54. Mystar

«—T'es quand même pas très impressionnante, Stella, alors pourquoi avoir choisi une tenue si moulante?
—Faut que les gens voient du premier coup d'œil que je suis une femme. C'est important.
—Ah ça pour le coup, c'est réussi.
—C'est mon boule que t'es en train de lorgner et c'est super embarrassant.
—On a qu'un miroir pour deux et t'es devant. Evidement que je te mate le cul!»

A la base, Namue était censée dormir dans l'étable. Mais je voulais la surveiller de près et j'en avais marre des mauvaises odeurs. Je l'avais donc prise avec moi. Je commençais à regretter ce choix.

«—Regarde ailleurs, alors. Profites en pour faire le lit, tiens.
—C'est pas mon tour.
—La prochaine fois, je ferais le lit et toi la stratégie.»

Le plan était prêt. Les informations de Namue étaient confirmées. Il ne restait plus qu'à passer à l'action. J'étais toutefois mal à l'aise. J'avais l'impression de trahir la cause en agissant de la sorte. D'avoir fait le mauvais choix. J'ajustais distraitement ma ceinture en strass qui était devenu ma signature, mon hommage à mon frère porté disparu et sans doute détenu quelque part. 

Mon taux d'angoisse crevait le plafond et être l'objet de l'attention de Namue ne m'aidait vraiment pas beaucoup à me sentir mieux. Je sentais son regard dans mon dos et c'était vraiment crispant. Ses ronflements m'empêchaient de dormir, en plus. 

Elle décida de relancer notre débat interrompu la veille. Elle avait fini par tomber endormie en me laissant avec mes angoisses. Pour tenter de calmer ma nervosité, j'avais occupé mes mains en lui tressant les cheveux. Voyant son reflet, elle commença de défaire rageusement ses antennes dressées.

«—T'es sure de toi?
—Non. Avec toi, Namue, je ne suis jamais sure de rien.
—T'es pas obligée. Tu peux très bien secourir Raphaël et te barrer ensuite. Personne t'en voudra.
—Non, c'est vrai. Je pourrais plus me regarder dans un miroir, mais bon, c'est pas grave.
—Avoue, tu peux plus te passer de moi.»

Mes yeux bloquèrent sur ses cheveux frisottés qu'elle libérait petit à petit.

«—Tais-toi, Nam', tu m'énerves. Je te connais assez pour savoir qu'il vaut mieux t'ignorer.»

C'était son nouveau truc depuis que je l'avais récupérée. Je ne savais vraiment pas pourquoi elle jouait à ce petit jeu, mais c'était vraiment saoulant au bout d'un moment. En fait non : c'était saoulant très vite. J'aurais vraiment dû la laisser loger dans l'étable.

 Le lit étant étroit, parfois, elle enroulait ses bras autour de moi pendant son sommeil. J'en avais un peu honte, mais il m'était arrivée ces rares fois d'en profiter pour me blottir contre elle. Le contact physique, sa respiration paisible me rassurait et me procurait un semblant de sécurité. 

Je n'avais pas besoin d'elle pour me protéger, pourtant. Je culpabilisais de lui voler un peu de tendresse, même si elle semblait ne pas en avoir besoin. Je ne parvenais pas à atteindre ses sentiments ni toucher ses émotions. Impossible par conséquent de lui apporter quelque chose, de chasser l'impression néfaste de profiter de la situation. Je me sentais cependant un peu moins fautive quand elle était réveillée et agaçante. Comme maintenant.

Il fallait se concentrer sur le plan et arrêter de penser à elle.

J'avais mis un peu de temps à apprivoiser les Mânes qu'on m'avait donnée, mais le résultat n'était pas mal du tout. J'avais une parfaite maitrise de mes transformations et de mes pouvoirs. Même mon costume correspondait très exactement à ce que je voulais, du masque aux bottes en passant par les gants et la ceinture de tissu à strass. Le moment de vérité approchait.

«—C'est le moment de se séparer, je crois. Bonne chance, Nam'.
—Bonne chance à toi aussi, Mystar. Et pourquoi ce nom, d'ailleurs?
—Quelle importance?
—Je suis ton amie, voyons. Ca en a pour moi.»

J'eus malgré moi un mouvement de recul. Un peu comme si elle m'annonçait une grave maladie super contagieuse.

«—On va mettre les choses au clair une bonne fois pour toute. Je ne suis pas ton amie et je ne le serai jamais. Je ne pourrai jamais te pardonner ces trois dernières années passées loin des miens par ta seule faute.
—Bien sûr. Je te crois.»

Elle me dévisageait de son rictus énervant avec son petit air suffisant insupportable. Lui rabattre son caquet était par conséquent plus qu'une obligation : c'était un impératif vital.

«—Quand tout sera fini, je récupèrerai mon frère et repartirai chez moi sans un regard en arrière. Je rattraperai le temps perdu avec ma famille et je ferais absolument tout pour t'oublier toi et cet horrible endroit. Même si ça implique alcool, drogue et s–sudoku. Beaucoup de sudoku.
—Mouais. Je vois. Partager le lit la nuit et te subir le jour, ça me manquera pas non plus, Stella.»

Ce n'était pas vraiment ce que disait son expression faciale. Il était temps de nous séparer. Nous étions vraiment devenues beaucoup trop intimes toutes les deux pour que les choses restent saines. Enfin, dans la mesure où il était possible d'entretenir une relation saine avec quelqu'un comme Namue.

⁂⁂⁂

Nous avions scindé en deux nos forces et tout misé sur une attaque éclair. C'était notre seule chance de réussir. Namue devait distraire le cortège de la Reine pendant que j'infiltrais l'Académie. Un plan simple avec un risque minimum. Sur le papier en tout cas. 

Je rajustais ma ceinture en strass autour de ma taille.

J'étais postée en bordure du jardin de l'Académie, dans l'attente du lever de la lune nocturne. Et c'était très long, j'avais les nerfs en pelote. Vu que c'était une mission sauvetage, je devais y aller seule. Moins de chance de me faire repérer. 

Je rajustais encore une fois la ceinture de tissu.

Plus que quelques trop longues et interminables minutes qui s'étiraient en appréhension, expectatives et espoirs. J'allais enfin le retrouver après tout ce temps.

Et si je me trompais? Et si il n'était pas là? Ou pire, si...

Non. Interdit de penser ça.

Je m'étais interdit d'envisager le pire. Ce n'était pas acceptable, pas envisageable, juste pas possible. 

Je touchais une dernier fois le tissu. Pour me donner du courage et chasser les mauvaises pensées. Le moment était venu.

Je me faufilais telle une ombre. L'endroit était désert. Traverser les jardins n'étaient de toutes façon pas la partie la plus difficile. Le marbre blanc compensait sans problème le manque de clarté. C'était presque trop simple. Le pire restait toutefois à venir.

J'entendis avant de la voir la patrouille de nuit. Pour avoir espionné un paquet de fois l'endroit, je savais qu'il y en avait tout le temps, à toute heure du jour et de la nuit. Mais pas cette nuit, comme prévu.

Elles étaient trois. La Reine avait gardé une vieille tradition en rouvrant l'Académie : seules les femmes pouvaient y être admises et formées. Avec quelques rares exceptions. Là, en l'occurrence, il s'agissait de jeunes recrues. La Reine débordait tellement de confiance en elle qu'elle négligeait la sécurité la plus élémentaire. Tant pis pour elle et ces pauvres filles.

Je m'insinuai silencieusement, glissant sournoisement pour surprendre mes cibles. Tapotant l'épaule d'une, j'assommai l'autre d'un coup net. D'un geste rapide du tranchant de la main, j'anesthésiai la seconde et avec un sourire désolé je neutralisai la dernière qui n'eut pas le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait.

Je pénétrai enfin dans le bâtiment. Je fus aussitôt assaillie. Tous mes souvenirs de l'endroit resurgirent à cet instant précis. Les ombres. Le silence troublé par l'écho de mes cris et de mes peurs. J'exhalai une longue bouffée d'air, en essayant de maîtriser mon rythme cardiaque. Cette fois-ci, ce serait différent.

—Nous allons te guider,
jeune humaine.

Je n'étais plus seule, désormais. Et ce, à plus d'un titre. 

«—Bonsoir. Je t'attendais... Mystar.
—Mais... COMMENT??»

La Reine se tenait devant moi, appuyée sur le garde corps du balcon, un éclatant sourire purpurin badigeonné sur son visage fin.

Namue, si tu m'as trahie, je jure que je te retrouverai, je te traquerai et je te tuerai.

Elle haussa un sourcil interrogateur.

«—Je te guettais depuis un moment. J'ai laissé filtré la nouvelle de mes fiançailles, pour te mettre la pression. Avec de l'aide supplémentaire que ça représentait la menace devenait sérieuse. Je voulais te forcer à agir. Je t'ai tendue un piège et tu as couru droit dedans.
—Finalement, c'est pas plus mal. On va pouvoir en finir maintenant.
—Tu crois?»

La Reine posa son pied sur la rambarde et d'un saut cabriolant, elle atterrit impeccablement devant moi, dans la plus grande décontraction.

«—C'est censé m'impressionner?
—Non. C'est censé te faire peur.»

Elle se jeta sur moi, toutes griffes dehors. Mais pas assez vite. J'esquivai l'assaut d'une roue sur le côté, lui mettant un coup au passage. Surprise par le choc, elle se rattrapa d'extrême justesse en s'enroulant avant de se redresser. Elle avait l'air vexé.

«—Bah alors? C'est tout, Majesté?
—Tu es pas mal, je le reconnais volontiers.
—Je sais, merci.
—Mais tu ne peux pas gagner contre moi.»

Se ramassant sur elle-même elle bondit de nouveau sur moi. Mais cette fois-ci, j'allais la cueillir au vol. Elle arriva sur moi, le poing fermé, un bras replié l'autre tendu. Me baissant légèrement, je visai son ventre. Un coup pareil la mettrait hors de combat.

«—Qu–?»

Elle m'avait dupée. Elle modifia sa trajectoire, prenant appui sur mon bras tendu au dernier moment pour effectuer un salto par dessus ma tête pour se placer derrière moi, dos à dos.

«—C'est fini.»

J'essayai de me retourner, mais trop rapide elle me devançait. Elle restait dans mon dos. Je ne pouvais pas la voir, pas la toucher.

«—On s'amuse bien toutes les deux, tu trouves pas?
—Viens me le dire en face!
—Attrape moi d'abord.»

Elle se foutait de moi. Je perdais mon calme et c'était mauvais. Fallait se sortir de là avant qu'elle ne se lasse d'avoir le dessus et qu'elle décide d'en finir. 

Toujours dos à dos, je coinçai mon pied contre le sien et simulant un coup porté, j'attrapai son bras.

«—C'est le moment de faire volte-face, Majesté.»

Fauchant brutalement sa jambe toujours en lui maintenant le bras, je parvins à la jeter à terre à plat ventre. Elle parvint toutefois à répliquer.

«—T'essaie de me la faire à l'envers?»

Pivotant sur elle-même, elle se retourna et effectua une galipette légèrement grotesque pour se mettre hors de portée. Elle semblait beaucoup s'amuser.

«—Tu sais que je pourrais faire ça toute la nuit?
—Il fait tout le temps nuit, ici.
—Justement!
—Sadique.»

Cette fois, je passai à l'attaque. Elle esquiva tous mes coups, le sourire aux lèvres.

«—Bon, maintenant, ça suffit, Mystar. C'était l'heure d'en finir.»

Elle attrapa mon poignet droit. D'un revers de ma gauche , je lui portai un coup au visage. Elle se saisit de mon poignet gauche. Elle rabattit d'un mouvement brusque mes deux bras avant de m'envoyer un puissant coup de tête, sans me lâcher pour autant.

«—Qu'est ce que ça veut dire?
—Disons qu'à l'heure ou je te parle, mon armée a sans doute massacré les rebelles qui voulaient attaquer mon escorte ainsi que cette Manue.
—Namue!
—Peu importe. Rends toi, Mystar. En vrai, je ne veux pas te tuer.
—Je peux pas en dire autant.»

Elle me bloquait toujours les poignets de son étreinte de fer. Basculant en arrière, je l'entrainai dans ma chute. Elle fut obligée de me lâcher. A l'aide de mon pied, je l'envoyai s'écraser plus loin derrière moi pendant que je me redressai, de nouveau libre de mes mouvements.

«—Pourquoi tant de haine? Je veille sur mon peuple, je me bats contre la Corruption, je donne de ma personne.
—Ca pour donner, tu donnes. Mais personne n'en veut.»

C'était le comble. Elle était encore plus horripilante que Namue, ce qui constituait en soi une sacrée performance. J'ôtai mon masque. Je voulais qu'elle comprît qui j'étais et que je ne me battrais jusqu'au bout. Un sourire fleurit sur ce visage d'une arrogante beauté.

«—Je le savais que c'était toi. Depuis le début.
—Super. Tu as gagné un magnifique sticker.  Si tu veux, je peux te le coller dans les dents.
—Tss, tant de violence dans une femme si jeune et si frêle. Je ne veux pas ta mort, Stella.
—Ah ouais?»

Nous nous jetâmes l'une contre l'autre, nous percutant avec force, nos mains jointes, nos forces équivalentes. La Reine essayait de me dominer mais je tenais bon. L'affrontement s'avérait plus équilibré que prévu.

Soudain, un puissant courant électrique me traversa le corps. Tétanisée, sans force, j'étais à sa merci alors qu'elle me retenait toujours par les mains. Je tombais à genoux, essoufflée, meurtrie et surtout vaincue.

«—L'Electro-cute! Tu n'as aucune race...
—J'ai dit que je ne voulais pas ta mort, Stella et c'est vrai. Cependant, je n'ai jamais dit que je ne te ferai aucun mal. Ecoute ma proposition. Elle est honnête et tout peut très bien se finir pour toi. Si tu fais le bon choix.
—Crache le morceau. Pas comme si je pouvais t'ignorer.»

Elle m'envoya une nouvelle décharge, brûlant chacun de mes nerfs d'une douleur cuisante, me laissant essoufflée et en sueur. Je pendais misérablement retenues par les mains.

«—Dorénavant, tu vas me traiter avec respect. Sinon, on va tester ensemble combien tu peux encaisser avant que tes sphincters ne lâchent. Compris?
—Compris... Majesté...
—Bien. Voilà ma proposition. tu vas voir, c'est à la fois simple et très généreux de ma part. J'ai besoin d'une demoiselle d'honneur pour mon mariage et je veux que ce soit toi.
—Pardon?»

il y avait des moyens un peu plus sympa de demander, d'après ce que j'en savais. En règle général, on ne torturait pas les gens pour les obliger à participer à un mariage. du moins, c'est ce qu'il me semblait.

«—Au début, je pensais t'habiller d'une jolie petite robe dans les tons crème mais je me suis dit qu–
—Tu rêves. Jamais de la vie. Plutôt lécher un vieux pansement par terre!
—Attends la suite. Je te demande une petite faveur mais il y a une grosse récompense à la clef. Si tu fais ça pour moi, je te rends ton frère et vous pourrez repartir libre chez vous et continuer vos petites vies sans intérêts.
—Pourquoi tu ferais un truc pareil? Ca n'a aucun sens!
—C'est parce que tu ne m'as pas laissée finir. Tu viendras dans ton costume. Je veux avoir Mystar, la figure de la rébellion, pour demoiselle d'honneur.
—Tu peux pas me d'mander ça.
—Tu as trois minutes pour te décider.»

Depuis quand vivre ou mourir était un vrai choix? 

⁂Yedel⁂

Chapitre en deux temps.
Un temps pour se préparer, un temps pour perdre.

Une situation peu enviable et un peu malaisante, 
on ne va pas se le cacher.

Avez-vous saisi la manœuvre de la Reine? Que pensez-vous d'elle?
Est-elle un pur produit de son éducation
ou bien est-elle juste un peu «autoritaire»?
Vos opinions m'intéressent sur sa psychologie, 
Elle et tous les autres, bien sûr.

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