51.Retrouvailles
https://youtu.be/DccmKKnizFY
La Lune nocturne avait disparu dans le clair-obscur de ce matin bleu d'une paisible fraîcheur. La brume enveloppait les toits de ses écharpes translucides, l'enroulant dans ses replis froids et mouillés. La journée commençait doucement et s'annonçait tranquille. Avec un peu de chance, en refermant les yeux, je pourrais tenter de grapiller un peu de sommeil. Il était encore tôt, après tout.
«—Robin! Grouille-toi!»
Bon, pas tant que ça, finalement. Dans tout les cas, c'était pas ce qu'on pourrait appeler un bon début. J'ouvris un œil. Il faisait noir. J'ouvris le second. Toujours aussi sombre. Rien de nouveau sous le soleil du royaume Minarii. Ce qui ne risquait pas d'arriver : le soleil n'existait pas, ici.
Je ne m'y étais jamais habitué. Ce n'était pas faute d'avoir essayé. L'éclat des étoiles scintillantes ne représentaient qu'un pâle substitut. Ce manque impactait très sérieusement mon moral et mon humeur.
«—Qu'est-ce-que tu fous, bordel? Les pieds de table vont pas s'astiquer tout seuls!»
Peut être que si on le leur demandait gentiment...
Cuddy aussi impactait mon moral. Pas volontairement, certes, mais tout de même. J'étais bien réveillé maintenant, alors autant me lever.
Enroulé dans mon drap (cette étoffe minarii était incroyable), je me dirigeai vers mes vêtements propres, repassés et pliés soigneusement posés sur l'unique tabouret de la pièce. Cuddy était un amour. Je devais toutefois laver moi-même mes sous-vêtements : son côté tatillon connaissait certaines limites.
De manière générale, il respectait mon intimité. Ce qui était une excellente chose pour nous deux. Il n'aurait pas apprécié du tout de découvrir mon petit trésor. Moi non plus, d'ailleurs. C'était très bête de ma part mais c'était la seule chose qui avait réussi à me remonter le moral après tous ces mois passés ici.
J'étais pas si mal ici. Cuddy était un gros ours ronchon et rustre adouci au miel et le travail n'était pas si terrible. En plus, ça m'empêchait de trop penser et m'apitoyer sur mon sort. J'aurais très bien pu mal finir. Pourtant, j'étais toujours là, en pleine forme, plus déterminé que jamais à accomplir la mission que je m'étais fixé. Et il ne s'agissait pas de tâches ménagères.
Cependant, ma vie d'avant me manquait horriblement. Quand j'y repensais, j'avais l'impression qu'il s'agissait d'une autre vie. Ce qui avait du sens, vu que j'étais devenu quelqu'un d'autre.
Les pieds nus sur le carrelage froid, toujours emmailloté dans mon drap qui traînait par terre, je me dirigeai d'un pas nuptial vers le mur de ma chambre, celui en brique apparente. J'ignorais si c'était le nord, le sud, l'est ou l'ouest. J'étais totalement perdu de toute façon. L'avantage, c'est qu'il suffisait de quelques enjambées pour traverser la pièce minuscule. Au moins, la vue était jolie.
Du geste précis et mécanique de l'habitude, je délogeai la brique qui dissimulait ma boîte à secrets. La voir me suffisait à me donner de la force pour la journée. L'ouvrir, en revanche... C'était ça, ma morning routine : regarder un boîte planquée dans un mur, un drap dans une main, une brique dans l'autre. Chacun son truc.
Des coups répétés, martelés, tambourinés firent trembler la porte dans ses gonds.
«—TE RENDORS PAS!»
Il était derrière la porte et je savais qu'il ne rentrerait pas de force. Je me rapprochai de la porte pour lui répondre au travers sans avoir à crier.
«—Tu fais chier. C'est bon, j'arrive.»
Il était bien nerveux ce matin. Ça empirait de jour en jour depuis la visite de son ex-femme. Étrange, mais pas de quoi paniquer non plus. Je remis calmement la pierre en place, resserrant machinalement le doux tissu contre ma peau nue. C'était presque aussi rassurant qu'une vraie personne.
A force de se le répéter, ça finirait bien par devenir vrai.
J'enfilai mes habits vite fait histoire de ne pas l'alarmer. Ça sentait bon la lavande –enfin ça y ressemblait– et je me passai un petit coup de brosse rapide. Mes cheveux avaient bien poussé et j'essayais de ne pas penser au fait que j'allais devoir les couper. Cuddy était à peu près aussi doué avec une paire de ciseaux qu'il l'était avec des fléchettes. Parfois, le hasard faisait bien les chose mais le plus souvent, il les faisait mal.
La lune diurne pointait déjà le bout de son croissant.
Tout était tellement différent, ici. Les animaux, les plantes, les gens. Surtout les gens. Les animaux n'étaient pas forcément plus gros, mais plus dangereux ; la végétation –toxique dans la plupart des cas– paraissaient bleutées, sans doute à cause des lunes ; les gens quant à eux étaient brutaux et pragmatiques. J'avais mis du temps à comprendre pourquoi alors que j'avais l'explication sous le nez.
Bizarrement, quand tout autour de vous tentait de vous tuer, vous développiez très vite un sens pratique en accord avec votre instinct de conservation. Et ça, c'était sans parler des créatures magiques peuplant ce monde. Le monde entier voulait votre mort et n'avait même pas la décence de s'en cacher.
Alors oui, les Minarii étaient durs, méfiants, farouches et belliqueux. Mais il fallait bien admettre qu'on le serait à moins.
Je poussai un dernier soupir avant de sortir de ma chambre. La journée avait officiellement commencé. Dévalant les escaliers, je rejoignis le brave tavernier dans la grande (et unique) salle de l'établissement.
«—Dis donc, t'es vachement tendu c'matin. Un souci?»
Il reposa la vieille photo sur le manteau de la cheminée avant de me répondre.
«—T'as pas entendu la nouvelle.»
Cette affirmation sonnait un peu comme une accusation. Il s'appuya de ses deux mains contre la pierre surplombant l'âtre, le regard perdu.
Merde.
Je m'approchai timidement de lui, pour lui poser doucement une main sur l'épaule.
«—Qu'est-ce-qui te met dans cet état?
—Une patrouille s'est faite laminée. C'était pas beau à voir.
—Je ne vois pas pourquoi ça t'affecte autant.»
Après tout, ce genre d'incidents survenait encore assez souvent. Il y avait autre chose.
«—D'après le survivant, c'était une créature magique corrompue.
—Ah.
—Toi, ça te parle pas, mais ça réveille de mauvais souvenirs.»
Il releva la tête vers la photo.
«—Ca va aller, Cuthbert. Tout ça sera bientôt terminé. Et toi, tu seras débarrassé de moi.
—Tu dis ça comme si c'était une bonne nouvelle.
—Tu trouveras bien quelqu'un d'autre pour t'aider et qui arrivera à te supporter, mon gros.
—J'ai déjà perdu beaucoup trop de monde à cause de la Corruption.
—Il y a des personnes qui comptent sur moi et pour moi. Je ne peux plus reculer.
—C'est pour cette raison que j'ai accepté de t'aider. Tu me fais tellement penser à elle.»
Il jeta de nouveau un regard éperdu vers la photo qui trônait, solitaire, sur la cheminée. Il était vraiment dans un sale état. Et la journée commençait à peine.
«—Justement, tu comprends mieux que personne mes motivations. Faut se secouer, sinon on va encore se mettre à chialer tous les deux et on a plus le temps de se lamenter. T'imagine l'image commercial? La «Grosse Déprime», qu'on va s'appeler et notre slogan, ce sera "Ensemble, buvons nos larmes". Crois moi ce serait vraiment pas bon pour les affaires, cette communication.»
Le tavernier s'essuya bruyamment le nez du dessus de la main.
«—Ouais, t'as raison. En plus, je serais obligé d'ajouter des mouchoirs aux parures et j'ai pas envie de passer mon temps libre à les repasser.
—Ah bah voilà! J'te retrouve enfin!»
Il se jeta sur moi pour me serrer dans ses bras.
«—Y a vraiment que toi pour repasser des mouchoirs.
—Tu vas me manquer.»
Cette confidence sortie de nulle part me mit en porte à faux. On savait tous les deux ce qui allait se passer, ce qui pouvait se passer avec les risques encourus.
«—Toi aussi. Mais là, tout de suite, c'est l'air qui commence à me manquer.
—Oh pardon.»
Il me relâcha brusquement, comme si je l'avais brûlé. Les premiers clients arrivèrent et je n'eus plus trop le loisir de penser à ce qu'il m'avait dit. Ce qui n'était pas très grave, puisque les clients, eux, ne parlaient que de ça. L'inquiétude se lisait dans les yeux, le récit était sur toutes les lèvres, la peur dans chaque discussion.
L'agression avait eut lieu non loin d'ici, sur le chemin de l'Académie. Je commençais mieux à comprendre l'état de nerfs de Cuddy ; j'avais totalement sous-estimé l'émoi qu'avait suscité cet évènement.
La journée s'écoula, le tonneau de bière pareillement. Plus j'écoutais les clients parler, et plus le récit de l'attaque changeait. En fin de service, d'après les derniers racontars, une meute de monstres mutants avait dévoré toute une patrouille et fonçait sur la ville.
C'était lassant à la fin. Je commençai même à croire qu'il n'était pas complètement impossible qu'il y ait eu une part d'exagération dans les faits. Une déformation en engendrant une autre, on arrivait très vite au récit catastrophe. Au final, il devenait impossible de démêler le vrai du faux.
«—Mystar va nous protéger! Chuis pas inquiet!»
Je posais brutalement les chopes sur la table, éclaboussant les soulards.
«—Y a des sujets à éviter. Sinon, vous irez picoler ailleurs. Vu?
—T'as renversé la moitié de ma bière!
—Parfait. Comme ça t'aura fini plus vite.»
Je ne voulais surtout pas que ce sujet arrivât dans les conversations. Il ne fallait surtout pas attirer l'attention des miliciennes en parlant de choses qui fâchent. Notre clientèle étant déjà très suspecte de base, un surcroit de surveillance ne serait vraiment pas le bienvenu.
Et précisément, en parlant de suspect, une silhouette s'était installée dans le coin le plus sombre de la salle. Le type restait seul, dans son coin, le visage caché dans sa capuche. Il n'avait même pas enlevé ses gants, ni sa cape de voyage crade et déchirée. Il relevait le nez, de temps en temps pour balayer la salle du regard, avant de me faire signe de lui apporter une boisson qu'il touchait à peine, comme s'il craignait que j'eus craché dedans.
Ce qui m'arrivait quelquefois. Mais pas cette fois.
Le seul détail anormal qui me chagrinait, c'était le fait qu'il restait seul. D'habitude, les truands se donnaient rendez-vous ici, pour discuter, trafiquer et magouiller des trucs. Mais pas lui. Vu qu'il se tenait tranquille, il me sortit bien vite de l'esprit, largement aidé par la couleur de sa cape assortie au mur.
De plus, j'avais d'autres chats à fouetter. Littéralement. Les chats de cette ville étaient énormes, mélange de rongeur et de félin. Ces saletés adoraient dévaster mes poubelles et le fouet était le seul truc qui fonctionnait pour les chasser.
Cette journée devenait vraiment trop longue. Aucun moyen de savoir combien de temps durait très exactement les journées, mais selon moi, c'était bien trop longtemps. La lune diurne s'était déjà couchée et les constellations crépusculaires étaient apparues. L'heure du couvre-feu approchait.
«—C'est bon, Cuddy, on peut fermer.
—Non, il en reste un. Vire-le pendant que je sors la poubelle.»
A mon grand déplaisir, c'était justement le client louche du jour. Soit le mec s'était statufié, soit il s'était endormi. Il était dans tous les cas très fort en camouflage.
«—M'sieur, faut partir là. On ferme.»
D'une main, il sortit une bourse de cuir rebondie qu'il posa sur la table. Elle était remplie de Perles. Des grosses.
«—C'est beaucoup pour deux bières. Ou alors c'est mon pourboire?
—Je cherche de l'aide.»
Sa voix était bizarre. Déformée.
«—Vous savez, avec ça, vous pouvez vous payez l'aide d'à peu près n'importe qui.
—Je ne suis pas à la recherche de n'importe qui.
—Tout ce que vous allez trouver, c'est des ennuis, je pense.
—On m'a dit beaucoup de bien, de vous deux.
—On est très doués pour la déco et les papiers peints.
—La Furie des Bois a entendu bien des rumeurs vous concernant.
—On a eu un problème d'insectes, résolu depuis. Rien qui la concerne, il me semble.
—Je ne suis pas de cet avis.»
C'était plus fort que moi, impossible d'ignorer cette bourse qui me faisait de l'œil. Cuddy revint dans la salle en maugréant, enroulant le fouet.
«—Saletés de chats... Mais tu fais quoi, là?»
Son regard vola de moi à l'étranger pour se poser sur la bourse.
«—J'sais pas c'qui passe, mais j'vais te d'mander de partir.»
D'un pas rapide, je m'approchai du taulier pour lui parler à voix basse.
«—M'enfin, t'es bigleux ou quoi? Il est craqué de thunes. Il demande juste de l'aide!
—Justement, ça pue les emmerdes. Faut le dégager très vite.
—T'es pas marrant, tu sais ça?
—J'ai perdu mon sens de l'humour y a des années. Et je l'ai jamais retrouvé.
—T'as pas assez cherché, voilà tout.»
L'encapuchonné se leva prestement. Il fit disparaitre la bourse d'un geste fulgurant. A ma grande déception.
«—Puisque vous refusez l'argent, on va procéder autrement.
—C'est lui qui veut pas, hein. Moi, j'ai rien contre le pognon.
—Je connais votre secret.»
Gloups.
«—Mince! Il sait pour les cafards!
—Les cafards, c'est le cadet de ses soucis, je pense.
—J'crois que t'as raison, Cuddy.
—J'ai toujours raison, ça devrait plus t'étonner.
—On en reparlera. Sors d'ici, étranger, et ne reviens pas. Jamais, en fait.»
L'individu leva ses mains gantées en geste d'accueil.
«—Ce n'est pas très gentil de traiter ainsi une vieille connaissance.»
Il porta les mains à sa tête et abaissa sa capuche et son foulard avec une belle simultanéité. C'était pas un type du tout, en réalité.
«—Salut, Cuddy, ça f'sait un bail.
—Namue!?
—Contente de te revoir aussi, Stella.»
⁂Yedel⁂
Pas facile à deviner à l'avance, mais gardez à l'esprit qu'il s'est passé des trucs en trois ans.
Je n'ai pas demandé ce que vous pensez de Cuddy.
Et si vous vous poser la question :
Oui, j'ai utilisé à mon profit la grammaire française.
Stella était ainsi vraiment bien déguisée!
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