32. Mutation

— Oh arrête de faire l'innocent, je parle de la meuf que tu planques. Celle avec les cheveux roses.

On était de retour à la case départ après la «Laps Dance», comme prévu. Un rapide coup d'œil à mon sac plein à craquer coincé entre mes chevilles m'apprit que le plan avait plus que bien fonctionné. Ça faisait bizarrement plaisir de retrouver Stella en forme.

— Allô? Je te parle, Raph! Arrête de m'ignorer, ça m'énerve.

Le soulagement fut intense, elle était redevenue elle-même. Quoiqu'un peu plus pâle que d'habitude. Sans doute les néons.

— Non, la fille en question, euh c'est pas pas un souci. T'as vraiment pas à t'en faire. La situation a un peu dérapé dernièrement mais je reprends les choses en main.

Elle me lança son regard noir avant de pousser un soupir.

— Bon, très bien, dans ce cas. Je veux pas que maman s'inquiète plus et je veux pas non plus que tu te retrouves dans des embrouilles. Écoute, faut vraiment qu'on rentre, elle va s'inquiéter et en plus, je me sens super fatiguée, d'un coup.
— Ah bon? Même après le café?
— Ouais, on dirait bien. J'ai dû choper la crève ou je sais pas quoi.

Ma pauvre, si tu savais...

Elle se leva de sa banquette et trébucha, se rattrapant d'extrême justesse à la table un peu bancale. Elle semblait vraiment malade. Impossible de questionner le nounours pour confirmer que c'était un effet secondaire indésirable de la possession. Toutefois, la coïncidence était trop grosse. Théna m'avait prévenu : je devais la surveiller. Le souffle coupé par la surprise, elle se redressa lentement.

— On va rentrer de suite Stella, tu n'as pas l'air dans ton assiette. Et encore merci pour, euh, tout ce que tu as dit. J'apprécie, vraiment.
— De rien. Je suis là aussi pour ça. Mais n'en prends pas trop l'habitude.
— C'est vrai. D'habitude tu es plus chiante.

Elle eut un sourire un peu absent, le regard dans le vague. J'attrapai mon baluchon en espérant passer inaperçu. Stella était de toute façon trop malade pour faire vraiment attention et son état m'inquiétait au plus haut point.

— Fais-moi plaisir, Stella et évite de –tu sais?– prendre n'importe quoi.
— J'veux même pas savoir comment t'es au courant de ça. Là, j'ai surtout envie de vomir, donc le problème ne se pose même pas.

On est rentrés lentement, dans un silence relatif. La marche lui fit du bien, elle semblait un peu mieux en arrivant à la maison. Ce qui ne l'empêcha pas de partir directement se coucher. Ma mère en fut un peu surprise.

— Qu'est-ce-qu'il lui arrive à ta sœur?
— Elle a chopé une saleté, elle est partie s'allonger.»

Parlant de Namue, techniquement parlant, ce n'était pas un complet mensonge.

— Ah bon. J'espère qu'elle n'a rien chopé d'illégal, dans ce cas.»

Ma mère me regarda, droit dans les yeux en insistant sur le mot. Elle savait. Je me suis aussitôt raidi en m'accrochant à mon sac rempli. Si elle décidait de m'obliger à l'ouvrir, j'aurais eu bien du mal à en expliquer le contenu, autant que la provenance.

— Non, t'inquiète, elle est vraiment malade, avec la fatigue et tout. Promis.
— N'hésite pas à me le dire si elle a des soucis. En rangeant sa chambre, j'ai vu des...

Elle s'interrompit, visiblement inquiète. Il valait mieux calmer le jeu et surtout ne pas attirer son attention. Il ne s'agissait pas vraiment de couvrir Stella, mais un peu quand même.

— Non, elle est cool. Elle voulait juste m'aider et euh... me conseiller sur mes futurs projets. J'ai trouvé ça gentil. Et donc très suspect.

Ma mère sourit enfin. Elle avait rendu les armes et on était sauvé, du moins pour l'instant.

— Très bien, alors. C'est en effet très gentil de sa part. Fais-moi plaisir et vide ton sac, veux-tu?
— Pardon?

Bordel de merde, chuis foutu!

— Avant qu'il ne craque. Je ne comprends toujours pas pourquoi on vous fait prendre autant de trucs, au lycée.

Oh putain!

— C'est pour nous faire bosser, hein.
— Bosser je sais pas, mais bossus c'est certain. Allez, file me ranger tout ça.

J'ai décampé sans demander mon reste pour aller planquer mon butin, n'en croyant pas ma chance. Une fois enfermé dans ma chambre et assuré que celle de Stella était silencieuse, je déballai enfin le fruit de ma rapine temporelle. Et Tim, enseveli dedans.

— Enfin, j'ai cru que j'allais mourir étouffé là dessous!
— Ecoute, c'est pas faute d'avoir essayé, Tim. Et pis y a aussi mes culottes, tu devrais être content.
— C'est du neuf, aucun intérêt.

Très vite enchaîner, l'ignorer et continuer à vivre en priant pour oublier ça.

— J'espère que tu t'es pas trompé sur les tailles, on aura du mal à faire l'échange.
— J'ai le compas dans l'œil, moi pour ces choses-là.
— Pas sûr que ce soit une bonne idée de t'en vanter.

Il ignora complètement ma remarque avant de reprendre d'un ton réprobateur.

— Tu m'as toujours pas dit ce que tu comptais faire de tout ça. J'aime pas ça du tout.
— Moi, j'aime bien. Et il n'est plus question d'emprunter des vêtements de Stella. Pour ce que j'ai en tête, il me faut mon style à moi. Et du neuf.

C'était compliqué à lui expliquer et il n'aurait rien compris de toute façon. Maintenant que je savais que c'était moi la fille et personne d'autre, je me sentais bizarrement mieux. Je l'avais compris lors de ma discussion avec ma «pré-décédée-sœur». Je n'usurpais pas une identité, je restais moi. J'avais eu beaucoup de mal à intégrer les choses alors que tout me semblait si paradoxal. 

Mes émotions étaient tellement chaotiques ces derniers temps que la confusion restait là, malgré tout. Une vérité avait fait jour cependant et je ne pouvais plus la nier : je me sentais de plus en plus à l'aise vis-à-vis de mon statut de femme et de guerrière intérimaire. Tim aurait pu s'en satisfaire, mais je n'avais aucune envie de partager ça avec lui.

— Tu devrais te dépêcher de ramasser tout ça, Raphaël, si ta mère débarque...
— Pour une fois, t'as pas tort. Ça m'ennuierait qu'elle me prenne pour un voleur et un pervers.
— Bienvenue dans ma vie.
— Pas comme si c'était mérité, Tim. Bref, va falloir que je planque ça.

Je ramassai soigneusement jupes, robes, tops, sous-vêtements et la paire de chaussure dans un autre vieux sac que personne n'irait ouvrir. Ca faisait bizarre d'ailleurs de voir ces chaussures en 36 à côté de mes vieilles baskets en 43 qui me parurent soudainement répugnantes.

— Raph? Ça va? Tu as l'air bizarre...
— Mais oui, ça va très bien. Et ça ira bien mieux demain.
— On peut savoir pourquoi?

Je sortis de ma poche le flyer froissé que j'avais pris au centre commercial en le plaçant sous le nez de la peluche.

— Parce que demain, c'est le dernier jour de la fête foraine, et que tout le monde y sera. Y compris Chacha.
— Et Camille. N'oublie pas Camille. Je commence à comprendre et je peux te dire que c'est une très très mauvaise idée qui va te revenir dans la figure.
— N'importe quoi. Je sais ce que je fais. Je vais sauver les meubles, tu verras. Qu'est ce qui pourrait mal tourner, selon toi?
— A peu près tout. Y a pas un monde dans lequel ça peut bien se passer. Si j'ai bien compris, tu comptes y aller en Miss en te déguisant. Alors que le pouvoir devient très instable et dangereux.

Une sourde colère monta en entendant ces paroles. Mais pour qui se prenait-il à la fin? J'allais lui montrer, moi, qui j'étais ainsi qu'à eux, tous.

— Instable et dangereux? Je maîtrise désormais, regarde moi bien!

J'ai fermé les yeux un bref instant pour me laisser inonder par le pouvoir des Mânes. Une fois l'effet passé, je les rouvris pour me contempler dans mon miroir, sur le mur. Cette fois, j'avais les cheveux noirs comme le charbon. Au moins, la couleur était passe-partout. Maintenant que je savais, j'étais un peu intrigué·e par mon apparence et mon visage.

Je n'aimais pas trop me regarder en temps normal. Mon reflet me mettait toujours un peu mal à l'aise. Au féminin, mes traits me paraissaient bien plus réguliers et harmonieux. Il fallait que je me réhabitue à mon corps et à ses nouvelles formes. Dans le miroir, mes yeux glissèrent sur mes seins et mes hanches. Finalement, j'étais pas si mal, comme ça.

Non. J'étais même carrément mieux comme ça.

— Il faudra que je me fasse une séance d'essayage, pour demain.
— Aucun moyen de te faire changer d'avis, Raph?
— Ma décision est prise. Et ne m'appelle pas comme ça quand je prends cette apparence. Officiellement, sous cette forme, ce sera Melissa.
— Je pourrais assister aux essayages? Même si je désapprouve, je veux te montrer que je suis là pour toi.

Il perdait pas une occasion, ce vieux voyeur pervers.

— Mais bien sûr! Je vais t'en mettre plein la vue, Tim.

https://youtu.be/ABhDiXbUaBE

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