29. Echange

https://youtu.be/VWkT1j61oQc

A moitié assommé·e et écrasé·e par le poids de mon assaillante, elle en profita pour m'agripper de nouveau par les poignets, un genou plaqué contre mes omoplates. Bref, aussi douloureux qu'incapacitant. Je la sentis se pencher sur moi, emplissant mes narines d'une forte odeur de sueur et de corruption.

— Le gros défaut de l'Elec-trop-cute : il faut un contact direct avec ta cible. Ce n'est qu'un avant goût de ce qui t'attends. Les Mânes corrompues m'ont rendue bien plus forte que toi. Alors voilà ce qui va se passer : tu vas chercher, trouver et me ramener la Princesse. Je me fous du comment.
— Je... t'ai déjà dit... Pas question!
— Tu n'es pas en position de me refuser quoi que ce soit. C'est assez évident. Ce qu'il te manque, c'est la motivation. Ta frangine restera avec moi.
— Non... T'as pas l'droit!
— Je te parle pas de droits, mais de dû. Je suis clairement la plus forte, donc pas de débat. Vu?

Merde... Quelle ordure... Je suis vraiment dans la merde.

J'étais en très mauvaise posture et la situation empirait : j'entendis la voix de Stella se rapprocher, insultant copieusement ses agresseurs. J'entendais la nuance de terreur dans sa voix suraiguë. Elle stoppa net les invectives quand elle me vit.

— Raph! Ca va?

Sa question me fit sourire malgré la situation catastrophique.

— Super... Toi?
— T'inquiète. Toi, lâche-la ou j'te crève!

Elle se mit à se débattre de plus belle comme un chat coincé dans un sac.

— Vous êtes du genre agressif dans la famille. Ça me plait d'habitude, mais là ça me saoule. Comme je le disais à Miss tu vas rester avec moi le temps qu'elle fasse une petite course pour moi.
— Jamais! Je sais pas c'qu'elle t'a demandé·e mais le fais pas!
— Tu vas te calmer et coopérer. Approchez-la un peu!

Difficile de voir ce qu'il se passait. Stella se tut et ce silence me tuait. Namue relâcha sa prise et se dégagea très souplement. Le dos meurtri, la poitrine douloureuse, à bout de souffle, j'étais de nouveau libre et j'en compris aussitôt la raison en regardant ma sœur.

Ses yeux étaient devenus entièrement blancs, de grosses veinules noires encadraient son visage d'une pâleur effrayante.

— NON!
— Et pourtant. Maintenant, si tu veux arrêter les gamineries et la récupérer, tu sais ce qu'il te reste à faire. Quelque chose à ajouter, toi?

Elle gratifia Tim d'un sourire sardonique, le regard cruel.

— Je ne pensais pas que tu tomberais si bas, c'est tout ce que j'ai à dire sur ce que je viens de voir. Si j'avais su...
— Oh, tu aurais pu savoir ce qui vous pendait au bout du nez. Mais pour toi et ta Princesse, nous n'étions rien. Cependant, je ne suis pas là pour ressasser le passé, j'ai déjà donné. Quant à toi...

Elle pointa son doigt effilé dans ma direction.

— Tu as 48h. Pas une minute de plus, et c'est très généreux de ma part. Passé ce délai, je te laisse deviner la suite.

Elle agrippa Stella par les épaules et lui lécha la joue de son horrible langue striée et pointue.
La première réflexion qui me passe par la tête fut aussi la plus stupide. A ma décharge, la pression de l'ultimatum était particulièrement anxiogène.

— Mais qu'est-ce que je vais dire à ma mère?
— Pas mon problème. Demande donc ça au sorcier. Il est très bon pour trouver des excuses.
— C'est censé vouloir dire quoi, au juste?

Tim était de nouveau le centre de l'attention.

— Il y a un passif entre nous, Miss. Elle ne m'a jamais pardonné ce qui s'est passé.
— Parce que tout est de ta faute, Temuji!
— La seule responsabilité que j'accepte d'endosser, c'est d'être la cause du monstre que tu es devenue. Mais pour le reste...

Elle glapit de rage en entendant ça.

— L'histoire se répète et tu oses prétendre que c'est un hasard?
— C'est toi qui a tout fait pour ça. Corrompre cette fille et mettre sa vie en danger, c'est ton fait, pas le mien.
— Vous perdez un temps précieux!

Mon cerveau était gelé par l'angoisse. La gorge serrée, l'estomac douloureux, je ne pouvais pas détacher mon regard de celui complètement vide de Stella. Ma décision était prise, si tant était que j'avais eu le choix.

— Et si je te dis où je l'ai vue, ça t'irait?
— Et risquer de tomber dans un piège en perdant mon moyen de pression? Non merci, je ne vais prendre aucun risque.

Tim s'indigna.

— Tu ne vas quand même pas trahir la Princesse après tout ça?
— Tout ça quoi ? Ta Princesse ne signifie rien pour moi, alors côté choix, c'est vite vu.
— Et la suite, y as-tu seulement pensé?
— Comment veux tu que je pense quoi que ce soit, vu qu'on le peu que je sais est un vaste mensonge?

Une nouvelle voix, très douce, le timbre clair, se fit entendre.
— Elle n'a pas tort, Temuji.

Cette voix féminine m'était inconnue mais étrangement familière. Sortie de nulle part, une silhouette était apparue. Grande, les jambes croisées, une main sur la hanche, l'autre le long du corps, ses longs cheveux prune cascadant dans son dos. Elle portait le même uniforme que moi, celui de l'Egide.

— Mais t'es qui, toi? Je croyais que toutes les guerrières avaient disparu!

On n'était plus à un mensonge près, désormais. Namue se mit à hurler.

— IMPOSSIBLE! Sorcier, qu'est-ce que ça veut dire?

Il ment donc vraiment à tout le monde.

Le cri de Namue venait de loin. Ses grands yeux blancs écarquillés, elle recula de trois pas, la bouche bée, les bras ballants. De toute évidence, elles se connaissaient. Et vu la réaction, il ne pouvait s'agir que d'une seule personne. Et on allait très vite en avoir la confirmation.

— Tim?
— Athénaïs, la précédente Miss. Mais comment...?
— Callixte m'a certifiée que tu étais morte!

La jeune femme tourna la tête, le regard perdu dans le lointain.

— Comme l'a écrit un poète d'ici, "j'aurais l'air d'être mort, mais ce ne sera pas vrai". Dis-moi, Namue, où sont donc la mort et la vérité dans tout ceci?
— Je ne comprends rien à tes charades, Théna!

La fille se contenta de hausser les épaules. Bien qu'elle souriait, je fus frappé·e par l'immense mélancolie qui se lisait dans ses yeux. Depuis le début, je voulais tellement parler à celle dont je croyais partager le corps pour finalement apprendre qu'elle n'existait pas. Maintenant, j'avais devant moi l'authentique Miss et je ne trouvais tout simplement pas les mots. Visiblement, il n'y avait pas que moi sous le choc. Encore paralysée par la terreur de cette apparition, Namue semblait frappée de mutisme. Faute de mieux. Athénaïs reprit enfin la parole, passé son petit effet.

— Vous en faites, une tête. On dirait que vous avez vu un fantôme.
— C'est tout comme, Théna! J'ai vu... Je croyais que...
— Je suis là, c'est tout ce qui compte. Je crois que l'actuel·le Miss a grand besoin qu'on l'aide.

Elle me regarda, tout sourire, pour m'adresser un clin d'œil.

— Où étais-tu pendant tout ce temps?
— Plus tard. Promis, les réponses viendront. La priorité, c'est de mettre Namue hors d'état de nuire. Elle a déjà fait assez de dégâts comme ça. Et c'est à toi qu'il incombe de le faire.

Elle fut interrompue par un rugissement chargé de haine. Sa fureur semblait avoir finalement surpassé sa peur.

— Viens te battre Théna!

Une ombre passa sur le visage de l'interpelée ; elle lui dédia un regard empli d'une sorte de pitié, de dégoût ou de regrets. Difficile de démêler le contenu d'un regard si profond.

— Tu ne le mérites pas.

Je l'ai regardée, abasourdi·e par ce que je venais d'entendre.

— Mais je ne peux pas l'affronter! Elle a ma sœur et elle lui a fait... Je sais pas quoi!

D'un battement de cils, Théna se retrouva à côté de Stella et posa délicatement sa main sur son épaule. Ce qui eut pour effet instantané de la faire s'effondrer. Théna s'agenouilla à côté du corps inanimé et me fit un signe de tête.

— Je te promets qu'elle ne lui fera rien, tant que je serais là. Avant que tu me demandes, elle est juste inconsciente. N'aie aucune inquiétude, alors tu sais ce qu'il te reste à faire.

Elle venait de me faire deux promesses coup sur coup. Au moins, elle semblait très confiante dans mes capacités.

Meuf, tu te trompes! Je ne suis pas toi!

J'écartais bien vite cette pensée.

— Elle est trop forte! J'y arriverais jamais tout·e seul·e!
— Détrompe-toi. Tu as tout ce qu'il faut en toi pour y parvenir.
— Vraiment?

Namue avait repris un peu trop d'assurance. Ce qui n'était pas mon cas. Théna avait sorti Stella de l'équation, mais elle faisait une erreur de calcul. L'inconnu persistait sur mes aptitudes.

— Je vais te déchirer, gamin·e. Et après ce sera ton tour, Théna!
— Je crois que tu sous-estimes grandement le pouvoir des Mânes non corrompues par vos abjections. Enfin, tu verras bien par toi-même.

Ivre de rage, Namue se jeta sur moi, toutes griffes dehors.

Mais cette fois, le temps se mit à ralentir, comme lors de mon premier combat. Elle me paraissait beaucoup plus lente. Plus le temps d'hésiter, il fallait réfléchir vite contre la force brute.

Si je me souviens bien des cours de physique et de l'énergie cinétique, la masse est moitié moins significative que la célérité. Autrement dit, je devais compenser pour l'impact les vingt kilos de différence entre nous par la vitesse et...

— Oh, et puis merde!

Me ramassant sur moi-même, luttant contre la force de frottement due à l'accélération, je me suis jeté·e contre elle. C'était comme un accident de voiture. La plus rapide ferait le plus de dégâts. En théorie.

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