45.Namue

https://youtu.be/hP7ttJ4UAFc

C'était tellement facile de duper les gens. Il suffisait simplement d'attendre le bon moment, de leur dire les bonnes choses. En général ce qu'on veut entendre. C'était tellement simple et évident pour moi que ça n'avait jamais vraiment été un problème.

Comme cette idiot·e de Miss, par exemple. Elle avait beau savoir qui j'étais, ça ne l'avait pas empêché·e de tomber tout droit dans mon piège.

Calixte avait bien failli m'avoir, toutefois. Il avait bien essayé, en tout cas. Lui ne voulait que le pouvoir. Rien n'est plus versatile que la puissance, et j'en savais quelque chose.  Prendre, c'était facile. Garder, en revanche, c'était une autre histoire. Il n'avait pas été assez malin pour ça. Tant pis pour lui.

J'avais appris très tôt que tout est question de motivation dans la vie. D'objectif. Je n'avais jamais perdu de vue le mien : venger la mort de mon frère. Dans ce but, j'avais accepté tous les  sacrifices et ce n'était pas un vain mot. 

Maintenant, c'était la dernière ligne droite. Que ça me plaise ou non, j'allais disparaître. Mais je comptais bien partir en beauté.

Namue, je suis la voix de ta conscience et je t'ordonne d'arrêter!

J'l'avais presque oubliée, celle-là. J'avais encore une colloc' assez encombrante qui avait décidé de se faire de plus en plus remarquer alors que je disparaissais petit à petit.

—Tais-toi, Stella. J'ai une dernière chose à faire. Ensuite, tout sera terminé.
—Tout ce qui est à toi est à moi. Désormais, je sais tout de toi, «Namuellinan». C'est quoi, ce nom?
—C'est Namue tout court!
—Tiens, ton prénom complet veut dire «Princesse guerrière» en
Minarii. Marrant, ça. Tu n'as gardé que la partie qui veut dire «grosse brute épaisse».
—J'ignore pourquoi tu viens me faire chier maintenant.
—Parce que je ne pouvais pas le faire avant. Tu m'as bien trompée, en attendant. Comme à peu près tous ceux que tu as croisés jusqu'ici.
—Je n'ai pas fait de mal à ton frère. Comme je te l'avais promis.
—Tu te fous de ma gueule? T'as essayé de le tuer!
—Si tu lisais si bien que ça en moi, tu saurais que rien n'est plus faux.

J'avais enfin réussi à lui clouer le bec à cette emmerdeuse. Je l'avais un peu baratinée pour prendre le contrôle, c'était vrai. Mais j'avais respecté ma promesse : je ne devais faire aucun mal à Miss. Ou Raphaël.

—Je vois. Tu as fait tout ça pour le pousser à t'emmener avec toi et t'aider à revenir ici. Je reconnais que tu es plus futée que tu en as l'air.
—Sauf que j'ai l'air de toi, gourdasse.

Elle avait toujours tendance à oublier que pour l'instant, j'occupais son propre corps, faible et sans intérêt. Il m'était impossible de la posséder complètement si elle me combattait sans cesse. J'avais donc dû passer un accord. Mais ça m'allait très bien, je n'avais pas besoin de plus.

Le plan était simple. Agresser Miss dans son sommeil, qu'elle se sentît en danger. J'avais bien tenté de la surprendre en début de soirée, mais j'avais dû patienter jusqu'à la nuit profonde. Les intentions étaient cruciales pour activer les Mânes. Ce qui me rappelait de bons vieux souvenirs du dortoir, du temps de l'Académie.

—Tout était de la comédie, alors.
—Miss serait allée seule au devant de la Princesse. Hors de question de louper un truc pareil. Je devais tenter un truc pour retourner dans ma dimension avec elle. Il fallait qu'elle pense que je représentais une menace directe. Que le risque de me laisser derrière soit sérieux.
—Mais tu l'as piégé·e!
—Elle m'a obligée à monter sur une scène. On est quitte. Et sa vie n'est pas en danger.
—Contrairement à la tienne.
—Exactement. Maintenant la ferme, Stella. Je dois me concentrer.
—Pour marcher?

Pas envie de lui répondre. Elle me tapait vraiment sur les nerfs et le seul truc de positif dans tout ça, c'est que j'allais être débarrassée d'elle très bientôt. 

—Tu sais que je suis dans tes pensées aussi, hein?

«—LA FERME!»

Etrangement, pouvoir hurler à plein poumon après sa voix intérieure sans avoir d'explications à fournir avait quelque chose de très libérateur. Même si ça servait à rien.

—Namue, j'aimerais qu'on parle sérieusement, toi et moi.
—Qu'est-ce qu'on fait depuis dix minutes? Arrête de me déranger, je vais réussir à me perdre dans un labyrinthe que je connais pourtant sur le bout des doigts.
—On peut t'aider, Raph et moi. Je pense qu'il a raison quand il dit que tu fais une erreur. Ca t'est déjà arrivée, de te tromper.
—Toi aussi, tu fais erreur. J'ai mis de côté tout ce qui pouvait me retenir à la mort de Keros. Plus rien ne pourra m'arrêter, parce que je me suis promis d'aller au bout, quoiqu'il advienne, quoiqu'il m'en coute. Je me suis endurcie à l'Académie.

Ce qui était le but. L'entrainement, la force, la détermination... Toutes ces choses qui faisaient de moi celle que j'étais devenue : une arme. Pas besoin de conscience : juste être létale. J'avais même vendu mon âme à Calixte pour avoir tout ce que je voulais. Maintenant, il ne me restait plus que la vengeance.

—Tu sais, les pires mensonges sont ceux qu'on finit par croire soi-même.
—Ca veut dire quoi, ça?
—Cette Athénaïs semblait vraiment tenir à toi.

Théna aimait ses parents et son fiancé. Ca lui suffisait largement. Aucune raison valable de se préoccuper de moi. Pourquoi Stella fouillait-elle mes souvenirs?

—Tu n'as jamais pensé que cette fille avait tout simplement un cœur gros comme ça?

Le plus beau compliment qu'on pouvait faire à une Minarii. Un cœur gros représentait la vaillance, l'audace et la pugnacité. Stella le savait déjà, forcémenent.

—Tu es si naïve et si confiante... J'aurais adoré t'avoir comme camarade. T'aurais pas fait long feu, ici.
—Tu es si seule et désespérée que tu prends ton cas pour une généralité.
—C'était mon choix d'être seule. Je n'ai besoin de personne!
—Intéressant. Vraiment. Et ce sorcier bizarre aussi semblait avoir une réelle affection pour toi.
—Tu vois? Même toi, tu as du mal à y croire.

 Pour une raison simple : c'était un mensonge. Les personnes que j'avais croisées dans ma vie m'avaient toujours déçue. Sans parler des rares en qui j'avais placé ma confiance. Je n'éprouvais plus aucun sentiments désormais, pour qui que ce soit.

—J'étais là quand tu as rencontrée notre mère. Je sais ce que tu as ressenti.
—J'ai joué la comédie, rien de plus. Un de mes nombreux talents, avec la lutte et le macramé.
—Non. Tu étais bouleversée.
—Ta mère m'a engueulée! Tu le saurais si tu avais été là, comme tu le prétends.
—Seule une personne qui se soucie vraiment de toi se permet ce genre de chose. Ca t'est arrivé combien de fois, ces dernières années?
—Ta gu–

Je n'étais plus très loin de la crypte. Mais je me sentais mal. Très faible. Stella commençait à saper le peu d'énergie qu'il me restait. Je devais l'ignorer. Elle me perturbait. Je devais trouver un truc. N'importe quoi.

Penser à Athénaïs. Voilà, c'était ça, la solution. Elle me rappelait cette pimbêche arrogante et hypocrite. Je devais aussi me concentrer sur le lien et le siphon d'âme. 

Et ça marchait! Incroyable!

La connexion devenait de plus en plus forte. Je n'entendais plus la voix de mon insupportable colloc'. Mais il y avait autre chose. Quelque chose en moi qui pulsait. Je sentis une sourde colère monter en moi. Des images fugaces passèrent, des souvenirs, des choses que j'avais faites.

Ma compromission, mes péchés, mes erreurs. J'avais pas fait tout ça pour rien, oh que non. On m'avait privée de tout. On me priverait pas de ma revanche, même si c'est la dernière chose que j'accomplirais dans ma vie, ou ce qu'il en restait.

Cette sensation m'était familière. Elle m'évoquait quelque chose. Un évènement survenu il y avait peu. Qu'est-ce que c'était au juste? Il s'était passé quoi la dernière fois que je m'étais sentie aussi électrisée?

La réponse m'arrivait dessus à une vitesse surprenante. J'étais aux aguets, complètement en possession de mes moyens sans enquiquineuse pour m'embrouiller la tête. Je devais me cacher, et vite. Et si je lui tendais une embuscade?

Je me plaquai au mur, derrière une statue très moche. Il serait très bientôt là, je le sentais. Enfin, je sentais la cartouche, pour être parfaitement exacte. Temuji, le sorcier fourbe allait venir me livrer le précieux artefact. Seulement, il n'en était pas encore informé.

Disons que j'allais lui faire une petite surprise.

Il faisait un détour pour rejoindre Miss. Alors qu'il y avait clairement plus court. Tant pis pour lui, et tant mieux pour moi.

Le sous-sol de l'Académie abritait toutes sortes de chambres, de cellules, de salles oubliées. Je pensais que tout le monde connaissait ce labyrinthe, parce qu'on s'était tous perdus au moins une fois dedans (même si en réalité, c'était bien plus). Le Comité avait d'ailleurs renoncé à laisser des écuelles de bouffes par-ci par-là pour ceux qui se perdaient. On avait alors simplement interdit l'accès pour éviter d'avoir à remplir des écuelles qui profitaient surtout aux rats.

Temuji se pointa enfin. Je lui sautai dessus. Enfin, c'était ce que j'avais prévu de faire. La statue moche s'interposa entre lui et moi, m'agrippant fermement.

«—Mais lâche-moi, saleté!
—Namue? 
—Non, pas du tout, je suis son sosie qui a décidé de répéter un numéro de danse avec une statue, sombre connard!»

Il me regarda un bref instant avant de détailler la statue. Impossible de savoir ce qu'il lui passait par la tête, avec une tronche pareil.

«—Eh bien on dirait que tu t'es faite prendre à ton propre piège.
—Comment ça?
—Cette statue fait partie du système anti-intrusion. C'est la Source qui les contrôle en temps normal. L'ironie du truc, c'est que c'est sans doute tes Mânes corrompues qui l'ont déclenchée.
—Hilarant. Libère-moi!
—Pourquoi faire? Tu as encore tenté de trahir une Miss et je sais que tu veux assassiner la Princesse. En possédant le corps d'une humaine, en plus. Tu veux que je continue la liste?
—Justement! Si tu me libères pas, il va lui arriver quoi à l'humaine que je possède?»

C'était du pur bluff. Vu qu'il n'en savait rien, ça se tentait, sur un malentendu.

«—Tu m'as tellement déçu. Tu as déçu la précédente Miss. Tu as trahi aussi la nouvelle. T'en as pas marre de décevoir?
—Va te faire foutre!
—J'irais pas jusque là, sois en certaine. Je crois plutôt que je vais me contenter de rejoindre Miss et lui dire que je t'ai trouvée. Stella ne risque rien vu que tu n'es pas une menace. Tu vas simplement disparaitre, à plus ou moins brève échéance. Ce qui me désole au plus haut point.
—Attends! Reviens! Laisse-moi une chance!»

Il s'était déjà tiré, l'enfoiré. Et moi, j'étais mal barrée. Je sentais le lien faiblir de nouveau. La cartouche s'éloignait avec son porteur. J'étais toujours prisonnière de cette stupide statue moche alors que la crypte était à quelques centaines de mètre de l'endroit où je me trouvais. Si près du but.

Je n'étais même plus en colère. J'étais au delà de ça. Absolument tout ce que j'avais fait et accompli n'avait servi –en définitive– à absolument rien. L'Académie, la trahison, ma Corruption, le coup d'état, la chute de la Couronne, la guerre civile, l'incursion dans une autre dimension... On ne pourra jamais dire de moi que je n'ai pas tout mis en œuvre pour accomplir mon objectif final.

«—Pardon, grand frère. J'ai échoué. Encore.»

Je sentais ma cartouche s'éloigner en même temps que le lien s'affaiblir de nouveau.

Et là, pour la première fois depuis très longtemps, je me suis mise à chialer. Comme jamais. 


⁂Yedel l'auteur⁂

Bon, je sais, j'ai promis la Princesse. Je vais donc arrêter de troller et vous laisser la surprise.

Cependant, que pensez-vous maintenant de Namue et de son point de vue? 

J'ai longtemps hésité à vous en faire part car je pensais qu'on en savait assez sur elle. Et c'était aussi l'occasion de prendre des nouvelles de Stella. La possession, ça ne réussit à personne, qu'on se le dise.

J'espère que ce petit chapitre et son ton un peu plus sérieux vous a tout de même plu et pas d'inquiétudes, j'arrête les digressions pour la suite et fin de l'aventure. 

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