43. Showtime
https://youtu.be/VdphvuyaV_I
On avait beau être dimanche, le risque de croiser d'autres camarades n'était pas totalement à exclure. Et on ne pouvait pas non plus se cacher dans la rue comme des pop-stars un lendemain de cuite.
«—Tu as couru longtemps après être arrivé ici?
—Je sais plus, moi. Ils étaient à mes trousses, j'allais pas non plus faire un relevé cartographique.
—On peut toujours se sép–
—Pas question, Namue! Tu restes là où je peux te voir, les mains bien en évidence!»
Je restais malgré tout sur le qui-vive. La traîtresse en titre avait cessé ses attitudes bravaches et sarcastiques pour les remplacer par des silences pesants et une humeur sombre. Avec elle, il fallait s'attendre à tout. C'était le meilleur moyen de ne pas être surpris et déçu. Surtout que je me rendais dans une autre dimension, vers l'inconnu et même au-delà.
Je suis peut-être en train de faire une énorme connerie là, non?
Mon taux de stress commençait déjà à flirter avec le firmament. Le genre d'idylle qui risquait d'exploser en plein vol. Façon déluge de flamme. Il fallait que j'arrête de penser maintenant, sinon je risquais de partir en torche et faire demi-tour.
«—On cherche quoi exactement?
—T'es un poisson rouge, gamin? On cherche la faille.
—Heureusement que t'es là pour remettre les pendules à l'heure, dis donc. J'ai failli te prendre pour une alliée.
—Je suis pas ton alliée. Ni ton amie. J'ai pas le choix.
—Fais pas attention à elle, Raph. Elle est aigrie parce qu'elle a cramé sa couverture trop vite.
—C'est toi que j'vais cramer!
—Arrêtez, vous me saoulez à la fin. Je veux savoir à quoi ressemble la faille, pas vous écoutez vous balancez des fions!
—Fallait le dire tout de suite... C'est une déchirure, un passage entre les dimensions.
—Alors, au risque de paraître un peu prétentieux, ça j'avais compris tout seul, tu vois. Visuellement, je veux savoir de quoi ça à l'air.»
C'était quand même pas si compliqué. Il le faisait exprès d'être con ou quoi?
«—Dur à expliquer. Tu sauras que c'est ça quand tu le verras.
—Super. T'es en train de me dire qu'il y a un passage inter-dimensionnel ouvert quelque part entre le lycée et la charcuterie et que tous le monde peut le voir?
—Euh, non, c'est pas du tout ce que j'ai dit.»
Namue poussa un long soupir exaspéré, en levant aux ciels des yeux pleins de commisération.
«—La clef ce sont les Mânes! Y a que nous qui pouvons le voir!
—Et comment vous faisiez avec la Corruption?»
Elle serra les lèvres, fronça la sourcils et son intérêt se porta soudainement sur un vieux chewing-gum incrusté dans le trottoir. Après un intervalle de temps bien trop long, elle daigna finalement me répondre. C'était clairement pas Tim qui allait le faire à sa place, il jubilait trop pour ça.
«—Je... J'aime pas trop y repenser. On ouvrait des passages qui s'effondraient sitôt qu'on les empruntait. J'ai jamais cherché plus loin le pourquoi du comment. Ca fonctionnait, c'est tout.»
Nouveau silence. Brisé par Tim cette fois.
«—C'est normal. Les Mânes corrompues ne sont plus liées à la Source. Ce qui n'est pas notre cas. C'est pour ça que le portail est resté ouvert.
—Ne reste plus qu'à le trouver, alors.»
Cependant, Namue ne semblait pas faire beaucoup d'effort dans ce sens. A part pousser des soupirs agacés –et agaçants–, balancer des coups de pieds dans d'inoffensifs cailloux et garder une mine renfrognée, elle semblait totalement indifférente au succès de notre mission.
«—On perd notre temps. Si tu ouvres ma capsule, gamin, je t'ouvrirai un portail. Le plus chouette que t'aies jamais vu.
—Difficile de résister à une offre aussi alléchante. Mmmh, laisse-moi réfléchir...
—Tu hésites?
—Non. Le seul portail que tu vas m'ouvrir, c'est celui de la morgue, donc merci, mais non merci.»
Tim décida d'en remettre une couche.
«—Je n'arrive pas à croire que tu penses encore à la capsule. Tu as vraiment envie de redevenir un monstre?
—Ce sera toujours mieux que d'être une peluche.»
Finalement, je décidai de les laisser se chamailler pour me concentrer sur l'objectif.
«—Désolé de vous interrompre en pleine engueulade, mais la faille, ce serait pas un genre de déchirure avec des lueurs bizarres?
—C'est ce que je te dis depuis le début!
—Sauf que là, je la vois.»
Effectivement, une magnifique lumière irisée jetait des reflets chatoyants depuis les fenêtres de l'auditorium.
«—Et merde, fallait que ce soit l'auditorium.
—C'est quoi, le problème?
—On est dimanche, c'est jour de représentation. Le lieu sera blindé de monde.
—Pff... Mais justement! Il y aura tellement de monde qu'on passera sans problème. C'est idéal comme prétexte.
—Mouais... T'as p'tet raison. Namue? Qu'est-ce qu'y a encore?»
Elle semblait s'être subitement paralysée. Le regard fixe, la bouche crispée, elle était aussi raide que la justice.
«—Vous me ferez pas rentrer là-dedans. Y a pas moyen.
—Depuis quand t'as peur, toi?
—J'aime pas les salles de spectacles. C'est tout. Je vais vous attendre dehors et surveiller l'entrée.»
Je regardai Tim puis Namue. Impossible de savoir si elle me prenait pour un lapin de six semaines où si elle avait vraiment la trouille. Cette fille était paradoxalement très douée comme actrice.
«—Tu commences vraiment à me gaver à la fin. Tu viens et tu fais pas chier, c'est tout.
—Raph, ça y est, je viens de me rappeler pourquoi : elle ne sait pas chanter.
—Mais personne ne lui a demandé de faire un truc pareil!
—Nan, t'as pas compris. Tu l'as pas entendue à la chorale de l'Académie. Elle aurait fait fuir les arbres s'ils avaient pu.
—Vos arbres ont des jambes?
—Non, mais ils auraient aimé. Tu peux me croire.»
La situation tournait au grotesque. J'avais sous ma garde l'une des pires criminelles Minarii et elle avait la phobie des salles de concert*.
«—Pas la peine d'angoisser pour ça. On est pas là pour chanter ou se donner en spectacle, ok?
—Je sais bien! Mais j'aime pas, c'est tout. Même voir des gens sur scène ça me dérange.
—Tim, est-ce que c'est risqué pour Stella de la laisser derrière?
—Tant qu'elle la possède? Carrément, oui!
—Que ça te plaise ou pas, on rentrera et on franchira le portail même si il se trouve sur la putain de scène, tu m'entends? Et une fois qu'on aura traversé...
—... Le portail va se refermer et couper le lien entre toi et l'humaine. Et là, ce sera fini pour toi, Namue.
—JE SAIS!»
Après un temps passablement long, elle se décida enfin à marcher vers l'auditorium. C'était effectivement jour de spectacle. Mais malheureusement pour nous...
«—Comment ça, c'est payant? La culture devrait être gratuite pour tous le monde!
—Va te plaindre à la mairie, jeune homme, c'est pas moi qui fait les règles. En attendant, c'est quinze balles par tête, gratuit pour les moins de treize ans et les chômeurs. Vous avez moins de treize ans?
—Bien sûr que non!
—Vous êtes chômeurs?
—Ma sœur a dix huit ans. C'est tout comme!»
Evidemment, Namue exultait tout en ricanant alors que le gars secouait négativement la tête.
«—T'as entendu le monsieur : on n'a plus qu'à rentrer à la maison.
—Tu devrais prendre exemple sur cette jeune fille : toujours prendre les choses du bon côté.
—Mais oui, restes zen frérot, tu vas choper un ulcère sinon.
—Dis donc, t'as vu ma gueule? C'est la grosse soirée!»
Je fus subitement frappé par l'idée. Et l'affiche que j'avais sous le nez m'y aida un peu, pour être honnête.
«—Viens, Stella, on se casse.»
Elle ne se le fit pas dire deux fois. Soulagée et souriante, elle en paraissait presque guillerette.
«—Alors, tu vas faire quoi, maintenant?
—On va rentrer par derrière, tout bêtement.
—Si y a un mec qui fait payer devant, tous le monde va passer par derrière, non? C'est pas ultra débile comme concept?
—Si, complètement Namue. A un détail près. L'entrée de derrière possède une particularité. Elle n'est pas gratuite. Il va falloir payer de notre personne.
—Tu veux dire qu'il faut payer le prix du sang? Se battre?»
Un sourire radieux éclaira son visage.
«—Merde, mais non, enfin, n'importe quoi. C'est quoi votre dimension de barbare?
—Comment il faut payer le passage alors?
—Très simplement, voyons. C'est l'entrée des artistes.
—Je t'ai dit que non! Et tu m'as promis que je monterai pas sur scène!
—Je t'ai rien promis. Et non, on montera pas sur scène. On s'en fout, en fait. On est là pour le portail et rien d'autre.
—On peut savoir comment tu vas les convaincre de nous laisser rentrer?
—Admire.»
Je m'approchai d'une vieille dame acariâtre et momifiée posée sur une chaise pliante devant une table pliante. Elle leva vers nous un nez bulbeux surmonté d'une paire de lunette. Elle avait sorti un vieux stylo Bic qui crissait sur une page de son cahier couverte d'une écriture fine et serrée.
«—C'était pour quel groupe, jeunes gens?»
Je ne compris pas tout de suite sa question : en effet, sa voix faisait le même bruit que la mine du stylo Bic affreusement maltraitée. Elle regarda dans ma direction, dans l'expectative, puis s'orienta vers Namue et enfin ses lunettes s'arrêtèrent sur le nounours que je tenais toujours sous le bras.
«—On est les Tièdie's Bières, on doit être sur la liste.»
Ce qui était juste. J'avais eu le temps de lire vite fait la programmation et le nom de ce groupe m'avait tout de suite sauté aux yeux. Sans trop savoir pourquoi. Le long index de la vieille parcourut la page au rythme de ses yeux en marmottant les noms.
«—C'est bizarre. Vous êtes bien sur la liste, mais on dirait que le groupe est déjà au complet.»
Elle pointa son pouce osseux vers quatre types déguisés en ours avec des chapeaux évoquant les capsules du fameux breuvage malté. Plus une minute à perdre. On était grillés, alors autant tenter le tout pour le tout. Je chopai la main de Namue dans la mienne et nous nous engouffrâmes dans l'entrée des artistes sous les yeux médusés de la vieille et des quatre ours embierrelificotés.
«—Efface tout de suite ce sourire du visage de ma sœur, Namue, c'est carrément obscène!»
Par ici, Raphaël.
Il ne me restait plus qu'à suivre les indications. Jusqu'au moment où les membres du personnel de la salle tentèrent de nous arrêter. Et on avait pas de pouvoirs.
«—Arrêtez! STOP»
L'endroit était immense. Le couloir des loges enfilé, on déboula dans les coulisses, en plein préparatifs.
Deux types format videurs –des gorilles, sans doute– s'interposèrent. Derrière eux, la scène. Et sur la scène, bien entendu, il y avait le portail qui nous narguait.
«—JE LE SAVAIS!
—Non, tu savais pas, Nam'. Trop tard pour reculer.
—Je te hais!
—Moi aussi. Tu prends celui de droite, et moi celui de gauche?
—Je peux tabasser les deux et toi avec, ça m'fait pas peur.»
Les deux types n'y comprenaient plus rien et commençaient à flipper.
«—On arrête la blague, bande de p'tits cons!»
Fallait faire diversion. N'importe quoi. J'ai eu alors l'idée de brandir Tim au dessus de ma tête.
«—J'ai une bombe et j'hésiterai pas à m'en servir!»
Les deux types se figèrent, dubitatifs mais méfiants.
«—C'est le moment de brûler les planches, Tim.»
Je lançai la peluche en direction des vigiles qui par réflexe s'écartèrent de la menace pelucheuse qui rebondit au sol avec un bruit sourd. Et un couinement de douleur. C'était le moment où jamais.
D'une main j'agrippais une Namue réticente mais trop surprise pour résister et de l'autre je raflais le nounours à terre. Pas question de louper notre entrée en scène.
«—Ton meilleur rôle! T'as cassé la baraque!»
Plus important, ne pas rater sa sortie. Nous nous engouffrâmes tous les trois dans la faille qui nous avala avant de se refermer.
*La peur de parler en public, ou de la peur de la scène sont également appelées glossophobie. Une des phobies les plus répandues qui toucherait 75% de la population, selon une étude datant de 2017 révélée à une conférence en psychologie. Source : Wikipédia.
⁂Yedel, l'auteur⁂
J'espère que l'Absurde de la scène n'aura pas eu raison de vous.
Croyez le ou non, c'est assez difficile à écrire.
Je voulais vous offrir un peu de légèreté avant la suite,
qui le sera beaucoup moins. Et pour cause!
Tim vous a t il convaincu dans son rôle de bombe?
Avez-vous une phobie de la scène?
La prochaine fois nous rencontrerons enfin la Princesse.
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