44.Subterfuge

https://youtu.be/5yP9olT_TdM

L'arrivée fut un rien brutal. Encore un coup de Newton. Mais dans ce cas précis, interdiction de tomber dans les pommes. 

«—Tim? On a un pépin.
—Miss?»

J'étais de nouveau transformé·e et en uniforme. Ce qui ne présageait rien de bon.

«—Comment ça se fait? Je croyais qu'on en avait fini avec la Corruption.
—Tu es chez les Minarii, je te signale. La source n'est pas loin d'ici.
—Ce qui m'amène à la question : où est cet ici?
—On est dans l'enceinte de l'Académie, Miss.»

C'était Namue qui avait répondu à la question et je compris instantanément à sa voix que quelque chose n'allait pas.

«—Me r'garde pas comme ça, j'me suis fait mal en tombant.
—N'oublie pas que c'est avec le corps de ma frangine que tu joues.»

Elle me lança un regard furieux.

«—Comme si je risquais de l'oublier.»

Je tendis la main : elle l'ignora. Elle se releva en grimaçant.

«—Ca va aller?
—Non. Te voir dans ce costume m'arrache la rétine.
—J'm'inquiétais, c'est tout!
—J'vais bien, d'accord?
—C'est Stella qui me préoccupe.
—J'avais bien compris. Fous moi la paix.»

Elle se mura sans un silence hostile et si elle s'était fait mal quelque part, ça ne voyait déjà plus. Il valait mieux la laisser tranquille pour le moment, elle semblait vexée de sa faiblesse. Le moment était donc venu de changer de sujet.

Au moins, j'étais de retour dans mon corps féminin. C'était toujours ça de pris.

«—Alors, c'est donc la fameuse Académie. C'est vraiment...
—Sublime? Majestueux? Immense?
—Euh, oui, Tim. Intimidant.»

Je pensais plutôt à des qualificatifs comme «sombre, désert, lugubre et abandonné», mais je m'abstins. Si ça se trouve, c'était le plus pur style Minarii. En revanche, l'endroit était magnifique. Les cieux empilés étaient parsemés de milliards d'étoiles qui ne ressemblaient à aucune de nos constellations. De magnifiques lueurs flamboyaient à l'horizon dans un ballet de couleurs rayonnantes alors qu'une immense lune bleue aux reflets argentés trônait en souveraine dans ce palais céleste à la voûte scintillante soutenue par un subtil contrefort montagneux.

«—Bon, on a de la chance, il fait encore jour. Faut vite se mettre à l'abri avant que les moustiques arrivent.
—Bof. Les moustiques, c'est pas le pire qui puissent nous arriver.
—Ah.»

De toute évidence, c'était pas trop le moment de se laisser aller au lyrisme. J'avais encore une fois de plus oublier que c'était une dimension de brutes épaisses.

«—Au fait, Miss, si un champignon t'adresse la parole, surtout, tu lui réponds pas. Conseil.
—Euh, ok. Mais sinon, y a un truc qui est sympa ou vaguement inoffensif ici?»

Tim et Namue se regardèrent, l'air perplexe.

«—Justement, les champignons. Ce sont d'incorrigibles bavards.
—Je vois.»

La conclusion de ce bref échange était simple : accomplir ma mission et repartir très vite. Sans parler aux champignons. Une course ordinaire au supermarché, quoi.

L'Académie proprement dite semblait être construite en marbre blanc, veiné de pierre bleue en entrelacs stylisés. De grandes fenêtres aux cadres argentées supportaient des vitraux illustrant des combats. Et bien entendu, au milieu de la cour d'honneur, il y avait une splendide fontaine représentant une femme assise sur un trône, une épée sur les genoux, un bouclier contre ses jambes. L'eau coulait depuis sa tête, créant ainsi l'illusion d'une chevelure.

«—Qui est-ce?
—Aucune idée.
—Ignare! C'est Vénus, la première Miss!»

Tim semblait prendre bizarrement les choses à cœur, d'un coup. Ca ou bien l'ignorance feinte ou réelle de Namue l'avait vraiment gonflé. Possibilité à ne pas exclure. Une question me turlupinait, cependant.

«—Comment ça se fait que vos noms ressemblent autant aux nôtres?
—En réalité, les Mânes transforment les noms. Elles les adaptent.
—Euh je comprends pas trop.
—Je ne sais pas quel nom tu entends quand je l'appelle Venus. Mais ce sera un nom pêché dans ton cerveau, normalement adapté. Un service de traduction intégré, en somme.»

Sans doute pour ça que le prénom «Namue» sonnait aussi bizarre à mes oreilles.

«—Donc, c'est possible que les Mânes t'affublent d'un nom à la con, si je comprends bien?
—Surtout si elles t'aiment pas.»

Nos regards se braquèrent automatiquement sur Namue qui faisait mine de ne pas écouter.

«—Pourquoi vous me regardez comme ça, vous deux?
—Bref, c'est bien beau, tout ça, mais on a un truc sur le feu.»

Elle ricana.

«—Une princesse en détresse. Tu sais où elle se cache depuis tout ce temps?
—Théna m'avait dit la crypte. Tu sais où ça se trouve?
—Evidemment. J'arrive pas à croire qu'elle était cachée sous notre nez pendant aussi longtemps sans qu'on le soupçonne.»

Le nounours poussa un cri d'exaspération.

«—T'avais pas besoin de lui dire ça. Moins elle en sait, mieux ça vaut, tu peux me croire.»

 Elle se contenta s'arborer un sourire malveillant.

«—Et que veux tu que je fasse, au juste? Je suis coincée avec vous.
—Je suis bien d'accord, pour une fois. J'vois pas comment elle pourrait encore nous nuire.»

Elle nous gratifia d'un sourire supérieur.

«—Je t'en prie, Miss. Laisse-moi te guider.
—Ouais enfin pas d'entourloupes. Je t'ai à l'œil.»

J'allais pas non plus lui faire confiance. La trahison semblait avoir sur elle le même effet qu'un gâteau au chocolat. On a beau savoir que c'est pas raisonnable, ça reste dur de résister. Elle me fit une moue boudeuse.

«—Stella ne me laissera pas te faire de mal. Ca devrait te rassurer, flipette.»

Elle semblait extrêmement satisfaite d'être de retour à l'Académie. Presque heureuse. Nous pénétrâmes dans le grand hall d'entrée. Parfaitement circulaire, deux escaliers de marbre flanquaient la cour intérieure sur laquelle figurait un motif floral particulièrement complexe qui semblait bouger quand on ne le regardait par directement.

Malgré la verrière, le marbre et l'absence totale de zones d'ombre, l'endroit manquait de clarté. Il y avait pourtant des appliques d'argent patiné surmontées de globes de cristal, mais ils ne donnaient aucune lumière.

«—C'est normal qu'il fasse si sombre?
—Non, c'est pas normal. 
—Sans importance. Je pourrais vous guider les yeux fermés.
—Vous avez fait quoi, avec Calixte? 
—Il avait fermé temporairement l'Académie, après s'être débarrassé de l'Egide. Il voulait garder la Source pour lui seul et s'approprier son pouvoir. C'est ce qui a causé le soulèvement. Il n'avait aucun droit dessus tant qu'il n'était pas reconnu souverain légitime.
—Je commence à comprendre pourquoi il la voulait vivante. Il en avait simplement besoin.
—Exactement. Viens, je vais te montrer un truc rigolo.
—Je sais pas si c'est trop le moment, Namue.
—Mais si, tu vas adorer.»

Elle me conduisit jusqu'à une immense salle voûtée parcourue de larges piliers. La salle était plongée dans la pénombre et ne comportait aucune source de lumière extérieure.

«—Tadaaa! La Salle des Murmures!»

La salle n'avait en elle-même rien d'exceptionnelle, ni de rigolo. A part l'écho. Sa phrase semblait se répéter à l'infini, dans toutes les directions à la fois. Tim ronchonna.

«—J'vois pas pourquoi on est ici, c'est même pas sur la route.
—Nous, les étudiantes, on adorait cette salle. Tu veux savoir pourquoi, Miss?
—Non?»

D'un geste, elle s'empara de Temuji et le jeta dans le couloir que nous venions d'emprunter et elle posa sa main sur une plaque située à côté de la porte qui se referma d'un bruit sec. L'obscurité fut totale.

«—TIM!
—MISS! C'EST COINCE!»

La voix de la traîtresse se fit entendre. 

«—Un ancien système de défense. Ça fonctionne dans un seul sens.»

J'entendais sa jubilation. Ce qui était d'autant plus vexant.

«—J'vois pas pourquoi tu fais ça. Tu peux rien faire contre moi et me faire perdre du temps, c'est pas ta meilleure idée.
—Oh, mais je comptais absolument pas me battre. Stella peut m'empêcher de te faire du mal, mais elle ne peut pas non plus m'obliger à quoi que ce soit. On adorait jouer à cache-cache ici. Tu sais pourquoi?
—Parce qu'on ne voit rien?
—Pour l'instant. Tes yeux vont s'accoutumer très vite et cette salle compte plusieurs sorties.
—Je ne vois pas où tu veux en venir, alors crache ta pastille!
—C'est plutôt où je veux aller qui devrait te préoccuper.»

Elle s'éloignait en parlant et j'ai compris le piège tendu. L'écho était tel qu'il était complètement impossible de la situer. Elle pouvait continuer de me parler de n'importe quel endroit de la pièce sans qu'il fut possible de la localiser.

«—Bon, c'est pas le tout, mais je dois rendre visite à une vieille connaissance.
—Attends, Namue! Tu es en train de faire une grosse erreur, sans doute ta dernière!
—Je te déconseille de bouger. Si tu t'égares dans le dédale, Temuji va perdre un temps infini à te trouver. Laisse lui le loisirs de faire le tour.
—Et toi, tu vas faire quoi pendant qu'il se promène sur l'itinéraire bis?»

La déviation, c'était récurrent, chez lui, fallait croire. 

«—Je vais aller directement à la crypte. J'ai enfin compris comment elle s'est cachée de nous jusqu'à présent. Je sais donc qu'elle est sans défense là-bas. Sur ce, sois bien sage!»

J'entendis ses bruits de pas venir de tous les coins à une allure très soutenu. 

Elle venait de me baiser en beauté.

«—TIM? T'AS ENTENDU?
—OUI. J'ARRIVE.»

Comment j'avais pu être aussi stupide? Elle guettait le bon moment et n'avait eu qu'à saisir sa chance. Et en excellente opportuniste, c'est ce qu'elle avait fait à la perfection.

Je me posai contre le mur. Faire les cents pas n'arrangeait rien et avec mes talons sur le sol dallé, le bruit était insupportable. Je devais me calmer, et réfléchir.

Techniquement, je ne devais rien à la Princesse. J'avais besoin d'elle pour me débarrasser de mes pouvoirs, certes. Toutefois, je n'avais plus cette pression de rester coincé·e dans cet état. J'avais pris conscience que devenir une fille, c'était ce qui m'était arrivé·e de mieux dans ma vie, assez bizarrement.  Et je me mis à penser aux autres. A ma mère, pour commencer. A mes camarades. C'était dingue mais difficile à rejeter comme coming out. Une chose était sure, c'était qu'il était hors de question de refaire ma vie dans cette dimension inconnue.  

Les furets pesaient plusieurs centaines de kilo et les champignons parlaient. Sans oublier les menaces que combattaient l'Egide en temps normal. C'était trop dangereux. Enfin, plus que le sexisme ordinaire, la taxe rose, la misogynie rampante, les différences de salaires, la pression sociale et le gynécologue. Quoique, tout bien réfléchi...

Seulement, j'avais fait une promesse, et pas une petite comme ça entre copines. J'avais accepté les dernières volontés d'une fille morte en protégeant sa souveraine.

Et ça, c'était quand même vachement plus dur de faire avec.

Merde, qu'est-ce-que je dois faire?

—Fais-nous confiance, Miss.

Les Mânes? Vous pouvez m'aider?

—Nous l'avons déjà fait. Lève-toi, et va accomplir ta mission.

Et comment je suis sensé·e m'y prendre? Je suis perdu·e, Namue a trop d'avance et Tim trop de retard.

—Très simplement. Nous allons te guider jusqu'à elle.

J'veux bien mais ma sœur et sa locataire?

—Nous l'avons piégée. Nous avons activé les systèmes de sécurité. 

Lui faites pas de mal!

—Elle est neutralisée, c'est tout. Aucune blessure n'est à déplorer.

A part son amour-propre, je suppose. Je ne sais pas comment vous remercier.

—Très simplement, Miss.
Protège la Princesse de son pire ennemi, 
c'est tout ce que nous te demandons.

Son pire ennemi? Qui ça?

—Elle-même.

Yedel l'auteur

Comme on le dit si souvent : «on ne se refait pas»
C'était toutefois assez prévisible, qu'en pensez-vous?

Pas mal d'explications et de réflexions dans ce chapitre un peu plus calme.
J'espère ne pas vous avoir ennuyer.

J'avais promis la Princesse, pas d'inquiétude, vous la verrez bientôt. 
On est toutefois en droit de s'interroger sur le sens de l'avertissement : 
En quoi la princesse pourrait-elle  se mettre en danger?

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