50. M'Alice
https://youtu.be/KkVID7tMUbE
«—Ils arrivent, boss.
—Restez pas plantés là comme des navets. Préparez-vous.»
Il fallait tout leur dire à ces deux là. Sans doute pas les plus malins que j'ai pu recruter. Toutefois, ils étaient solides, les gaillards. Et je ne leur en demandait pas plus. Ils regagnèrent leur poste pendant que les autres membres du commando se cachaient aux emplacements stratégiques. Les rochers. Les plus gros troncs. Les archers dans les canopées.
L'odeur d'humus légèrement décomposé masquait les fragrances de sueurs rances, le bruissements des insectes camouflait les respirations et les cris des oiseaux reprirent leurs rythmes habituels, étouffant le cliquetis des armes. Tout était paré pour que l'effet de surprise fut total. Même le timing était parfait, la lune diurne donnait la clarté parfaite pour nous : elle nous permettait de voir sans être vus. Les conditions étaient juste idéales.
Le retour ici n'avait pas été si simple. J'avais mis du temps à retrouver mes marques. Ce qui n'avait rien d'étonnant compte tenu de ce qui m'était arrivée. J'y repensais presque à chaque fois, avant chaque embuscade. Une sorte de rituel, en quelque sorte.
J'étais revenue depuis quelques années maintenant, mais c'était comme si je restais bloquée. Je savais pas trop pourquoi. Sans doute cette expérience bizarre avec Temuji et mon passage chez les humains. J'étais de retour à la fois dans le royaume Minarii et mon corps. C'était largement suffisant pour moi.
Calixte avait foutu un sacré merdier. J'aurais jamais pensé que ça partirait autant à l'ouest. Cette garce de Reine avait peut être réussi à tout reprendre aux seigneurs de guerre, mais pas cette partie de la forêt : c'était la mienne.
Sans surprise, plus la Reine étendait son influence, plus les mécontents se réfugiaient dans les bois. Et dans les bois, c'était sur moi qu'ils étaient tombés. Je me suis ainsi retrouvée à la tête d'une petite communauté de dissidents, de parias, de hors-la-loi, de va-nu-pieds et d'absolument tout ce que la cité comptait de truands et de criminels en cavale. En gros, je vivais avec la lie de la société Minarii. Et j'étais en charge de tout ce petit monde.
J'entendis sur ma gauche des bruits de bouche peu discrets et absolument pas naturels.
«—Psst! M'Alice! Ils sont là!
—T'en vois combien?
—Deux fois plus que prévu.
—Ca va l'faire. Silence absolu!»
Je devais me concentrer, maintenant et arrêter de me repasser le film. Ca servait à rien. Et il y avait des trous. J'avais une mission et des gens qui comptaient sur moi. Je fis volte-face : je venais de recevoir un caillou sur l'épaule. C'était cet idiot de Kern qui voulait attirer mon attention. Mais en silence. Il mima un truc. Avec deux doigts qui marchaient sur son bras. Puis il me montra ses mains, un signe au loin avant de me remontrer ses mains.
Mais qu'est ce qu'il me fait, ce con?
J'agrémentai mon haussement d'épaules d'une grimace, lui signifiant clairement que je ne comprenais strictement RIEN à ses gestes. Il finit enfin par abandonner quand les bruits s'approchèrent, troublant le calme furtif de la forêt.
J'étais tendue. Excitée. Comme toujours dans ces moments là. Je ne vivais que pour l'exaltation et le plaisir de me battre. Je décidai d'escalader un arbre pour attaquer du dessus, de loin ma manière favorite. Personne ne s'attendait jamais à ce qu'on lui tombe dessus. C'était devenu mon petit plaisir coupable.
Le cortège ravitaillait l'Académie. Pour cette raison, on visait la bouffe et la paye du personnel. La bagarre, c'était le bonus. Seulement cette fois, il y eut un problème. Un impondérable. Un imprévu. Une complication.
Quelqu'un avait chié dans la colle et c'était pas nous.
«—Putain, ils sont armés jusqu'aux dents!
—On a tous foi en toi. C'est que des hommes, après tout.
—Jamais la pression avec vous.
—Tu fais des merveilles sous pression, M'Alice.»
Super.
A la peur d'échouer s'ajoutait le risque de décevoir.
Quelle bande de trouducs.
Plus le choix, fallait donner le signal. Et le signal, c'était moi. Poussant un cri, je me jetai sur le comandant du détachement pour le faire tomber de sa monture. Et ensuite les autres attaquèrent sur les flancs, pendant que nos archers jouaient aux maux fléchés.
Enfin, d'habitude ça se passait comme ça. Pas aujourd'hui. D'autres soldats surgirent du carrosse. C'était un leurre. Le détachement avait été prévenu de l'attaque.
A trois contre un, la partie devenait tendue.
Enfin un peu d'action.
Je fracassai sans peine le capitaine. Le régiment n'avait plus de tête. Assez littéralement. Je sautai sur un autre, lui arrachant son épée des mains pour la lui rendre, dans l'autre sens. Ces dans des moments comme celui-là que mes pouvoirs magiques me manquaient le plus. J'étais obligée de tout faire à la main.
Chopant la tête d'un chevalier, je le fis percuter un autre et les deux tombèrent de concert à l'envers. Me servant d'eux comme marchepieds, avec un peu d'élan, je me précipitai sur l'autre officier monté qui ferraillait ferme. Désarçonné, il devenait beaucoup moins menaçant. Mais il frappait toujours. Nos archers et archères étaient dépassées. Les blessures s'aggravaient. Le moral diminuait.
Le monde se couvrit de ce voile blanc Mon cœur pulsait. Ma nuque picotait. Mes poings se serraient. Mon sourire se dessinait. Malgré la Lune diurne, tout disparaissait dans un tourbillon pour moi. J'étais partie pour me battre jusqu'à l'épuisement. Un coup de pied retourné puissant envoya mon assaillant valser comme une chaussure trop grande, pendant qu'un autre m'envoya un puissant coup dans le bide.
Ils avaient peur de moi, c'était manifeste. Ils ne tentaient pas sérieusement de me blesser. Tant mieux. Ou tant pis.
Galvanisée par la douleur de ce coup, je lui retournai la politesse, avec mes compliments en prime. Ne jamais sous estimer la courtoisie. Je décidai donc de bourrer dans le tas, pour que ceux qui étaient aux premières loges profitent à fond du spectacle. Surpris et désorganisés, ils eurent un mouvement de recul face à ma charge.
Je commençais à ressentir la douleur. C'était très mauvais, ça voulait dire que je fatiguais. Il était grand temps de faire le ménage : on n'appelait pas ça «batailles rangées» pour rien.
Je saisi une épée courte d'une main, une dague de l'autre. Même si c'était notoirement de la merde, il fallait rendre hommage à l'acier Minarii. Je risquais moins de me fatiguer en parant plutôt qu'en esquivant ; il était aussi plus facile et rapide de planter un adversaire. J'avais dégrossi la troupe de six soldats supplémentaires. C'était suffisant pour le signal de repli.
Il s'agissait d'un traquenard, après tout. En conséquence, rien à gagner à poursuivre ce combat. Mon job consistait logiquement à permettre la fuite de mes camarades. Enfin, ceux qui le pouvait encore. Les soldats restant se concentrèrent sur moi. Logique, puisque j'étais la seule véritable menace.
Absorber le focus.
Je continuai de me battre, difficilement. Mes parades étaient de plus en plus désordonnées, mes estafilades se transformaient en coupures et mes coupures en entailles. Il n'était pas encore trop tard pour m'en sortir, l'alarme n'avait pas encore sonné. Jusqu'au moment où je pris un sévère coup à la tête qui s'en chargea.
«—Dépose les armes! Nous ne voulons pas te tuer!»
Je m'entendis leur répondre d'une voix exténuée.
«—J'aimerais pouvoir en dire autant.
—M'Alice! Tu es en état d'arrestation! Rend-toi!
—Plutôt crever!»
C'était pas prévu. Mais finalement, mourir comme ça n'était pas une si mauvaise chose.
J'avais abandonné mon véritable nom depuis près de trois ans. Mais pas qui j'étais. Un monstre. Une terroriste. Une traitresse. On me l'avait assez dit et répété. Les gens connaissaient et détestaient Namue alors qu'ils vénéraient M'Alice. Tout ça était venu d'une incroyable méprise.
«—Qu'y-a-t-il de drôle, M'Alice?
—Ta tronche.»
Je n'avais plus rien ni personne vers qui me tourner à mon retour. J'étais toute seule avec ma rancune. Je n'avais jamais abandonné mon projet de vengeance et de faire payer la Princesse. Pas un seul jour ne s'était écoulé sans une pensée pour mon frère disparu.
Que penserait-il de moi là, maintenant? Serait-il fier de ce que j'avais fait, de ce que j'étais devenue?
A mon retour, je fus une simple voleuse à la tire. J'étais par la suite montée en puissance en attaquant de plus gros poissons. Je détestais m'en prendre aux faibles. Mais un jour, je me suis attaquée à la mauvaise personne. Quelqu'un qui me connaissait du temps de l'Académie. Dès lors, je ne pouvais plus garder mon nom et mes cheveux étaient trop facilement repérables. Je décidais donc de me planquer hors de la ville, le temps de me faire oublier.
J'optai pour la dissimulation. Je me teignis les cheveux et je changeai mon nom en Alice. Je sais plus pourquoi, ce prénom me trottait en tête, pour aucune raison. J'ai rencontré Kern et Till qui s'adonnaient aussi aux activités de plein air. Après avoir laissé parler mes poings, ils devinrent plus réceptifs à mes arguments et nous pûmes discuter. J'appris qu'ils avaient fui la ville car ils en avait marre du système. Les femmes occupaient tous les postes à responsabilités, bloquant toutes possibilités d'évolutions.
«—Si tu ne déposes pas tes armes maintenant, je serai obligé de t'exécuter sur le champs. Je t'en conjure, reviens à la raison.»
Contraints et forcés, ils me prirent pour cheffe. Ce qui ne leur plaisait pas trop, au début. Mais finalement, quand ils comprirent que j'avais pas l'intention de les commander ou leur dire comment vivre, ils m'acceptèrent d'assez bon gré. Mes plans d'embuscades fonctionnaient bien, on se faisait de la thune.
J'économisais pour mon projet. Je n'aimais pas beaucoup les Perles Minarii, mais l'argent, ça restait utile, voire indispensable. Le profit ne m'intéressait guère. J'étais restée tout près de l'Académie pour une seule raison : la vengeance. C'était mon unique but dans la vie, tout ce qui me restait de ma vie d'avant. C'est à ce moment que les dissidents commencèrent d'affluer. Il avait entendu parler de moi, M'Alice, la Furie des bois. Pour la première fois de ma vie, j'étais populaire.
Qu'est-ce-que j'étais censée faire de tout ces clodos, moi? J'eus l'idée stupide de leurs distribuer une partie de mon pécule pour qu'ils aillent ailleurs et me foutent la paix, mais ce fut l'exact inverse qui se produisit. Le bruit se répandit comme une trainée de poudre : une hors-la-loi volait aux riches pour donner aux pauvres.
Impossible de savoir d'où était sortie une connerie aussi énorme. J'étais obligée de faire avec. Les gens arrivaient l'air fourbu, perdus, abattus pour quémander sur un malentendu ma bienveillance prétendue.
N'importe quoi.
Ils venaient tous demander «M'dame Alice». J'en ai envoyé chié quelques uns. Très vite, je suis devenue...
«—M'Alice! Dernière sommation d'usage!»
J'étais revenue pour ma vendetta, moi, pas pour gérer tout ça. C'était tout. J'avais pas signé pour ces responsabilités, c'était pas pour moi. Désormais, ils devraient apprendre à se débrouiller sans moi. Je n'avais plus aucun moyen de m'en sortir vivante.
Était-ce lâche de ma part d'opter pour la solution de facilité? Absolument.
J'avais appris que la Corruption était revenue, aussi. Je voulais ignorer ce problème, en m'accrochant fermement à l'idée qu'en fermant les yeux, le problème pouvait peut être disparaitre. J'évitais et je refusais d'y penser la plupart du temps, de peur d'en être responsable d'une manière ou d'une autre. Si tel était le cas, la Reine me retrouverait plus vite que prévu.
Et ça, il n'en était pas question. C'était à moi de la tuer et non l'inverse.
«—Peloton! Présentez armes!»
Non. Définitivement non, plutôt mourir ici, les armes à la main.
J'espère que tu m'en voudras pas trop, frangin.
Un puissant cor retentit. Le son semblait venir de partout et de nulle part. Mon sang se mit à pulser dans mes oreilles et ma vue se troubla.
«—T'as entendu ça?»
Les mots m'échappèrent, sans vraiment être adressé à quelqu'un.
«—De quoi tu parles? Il n'y a pas un seul bruit à part toi qui souffle comme un bovin.»
Il était en train de se passer un truc grave. Je sentais une énorme pulsion monter en moi, de rage, de haine. Un puissant mal de crâne me vrillait les tempes. J'étais en train de défaillir.
Non! Pitié non, pas comme ça!
Une crampe s'empara de mon bras. Mes genoux se dérobèrent. Un peu méfiant, les soldats s'approchèrent de moi, prudemment.
«—Tu te rends, alors. Sage décision.»
Chacun de mes membres me faisait souffrir. J'étais tordue de douleur. Ma gorge se serra tellement ce supplice me mettait à l'agonie. Les ongles plantés dans mes paumes, je me mordis la lèvre pour ne pas crier. Le goût métallique se répandit dans ma bouche.
Je rassemblai mes dernières forces pour adresser mon plus beau rictus ensanglanté à l'officier. Nouvellement promu –de fait– au rang de Capitaine, suite au décès aussi tragique que prématuré de son supérieur hiérarchique quelques minutes auparavant, il n'allait toutefois pas profiter très longtemps de ce grade et de sa solde.
«—Fuyez, Capitaine.
—Une ruse lamentable, vermine.»
La douleur commença enfin de refluer. Mes blessures se refermèrent une par une, cicatrisant sur ma peau grise. Je me remis debout en dévisageant le capitaine alors que les autres survivants se mirent à reculer.
«—Je vous avais pourtant prévenu, Capitaine.»
Mon myocarde pulsait sauvagement. Je sentis mes zygomatiques s'étirer, dévoilant mes crocs.
⁂Yedel⁂
Nous voici dans un nouvel arc narratif avec deux personnages.
Que pensez-vous de Robin et M'Alice?
Nous allons continuer d'explorer un peu le royaume Minarii pour tenter de comprendre
ce qui a bien pu se passer.
Peut être avez vous des idées et des pistes. N'hésitez pas à m'en faire part,
vos théories m'intéressent.
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