48. Rétrospection
https://youtu.be/hAwqllUUJZg
Trois ans s'étaient écoulés depuis mon couronnement. Trois longues années de luttes politiques, de querelles intestines et de conflits larvés pour rétablir le chaos semé par la rébellion de Calixte.
Et aujourd'hui, je circulais dans mon carrosse-limousine dans une cité pacifiée, loyale qui m'était totalement dévouée et totalement sous contrôle. Je saluais stoïquement les péquenots, les gratifiant d'un de mes sourires les plus sibyllins. Pour une raison inconnue, ils semblaient raffoler de ce genre de choses.
J'avais en effet réussi à rétablir mon pouvoir et asseoir mon autorité absolue. Et pourtant, dans un premier temps, seuls quelques petites seigneuries adjacentes étaient revenues vers moi. Les autres avaient choisi de faire la sourde oreille. Ce qui causa leur perte, ça allait sans dire.
«—Majesté, une nouvelle supplique vient de me parvenir. Voulez-vous en prendre connaissance?»
Le vieux magicien faisait défiler sur sa tablette magique les dépêches du jour. Depuis son séjour chez les humains, il n'arrêtait d'inventer des choses plus ou moins utiles, prétextant que c'était l'avenir de la communication. Si ça pouvait me servir, c'était toujours bon à prendre.
J'avais également réussi à lui rendre son aspect d'origine. Ce qui ne fut pas non plus une mince affaire. Cela avait eu au moins l'avantage de le dissuader de s'adonner à son passe-temps pour le moins dérangeant.
Malheureusement, n'ayant plus d'excuse pour le tenir à l'écart, j'étais obligée de le trainer partout avec moi. Une chose que j'avais apprise du monde des humains, c'était cet adage : «garde tes amis toujours près de toi et tes ennemis, plus près encore.» Il n'était pas un ennemi à proprement parlé, mais il n'était pas digne de confiance. Et quant aux humains, j'avais décider de garder un œil sur ce monde, de loin pour l'instant. J'avais prévu de m'y intéresser très prochainement.
«—De qui est-elle, cette fois?
—La Princesse Serin-Li. Au moins, Votre Altesse, celle-ci est un très bon parti, si vous voulez mon avis.
—Ce qui tombe très bien vu que je ne te le demande pas. Tu sais très bien que je n'ai pas la tête à ça pour l'instant.»
J'en étais à ma 38ème demande en mariage. Et les suppliques arrivaient ainsi en continu depuis un peu plus d'un an. Je n'avais vraiment pas envie de me lancer dans les formalités nuptiales et consulaires alors que je venais à peine de rétablir l'ordre. Etre courtisée nécessitait d'avoir l'esprit libre et l'humeur badine pour que ce fût agréable. Dans mon cas, ce serait une épouvantable corvée et une source de distraction que je ne pouvais me permettre.
Toutefois, recevoir des suppliques m'indiquait aussi l'état de mes relations diplomatiques avec mes voisins : plus j'en recevais, mieux c'était.
«—Un mariage avec elle pourrait singulièrement vous aider dans votre reconquête.
—Ou alors dévoiler aux royaumes voisins que nous nous relevons à peine d'une période de grands troubles. Serin-Li est une abominable commère, tu le sais très bien.
—Vous avez aussi rejeté la demande du Prince Fijn.
—Il y a encore un problème qui me préoccupe.
—Je vous envoie la supplique sur votre GSM.»
Je poussai un bruyant soupir en glissant la main dans ma pochette pour m'assurer que mon Galet Servant de Messagerie était bien éteint. Ce caillou rectangulaire et parfaitement plat comptait au nombre des dernières inventions de Temuji et je trouvais ses notifications vibrées ou sonores insupportables.
«—Ce n'est qu'un problème mineur, Majesté. Nous allons le régler facilement, vous avez déjà fait le plus dur.»
Le plus dur, c'était un doux euphémisme. Je me surpris encore à triturer mon collier. Même après tout ce temps, le porter me dérangeait encore. Il aurait fallu m'en débarrasser, il ne me servait de toute façon plus à rien. J'avais fusionné avec les Mânes de Miss, Azilith, Melichor et D'Ælin et dissous officiellement l'Egide. J'étais toute puissante désormais et j'incarnais de manière très littérale la justice et la sécurité.
Ce qui avait suscité une vague de protestation dans un premier temps. Jusqu'au moment où la Corruption réapparut. Une aubaine pour moi. J'entendis le mage glousser. Et c'était très irritant.
«—Encore une vidéo de raton-laveur, je présume?
—En effet, Votre Majesté. Je vous l'envoie, si vous voulez.
—Je ne suis pas d'humeur.»
Il se ravisa bien vite, tout gêné. Nous avions eu une très grosse dispute à ce sujet : ça restait un sujet sensible pour moi. Je m'étais aperçue qu'il avait raccordé magiquement les réseaux sociaux humains au nôtre qu'il venait tout juste de lancer sous prétexte «que nous n'avions pour l'instant pas assez de créateurs de contenus», quoi que ça voulait dire.
En plus, il avait eu l'audace de me créer un profil Instagram et un compte Touiteur (je crois) avec le hashtag #MinariiToiMeme. Je fus passablement outrée de découvrir la mise en ligne de photographies de mon couronnement, et plus encore de découvrir que j'avais récupéré 1567 followers rien qu'en les laissant choisir ma robe de sacre. Depuis, ça montait doucement mais régulièrement.
Ces humains me serviraient plus tard. Ce n'était pas tout à fait inutile pour la suite.
«—Ils sont convaincus que vous êtes la Reine d'un royaume imaginaire.
—Ne les détrompons pas, alors. Nous leur ferons la surprise un de ces jours.»
Les clameurs de la foule dehors me rappelèrent au présent.
«—Longue vie à Sa Majesté!
—Vive la Reine!»
Les paysans et les bourgeois m'adoraient, alors que j'avais augmenté les impôts. Pour financer mon armée. Car j'avais aussi établi la conscription obligatoire et transformé l'Académie en centre de formation militaire. Pour protéger mes sujets des monstres corrompus. Et collecter les impôts. Une élégante manière de boucler la boucle.
Je continuais de saluer la foule depuis mon carrosse en leur adressant mon sourire le plus ingénu et éclatant.
«—Votre capitale sympathie est en nette hausse, Votre Altesse. D'après les sondages, vous êtes la personnalité préférée de vos sujets.
—En même temps, je suis la seule, Temuji.
—Pas exactement. Vous avez une cote de popularité à 57%.
—C'est tout?
—Laissez leur le temps. J'ai engagé des influenceurs pour votre promo et le dernier coup d'éclat contre la Corruption vous a fait gagné cinq points, c'est beaucoup.»
Le seul pouvoir que ne donnait pas les Mânes, c'était le don d'ubiquité. Même moi, je ne pouvais pas être sur tout les fronts à la fois et malgré mon service de communication, je n'étais pas encore assez populaire à mon goût.
Le sorcier prétendait que c'était normal. Notre système de sondage n'était pas au point. Nos médias pas prêts. Selon lui, envoyer des escouades de police n'aidaient pas beaucoup. Ce qui était incompréhensible : les gens respectaient mes policières et n'avaient aucune raison de les craindre. Aucune.
J'avais bien fait passer la consigne : «Mesdames les officières, point de brutalité. Respect et dignité.» Par conséquent, il n'y avait aucun souci à se faire de ce côté-là. Cependant, je sentais toujours une légère crispation des zygomatiques pendant mes sorties officielles.
C'était ce problème là qui me tourmentait depuis quelques semaines et je savais que c'était lié à une certaine agitatrice qui nous échappait.
«—Temuji! Tu as vu ça?
—De quoi donc, Votre Majesté? J'étais en train de visionner un–
—On s'en fiche. Ce gosse, là, dans la foule, à côté de ce pécore habillé en vert. Tu ne vois rien?
—Mis à part sa faute de goût manifeste, Votre Altesse, non, je ne vois rien de particulier.
—Vraiment? Chauffeur! Arrêtez! J'ai dit STOP!»
Le carrosse fit halte presque instantanément et je me précipitai sur le jeune garçon que j'avais repéré. La foule s'écarta respectueusement alors que j'avançais vers l'homme en vert qui commençait à jeter des regards affolés à droite et à gauche alors que je le fixais du regard.
Il savait. Il savait que je venais pour lui. Il ignorait pour quelle raison, en revanche.
Ma police secrète m'avait fait tout un tas de rapport sur les activités criminelles de la région. Au fur et à mesure que ma prise de contrôle avançait, nous maitrisions de mieux en mieux les malfrats, bandits de grands chemins et autres brigands qui avaient pris leur aise.
Nous avions réussi à démanteler toutes les cellules criminelles. Enfin, toutes sauf une seule.
L'homme s'inclina respectueusement devant moi, comme il le devait. Son fils, en revanche me dévisageait, jusqu'à ce que son père lui fit signe.
«—Mes hommages Votre Majesté. Que me vaut l– le plaisir?
—Ce gosse, c'est bien ton fils?»
Temuji me fit un signe à l'aide de sa tablette avec une grimace incompréhensible.
«—Oui, V–otre Eminence.
—Votre Majesté, ou Votre Altesse. Pas Eminence. Bref. Quel est le nom de ton fils?»
Le magicien continuait ses gesticulations grotesques alors que l'homme se mit à suer à très grosses gouttes.
«—Il s'appelle Andreas, Votre Altesse. Veuillez pardonnez mon errr... outrecuidance, mais vous a-t-on offensée d'une manière ou d'un autre?»
«—Non. Tout va bien, mon brave.»
Je vis le sorcier poser une main sur son cœur, l'air soulagé. Sa crise de pantomime semblait finie. Je commençais sérieusement à me demander si il n'était pas victime d'une crise d'un je-ne-sais-quoi magique.
«—Toutefois, j'ai vu que ton fils portait un brassard à strass. Peut-on en connaitre la raison?»
Cette fois-ci, je vis le visage de l'homme et du sorcier se décomposer. Le père se mit à bégayer de la manière la plus énervante qui soit.
«—Je n–ne sais p–pas, V–votre Altesse.
—Et bien dans ce cas, demandons lui. Andreas?»
Le jeune garçon s'avança, la mine renfrognée, l'air frondeur. Typiquement le genre d'attitude que je ne pouvais pas laisser passer.
«—Pourquoi portes-tu ce brassard, mon jeune ami?
—T'es pas mon amie, d'abord. T'es la reine.»
Difficile de le contredire. Malgré son fort esprit d'à propose, ce gamin commençait vraiment à me taper sur le système.
«—Tu as raison, Andréas. En tant que reine, je t'ai posé une question et j'attends une réponse.»
Son père affolé intervint, son regard allant de moi à son fils.
«—Il l'a trouvé, j'en suis sûr Altesse! Même moi je ne sais pas d'où ça sort, je le jure!»
Continuant de fixer le gamin et son impudent brassard, je me mis à parler d'une voix forte et claire dans le silence de mort qui était tombé sur la foule comme une averse de printemps.
«—La Police m'a informée personnellement des activités criminelles d'une bande de malfrats qui sévit dans la région depuis plusieurs mois. J'en appelle à vous tous, mes loyaux sujets. Cette bande de coupe-jarrets échappent pour l'instant à nos recherches, mais s'est rendu coupable de nombreux crimes.»
Le silence planait. Quelques regards inquiets s'échangèrent. Quelques bouches vinrent se coller à des oreilles. Mais rien de tout ce petit manège ne m'échappa.
Parfait.
«—J'oubliais le plus important. Le symbole de ce gang figure toujours sur les lieux des crimes dont ils sont responsables. Ce symbole, c'est ça.»
J'ai alors pointé mon doigt ganté de blanc vers le brassard.
«—Alors, Andréas, essayons encore. As-tu été témoin d'un crime?
—Non! J'ai rien fait!
—Fort bien. As-tu trouvé ou volé ce bout de tissu?
—J'ai rien volé! Elle me l'a donné, c'est tout!
—CHUT!»
Tiens donc.
Le père en savait plus long qu'il ne voulait bien l'admettre. Ce qui n'avait rien de surprenant après tout. Le paysan avait le teint à peu près aussi vert que son habit ridicule à présent.
«—Dans ce cas, je vais te poser une dernière question. Pas de mensonge, je le saurais. Qui était cette personne qui te l'a donné? C'est très important pour moi de le savoir.»
Surtout que ce gang était totalement insaisissable. On n'avait jamais réussi à avoir la moindre information à son sujet ni de celui ou celle qui en était à la tête.
Le garçonnet me dévisagea avec fougue, plein d'hardiesse.
«—C'est Mystar qui me l'a donné!»
Mystar?
L'homme tenta de venir au secours de son fils, sans doute pour essayer de sauver les apparences déjà bien compromises.
«—Je vous assure, il y a méprise! Je ne suis pas au courant!»
A en juger par les regards qui circulaient dans la foule, il était évident que c'était un énorme mensonge.
«—Je vois. Et Mystar est une femme si j'ai bien compris, n'est-ce-pas?
—Bah oui!
—Et bien voilà qui est intéressant. Andréas va venir avoir moi et intégrer l'Académie. Il sera sous ma protection, ça va sans dire.
—Votre... Protection? Majesté?
—Il semble que cette Mystar a une très mauvais influence sur votre fils. Je veillerai à ce qu'il reste dans le droit chemin.
—Mer–ci, Votre Gr–andeur.
—Ce n'est rien, mon ami, ne me remerciez pas. Je ne fais que mon devoir de souveraine : protégez les esprits faibles des influences néfastes.»
La foule s'inclina d'un unique mouvement devant moi, sans mot dire.
Qui que tu sois, Mystar, je finirai par te mettre la main dessus. Et quand ce sera fait...
⁂Yedel⁂
J'espère que le chapitre vous a plu malgré quelques petites surprises.
Il était donc important de vous livrer le point de vue de la Reine,
en particulier après tout ce temps.
J'imagine que vous avez quelques questions, comme par exemple :
Quid de nos héros?
Qui est Mystar?
Ce hashtag existe-t-il vraiment?
Des réponses, peut-être la fois prochaine.
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