait toujours : 

«Ne te contente pas de juste vaincre un ennemi. Détruis le complètement quand c'est possible.»

Je descendis de mon dais pour aller assister à ces délicieuses effusions. Il eut été bien dommage de s'en priver après toutes les pertes subies pour capturer vivante la Corrompue. Elles étaient tellement mignonnes toutes les deux que je m'abstins de les interrompre.

«—Je te croyais morte!
—Bienvenue au club.
—Pardon?
—Celui des traîtresses. 
—Ecoute, j–
—Merci, Stella.
—Pourquoi?
—Je sais ce que ça fait, maintenant.»

Je n'allais vraiment pas les interrompre. J'avais un certain penchant pour le sel. J'en savourais chaque seconde, je n'en perdais pas une miette. Mon péché mignon avait toujours été la gourmandise. Stella se tourna vers moi, les yeux embués.

«—Majesté, s'il vous plait. Épargnez-là. Vous n'allez pas tuer quelqu'un le jour de votre mariage!
—Et pourquoi pas? C'est une Corrompue, une criminelle séditieuse coupable de haute trahison. Faire l'inventaire des crimes dont elle est l'auteure serait plus long que la liste de mes invités.
—Montrez-vous magnanime, bordel! Guérissez là de la Corruption et laissez là en paix!
—Oh, pour ça ne t'inquiète pas, je vais la guérir et elle va reposer en paix, je te le garantis.»

La Corrompue, qui s'était tue jusque là, se décida à reprendre la parole.

«—Laisse tomber, Stella. J't'en veux même pas.»

Cette fois, l'humaine pleurait franchement. Tous les invités s'étaient figés, muets, observant la scène avec stupeur et tremblements. Etre le centre de toute cette attention, attirer tout les regards était si accablant, si galvanisant qu'en cet instant magique, je me sentis... Comblée.

«—Majesté, vous n'avez pas besoin de la tuer. Vous avez déjà gagné.
—Silence! Moi seule ici décide qui doit vivre ou mourir.»

Et ton tour viendra Stella, seulement tu ne le sais pas encore. Je dois encore savoir comment tu as eu ces pouvoirs et te les reprendre.

Elle s'essuya les yeux en reniflant avant de m'adresser une requête pour le moins surprenante.

«—Dans ce cas, j'aimerais que vous me laissiez faire un truc. Ça ne vous coûtera rien.

Ses joues humides devinrent écarlates.

«—C'est-à-dire?
—Un simple baiser d'adieu.»

Elle baissa la tête et se mit à rougir de plus belle.

Sérieusement? Embrasser... Ça?

La Corrompue ouvrit grand ses yeux blancs, la mâchoire pendante.

«—T'es pas sérieuse, là? Tu penses à mon image? J'vais avoir l'air de quoi si tu me roules une pelle le jour de ma mort?»

Son attitude était évidemment très suspecte et plus cousue de fil blanc que ma robe. Mais j'avais très envie de savoir ce qu'elle avait en tête.

«—Et bien soit. Embrasse la donc si ça te fait plaisir mais ne compte pas sur moi pour regarder.»

Elle s'approcha doucement de la captive, la fixant du regard. Stella posa délicatement sa main sur le visage de Nunu alors que celle-ci semblait complètement paniquée. Encore plus que par sa mort prochaine, on aurait dit. Elle se mit à débiter très vite.

«—Elle t'a promis quoi? Pourquoi tu fais ça?
—Chuuut.»

Elle posa trois doigts sur les lèvres de la criminelle, sans rien ajouter de plus. Les yeux dans les yeux, les deux femmes échangèrent tacitement ce que chacune avait sur le cœur. Après ce trop long moment de silence pesant, la main de Stella glissa et elle approcha son visage lentement de celui de la Corrompue.

Ce fut plus fort que moi, je détournai le regard de cette vision cauchemardesque d'une jeune femme embrassant pareille créature. J'entendis à peine les mots que prononça alors Stella.

«—C'toi, le P'tit Cœur.»

Elle se jeta sur la captive, présentant sa jugulaire devant la bouche entrouverte de stupeur du monstre. Plaçant une des dents taillées entre son cou et le tissu, d'un coup sec, elle sectionna son collier. Elle s'était affranchie de mon contrôle. En l'espace de quelques secondes.

La confiance et la compréhension mutuelle entre ces deux complices étaient sidérantes.

D'une main, elle arracha une partie des sangles qui maintenait la prisonnière. Elle se libéra en disloquant les autres alors que les cris retentirent dans la salle. Tous tentèrent de fuir alors que les portes étaient bloqués.

Mystar et Mumu libérée se tenaient devant moi, l'air farouche et déterminé. Les gardes les encerclèrent.

«—Franchement Nam', t'as bouffé un cimetière ou quoi? 
—M'embrasser? Quelle idée à la con!»

Les deux se jetèrent sur mes gardes, alors que les invités couraient dans tous les sens en hurlant. La vaisselle volait, les coups pleuvaient, les gens tombaient. La poignée de rebelles rescapée des bois s'était invité au banquet et avait décidé de faire le service.

Parfait. Il ne me restait plus qu'à faire le grand ménage.

Elles se battaient comme des lionnes. Il fallait bien leur accorder ça. Seulement, il était temps d'en finir. Il était toutefois important de procéder avec ordre et méthode. Temuji vint à ma rencontre en se protégeant des projectiles qui fusaient de partout.

«—Mettez vous à l'abri, Majesté! Nous avons une importante brèche de sécurité!»

D'un geste, je l'attrapai par le cou en le pressant.

«—J'ai vu, sorcier. La question étant : comment est-ce possible selon toi?
—J'en... sais rien... Lâchez... moi, j'ét... ouffe!
—La réponse est pourtant évidente. Il y a un traître ici. Le même qui a donné ses pouvoirs à l'humaine, je parierai ma couronne là dessus.
—Pit–ié Maj–esté!
—Volontiers, merci.»

Un craquement et demi plus tard, c'était fini. Abandonnant la dépouille de magicien fourbe, je récupérai mon épée courte appelée «Pitié». Je n'aimais pas beaucoup les armes blanches, mais cette fois, je ne pouvais pas m'en passer. J'aurais très bien pu utiliser mes pouvoirs, mais je risquais de faire beaucoup trop de victimes. J'étais une adepte de la frappe chirurgicale.

Dos à dos, les deux combattantes donnaient du fil à retordre à tous mes gardes tout en taillant le bout de gras dans la plus grande convivialité en distribuant indifféremment commotions, blessures, traumatismes et punchlines douteuses.

«—Franchement, le placement de table est désastreux!»

Stella repoussa brutalement une table bloquant trois soldats.

«—L'orchestre est nul à chier en plus, Nam'!»

Attrapant les instruments de musiques, elles s'en servirent pour tabasser tous ceux qui s'approchaient assez près.

«—T'inquiète, on va se charger de l'animation! A capella!
—Je sais pas qui a choisi les couleurs mais c'est très moche.
—Tu préfères les tons bleus, j'imagine?
—Pour une ambiance chaleureuse, le rouge c'est toujours mieux!
—Les coups et les douleurs, ça se discutent.»

Elles commençaient sérieusement à m'agacer. Et c'était très mauvais pour mon teint. Les deux se retournèrent l'une contre l'autre, en collé-serré.

Stella passa ses bras autour du coup de sa partenaire, tout sourire.

«—Nam', t'entends cette musique?»

En réponse, celle-ci posa ses mains sur les hanches de Stella.

«—Ces cris, ces pleurs, gémissements et grincements de dents : c'est notre chanson!»

Mais qu'elles se prennent une chambre!

Parfaitement synchrones dans leurs gestes, leurs coups étaient gracieux, leurs mouvements acrobatiques, les corps virevoltants dans un rythme effréné. L'une basculait sur le dos de l'autre, se protégeant, attaquant, s'entraidant dans une confiance coordonnée mutuelle assez déconcertante. Les corps entrelacés, leurs membres se livraient à un élégant ballet complexe et tournoyant de coups de pieds et de poings.

A elles toutes seules, elles avaient démoli la salle de réception ainsi que la plus grosse partie de ma garde rapprochée. Il était temps de changer de tempo.

D'un geste sec du poignet pile au bon moment, j'expédia «Pitié» . La lame se planta dans le ventre de celle qu'on appelait Mystar. Elle rata la main tendu par sa compagne pour s'effondrer au sol, inerte.

«—NON! STELLA!»

Alors, la survivante braqua dans ma direction ses yeux blancs luisant de haine. Une expression de malveillance peinturlurée sur son visage larmoyant, sans hésiter ne serait-ce qu'un seul instant, elle se rua sur moi en hurlant. Je savais pertinemment ce qui allait se passer. Tout était clair dans mon esprit et découlait de l'évidence la plus élémentaire.

Je me baissai, tout simplement pendant que mon assaillante, emportée par sa propre masse me passa par dessus pour s'écrouler au sol, juste derrière moi. Je posai mon pied sur son visage déformé par la rage.

«—Tu paieras pour ça, ordure.
—La seule chose que je vais payer, c'est le teinturier.»

J'enfonçai mon talon aiguille dans la trachée du monstre avant de le retirer. Ses gargouillis étranglés m'indiquaient qu'elle était occupée à s'étouffer avec son propre sang.

Je savais que ces trucs me servirait, un de ces jours. 

Le silence était tombé. Tous s'étaient arrêtés de se battre et me regarder, fixement.

«—Et bien quoi? Faites passer le message, hashtag #MateMaRebellion. A ce propos, où est ma femme?»

Les portes s'ouvrirent de nouveau et Serin-Li entra dans la salle.

Ma fiancée s'avançait dans la salle d'un pas de sénateur en tenant à deux mains devant elle une boîte. Je connaissais déjà cette boîte pour l'avoir déjà vue. La petite princesse souriait d'un air béat, complètement indifférente à la mort et à la destruction environnante.

«—Voici votre cadeau, Votre Altesse.

Mon sang ne fit qu'un tour. 

—Non! N'approche pas! Reste où tu es!»

Elle continuait d'avancer, ignorant complètement mon ordre.

«—Tu sais ce que c'est.
—Ne l'ouvre surtout pas!
—Nous voulions voir, Princesse.
—Je suis une Reine!»

La main de Temuji se posa sur mon bras droit.

«—Nous voulions savoir.»

Nalue referma sa pogne sur mon bras gauche.

«—Et nous avons vu, Princesse.
—Que se passe-t-il? Lâchez moi, vous êtes morts!»

Stella se releva, elle aussi, la lame toujours plantée dans l'abdomen.

«—Tout n'est pas perdu, Princesse. Vous pouvez encore changer les choses.»

Serin-Li me me regarda avec douceur, toujours souriante. Une main était dessous la boîte, l'autre dessus, prête à l'ouvrir.

«—La reconnais-tu?
—C'est la boîte de Stella! Celle qui était cachée dans sa chambre!
—En effet. Mais comment le sais-tu?
—Parce que je l'ai déjà vue.
—De même que tu savais pour l'embuscade. Que tu savais pour l'intrusion dans l'Académie. Comment est-ce possible, selon toi?»

Un long frisson me traversa de part en part.

«—J'ai enfin compris. Je sais qui vous êtes. 
—Tant mieux, Princesse. Le moment est venu de prendre les bonnes décisions, ne croyez-vous pas?
—Alors tout ceci n'était qu'un rêve?»

Un expression de tristesse et de douleur se dessina sur les traits de la jeune fiancée.

«—Pour nous, cela ressemblait davantage à un cauchemar, Princesse.»

Elle ouvrit la boîte qui ressemblait beaucoup à un petit sarcophage.


⁂Yedel⁂

Voici l'épisode final qui clos l'arc de la Princesse.

Alors je ne sais absolument comment vous réagirez à cette fraude 
mais
j'ai mes raisons!

Pour me faire pardonner ce marouflage, on retrouvera Raphaël la prochaine fois.
(Ah vous l'aviez oublié?)

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