40. Infiltration
https://youtu.be/auzfTPp4moA
Cette fois-ci, tout était bel et bien terminé. Enfin, pas tout à fait. Il restait encore un petit détail d'importance à régler.
«—Pousse-toi, je dois remettre ma couette en place. Comment je vais faire pour me débarrasser de toi, Tim?
—Je peux toujours aller dormir à côté, si y a que ça.
—C'était pas vraiment à ça que je pensais.»
La peluche me lança un regard qui se voulait attendrissant.
«—On pourra en discuter demain, tu crois pas? On a tous bien mérité un peu de repos.
—Tim, j'ai beau être crevé et avoir très envie de me jeter dans mon lit, j'ai tout de même besoin de savoir. Imagine que la Princesse vienne encore me rendre visite –enfin carrément taper l'incrust'– qu'est ce que je vais bien pouvoir lui dire?
—Plus aucune raison de s'inquiéter. Tout danger est écarté et je crois pouvoir dire que ça faisait longtemps que je ne m'étais pas senti autant soulagé.
—Ouais, ben cause pour toi, alors.»
J'aurais dû moi aussi me sentir soulagé de cet énorme poids, mais il n'en était rien. Et je ne parlais pas que de Temuji. Beaucoup de choses se bousculaient dans tête, de très nombreuses questions avaient fait irruption dans ma tête. Plus rien ne serait jamais comme avant, ça c'était sûr.
«—Tu sais ce qu'on dit, comme on fait son lit, on se couche.
—Qu'est-ce-que tu attends, alors?
—Justement, je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Depuis le début, je me suis laissé un peu piloter, tu vois, tout s'est enchaîné de manière un peu rapide.
—Tu sais, c'est jamais qu'une couette, hein.
—...
—Ça va, j'avais compris. Demain, et pas avant que tu te sois reposé, on ira voir la Princesse ensemble. D'accord?
—Attends, t'es en train de me dire que tu peux faire ça?
—T'étais pas prêt avant. On sait où elle est et j'ai les moyens de t'y conduire. Si c'est ça qui te chagrine.
—En fait, c'était pas du tout ça que je disais, mais c'est pas grave, je suppose. Je parlais de ma vie après tout ça. J'imagine que tu n'en as pas grand chose à carrer.
—C'est ta vie. Meilleure question pour toi : mon avis a-t-il vraiment de l'importance? Autrement dit –et pour reprendre tes propres termes– est ce que toi tu en as aussi quelque chose à carrer de ma vie d'avant ou d'après? J'ai pas toujours été comme ça, figure toi.»
Il marquait un point. Je devais admettre qu'effectivement, son avis ne m'intéressait guère.
«—Tu veux dire que tu n'as pas toujours eu l'apparence d'une peluche moche et libidineuse avec une goût douteux et pervers pour la lingerie?
—Bien sûr que non. Les Minarii ressemblent en tout point aux humains. La différence, c'est notre rapport à la magie, c'est tout.
—Il t'est arrivé quoi, alors?
—J'ai affronté un dragon en duel.
—Un duel à mort?
—Non, au shi-fu-mi. Et vu que j'ai gagné, il m'a maudit. C'était un très mauvais perdant.
—Et c'est vrai cette histoire?
—Bien sûr que non, voyons. On sait tous que les dragons n'existent pas. Tu sais, si tu veux que j'arrête de mentir, le plus simple c'est d'arrêter de me tenter.
—Tu as honte de ce qui s'est passé, pas vrai?
—Absolument pas. Simplement pas envie de parler de cette histoire.
—Je vois. Mais la Princesse, elle est au courant?
—Possible. Mais t'oseras jamais lui demander un truc pareil. Tu vas te ridiculiser.
—T'as oublié à qui tu parlais ou bien?
—Va dormir. Tu racontes n'importe quoi. J'entends Stella qui monte.
—Je finirai bien par lever le voile sur cette histoire. Tu t'en tireras pas si facilement.»
Il avait toutefois raison. Elle m'avait surpris un bon nombre de fois dans des situations potentiellement gênantes. J'avais donc pris l'habitude d'être attentif aux bruits de l'escalier (en particulier la troisième marche) et je savais que ma sœur –quoique parfaitement silencieuse– était effectivement dans le couloir et j'entendis une latte de parquet grincer devant ma porte. Mais elle ne fit pas irruption. Ou peut-être attendait-elle le bon moment.
«—C'est bon, je sais que t'es là! Je vais me coucher.»
La latte grinça de nouveau et j'entendis un instant plus tard la porte de sa chambre s'ouvrir et se refermer d'un coup sec. Souriant intérieurement, je me réjouis d'avoir empêcher cette intrusion : j'aurais eu du mal à expliquer la présence du tas de fringues de meuf que j'avais eu la flemme de ranger.
Je m'endormis très vite en pensant à ce qui m'attendait demain : j'allais enfin rencontrer la Princesse en personne.
⁂
J'avais chaud. Je me sentais oppressé.
«—J'attends depuis si longtemps. Viens m'aider.»
Prends garde, Miss.
«—C'est pas déjà ce que je fais depuis le début?
—Je suis coincée, Raphaël. J'ai besoin de toi et tu as besoin de moi.
—Ah bon?
—Tu dois te débarrasser des Mânes avant qu'il ne soit trop tard. Il ne reste plus beaucoup de temps.
—Pourquoi je ne vous vois pas comme les fois d'avant?»
Il faisait noir. La pièce circulaire était plongé dans l'obscurité.
Les choses
ne sont pas
ce qu'elles semblent.
«—Princesse? Tout va bien, pas vrai? J'ai vaincu Calixte et emprisonné la Corruption.
—Et je ne t'en remercierai jamais assez, mon héros.»
J'ignorais qu'on avait ce genre de relation. Sans doute la gratitude qui la faisait dérailler.
«—Tim et moi on se prépare. On sera bientôt là et tout sera fini très vite.
—Je l'espère. Je n'aurais pas pu tenir plus longtemps. Je suis soulagée que le sorcier soit toujours avec toi.»
Vu qu'il n'avait jamais pris aucun risque, c'était sans doute pas là mon plus gros succès.
«—Princesse, vous savez comment me retirer les Mânes?
—Oui. Elles ne seront pas d'accord mais je ne leur laisserai pas le choix.
—Comment dire... Je ne pourrais plus après ça me changer ou même... rester en fille?
—Nous nous parlerons demain. Amène-moi Temuji.»
Miss, prends garde.
Pourquoi les Mânes se manifestaient maintenant? Il faisait étouffant dans cet endroit. J'avais un poids sur l'estomac, impossible de bouger normalement.
REVEILLE-TOI!
REVEILLE-TOI!
REVEILLE-TOI!
Urgence. Péril imminent. Les Voix m'avaient tiré·e de mon sommeil avec l'efficacité du seau d'eau froide. J'ouvris les yeux. Malgré la pénombre de ma chambre, une simple estimation même somnolente suffit pour comprendre le tableau saisissant qui se découpait dans le clair-obscur de la lueur verdâtre de mon réveil.
Et quand je dis «saisissant», je parlais aussi de la paire de mains fines mais déterminées autour de mon cou.
Une silhouette se tenait à califourchon sur moi. Le visage orné d'un rictus de satisfaction se pencha vers moi. Éclaboussés par la lueur d'un réverbère, ses yeux brillaient d'intentions meurtrières alors qu'une mèche blonde de ses longs cheveux noirs me tombait sur le visage.
«—Stella? Mais...
—Essaie encore.
—Namue??»
Impossible!
Je cherchais Tim du regard, mais évidement, jamais là quand j'avais besoin de lui.
«—Ne te fatigue pas à chercher le sorcier. J'ai scotché mon tiroir. Il ne gâchera pas nos retrouvailles. Tu m'as manqué, Miss, mais moi, je ne te louperai pas.»
Impossible de se méprendre. Vu le niveau et le ton de la répartie, aucun doute n'était permis. Namue avait réussi à s'échapper. Il n'y avait qu'une seule explication possible.
«—Je sais pas comment tu as fait, mais tu es en train de perdre ton temps.
—Quoi?»
J'ai attrapé ses poignets en les écartant sans peine de mon cou qu'elle pressait à peine.
«—Impossible! Je suis camouflée dans le corps de ta frangine! Les Mânes ne peuvent pas sentir ma présence : tu n'as pas tes pouvoirs, j'en suis certaine!
—Tu possèdes le corps de ma sœur, t'es débile ou quoi? Elle n'a jamais eu ta force. Ni ton poids, d'ailleurs. Pas besoin des pouvoirs de Miss pour te maîtriser.»
D'un geste, je la repoussai. Toujours sur moi, elle ne semblait pas bien comprendre ce qui venait de se passer. Moi, en revanche, j'avais compris. En un éclair toutes les pièces du puzzle s'assemblèrent dans mon esprit.
«—C'était donc ça. Tu as créé un siphon d'âme quand tu l'as possédée la première fois. Tu pensais utiliser le pouvoir de tes Mânes corrompues pour t'introduire ici et m'assassiner.
—Le plan parfait, mais long à mettre en place. Je pensais rester prisonnière plus longtemps, mais...»
Elle leva sa main, et le souvenir me heurta de plein fouet, comme une poêle à frire.
«—Elle a été brûlée par de la Corruption pure!
—Ce qui a accéléré le processus. Le siphon s'est ouvert : j'ai donc fait ce que j'ai toujours fait.
—Trahir et tromper?
—Non. Saisir ma chance. Cette idiote résiste, elle m'a retenue.
—Dans ce cas, laisse là reprendre le contrôle et disparaît une fois pour toute, Namue.
—Hors de question.»
Nous entendîmes une porte s'ouvrir à la volée. Ma mère avait été réveillée par le bruit.
«—Merde! Notre mère!»
Un sourire torve déforma la bouche de Stella.
«—Il va se passer quoi si elle te trouve dans ce lit, Miss?»
Impossible de redevenir moi-même. Là, c'était la catastrophe. Ma mère allait péter un câble. Rien qu'à la démarche, elle était furieuse. Namue souriait de toutes ses dents (enfin, celles de ma sœur, du coup).
«—Marche avec moi, Miss, ou tu vas le regretter.»
Elle s'empara de la couette qu'elle me passa sur la tête à l'instant même où la porte s'ouvrit.
«—Stella? Qu'est-ce-que tu fiches à cette heure-ci dans la chambre de ton frère?»
On avait une chance. Elle semblait énervée, mais également surprise à en juger son ton. Difficile d'être plus précis·e sans la voir.
«—Oh, ce n'est rien, Mère, juste une petite blague! Pas vrai frérot?»
Elle me racla le dessus de la tête avec une de ses phalanges. Elle parvenait à me faire mal, même avec la couette.
«—Tu ne crois pas que tu as passé l'âge? Raph, ça va?»
J'ai levé le pouce en prenant bien soin de ne pas laisser voir mon ongle verni. Ce genre de détail cosmétique n'aurait pas échapper à ma mère.
Mais quel·le con·ne! J'ai des mains de fille!
Je croisai aussi les doigts de mon autre main pour qu'elle ne remarquât pas la différence dans la pénombre.
«—Va te coucher, tu devrais déjà être au lit. Et on reparlera demain de ces mèches, Stella. Bonne nuit et plus un bruit.»
On s'en tirait très bien. Mais ça posait un autre problème.
«—Pourquoi t'as fait ça, Namue?
—Parce que je vais avoir besoin de toi, Miss.
—Et tu crois que je vais t'aider? Tu rêves!
—J'veux pas mourir. Et j'ai le corps de ta sœur. Va bien falloir qu'on s'entende toi et moi.»
Elle se releva et commença à se désaper.
«—Eh oh tu fais quoi, là?
—Je me couche. Et je dors pas par terre. Tu me fais une place.
—Non!
—Et où tu veux que je dormes, alors?
—J'sais pas, moi, essaie ta chambre? Une idée, comme ça.
—Bien sûr. Et vous allez comploter toute la nuit avec le sorcier pour m'avoir.
—Tu veux parler du nounours que t'as enfermé toi-même dans une commode?
—OK, très bien, alors voilà. Je le garde avec moi en garantie et si tu tentes un truc...
—Calme ta parano et range ton égo. Le seul truc que je vais tenter, c'est dormir. Maintenant dégage.»
Trouver le sommeil alors qu'une traîtresse meurtrière occupait le corps de ma sœur et la chambre d'à côté s'avéra être plus un défi qu'une vraie tentative.
⁂Yedel l'auteur⁂
C'est l'heure des retrouvailles, mais pas celles que R pensait. Bravo à celles et ceux qui l'avaient vu venir et pour les autres, j'espère que son retour ne vous prendra pas trop en traître. Avec elle, c'est une sorte de seconde nature, ne le prenez pas personnellement!
Les choses aussi se précisent entre les Mânes et la Princesse, mais tout ça ne nous dit pas ce que manigance Namue...
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