30. Confiance
https://youtu.be/45Yay4RJsjQ
Le choc survint. L'impact fut violent. J'avais anticipé en visant le ventre de la créature pour éviter ses poings. Le mien percuta bien les abdos durcis de Namue et celle-ci ne parvint pas à me toucher.
L'onde de choc se répercuta dans mon bras : c'était comme taper un baobab tricentenaire. La douleur dans mes phalanges et mon poignet ne me laissait pas trop de doute quant à la qualité de la carapace musculaire de mon assaillante.
— Aïe! File-moi l'adresse de ta salle de muscu, c'est du solide!
— On fait de l'humour? J'crois qu't'as pas bien compris.
En un quart de seconde elle m'attrapa par les cheveux qu'elle tira à me les arracher, me soulevant presque.
— Théna! Je veux que tu regardes bien ce qui va se passer : ouvre grand tes yeux et surtout, n'en perds pas une miette.
Elle m'asséna un puissant coup dans le ventre qui me coupa le souffle. Ma vision se ternit et se referma, ne laissant place qu'à des points lumineux. Un goût métallique et vaguement cuivré envahit ma bouche, alors que j'essayais de retrouver mes repères. La douleur arriva d'un seul coup.
Namue avait lâché mes cheveux, non sans en avoir gardé une poignée qu'elle finit par libérer en ouvrant sa main, en regardant Athénaïs droit dans les yeux.
— Tu vas vraiment laisser cette gamine souffrir alors que tu peux l'éviter?
— C'est elle qui va te battre. C'est la nouvelle Miss, que ça te plaise ou non.
— J'me fous de... ces histoires! J'ai fait tout ça... à cause de... De toi!
Namue écumait de rage alors que Théna, agenouillée lui renvoyait son défi d'un regard empli de pitié.
— C'est un mensonge et nous le savons toutes les deux. Ça ne sera jamais fini. Ce qui te rongeait a fini par te détruire. Tu n'es plus celle que j'ai connue et je n'ai plus rien à voir avec toi. Miss, elle est à toi.
Namue pivota sa tête vers moi, une expression homicide barbouillée sur son visage émacié. Elle m'asséna un violent coup de pied que je parvins à esquiver par réflexe. Vu que j'avais déjà mal partout, ce mouvement attisa la douleur, m'arrachant un cri. Théna restait impavide, m'adressant au passage un sourire qui se voulait encourageant, le pouce levé.
— Elle n'est pas de taille contre toi, Miss.
— Ta confiance me touche, mais j'vais pas te mentir, j'serais pas contre un p'tit coup de main.
L'ancienne Miss hésita un court instant.
— Sers toi de tes pouvoirs, enfin! Tu en es largement capable!
Profitant de mon inattention, Namue m'envoya un second coup de pied qui m'envoya valser comme une ballot de linge sale. Je m'affalai avec fracas à quelques pas à peine de Théna et de ma sœur inconsciente. La Corrompue semblait prendre un plaisir pervers à me battre comme plâtre sous les yeux de sa rivale. Elle afficha un sourire torve.
— Tu l'as entendue? Même ta Miss sait qu'elle ne peut rien contre moi. Et tu vas ignorer ses appels à l'aide? C'est plutôt... Décevant venant de toi. Elle fait de son mieux, après tout.
— J'ai une totale et absolue confiance en elle.
De toute évidence, Théna semblait complètement imperméable au passif-agressif. Sans trop connaitre leur relation, je la devinais du genre compliquée, conflictuelle et de longue date. J'avais vraiment besoin d'aide.
— Ce duel n'est pas équilibré, j'y arriverai jamais. J'ai pas été préparé·e comme vous à la bagarre.
— Justement. Qui a dit que tu devais te battre dans les règles?
— J'espère bien que non, parce que j'ai rien et je sais même pas mettre un–
Mais pourquoi j'ai dit ça, bordel? Pourquoi?
Thena haussa un sourcil parfaitement arqué, une expression d'étonnement et d'incompréhension sur le visage. C'était pas le moment de laisser parler les angoisses refoulées. Je devais penser autrement. Contrer la force brute et ne pas céder à la peur.
Qu'avait conseillé Athénaïs, à propos des règles? Ne pas les respecter? Et si je les changeais, carrément?
— Finalement, tu m'as donné·e une idée, Théna. Merci!
Mon adversaire était une colosse à la fois rapide et puissante. Si mes coups ne parvenaient pas à la blesser et que moi, j'avais du mal à encaisser les siens, il fallait changer la donne. J'avais besoin de protection et d'une arme. J'avais l'idée parfaite.
Un peu de concentration, s'il vous plaît les Mânes, aidez-moi!
Comme quoi, il suffisait de demander. Une intense lueur m'enveloppa, aveuglant Namue qui dut se couvrir les yeux. Et quand la lumière scintillante se dissipa enfin, j'étais revêtu·e d'une armure, légère mais solide, efficace mais élégante. Avec du strass sur les épaulettes, évidemment. Mais j'avais surtout récupéré des gants munis d'un arceau en métal violacé.
— Mais pourquoi j'ai pas fait ça avant?
— Parce que ça ne changera rien à l'issue de ce combat!
Namue revenait à la charge, plus déterminée et enragée que jamais. Je sentais le regard appuyé de Théna sur moi et sa confiance me mettait une pression assez difficile à supporter.
— Je ne vais pas te tuer, Miss, en tout cas pas tout de suite. Je veux que tu sois encore consciente quand je m'occuperai de ta frangine. Ce serait trop cruel de vous séparer, tu crois pas?»
La colère remonta. Un puissant élan de rage me submergea face à cette chose. Un voile blanc tomba et plus qu'une seule idée en tête : lui faire mal, très mal, l'obliger à fermer sa gueule, une bonne fois pour toute. C'était à moi de le faire, alors autant en profiter pour se défouler.
Sans réflexion ni hésitation, je me jetai sur elle pour la percuter. Surprise par la manœuvre, elle tenta de reculer mais tomba à la renverse, m'entraînant avec elle dans un roulé boulé. Les clients zombis firent cercle autour de nous. C'était le dernier round.
— Elec-trop-CUTE!»
Toutes les deux au sol, à califourchon sur elle, je la martelai de coups chargés avec l'Elec-trop-cute en donnant tout ce que j'avais, ma colère rentrée des jours passés, les frustrations accumulées, les humiliations diverses, les mensonges perpétuels et surtout l'envie de faire payer quelqu'un pour tout ce qui allait encore me tomber dessus.
— Arrête, Miss, s'il te plait! STOP!»
Essoufflé·e, les bras pesants, j'arrêtais enfin de la matraquer à coup de poing ferré.
— Tu crois qu'elle a son compte, Théna?
— Oui, il me semble. j'ai bien cru que tu allais la tuer.
— Et c'est pas ce que tu voulais?
— Bien sûr que non, voyons!»
Son visage n'était plus qu'un amalgame de chairs grisâtres et de sang noirci. On l'entendait péniblement respirer.
— Que tu me tues... Ou pas... Ça n'a plus d'importance...»
Elle toussa bruyamment, visiblement complètement sonnée.
— Bien sûr que si, Namue. Je n'ai jamais voulu ça. T'étais une fille bien, avant. T'étais mon amie, enfin tu as oublié?
— Pitié, ferme-là. Tu sais rien de moi.»
Tim s'éclaircit la voix, plus pour rappeler sa présence que par réelle nécessité.
— Je leur ai dit la vérité Namue, à toutes les filles de l'Egide avant que tu n'intègres nos rangs.
— Impossible. Tu... sais... RIEN... sur moi... Tu mens!
— Je savais pourquoi tu voulais venir à l'Académie. C'était à cause de Keros.»
J'étais de nouveau perdu·e au milieu de ces révélations aussi inattendues qu'incompréhensibles.
— C'est quoi cette histoire encore, Tim?»
Ce fut au tour de Théna de prendre la parole.
— Keros était le frère aîné de Namue. Il voulait rejoindre l'Egide malgré les... Inconvénients. On n'a jamais trop su quelles étaient ses motivations réelles, mais il a passé tous les tests pour faire partie du corps d'élite.
— Je sens que je vais le regretter, mais... Il s'est passé quoi?
— Il s'est donné la mort. Officiellement, il n'aurait pas supporté "la métamorphose".»
Namue lâcha un soupir rauque.
— Connerie! Keros était raide dingue de la traînée. Tout ce qu'il voulait, c'était être près d'elle, même si...»
Bien que salement amochée, sa haine et son ressentiment restait palpable. Ses lèvres remuaient comme si elle avait répété sa tirade pendant trop longtemps.
— La vérité, c'est qu'il l'aimait. Et qu'elle l'a humilié. Elle ne lui a même pas dit qu'il n'était rien pour elle. Non. Elle s'est contenté de l'ignorer. Comme s'il n'existait pas au yeux de la Princesse. Il m'avait laissé une lettre que j'ai découverte après sa mort. Je me suis jurée que je le vengerai. J'ai donc intégré l'Académie, postulé à l'Egide pour ça, sous un faux nom. Et c'est là que tu entres en scène, Théna. Si parfaite, si douée.»
Elle crachait ses mots avec mépris et amertume.
— Il fallait que ce soit moi la plus proche de la Princesse. Et tu m'a privée de ma vengeance, après tout ces sacrifices.
— Et tu as mis fin à tout un royaume juste pour te venger?
— Je vous déteste tous! Toi, Théna et la foutue Princesse!»
A ma grande surprise, malgré ses yeux tuméfiés, je vis deux gouttes couler le long des joues grises de Namue.
— Je vous HAIS!
— Stella n'avait rien à voir dans tout ça.
— On f'rait n'importe quoi pour sa famille, pas vrai? Fais pas semblant, on est pareilles toi et moi, Miss.»
Ses mots étaient presque aussi blessants que ses poings, et c'était pas peu dire. Théna regarda Tim en hochant la tête d'un air entendu.
— On va l'enfermer, comme les autres. Malgré ses crimes, ce n'est pas à nous de la juger, Miss. Fais ce que tu as à faire avant qu'elle ne se régénère.
— Euh, d'accord, je suppose.
— On se reverra, Miss. Tôt ou tard.
— END-JOY!»
Le corps de la corrompue se vaporisa en une fine poussière grise, comme une nuée de cendres volcaniques. Elle tourbillonna de plus en plus vite avant de s'engouffrer en sifflant dans la cartouche préparée par Tim.
La dernière capsule était désormais ornée d'une pierre jaune. Mais cette fois, il ne restait aucun corps.
— Mais comment ça se fait?»
Tim et Athénaïs se regardèrent, l'air sombre.
— C'était Namue qui était derrière tout ça. C'était elle la première Corrompue.
— Ce qui veut dire?
— Elle a complètement fusionné avec les Mânes corrompues, c'était son corps d'origine. Elle ne possédait personne. Autrement dit, la purification va probablement la faire disparaître à tout jamais.
— Ah.»
Sur le coup, je ne trouvais rien de mieux à dire. Pour être parfaitement honnête, je ne la portais pas vraiment dans mon cœur, elle ne me manquerait pas de toute façon. Mais j'avais autre chose en tête. Un coup d'œil sur Stella m'appris qu'elle était redevenue elle-même ; son visage n'avait plus cette teinte cadavérique et ses horribles veinules noires avaient elles aussi disparu. Quand aux clients possédés, ils s'étaient tous écroulés à terre. C'en était fini de l'emprise de Namue.
— Je vais lancer la Lapse Dance et après, on pourra discuter, toi et moi.
— Justement, non, Raphaël. Nous devons parler maintenant.
— Et pourquoi ça, d'abord?»
Elle me regarda fixement, ses grands yeux tristes brillaient. Ce qui ne pouvait signifier rien de bon pour moi.
— Parce qu'après, il sera trop tard.
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