42.Dialectique
https://youtu.be/txBfhpm1jI0
— Alors comme ça, il y a des choses que j'ignore?
— Des tonnes. Il y a des trous dans ton histoire. Même toi tu as bien dû remarquer que des détails ne collaient pas. Il y a des choses dont tu ne sais rien.
Namue s'installa dans le fauteuil du salon, les jambes repliées contre elle, les mains sur les genoux. Si elle avait pu le punaiser comme un papillon rien qu'en le regardant comme ça, elle l'aurait fait.
— Voici ma version des faits.
Nous savions tous que Namue était spéciale. Elle passait son temps à faire du grabuge au village voisin et à déclencher des bagarres dans les tavernes. C'était un jeu pour elle. Rien ne semblait avoir d'importance et le comité a exprimé plusieurs fois son souhait de l'exclure.
Je m'y suis opposé. Comme je l'ai dit, je connaissais son histoire personnelle. Je savais qu'elle était seule au monde et pleine de ressentiments. Elle était une bombe sur le point d'exploser. Seulement, je me sentais coupable. Pour la mort de son frère et l'attitude de la Princesse vis à vis de tout ça.
C'est moi qui l'ai faite venir à l'Académie. J'ai vu son potentiel, sa détermination, sa soif de combattre. Elle avait des qualités qui en ferait une guerrière redoutable. Peut-être même la meilleure. Mais j'ai négligé sa fierté. Je pensais que ça lui ferait du bien d'être avec d'autres jeunes femmes qui l'accepteraient et la traiteraient comme l'une des leurs. Namue n'était pas de cet avis : elle voulait être différente. Seule Théna semblait l'accepter et lui témoigner une amitié inconditionnelle. Jusqu'au jour où elle alla trop loin.
— Tu as failli noyer Priss!
— Pas du tout. On chahutait, juste.
— On a dû la réanimer!
— C'est quand même pas ma faute si elle a pas de souffle.
— Tu dépasses les bornes, Namue!
— Parce que toi tu respectes les règles quand tu fais le mur pour aller voir ton fiancé? Que tu as profité du stage de survie en montagne pour aller chez tes parents? Même tes sous-vêtements ne sont pas réglementaires, tu portes de la lingerie!
— Temuji!
— Bon ça va. Je poursuis.
Tu l'as compris, Théna prenait certaines libertés avec le règlement. Ce qu'on passait à l'une était reproché à l'autre. La crise était inévitable. La décision finit par tomber : on ne voulait plus d'un élément aussi instable, incontrôlable et imprévisible que Namue dans l'Égide. Il en allait de la sécurité de toutes.
Ce que tu ne sais pas, c'est que Théna est venue me trouver ce fameux soir. Elle m'a supplié de trouver une solution pour que tu restes à l'Académie.
Pour une obscure raison, Théna t'avait prise en affection. Elle avait confiance en toi.
— Grand Sorcier, Namue est importante pour moi. Elle est un peu la petite sœur désagréable, envahissante, énervante et insupportable qu'on a tous eu peur d'avoir mais qu'on ne peut pas renier.
— TU DIS DE LA MERDE!
— C'est bon, pas la peine de s'énerver. Ce n'est pas tout à fait ce qu'elle a dit.
— Temuji, Namue est importante pour moi, elle est comme une sœur. Et elle sera une incroyable guerrière. Par pitié, je t'en prie, ne les laisse pas la renvoyer d'où elle vient.
J'ignorai à ce moment précis qu'en acceptant de faire ça, je scellai le sort de biens des gens, y compris le mien. Je trouvai finalement Namue qui pleurait à chaudes larmes dans sa chambre en faisant ses bagages. Je dois bien admettre que même à moi, ça me brisa le cœur de la voir comme ça.
Connaissant son passé, avais-je le droit de l'obliger à rester ici? Ne devait-elle pas effectivement partir et aller de l'avant? Faire son deuil? J'en fus tiraillé.
Je lui donnai alors ce fameux rendez-vous, devant la Salle Interdite. Ce qui ne m'engageait à rien, en définitive. Je convoquai Athénaïs pour lui faire part de mes doutes. J'ignorais jusqu'à aujourd'hui qu'elle nous avait surpris en train de discuter la seconde fois.
— On doit l'aider. Personne ne l'aime, Temuji. Elles ont peur d'elle, c'est pour cette raison qu'elles l'ont renvoyée.
— Tu es sure de toi?
— C'est la bonne décision! Il n'y a pas d'hésitations à avoir. Elle le mérite.
— C'est dangereux, tu sais. Outre la violation du règlement, c'est un gros risque.
— Vous ne voyez que ce qu'elle est, pas ce qu'elle pourrait devenir. Elle doit simplement accepter l'aide que j'essaie désespérément de lui apporter.»
Le silence tomba comme un piano à la fin du récit de Tim. Namue écarquillait les yeux de stupeur, les jambes plaquées contre elle, les bras serrés autour.
— Je refuse de croire ça.
— Tu crois ce qui t'arrange. J'ai dit la vérité. Tu refuses d'admettre que tu as agi sur un malheureux coup de tête qui nous a tous plongés dans la guerre civile.
Quand il voulait, il pouvait se montrer du genre sacrément brutal. Namue s'apprêtait déjà à répliquer. Il n'était pas question de les laisser partir en canon, leur dispute serait sans fin.
— Je vous crois tous les deux. Vous êtes aussi menteur et sournois l'un que l'autre, mais pourtant, je décide tout de même de vous croire tous les deux.
— Me mets pas dans le même panier qu'elle.
— Il t'a bien plus menti et manipulé que moi, gamin!
— Ça suffit, c'est pas un concours. Je dois finir ce que j'ai commencé et récupérer ma sœur saine et sauve. On doit aller voir cette Princesse et vous réglerez vos problèmes entre vous. Pour l'heure, la question c'est : comment se rendre dans votre dimension?
Je n'aurais jamais cru poser cette question un jour. Ça faisait tout de même un petit quelque chose.
— Il suffit de se rendre à la faille que j'avais ouverte pour fuir. C'était pas très loin d'où tu m'as trouvé la première fois qu'on s'est rencontrés.
J'eus l'impression que c'était il y a 300 ans. Le souvenir était resté malgré tout très tenace. Ainsi que l'odeur de poubelles. Nous prîmes donc le chemin approximatif du lycée à la recherche de cette faille.
Namue gardait le silence, le regard braqué droit devant elle, la mâchoire crispée. J'avais beau savoir que ce n'était pas Stella, ça me gênait tout de même beaucoup de la voir ainsi. Je décidai de tenter de briser la glace. Un cas d'urgence, ou presque.
— Namue, tu peux me parler de l'Académie?
Il fallait bien aussi se renseigner sur notre future destination. Après un temps très long qui me laissa penser qu'elle allait juste m'ignorer, elle consentit enfin à me répondre.
— L'Académie, c'était ma toute ma vie.»
Techniquement, c'était une réponse. Succincte et abrupte, certes. Elle se mura de nouveau dans le silence. Je me sentis subitement très curieux. Quelle genre d'endroit c'était, le royaume Minarii?
— Mais euh à quoi vous passiez vos journées, exactement?»
L'espace d'un instant, j'entrevis l'ombre d'un sourire ému et béat sur son visage morne.
— On se levait, ablutions, échauffement, muscu, entrainement, on se bagarrait pour nos places au réfectoire –littéralement– et après, de nouveau entrainement, course à pieds, théorie. Ça c'était relou, tout le monde détestait ce cours. Et on finissait la journée aux bains toutes ensembles et on essayait de se noyer mutuellement. C'était vraiment cool.
Au fur et à mesure qu'elle se livrait, son visage s'animait et ses yeux brillaient de plus en plus. C'était une tout autre personne, qui s'ouvrait avec chaleur et qui racontait ses souvenirs avec une réelle tendresse. Jusqu'au moment où Tim s'incrusta dans la discussion.
— Je précise que c'était avant l'incident avec Priss. On a changé le planning après. Elles se sont rabattues sur les batailles de polochons.
Un peu surpris par ce cliché, je ne pus m'empêcher d'intervenir.
— Bah, ça va, c'est tranquille. C'est bien moins violent et plutôt mignon, j'trouve.
Tim et Namue me regardèrent, consternés.
— C'est déjà moins mignon quand les polochons sont lestés.
— Lestés avec des savons! J'ai blessé personne.
— Marina s'est sans doute cassé la mâchoire par accident.
— Pas ma faute. C'est elle qui s'est placée sur ma trajectoire.
— Et on peut reparler du lâcher de furet dans le dortoir en pleine nuit?
— Juste une petite blague. Pour rigoler un peu.
— Et surtout pour te venger d'Akasha.
— Possible, oui.
Namue débordait de mauvaise foi. Mais ce fut plus fort que moi, j'eus envie de me faire l'avocat de la diablesse.
— Les furets, c'est pas bien méchant. A part l'odeur, c'est pas si terrible.
— Nos furets font pas loin de 300 Kilos. On sait toujours pas comment elle l'a fait entrer.
— Tu m'étonnes qu'elles ont voulu te virer encore plus que le furet. T'as essayé d'assassiner la moitié de ta promo et martyrisé l'au–Oh merde!
Des problèmes, droit devant. Je la vis bien trop tard pour changer de direction sans que ça parût ultra louche. Clémence se dirigeait vers nous d'un pas décidé. Arrivée devant nous, elle dévisagea Stella, qui lui rendit son regard.
— Salut.
Elle esquissa un sourire qui s'évanouit bien vite devant le visage impassible arboré par Namue. Clem déglutit, me jeta un regard suppliant avant de reprendre la parole.
— Sympa tes mèches.
Nouveau silence. C'était le moment d'essayer la télépathie.
Allez, Nam', dis bonjour à la dame, parce que là c'est très gênant.
Bon, c'était officiel : la télépathie, c'était de la merde. Au bout d'un certain temps, Clém en eut assez. Abandonnant tout faux semblant, elle finit par capituler.
— J'aimerais qu'on se reparle, toi et moi.
— Mais t'es qui toi, d'abord?»
Clem ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt. Se dandinant d'un pied sur l'autre, elle replaça nerveusement quelques cheveux follets. Il fallait que j'intervienne sinon ça tournerait au vinaigre.
Ce qui risquait de piquer les yeux.
— Mais voyons, Stella, ça se fait pas de ghoster ainsi Clémence, ta meilleure amie!
Heureusement pour moi, l'intruse saisit la balle au rebond. Au moins, elle n'était pas perdue.
— Je blaguais, Clémence. Tu voulais qu'on se parle de quoi?»
La pauvre se trémoussait toujours en me lançant des regards insistants.
— Je voulais dire seule à seule, pour cette histoire avec Lucas.
— Pas de souci, ma grande! Pas de gars entre amies. Allez, tape-là!
La pauvre fille regarda fixement la mystificatrice lui tendre son poing dans l'attente d'un hypothétique check, les yeux ronds. J'étais fasciné et horrifié. C'était comme de voir tomber une part de flan pâtissier du cinquième étage au ralenti. On avait beau savoir très exactement ce qui allait se produire, il était impossible d'en détourner les yeux. L'inéluctable devient hypnotique quand on en est le simple spectateur.
— Tu veux me faire passer pour la méchante en te foutant de ma gueule, c'est ça, hein?
Elle repartit en furie sans plus d'explications. Il s'était passé des trucs et j'étais pas au courant de tout.
— Je croyais que tu savais tout de la vie de ma frangine?
— Je rectifie : seulement ce qui est intéressant.»
Il y avait vraiment urgence. Elle était en train de saborder la vie sociale de ma sœur qui ressemblait déjà au Titanic. Sans les chaloupes ni la musique.
⁂Yedel l'auteur⁂
Et voilà, vous avez toute l'histoire depuis le début. Enfin presque, il va encore vous manquer un élément. Je sais que vous l'avez!
J'espère que vous ne jugerez pas trop Namue pour ces erreurs regrettables et que vous verrez aussi Temuji sous un jour un peu différent.
Pensez vous que la Princesse accordera sa grâce à la criminelle? Tim renoncera-t-il à ses penchants scabreux?
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